CHAPITRE VII

Mon séjour à la Martinique. — La race blanche dite Créole pure. — Préjugé de la couleur. — La race noire de la Martinique. — Caractères moraux de la Négresse Martiniquaise. — La race de couleur. — La Mulâtresse. — La Quarteronne et ses passions vives. — Fricatrices et Lesbiennes.



Mon séjour à la Martinique. — J’ai expliqué les motifs qui m’avaient retenu, à la Martinique, pendant trois semaines avant d’aller à la Guyane, où j’ai pu séjourner près de trois ans. À mon retour de France, je restai encore une période de quinze jours à la Martinique.

Je n’ai point l’intention d’écrire ici, sur les races blanche, noire et de couleur, une étude analogue à celle de la Guyane. Ce serait me répéter souvent et allonger inutilement ce volume. Je me contenterai donc de signaler brièvement les quelques différences qu’on peut remarquer entre les populations de ces deux pays. Je ferai pour la Martinique ce que j’ai déjà fait pour le Tonkin.

La race blanche dite Créole pure. — Un premier fait frappe d’abord, c’est le nombre plus considérable de Créoles blancs qui ont pu ici faire souche sans l’apport du sang noir. Cela tient à ce que sur les hautes chaînes de montagnes de la Martinique on trouve, à des altitudes de huit cents à mille mètres, un climat réellement tempéré, presque froid l’hiver, où le Créole blanc a pu faire construire des sanatoriums contre la fièvre, l’anémie, l’hépatite, etc. À l’époque de la grande opulence de l’île, les riches Créoles avaient tous des maisons de campagne sur ces hauteurs, où ils venaient passer la saison chaude et retremper leurs forces. La race blanche a pu ainsi lutter contre les intempéries d’un climat moins rude cependant que celui de la Guyane.

Préjugé de la couleur. — Il ne faut donc pas s’étonner de trouver ici (il en était du moins ainsi en 187.,) le préjugé de la couleur, qui n’existe pas à la Guyane. La vraie race Créole blanche a constitué une sorte de Faubourg Saint-Germain complètement fermé à l’élément de couleur. Celui-ci a pu devenir, grâce à l’appui du bulletin de vote du Noir, la caste politique prédominante : la vieille société Créole l’a tenu soigneusement à l’index et lui a fermé ses salons. Le Créole blanc considère le sang-mêlé avec autant de dédain que le noble de vieille roche regarde son valet de chambre, et encore celui-ci ne peut point se targuer, comme le premier, d’avoir des aïeux qui ont acheté et vendu au marché les grands parents des gens de couleur.

La race noire à la Martinique. — Le Nègre et la Négresse de la Martinique sont plus grands, plus sveltes, plus élancés que leurs congénères de la Guyane. J’avais fait cette remarque lors de mon premier passage, et ce fut un vieux Créole blanc de Cayenne qui m’en donna l’explication. Il paraîtrait que les navires négriers, à l’époque de l’esclavage, commençaient par offrir leur marchandise humaine aux Antilles, où l’on prenait naturellement le dessus du panier, comme qualités physiques, et le rebut allait ensuite à la Guyane. Si ce fait est exact, et je n’ai aucune raison de croire le contraire, l’explication de l’infériorité corporelle du Noir Guyanais serait toute naturelle. Il faut également y ajouter l’influence du climat plus débilitant de la Guyane. Le Noir de la nique est plus robuste et plus large d’épaules, mais son visage est plus inquiet. Autant le Guyanais est paisible, soumis, tranquille, fuyant les querelles, autant le Martiniquais, quoique tout aussi paresseux quant au travail manuel, est bruyant, insolent et orgueilleux. Dans la rue, il ne vous cédera pas le pavé, à moins qu’il ne vous connaisse et qu’il n’ait besoin de vos services. Les rixes entre militaires et Noirs, très rares à la Guyane, sont au contraire très communes à la Martinique, et le sang coule souvent. De mémoire d’homme, je ne crois pas qu’un Noir de Cayenne ait jamais incendié une maison de propos délibéré. La torche est, au contraire, l’arme du Noir Martiniquais ; elle remplace pour lui la marmite de dynamite de l’anarchiste. Pendant la guerre de 1870-71, il y eut des insurrections et des incendies à la Martinique, et les Noirs incendiaires criaient : « Vive la Prusse ! » On attribue à la malveillance le terrible incendie qui vient de détruire tout récemment Fort-de-France.

Caractères moraux de la Martiniquaise. — On trouve, chez la Négresse de la Martinique, un caractère analogue à celui de son mâle. Elle est plus vive, plus laborieuse que la Guyanaise, qui est une gnan-gnan molle, bonne mère de famille, mais trop peu délurée. La Martiniquaise a beaucoup d’aptitude pour le commerce et fait argent de tout. Elle travaille comme un homme, ce que ne fait pas la Guyanaise. Le charbon des grands bateaux des Transatlantiques est chargé par des centaines de femmes, qui au son d’un tam-tam enragé, et en chantant à tue-tête, viennent verser leur couffin de charbon dans les soutes du bâtiment.

La Martiniquaise n’a plus la foi vive et naïve de la Guyanaise. La Martinique est trop lieu de passage pour que sa population noire ait pu résister au frottement d’une civilisation peu dévote. Mais elle est aussi plus dangereuse, et il faut se garer d’une Négresse à qui vous auriez causé préjudice. Ce n’est pas une bonne pâte de femme. Elle n’aime pas le Blanc ; d’ailleurs le Noir de la Martinique déteste le Blanc, et il nous mettrait à la porte de l’île s’il en avait le pouvoir.

En ce qui concerne l’amour, ses formes et sa perversion chez la race noire, je n’ai rien à ajouter à ce que j’ai écrit à propos de la Guyane. Je me contente de dire que, si le Massogan court après la Négresse à Cayenne, à la Martinique, le Becqué blanc (Français de la Métropole) trouve suffisamment de femmes de couleur pour laisser la Négresse de côté.

La race de couleur. — Cette race a pris une extension remarquable depuis un demi-siècle. Elle est devenue assez forte, pour lutter contre la vieille race Créole et lui enlever la prédominance en politique. C’est l’avènement des nouvelles couches, prévu par Gambetta. Les gens de couleur riches font de leurs fils des notaires, des médecins, des avocats, des journalistes, qui occupent toutes les hautes situations politiques du pays. Mais tous ne sont pas riches. Les pauvres de cette race, Quarterons et Mulâtres, se font petits employés de commerce, ou entrent dans une administration. Beaucoup vont tenter la fortune ailleurs. Il paraît que, depuis quelques années, la Guyane est envahie par les Martiniquais, ce qui est vu d’un mauvais œil par la population Guyanaise, plus clairsemée et moins active, et qui sent que les nouveaux venus ont les dents longues et un appétit difficile à satisfaire.

La Mulâtresse. — Quant à la fille de couleur pauvre, elle fait le commerce d’amour sans aucun scrupule. Toutes proportions gardées, il y a plus de Mulâtresses et surtout bien plus de Quarteronnes à la Martinique qu’à Cayenne, et le choix des amateurs est plus grand. Je n’ai pas trouvé de notables différences entre les Mulâtresses de ces deux pays. Toutes les deux aiment bien le Blanc, mais la Martiniquaise est plus hardie, plus intrigante et assure mieux sa domination sur le Becqué blanc qui tombe entre ses mains. Elle est plus dépourvue de scrupules et ira chercher ailleurs les cadeaux que son amant lui refuse. Elle est aussi plus lascive que la Guyanaise.

La Quarteronne et ses passions vives. — La Quarteronne Martiniquaise dame certainement le pion à toutes les courtisanes d’Europe, et ce n’est qu’à Tahiti que j’ai trouvé une femme qui l’égalât. Il faut avouer que ce mélange du quart de sang noir donne un produit presque parfait. La forme générale du corps est celle d’une Européenne du Midi, le teint d’un brun mat ; le visage est éclairé par de magnifiques yeux de gazelle. Le mollet est très développé et l’arrière-train fortement et lascivement arrondi. Les cheveux sont peut-être quelquefois encore un peu ondulés, quoique souvent châtain-foncé, ou roux-doré. Les lèvres sont fortes. Le sein est encore un peu piriforme. Les poils du pubis sont frisés et assez doux, quelquefois très fournis, et souvent d’une teinte moins foncée que celle des cheveux. Mais les dimensions de la vulve et du vagin s’éloignent de celles d’une Négresse et ne diffèrent pas sensiblement d’une Européenne.

Les passions de la Quarteronne sont vives, comme celles de ses ascendants Blancs. Elle n’a pas les répugnances de la Négresse, et, moins scrupuleuse que la Mulâtresse, prend son plaisir partout où elle le trouve. C’est une vraie Circé, qui se prêtera à toutes vos fantaisies amoureuses, voire même lubriques. Mais quand un bon Becqué est l’amant d’une Quarteronne de la Martinique, celle-ci ne le quitte plus, si elle y tient, et préférera s’expatrier que de le lâcher. D’ailleurs, le Martiniquais est en général aussi voyageur par tempérament que le Guyanais est sédentaire. On prétend que les Fricatrices et les Lesbiennes ne sont pas rares chez la femme de couleur de la Martinique, mais si j’ai trouvé quelques femmes qui étaient réputées pour posséder ce goût, je ne peux pas en conclure à une habitude générale. « Dans le doute, abstiens-toi,  » dit le proverbe.