Dans lequel Blaireau échafaude un beau rêve dont l’écroulement suit de près l’éclosion, si nous osons nous exprimer ainsi.
L’auteur a retardé aussi longtemps qu’il l’a pu la promulgation d’un fait bien pénible, mais malheureusement impossible à dissimuler davantage.
Blaireau est complètement gris maintenant, gris comme toute la Pologne, au tempsoù il y avait encore une Pologne et que la Pologne était heureuse.
De cordiale qu’elle était au début, l’ivresse de Blaireau a tourné vite à la familiarité gênante : elle frise désormais la mauvaise éducation.
Notre ami se promène dans la fête, dans sa fête, un jeu de cartes à la main, il arrête les gens : « Prenez-en une. » On prend une carte. « C’est le huit de trèfle ! » s’écrie triomphalement Blaireau, ou : « Le roi de cœur ! » selon le cas.
Et le plus curieux c’est que Blaireau ne rate pas un seul de ses tours.
Encore un talent qu’on ne connaissait pas à Blaireau !
Et puis Blaireau rayonne : il va être riche, très riche !
Le parc de Chaville, tout à coup, s’est rempli de monde. Tout Montpaillard est là,dans les baraques ou sur les chevaux de bois.
À cinq francs par personne, quelle belle recette !
Que va-t-il faire de tout cet argent !
Hé, parbleu ! il achètera un fonds de mastroquet. Excellente idée !
Populaire comme il est, il ne peut manquer d’avoir tout de suite une nombreuse clientèle.
Ah ! pour une idée, ça, c’est une idée, et une fameuse !
— Dites donc, papa Dubenoît, vous ne savez pas ! eh bien ! avec mon argent, je vais ouvrir un café, un joli petit café, le café Blaireau.
— Il sera propre, le café Blaireau !
— Un petit café, juste en face du tribunal, avec cette enseigne : Au rendez-vous des innocents ! Hein, qu’est-ce que vous pensez de ça ?
— Je pense que votre établissement ne restera pas longtemps ouvert, voilà ce que je pense.
— Et qui est-ce qui le fermera, s’il vous plaît ?
— Moi-même, mon cher ami, et je vous garantis que cela ne sera pas long.
— Si jamais vous faisiez ça, mon bonhomme, savez-vous ce qui arriverait ?
— Peu importe !
— Il arriverait que je me ferais nommer maire à votre place.
Ayant entendu ces mots, le baron de Hautpertuis éclata de rire :
— Blaireau maire !… C’est pour le coup que Montpaillard en traverserait une crise, mon cher monsieur Dubenoît !
— Ah ! baron ! gémit Dubenoît, nous vivons dans des temps bien troublés !
— Je ne trouve pas… Voyez comme tousces gens s’amusent ! S’amuser, tout est là !
— Vous avez raison, mon vieux baron, s’écrie Blaireau, tout à la rigolade ! Demain, les affaires sérieuses !… Au fait, ça serait-il pas indiscret de savoir à combien se monte ma recette en ce moment ?
— Nous ferons le compte ce soir, après la fermeture.
— J’aimerais tout de même bien savoir où nous en sommes à cette heure.
— Rien de plus facile, nous allons demander au garde champêtre. C’est lui que j’ai chargé de percevoir le prix des entrées… Parju !
— Monsieur le baron.
— Veuillez me dire combien d’argent vous avez en caisse.
— Combien d’argent !… Mais… pas un sou, monsieur le baron !
— Pas un sou ?
— Pas un sou ! monsieur le baron, pas un sou !