Librairie aéronautique (p. 33-36).

VI
LES RÉSERVOIRS D’ÉNERGIE
Définition. — Classification. — L’immense supériorité du combustible sur l’explosif. — L’essence de pétrole satisfait à toutes les exigences de l’aéro-propulsion à grande vitesse.

L’énergie, c’est de la Puissance-temps, et comme la puissance est du travail spécifique rapporté à l’unité des temps, ce dernier s’élimine dans l’Énergie qui a, en somme, les mêmes dimensions que le travail, et ne dépend que de l’espace et de la masse.

L’énergie que nous captons dans la nature et qui est employée à de nombreux usages, en particulier au fonctionnement des moteurs mécaniques, est de natures diverses. Il n’est utile d’examiner, ici, que les énergies autonomes, autrement dit susceptibles d’être emmagasinées dans des réservoirs transportables et aussi légers que possible.

On peut retenir :
Les accumulateurs mécaniques ;
Les accumulateurs électriques ;
Les éléments d’un phénomène chimique dégageant de la chaleur, qui comprennent deux classes : les explosifs et les combustibles.

Les accumulateurs mécaniques n’ont eu d’application, en aéronautique, que sur les petits modèles — Penaud, et d’autres, ont utilisé à ces fins l’élasticité du caoutchouc. — On a utilisé aussi l’élasticité des métaux et des fluides comprimés, mais ces réservoirs d’énergie sont excessivement lourds : ils ne permettent d’emmagasiner que quelques kilogrammètres au kilogramme et, pratiquement, il semble qu’il n’y a rien à tirer de leur considération.

L’électricité, sauf dans la pile, n’est pas produite directement, elle est toujours tributaire d’une source primaire, hydraulique ou thermique qui, transformée en énergie mécanique, permet la production de l’électricité industrielle. En mécanique industrielle, la machine électrique ne joue que le rôle d’un engrenage à grande envergure, qui transmet et distribue au loin l’énergie.

L’énergie électrique peut cependant être emmagasinée dans des réservoirs autonomes ou accumulateurs. Mais ceux-ci sont relativement lourds et, malgré les perfectionnements réalisés, ils ne peuvent emporter qu’environ un hectowatt-heure au kilogramme, ce qui est peu. Le desideratum des chercheurs est le kilowatt-heure au kilogramme. Cette formule est théoriquement possible pour l’accumulateur au plomb ; car elle correspond à une énergie inférieure à celle qui est mise en jeu dans la réaction chimique, en supposant tout le plomb actif. Mais cette formule serait-elle réalisée — et elle en est loin ! — qu’elle ne rendrait pas encore l’accumulateur intéressant pour l’aviation.

Nous avons, heureusement, beaucoup mieux comme réservoir d’énergie autonome, dans toute la gamme des combinaisons chimiques.

Voyons d’abord l’explosif. L’explosif chimique est un mélange de matières susceptibles, par leur combinaison ou leur décomposition instantanée, de dégager une grande quantité de chaleur, avec production d’un flux gazeux. Dans l’explosif sans fumée, pour lequel tous les produits de la combinaison sont gazeux, à l’exclusion de matières solides, le rendement en flux gazeux est maximum) mais, évidemment, il ne peut que tendre vers le poids d’explosif employé. Cependant, voilà un moyen de produire un flux gazeux important et rappelons-nous que c’est toujours là qu’il faut en venir lorsque l’on cherche à produire un effort en prenant appui sur l’air. Déjà l’explosif ou, plutôt, la composition fusante, est un moyen d’obtenir un effort de propulsion. Ce moyen est d’ailleurs connu, il a même eu des applications : c’est le procédé de propulsion de la fusée et de ses dérivés, les projectiles à sillage fusant.

L’explosif est déjà un réservoir d’énergie intéressant. Son utilisation pour l’aéro-propulsion a même été envisagée ; on a réalisé de petits modèles mus par des fusées, et également des véhicules divers d’expérience. Une des difficultés rencontrées est la mauvaise maniabilité des explosifs et l’extrême difficulté d’obtenir un flux fusant régulier pendant un temps notable.

Mais le combustible, comme réservoir d’énergie, est encore infiniment supérieur à l’explosif. Ce fait tient à ce que le combustible ne comporte qu’un élément de la réaction chimique et que l’autre élément, le comburant, est puisé gratuitement dans l’atmosphère au fur et à mesure des besoins.

Si l’on considère, par exemple, l’essence de pétrole, il faut théoriquement dix-sept fois son poids d’air pour la brûler. Pratiquement, chaque fois que l’on brûle 1, on dégage 20 en produits gazeux. Telle est l’énorme supériorité, à ce point de vue, du combustible et, particulièrement, du combustible liquide sur l’explosif.

Le combustible liquide, et particulièrement l’essence de pétrole, est un admirable réservoir d’énergie. Dans un kilogramme d’essence de pétrole, il y a environ 5 millions de kilogrammètres latents ! Chiffre formidable, si on le considère en valeur absolue et surtout si on le compare à ceux que donnent tous les autres réservoirs d’énergie.

Raisonnablement, l’homme ne peut pas espérer beaucoup mieux — tout au plus, diminuer encore un peu la densité du combustible.

Dès maintenant, il est bien outillé pour dépenser les torrents d’énergie qu’exige la propulsion à grande vitesse.