CHAPITRE III

Rôle de la femme dans la société Annamite. — Mariage. — Âge légal. — Droits et devoirs de la femme Annamite. — Son caractère. — Adultère. — Sa répression. — Mariages de la main gauche. — Règlementation et prohibitions du mariage. — Sa dissolution ; Répudiation. — Les sept cas du divorce. — Accouchements. — Amour de la progéniture.



La femme dans la société Annamite. — Mariage. — Âge légal. — Quoique la femme Annamite ne soit nubile que vers seize à dix-sept ans, comme je l’ai dit, elle peut cependant, d’après le Le-Ky ou Livre des Rites, se marier après quatorze ans, et l’homme à seize. Tout mariage conclu avant ces âges est nul et non avenu.

Les mariages se font par l’intermédiare des maï-dongs, agents matrimoniaux, qui abouchent les deux familles et règlent toutes les questions d’intérêt entre les époux. Mais la femme n’apporte point de dot, c’est le fiancé, au contraire, qui paie les présents de noces, apporte à la communauté la fortune en rizières et bestiaux, et souvent même doit verser une somme d’argent à la famille de sa femme.

En retour, on lui donne généreusement un pot à tabac et une boîte à bétel et à cigarettes : il n’y a pas compensation.

Les fiançailles sont d’une simplicité pastorale : les futurs époux, mis en présence, s’offrent réciproquement et mâchent ensemble la noix de bétel.

Droits et devoirs de la femme Annamite. — La coutume donne à la femme Annamite, quoiqu’elle soit payée par son mari, des droits que n’a pas la Française. En réalité, comme elle est plus intelligente et plus laborieuse que l’homme, c’est elle qui dirige à peu près tout. Elle travaille constamment, garde la boutique, va au marché, décortique le riz, égrène le coton, soigne la basse-cour, tisse les étoffes, repique le riz au soleil comme l’homme, fait la cuisine et conduit la barque dans les familles de mariniers.

Caractère de la femme Annamite. — C’est la forte tête de l’association conjugale, mais elle est menteuse et dissimulée comme le mari, joueuse et gourmande. Aussi lascive que l’homme, elle le trompe quand elle le peut, si elle y trouve plaisir ou agrément. Je ferai plus loin le portrait de la femme Annamite mariée de la main gauche à un Européen, qui joue toujours le rôle de Georges Dandin.

Adultère. — Sa répression. — La femme Annamite ne vit pas renfermée comme la Chinoise, et ne connaît pas le supplice des petits pieds. Elle a donc toutes facilités pour faire pousser du bois sur la tête de celui à qui, le jour de ses noces, elle a promis fidélité. À Saigon et dans les villages environnants, les mœurs sont faciles, et l’amateur du beau sexe jaune aux dents noires peut faire son choix. Dans l’intérieur, je n’ai pas trouvé beaucoup plus de retenue vis-à-vis de l’étranger, surtout s’il est généreux et discret. La loi, cependant, punit l’adultère de peines sévères. Comme le Code pénal Français (avant la loi sur le Divorce), il admet une excuse légale pour l’homicide commis par le mari sur la femme et son complice, en cas de flagrant délit. Je ne l’ai jamais vu appliquer pendant mes cinq ans de séjour. En outre, le Code Annamite renferme l’article suivant : « La femme adultère recevra quatre-vingt-dix coups de rotin sur les fesses, et son mari pourra ensuite la marier à un autre, ou la vendre à son gré, ou la garder chez lui. » Si nos Européennes voyaient en perspective ces quatre-vingt-dix coups de rotin sur leurs blanches rotondités postérieures, il y aurait peut-être moins de maris trompés.

Le Code Annamite dit encore : « Les garçons de magasin qui commettent un adultère avec l’épouse de leur patron seront assimilés aux serviteurs ou esclaves, et seront punis de la strangulation. » Ce bon Code n’y va pas de main morte. Un autre article est spécial aux femmes acariâtres : « Toute femme légitime qui frappe et insulte son mari sera punie de cent coups de rotin, et pourra être répudiée. » Il en coûte donc un peu moins cher à la femme Annamite de cocufier son époux, que de le griffer ou de lui dire des vérités désagréables.

Mariages de la main gauche. — À côté de l’union légale, consacrée par la cérémonie du mariage, l’Annamite a le droit de prendre des concubines, tant qu’il veut, sans aucune formalité, et cependant les enfants qu’il a de ces unions ont les mêmes droits que les enfants de l’épouse légitime. Il n’y a donc pas, en Cochinchine, d’enfants naturels ou adultérins, comme chez nous.


Amour de la progéniture. — Les femmes Annamites aiment beaucoup leurs enfants et leur prodiguent de grandes marques de tendresse. Elles les embrassent en les serrant contre leur poitrine et les baisent en les reniflant, comme on aspire une bonne odeur.

L’avortement est très rare. Les enfants sont élevés sans maillot et tètent jusqu’à trois ou quatre ans pour les garçons, et plus encore pour les filles. Quand le bambin Annamite marche seul, on le laisse courir en liberté au soleil, tout nu ou à peu près, se rouler dans la poussière ou se plonger dans la vase. Jusqu’à dix ou douze ans, il est porteur d’un gros ventre qui fait contraste avec ses membres grêles. Après douze ans, on lui donne un mauvais pantalon et un paletot déchiré, débris de la défroque paternelle, et alors il travaille, garde les troupeaux de buffles, aide les parents à cultiver la rizière, et à conduire les sampans ou jonques. Filles et garçons polissonnent presque en liberté, et le résultat ne se fait pas attendre. Aussi, après dix ans, un pucelage Annamite est-il une rareté.