L’Air et la Vitesse/07
Dans les liaisons qu’il convient d’interposer entre les sources d’énergie et les machines, on retrouve presque toujours le mouvement circulaire complet. Le mouvement rotatif est partout : dans les organes de réception, dans les organes de transmission ; il est donc logique de l’admettre dans les organes de commandement. Donc, dans la machine qui distribue l’énergie naturelle requise, on doit, logiquement, retrouver le mouvement de rotation, et, de fait, c’est bien ce qui se produit : toutes les machines de commande comportent un axe de rotation continue ; elles peuvent se définir : un ensemble de dispositifs transformant une force, ou plutôt une énergie naturelle en un travail mécanique, disponible sur un axe animé d’un mouvement de rotation continue et caractérisé par une vitesse angulaire et un couple dit couple moteur.
Les principaux types de moteurs sont : les manèges animés, les roues à vent et à eau, les machines à vapeur à mouvement de commande alternatif, les machines électriques, les moteurs à explosion, les turbines à vapeur et les turbines à gaz. Elles rentrent bien, toutes, dans la définition indiquée. L’étude de ces machines n’a pas sa place ici, mais, cependant, certaines considérations spéciales sont intéressantes à examiner.
S’il est un cas où l’homme a particulièrement ressenti la faiblesse et l’insuffisance de ses forces, et la nécessité du moteur, c’est bien lorsqu’il a tenté de voler. Non seulement, il a senti la nécessité du moteur, maie encore du moteur léger, le plus léger possible.
Moteur léger est une abréviation, il vaudrait mieux dire Groupe propulseur léger, en entendant par là, la masse de tout ce qui contribue à la propulsion : le moteur, l’organe de liaison avec l’air et, surtout, l’énergie embarquée.
La légèreté du moteur est un élément, mais ce n’est pas le seul à considérer : son poids doit être en harmonie relative avec le poids spécifique de l’énergie emmagasinée et le temps de fonctionnement que l’on se propose d’obtenir. Pour alléger un moteur, on voit deux moyens principaux : diminuer la densité des matériaux de construction, sans diminuer leur résistance ; ou bien, simplifier les dispositifs du moteur, en réduisant l’encombrement et le poids, sans diminuer sa puissance.
Du premier moyen, il n’y a pas grand’chose à dire, si ce n’est qu’il est intimement lié aux progrès de la production des matériaux et particulièrement de la métallurgie. On sait où nous en sommes actuellement et que nous possédons l’acier au nickel et l’aluminium. De nouveaux progrès seront certainement réalisés, mais dans une proportion telle qu’ils n’apparaissent pas comme devant être de nature à modifier notablement la question.
Un autre moyen vient à l’esprit : puisqu’un moteur est caractérisé par une vitesse de rotation et un couple, toutes choses égales d’ailleurs, augmentons la vitesse, diminuons le couple, de telle façon que ce produit, qui est la puissance du moteur, reste constant ; ainsi faisant, le couple moteur qui représente les forces statiques mises en jeu diminuant, la résistance mécanique des pièces peut diminuer et aussi leur encombrement, qui varie en raison inverse de la vitesse.
Ainsi, le moteur léger idéal, serait celui qui tournerait à une vitesse formidable, et immédiatement l’idée de la turbine, avec ses énormes vitesses de rotation possibles, vient à l’esprit. Il y a peut-être là le secret du moteur ultra-léger, du moteur qui pèserait 100 grammes par cheval !
Hélas ! Ce n’est qu’une illusion. Admettons même, ce qui est fort discutable, que l’on puisse construire une turbine réalisant de telles conditions, eh bien ! son utilisation ne serait pas intéressante parce qu’il serait impossible d’employer l’énergie telle qu’elle se présenterait et parce qu’il faudrait l’adapter au récepteur : en l’espèce, l’hélice.
Un moteur à explosions tourne à une vitesse voisine de la vitesse qu’il convient de donner à l’hélice, l’accouplement direct est possible ; mais, avec une turbine tournait à 30.000 tours à la minute, pour actionner une hélice à 1.200 tours, il faudrait réduire vingt-cinq fois la vitesse primaire ; cela nécessiterait au moins deux réductions de vitesse et il faudrait un beau carter d’engrenages dont le poids, ajouté à celui de la turbine, nous ramènerait sensiblement au poids du moteur à explosions, sans compter l’absorption de travail, la diminution de rendement entraîné par tous ces trains d’engrenage
Dans tout système comportant production et utilisation d’énergie, c’est-à-dire un moteur, une réceptrice et les organes de transmission de l’un à l’autre, on peut faire intervenir deux éléments dont la considération n’a, d’ailleurs, d’intérêt notable que lorsque la question poids intervient, ce qui est le cas en aéronautique. Ces deux éléments sont vitesse de production et la vitesse d’utilisation de l’énergie : ce sont les vitesses de la première et de la dernière force intervenant dans le système. Ainsi, par exemple, dans un atelier comportant des machines mues individuellement par des moteurs électriques, sur une fraiseuse, la vitesse de production de l’énergie sera la vitesse linéaire tangentielle du rotor du moteur, et la vitesse d’utilisation, celle de l’arête coupante d’une dent de la fraise et ceci, indépendamment de la considération de tout le système de transmissions intermédiaires.
Suivant les cas, la vitesse de production est inférieure, supérieure ou égale à la vitesse d’utilisation. Dans l’exemple précédent, elle était supérieure ; dans le cas d’une locomotive à vapeur, au contraire, elle est inférieure ; c’est la vitesse linéaire moyenne du piston dans le cylindre, laquelle est inférieure à la vitesse à la jante des roues, qui est la vitesse d’utilisation.
Le mieux est de pouvoir égaler la vitesse de production à la vitesse d’utilisation ; alors l’une se confond avec l’autre, l’organe moteur devient aussi l’organe récepteur ; on a réalisé le système le plus simple et le plus léger.
Quelques exemples empruntés à la traction feront mieux ressortir l’aspect de la question. La traction électrique utilise généralement des moteurs qui actionnent les roues motrices par l’intermédiaire de trains d’engrenages. La vitesse de production (vitesse tangentielle du rotor) est d’abord démultipliée sur le pignon d’attaque, puis remultipliée jusqu’à la jante des roues, qui a la vitesse d’utilisation. Pour des véhicules à vitesse médiocre, comme des tramways, il n’y a pas une différence bien grande dans l’ordre de grandeur des vitesses de production et d’utilisation. Peut-on les égaler et les confondre ? La chose a été proposée, sous le nom de traction tangentielle et plus spécialement dans le cas de l’utilisation des courants polyphasés. Dans ce système, le stator du moteur était développé dans l’entre-rail et seul, le rotor restait solidaire du véhicule. C’est la réaction du rotor sur le stator qui, directement, donne le mouvement au véhicule. Ceci est très séduisant, très élégant comme idée. Malheureusement, il y a de grosses difficultés d’exécution pratique : impossibilité de réaliser un entre-fer assez petit pour maintenir l’intensité du champ magnétique, en tenant compte des dénivellations de la voie et des oscillations de la suspension et, en outre, prix extrêmement élevé du stator qui court tout le long de l’entrevoie.
On peut concevoir la traction tangentielle sous une autre forme. Proposons-nous, par exemple, de voir ce que donnerait la traction tangentielle sur une locomotive à vapeur à grande vitesse, Disons immédiatement qu’il n’y a rien à tirer de la machine à mouvement alternatif ; mais supposons que la locomotive soit mue par une turbine d’action genre de Laval. La vitesse de production, vitesse tangentielle du plateau de la turbine, peut atteindre plusieurs centaines de mètres à la seconde ; elle est fonction de la vitesse d’écoulement, c’est-à-dire de la pression de la vapeur. On voit qu’elle est supérieure à la vitesse d’utilisation à laquelle on peut prétendre, car si nous assignons à notre locomotive une vitesse de 100 m. à la seconde, soit 360 kilomètres à l’heure, ce sera déjà une belle prétention. Et, d’autre part, avec un disque de Laval, on peut obtenir des vitesses périphériques très supérieures à 100 mètres à la seconde.
Remarquons donc et retenons ce fait que, dans la traction tangentielle, avec l’emploi de fluide sous pression, il n’y a pas avantage à employer de très grandes pressions.
Quoi qu’il en soit, imaginons que le disque mobile de la turbine soit développé en ligne droite le long de la voie ferrée, entre les rails et continue indéfiniment le long de cette voie. La tuyère, solidaire de la chaudière, restant sur la locomotive, le fonctionnement sera inversé : les aubages restant fixes et la tuyère, mobile, entraînera le véhicule.
Évidemment, ces suggestions ne peuvent pas conduire, dans cet ordre d’idées, à un résultat pratique, car il n’est pas utile de développer des vitesses de 360 kilomètres à l’heure, sur voie ferrée ; mais si jamais la question devait être mise à l’étude, cette solution devrait être retenue. Le rendement serait assez bon et des qualités de simplicité, de légèreté, particulièrement précieuses quand on en arrive à ce que nous avons en vue : l’aéro-propulsion à grande vitesse, se dégagent de ces considérations.
Reprenons la chaudière de notre locomotive à traction tangentielle et sa tuyère et installons-la à bord d’un avion. L’établissement du stator, si coûteux, si peu économique sur terre, devient absolument gratuit et nous trouvons un stator tout construit dans l’atmosphère. Ce sont les couches d’air, inertes et successives, rencontrées par la tuyère, qui en fait l’office.
Si l’on avait dit à Giffard, lors de ses essais de dirigeable par traction à vapeur : Abandonnez votre moteur, abandonnez votre hélice, employez l’économie de poids à augmenter la capacité de votre chaudière, et propulsez-vous avec le jet de vapeur de l’échappement, cette suggestion l’eût fait sourire à bon droit : c’est que la capacité de la source d’énergie qu’il utilisait était très limitée, c’est que les vitesses de translation qu’il pouvait prétendre obtenir étaient très faibles et que la démultiplication obtenue par l’intervention du moteur et de l’hélice s’imposait.
Mais les conditions sont toutes différentes aux grandes vitesses, quand de grandes quantités d’énergie sont forcément mises en jeu. Ne l’oublions pas, pour aller vite, il faut dépenser, dépenser des torrents d’énergie. Nous possédons, heureusement, beaucoup mieux que le cycle de la vapeur.
Ainsi apparaît, aux grandes vitesses, l’idée logique de la substitution du mouvement linéaire au mouvement circulaire. Le mouvement circulaire a été triomphant sur le moteur, mais celui-ci a une limite. Cette limite est atteinte ; substituons-lui le propulseur à réaction directe.