CHAPITRE VIII

Formes et perversions de l’amour chez les Néo-Hébridais. — Condition sociale de la femme. — Le mariage. — L’adultère et sa punition. — Formes du coït. — Sodomie. — Pédérastie. — Bestialité. — Hypospadias artificiel des Indigènes de Santo.



Je ne puis donner les renseignements ci-dessous que sous quelques réserves, car, dans une partie de ce chapitre spécial, j’ai dû me contenter de renseignements fournis par des engagés Néo-Hébridais, hommes et femmes, venus en Nouvelle-Calédonie.

La Popinée Néo-Hébridaise. — La condition sociale de la Popinée Néo-Hébridaise diffère peu de celle de la Néo-Calédonienne. Fille, elle est sous l’absolue domination de son père ; femme, elle ne fait que changer de maître. Elle est considérée comme très inférieure à l’homme, et n’a pas le droit de manger en même temps que lui, mais seulement après. Son mari a le droit de la battre, de la tuer, sans que personne pense à le désapprouver et à le punir. Il ne tient aucun compte d’elle, ne lui confie aucun secret, et s’offusque quand un étranger blanc offre à la malheureuse un aliment ou une boisson. Elle a cependant un avantage sur sa voisine Néo-Calédonienne : c’est de ne pas être obligée de se livrer à plusieurs hommes à la fois. La polyandrie, amenée par la disproportion du nombre des femmes, est une rareté aux Nouvelles-Hébrides. Chaque femme n’a généralement qu’un mari, et même les chefs de tribu sont polygames.

Mariage. — Le mariage se fait selon certaines cérémonies sans aucun caractère religieux, et qui n’ont d’autre but que de bien marquer la possession de la femme par le mari. C’est dans les pilous-pilous que le jeune homme distingue sa future femme. Il ne s’inquiète pas de l’état de son cœur, mais fait sa déclaration au père de la fille. Si celui-ci ne s’y oppose pas, on demande l’autorisation du chef de la tribu, auquel le fiancé doit soumettre sa demande. Quand le consentement est accordé, la fille doit obéir.

Il y a encore une autre manière de se procurer des femmes. Quand deux tribus voisines sont en paix, deux jeunes gens de chacune des tribus peuvent échanger entre eux leurs sœurs, avec l’assentiment du père. Mais alors le chef de chaque tribu a droit à un cadeau du Canaque de l’autre tribu. Dans ce cas aussi, le consentement de la fille n’est pas nécessaire. Si une fille ou femme n’a pas de parents mâles, c’est le chef de la tribu qui l’accorde en mariage, et souvent la prend pour lui.

Quand une femme est trop maltraitée par son mari, elle peut se mettre sous la protection d’un autre homme, pour être ensuite sa femme. Dans ce cas spécial très rare, la femme devient l’objet d’un combat entre les deux hommes, combat en champ clos, à coups de casse-tête, analogue au tournoi de deux chevaliers du Moyen-Âge. Si le protecteur de la femme est vaincu, son mari l’assomme généralement et les deux corps font les frais d’un pilou-pilou qui leur sert de cérémonie funèbre.

Quand un chef vient à mourir, s’il avait plusieurs femmes, le nouveau chef choisit à sa guise dans le sérail du mort ; celles qui ne lui plaisent pas sont pendues ou assommées, et font les frais du festin dans le pilou-pilou donné en l’honneur des funérailles du chef.

Sacrifice des veuves dans les îles de Tanna et d’Anatom. — À Tanna, on étrangle fréquemment la femme après la mort du mari ; cette habitude n’existe plus que dans les tribus de l’intérieur. Elle aurait été importée, paraît-il, de l’île d’Anatom, où elle est encore en vigueur, car les femmes portent autour du cou, dès leur naissance, une corde leur rappelant sans cesse le sort fatal qui leur est réservé. Voici la façon dont s’opère cette strangulation : deux jeunes gens profitent du sommeil de la femme pour fixer en terre deux morceaux de bois sur lesquels ils fixent la corde, de sorte que le cou reste comprimé jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Adultère. — Dans certaines îles, le mari outragé a droit de vie et de mort sur la femme et sur l’amant. Mais celui-ci se défend généralement, et la possession de la femme est le prix du combat relaté plus haut. Dans d’autres îles, au contraire, le mari trafique de sa femme, même avec les Blancs.

Formes du coït. — On conçoit que chez un peuple d’une civilisation aussi rudimentaire, les formes du coït ne soient pas des plus raffinées. Il paraît cependant, d’après mes interrogations, qu’il y a quelques différences entre les diverses tribus.

Le Néo-Hébridais, presque noir, ne casse pas du bois, comme le Néo-Calédonien. Il se livre au coït dans l’ombre et le mystère de sa case. La position habituelle employée serait la position classique sur une natte, la femme dessous et l’homme dessus. Cependant, on m’a signalé une position a retro, la femme accroupie, la tête basse, les cuisses un peu ployées, écartées légèrement, les mains prenant appui sur les jarrets et le cou-de-pied. Cette position présente ainsi, dans un grand écartement, la vulve et le vagin. L’homme, simplement debout entre les jambes, opère d’une manière naturelle. Cette deuxième position se prend au dehors, entre amants, pour échapper à la surveillance du mari jaloux. La femme peut se dissimuler dans un buisson, pendant que l’homme, debout, a les mains libres et peut surveiller les environs. Il est prêt à la défense, et peut faire emploi de ses armes, si le cocu trouble-fête vient gêner les ébats amoureux.

À part ces deux positions, le Canaque noir ne connaît aucune des épices de Vénus. Dans les îles où le sang Polynésien a sensiblement amélioré la race Mélanésienne, il paraît que quelquefois l’homme s’assied sur une natte, le dos appuyé contre le mur ; la femme s’enfourche sur lui, en lui faisant face, et fait à peu près seule le travail amoureux, en élevant et baissant alternativement le corps.

La Popinée en contact avec l’Européen. — Mais la Popinée engagée à Nouméa se civilise vite au contact de l’Européen, surtout quand elle est jeune et généralement gentille. Elle apprend vite une foule de choses qu’elle ignorait dans son pays. Elle devient facilement une agenouillée, et même au delà. L’ivrognerie est son péché mignon, et, si on lui paie à boire, elle n’a rien à vous refuser. À ce sujet, que le lecteur me permette une historiette :

La Popinée du capitaine L***. — M. L*** était un capitaine au long cours, ayant fait le trafic des engagés des Nouvelles-Hébrides. Il avait chez lui un jeune garçon de dix-huit ans et une Popinée (sa sœur, à ce qu’il parait) d’une vingtaine d’années. La maison voisine de celle de M. L*** était habitée par le Docteur qui faisait le service à l’infanterie de Marine, excellent homme, d’une bonté proverbiale. C’était son ordonnance qui était le maître chez lui, un grand gaillard de près de six pieds, mulâtre des Antilles, vicieux et corrompu comme il est rare d’en rencontrer. Ma petite case n’était pas loin, et mon Canaque Néo-Calédonien allait quelquefois voisiner avec l’ordonnance de mon collègue. Un petit mur de deux mètres à peine de hauteur séparait les cours de la maison du Docteur et de celle de M. L***. Toutes les nuits le Mulâtre montait sur une poutre placée le long du mur, saisissait la Popinée qui grimpait sur un tas de pierres, et la faisait passer de l’autre côté. Puis il l’amenait dans sa chambre au rez-de-chaussée qui communiquait avec l’étage supérieur où couchait le Docteur, par un escalier donnant sur l’autre côté de la maison. Mon Canaque assistait souvent aux ébats amoureux du couple et y entrait même pour sa part. Plus tard, cela ne suffit pas. L’ordonnance du Docteur en était venu à tenir un lupanar clandestin, à l’usage de ses camarades de la caserne, pourvu que ceux-ci consentissent à financer. Enfin, un soir, le tapage fut tel que le Docteur, qui d’habitude rentrait après minuit, étant revenu un peu fatigué et s’étant couché à huit heures, sans que son ordonnance l’eût entendu rentrer, fut réveillé une heure après par un sabbat abominable. Il descendit précipitamment et, par la fenêtre de la chambre, aperçut une femme allongée toute nue sur un matelas au milieu de la chambre, entourée d’un groupe de soldats, se livrant ensemble aux plaisirs de l’amour. À peine l’eut-on entrevu que le groupe se rompit précipitamment ; l’unique bougie qui éclairait la situation vola d’un coup de poing par terre, et, en un clin d’œil, tout le monde avait disparu, sauf la femme et l’ordonnance. Celui-ci, gris comme un Polonais, était couché sous la femme et servait de base et de support au groupe humain.

J’ai dit que mon Canaque se trouvait dans le groupe. L’ordonnance avoua sa présence et prétendit que, pendant qu’il faisait l’amour dans une position anormale, le Canaque avait pénétré dans la chambre par la fenêtre entr’ouverte et, profitant de l’état commun d’ivresse où il se trouvait avec la Popinée, aurait pris celle-ci par derrière, sodomitiquement. La vérité, avouée par mon Canaque, c’est que pendant qu’il se livrait à cette opération, il y avait encore en mouvement deux autres Européens dépravés, dont l’un n’était autre que le caporal d’infirmerie, un enfant de la bonne ville de Marseille.

L’affaire n’eut pas de suite ; ce bon Docteur ne voulut pas porter plainte au Colonel, de crainte du ridicule, et se contenta de renvoyer l’ordonnance et de faire changer le caporal-infirmier sous un prétexte quelconque. Je fis conduire un soir la Popinée chez moi par un Canaque, et je constatai sur elle des traces indéniables de pratiques Sodomitiques.

Sodomie. — La Popinée Néo-Hébridaise n’éprouve pas, comme la Négresse d’Afrique, l’horreur du vice de Sodomie. Celle dont je viens de raconter l’histoire n’était pas la seule et, quand je donnais mes soins aux femmes engagées, il m’arrivait assez souvent d’en trouver présentant les signes de la Sodomie invétérée.

Pédérastie. — Les jeunes engagés Néo-Hébridais trouvent difficilement, à Nouméa, l’occasion de satisfaire leurs passions amoureuses. Les femmes de leur race leur préfèrent le Blanc, qui leur rapporte profit et plaisir. Quant aux femmes de race blanche, autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Le jeune Néo-Hébridais, sans un sou vaillant, n’a pas l’espoir d’être aimé pour lui-même, car il est un objet de dégoût, même pour la libérée ou pour la femme d’ancien transporté, qui ne brille pas cependant par la délicatesse des sentiments. Cet état de choses amène forcément la pédérastie entre les engagés, comme il l’amène chez le Néo-Calédonien. Mais ce n’est pas là une dépravation mentale morbide, comme celle de l’Annamite, prêt à se prêter à toutes les turpitudes érotiques. Il m’a paru (ce que je ne puis cependant affirmer d’une manière absolue) que l’acte contre nature se consommait cependant, sans aucune des lubricités raffinées de l’Extrême-Orient. Le Néo-Hébridais applique le vieux proverbe : Faute de grives, on mange des merles. Et il mange le merle simplement rôti, sans aucune sauce ni même une simple barde de lard pour graisser l’animal. Il satisfait simplement sa fringale amoureuse, à charge de revanche. Il est loin de s’en vanter, et l’on parvient très difficilement à lui faire avouer la vérité. Je n’ai jamais pu avoir de confidences que moyennant l’appât de quelque monnaie blanche, et la promesse du secret absolu.

Bestialité avec une chèvre. — Je termine en signalant un cas de bestialité d’un Néo-Hébridais avec une chèvre. Sur la demande du patron de cet engagé, Corydon nouveau modèle, j’examinai l’animal et le coupable, qui ne pouvait nier, ayant été surpris par son maître. La chèvre présentait un infundibulum anal fort accentué, très semblable à celui des pédérastes passifs de profession. L’anus, très dilaté, admettait deux doigts ; or, dans son état normal, l’anus de la chèvre est fort resserré, cet animal faisant de petites crottes. Les parties génitales de l’homme présentaient tous les caractères de la Sodomie active. La verge, normale comme longueur (quatorze à quinze centimètres en érection) était très grosse à la base, où elle avait près de cinq centimètres ; mais elle allait en s’amincissant progressivement jusqu’au gland, dont le diamètre à la couronne était à peine la moitié de celui de la base et qui se trouvait étranlée par un phimosis assez prononcé. Il était terminé en pointe, et sa couronne fort peu accentuée. On aurait dit un pénis d’animal, plutôt que celui d’un homme. Les testicules étaient développés et prouvaient que l’homme se livrait souvent au coït. Lui ayant expressément demandé s’il n’avait jamais essayé l’entrée par la voie naturelle quand la chèvre était en rut, j’obtins la réponse suivante en langage Biche-la-Mar, qui est le sabir de la Polynésie : « Me have no, belong, me queue too large. » (Je n’ai pas pu, ma xueue était trop grosse.) Cette réponse, dénuée d’artifice et naïvement cynique, me convainquit, en effet, de l’impossibilité pour un organe humain, à cause de sa grande dissemblance avec l’organe génital du bouc, d’entrer dans la vulve longue mais étroite d’une chèvre.

Hypospadias artificiel des indigènes de Santo. — J’ai trouvé un indigène de Santo porteur d’un hypospadias artificiel, pratiqué à l’époque de la puberté par le Takata. À l’aide d’un morceau de quartz bien aiguisé, on fend l’urètre depuis le gland jusqu’à la racine des bourses, après avoir attaché le pénis sur une planchette d’écorce. On met sur la blessure une bande d’écorce fine, après avoir recouvert la plaie avec des herbes mâchées par le Takata. Cette opération bizarre force ceux qui ont été mutilés à s’accroupir pour uriner. Dans l’érection le membre devient large et plat, et au moment de l’éjaculation, le sperme sort en bavant et se répand sur les bourses. L’indigène qui présentait cette curieuse mutilation me disait qu’il n’était pas le seul et qu’il arrivait assez fréquemment qu’elle fût faite par le Takata aux sujets désignés par le Chef. Il n’a pu m’expliquer la cause de cette singulière coutume.

Ce qui est positif, c’est qu’elle provient de l’Australie, berceau d’origine de la race Néo-Hébridaise, où elle est connue et pratiquée dans les parties centrale et occidentale.

Les indigènes de Santo sont des Mélanésiens presque purs.