Nemo
Petrot-Garnier (p. 35-40).


CHAPITRE XIV

Le véritable ami.


Qui est-il ? Qui mérite ce beau titre ?

Il a d’infaillibles marques.

Les principes éternels sont l’invariable règle de ses actes. Basée sur la vertu, son affection, autant que sincère, est ferme et constante.

Son cœur est le siège de l’honneur.

Prouve-t-il son attachement tout autrement que par des paroles.

Dévoué, courageux, magnanime, il partage la bonne et la mauvaise fortune.

En toute occurrence il est ce qu’il doit : vrai dans le conseil, triste dans la tristesse, joyeux dans la joie ; mais, la joie vraie, libre, saine, dont le travail, la frugalité, l’innocence sont la source, la gaieté aimable n’étant jamais que dans le mouvement de l’âme active, chaste et tempérante.

Une qualité inappréciable, qu’on serait tenté de croire aujourd’hui descendue chez les morts, la discrétion, incorruptible sentinelle, s’est faite la gardienne de sa langue et fait sa demeure sur ses lèvres.

Sa fidélité est telle qu’elle ne souffre même d’être effleurée.

Autant il est sûr, autant avec lui le cœur s’ouvre. On lui confie les secrets de son âme ; on le sent, ce qui vous touche le touche.

Pour qu’on interroge sa pensée, c’est lui que la sagesse d’en haut conseille de rechercher.

Il cesserait d’être ami qu’il ne se ferait craindre comme ennemi. Aussi est-il le meilleur héritage de la terre, son incomparable trésor, le remède de la vie et l’immortalité.

Où est-il ? Comment le discerner ?

Il est un ami qui, pas plus que de la vérité, n’a le courage de sa conviction.

Il est un ami qui ne plaît que par ses défauts.

Il est un ami qui ne l’est qu’au jour de la prospérité et ne l’est plus au temps de l’adversité.

Il est un ami qui ne l’est que tant qu’il y trouve son avantage.

Il est un ami incapable, pour vous être utile, du plus léger sacrifice de ses susceptibilités et de ses intérêts ou mondains ou politiques.

Il est un ami qui, en face, en a toute l’apparence et, le dos tourné, vous décrédite avec une malignité à vous briser les os.

Il est un ami soupçonneux et crédule qu’un autre avec perfidie conseille. Le premier est un sot qui n’aura ni paix, ni ami ; le second, un fieffé coquin. Vous en tenez à distance ; la maison de l’un comme de l’autre vous tomberait sur le dos.

Il est un ami qui toujours a dans la bouche la paix et, dans le secret, vous dresse un piège. Rien qu’à son haleine vous le pouvez pressentir. Craignez moins le venin des aspics.

Il est un ami envieux. Si vous mangez de ses viandes, sa malignité juge mal du fond de votre cœur, croyant y voir ce qui n’y est pas.

Il est un ami qui se change en ennemi. C’est la rouille qui revient sans cesse au cuivre.

Il est un ami qui découvre sa haine et se répand en querelles, bien au-dessous d’un sage ennemi. Si vous lui devez, il court chez le commissaire-priseur, demander le prix de vos meubles, avant qu’il ne soit versé. Il est bien près de vous livrer.

Il est un ami, parce qu’il va de pair avec vous pour la fortune et par fierté de caste et de rang.

Il est un ami qui ne l’est que de nom. Sur tous, ne faites fond non plus que sur une dent pourrie et n’appuyez dessus non plus que sur la glace d’une nuit.

Il est un ami qui ne manque que de tact et vous fait des plaies plus profondes que votre ennemi.

Il est un ami qu’on redoute presque, dès qu’il apparaît, qui vous accable de sa fade autant que sa verbeuse loquacité ; qui pense peu, s’il pense, et parle de tout, sans avoir beaucoup appris ; qui n’habite que les dehors de son âme et ne cultive que la superficie de son esprit, qui n’approfondit rien, qui ne voit que les surfaces. Vase fêlé, tonneau des Danaïdes, on n’en saurait trop se garder.

C’est un de ceux qu’il est dit : les ennemis de l’homme sont ceux de sa maison. Mieux se vaudrait confier à un cheval sauvage.

Sortant de chez vous, il s’en va, avec tout le prurit de son impertinence, vous faire connaître des pieds à la tête.

Devant vous, il est toujours à genoux ; en arrière, il affecte, avec une suprême insolence, de vous refuser vos titres les moins incontestés, et c’est de vous qu’il prend son importance ridicule.

Après avoir trempé ses lèvres à la coupe d’une somptueuse hospitalité, il n’a pour son hôte que les dénominations de mesquin et d’avare.

Polypode, qui prend la couleur de la terre où il rampe, avec des personnes graves, respectables, il se donne un vernis de gravité et de virtuosité, à travers mille assertions fausses, mille propos hasardés, plus d’une fois, sans qu’il s’en doute, malsonnants et qui le montrent à jour.

Comme il n’a pas de principes dans le cœur ni de règles stables de vérité dans l’esprit, il n’a pas de milieu ; tantôt rigoriste outré, tantôt relâché jusqu’à la licence. C’est la roue du chariot qui tourne.

Il est un ami, esprit subalterne, qui ne pense et ne juge que d’après autrui. L’opinion, la grande folle de la terre, est sa souveraine et son idole. Seule, elle le mène et le fait changer comme le vent.

Il est un ami dont la boussole ne tourne que sur le pivot de l’intérêt. Celui-ci a le flair particulier.

Il en est un autre qui ne l’est ni par goût, ni par estime, dont la nuance, pour être autrement accentuée, ne diffère que d’un degré. C’est un de ceux qui saluent le soleil levant. Arrive-t-il ? Passe-t-il de plein saut ? Il est invisible. On le croirait pourvu de l’anneau de Gigès.

Masques trompeurs, murailles blanchies, tombeaux pleins de pourriture !

Il en est d’autres, beaucoup d’autres dont l’observation fera connaître la trempe pareille. Il ne leur manque que l’occasion pour vous trahir et s’en aller vendre votre image noire de leur méchanceté.

Tant que le ciel couvrira la terre, ces hommes ne seront jamais faits pour le haut et glorieux commerce de l’amitié.

Il ne faut pas leur en vouloir. Les malheureux, ils ne sauraient aimer ! Une autant incontestable qu’essentielle qualité est, hélas ! à trop de titre, leur moindre défaut, savoir : la probité de l’âme.

Quel est donc le véritable ami ?

Avant cette distinction pénible, je l’ai suffisamment indiqué.

Qui craint le Seigneur le trouvera.