L’Abitibi, pays de l’or/Chapitre 16

Les Éditions du Zodiaque (p. 144-151).

Chapitre XVI

UNE FEUILLE DE TORONTO QUI VA
UN PEU LOIN


L’industrie minière québécoise aux genoux des
capitalistes ontariens — Il faut tout de même
respecter la vérité et l’exactitude,
s’en tenir aux faits.

Un article du Northern Miner, journal minier de Toronto, laissait paraître, en septembre 1937, de la mauvaise humeur, une mauvaise humeur poussée loin, allant jusqu’à la menace. Parce qu’il n’était pas content d’une nouvelle loi votée par le Parlement de Québec, pour obliger sociétés et compagnies qui exploitent, sous le régime de la concession, les ressources, minières et autres, du domaine québécois, à s’incorporer selon les lois québécoises, le journal disait que la province de Québec le regretterait, que c’est à genoux qu’elle demanderait aux gens de mines de l’Ontario de revenir chez elle pour mettre en valeur son propre sous-sol.


Cliché Canadien National
Le pays abitibien, vu du clocher de Saint-Luc.


Cliché Canadien National
Les maisons bien alignées de Bourlamaque.

Pourquoi pas les pieds dans la neige, en sac, la corde au cou, de la cendre sur la tête ? L’on voit les gens du gouvernement de Québec, dans cette attitude contrite, aux portes de cette Canossa que paraîtraient alors les bureaux du Northern Miner ? Mais l’expérience nous apprend que certains Torontois ne sont guère portés à prendre exemple sur la papauté.

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Au dire du journal de Toronto, la prospection et la production minières dans la province de Québec auraient été surtout le fait d’Ontariens et ça serait presque exclusivement des capitalistes de l’Ontario et des États-Unis qui auraient financé les entreprises. Il indique Edmund Horne, le découvreur de la mine Noranda, qu’il donne pour Ontarien, comme pionnier de la prospection. Ce sont, dit-il, des fonds des États-Unis et de Hollinger, entreprise ontarienne, qui ont soutenu Noranda ; sans Teck-Hughes, Lamaque n’existerait pas et, sans Dôme, Sigma non plus ; O’Brien est une affaire ontarienne ; Normetal, l’ancienne Abana, doit son existence à Mining Corporation of Canada, société de Toronto, etc., etc. Multipliant ses avancés, le journal en vient à dire : « En fait, il serait difficile de nommer une seule propriété québécoise qui n’a pas profité de l’argent des gens de mines de l’Ontario ». Une fois parti dans la voie des affirmations osées, il va jusqu’à laisser entendre qu’au moment de la pénétration du territoire québécois par les prospecteurs d’Ontario, le gouvernement de Québec n’avait pour ainsi dire pas de département des Mines, que ce gouvernement se désintéressait à peu près complètement des ressources du sous-sol.

C’est manifestement s’aventurer un peu loin.

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Il est vrai, personne ne le conteste, que l’industrie minière québécoise a bénéficié d’un substantiel et très appréciable apport de capital qui lui est venu de l’Ontario, des États-Unis, d’autres pays aussi. Si la nouvelle loi québécoise eût existé dans le temps, aurait-elle empêché la venue de ce capital ? La chose apparaît invraisemblable. L’or attire le capital, qui n’aura pas de répugnance à rechercher les lettres-patentes à Québec plutôt qu’à Toronto, ou ailleurs, si Québec lui offre de réelles perspectives (le bénéfice dans son territoire. Les menaces du Northern Miner ne comptent pour rien en l’affaire. C’est dans le monde même de l’industrie minière du Nord-Ouest québécois que nous l’avons entendu dire, par des gens qui souvent n’étaient pas de langue française et pas toujours amis du gouvernement. Quelqu’un qui se trouve mêlé d’assez près aux entreprises minières nous disait qu’il ne peut désapprouver la loi nouvelle parce qu’il en trouve le principe simplement juste et équitable pour la province de Québec. La mesure, à son dire, eût pu être présentée un peu différemment, sous une autre forme, mais n’offrait qu’un seul inconvénient grave, celui de survenir trop tard.

Cette même personne nous faisait observer que c’est bien à tort que l’on a voulu attribuer un ralentissement de l’intérêt pour la chose minière chez les gens de la finance à l’adoption de cette loi. Ce ralentissement a bien pu coïncider avec l’inscription de cette mesure dans le répertoire de nos lois, mais il était déterminé par bien d’autres causes notamment l’incertitude quant au prix de l’or. Que certains financiers de Toronto, dont le Northern Miner paraît avoir été le porte-parole, aient ajouté ce prétexte à d’autres pour se ménager une sortie, vraie ou simulée, des entreprises minières québécoises, la chose n’est pas impossible. Simple marchandage alors, sous le couvert d’un camouflage. Ce qui n’est pas vraisemblable, c’est que du capital se refuse définitivement à l’exploitation rémunératrice du sous-sol québécois, simplement à cause d’une mesure qui paraît conforme au simple bon sens.

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L’article du journal de Toronto contenait aussi des choses inexactes et des choses fausses, mêlant le vrai et le faux, l’exact et l’inexact.

La plupart des pionniers de la prospection dans notre province, ont été non seulement des Québécois mais des Canadiens français. Ils furent contemporains et devanciers d’Edmund Horne, dont l’origine ontarienne n’est d’ailleurs pas démontrée. Dumont fut le découvreur de la mine O’Brien et Hertel Authier, celui de la mine Sullivan, maintenant possédée et administrée par un groupe de Canadiens français. Hollinger, commanditaire de Noranda ? Mais les Timmins, qui ont eu et qui ont encore quelque chose à dire dans la Hollinger, sont tout de même des capitalistes québécois, montréalais. Il y eut des Canadiens français dans l’organisation de Lamaque et de Sigma. Le syndicat Read-Authier, pour ne mentionner que celui-là, contrôlé par des Canadiens français, ne détiendrait pas moins de 30% des actions Lamaque et de 40% des actions Sigma.

La mine Normetal — l’Abana qui a changé de nom — fut découverte, vers 1923 ou 1924, par MM. Augustin Beaupré, Joseph Thibeault et Louis Lefebvre, du village abitibien de Dupuy. La Canadian Exploration en devint propriétaire en 1925. L’Abana parut en 1926 et fit faillite dans des circonstances qui ont fait alors parler, qui feront encore parler peut-être. La propriété, devenue Normetal Mining Corporation, est maintenant passée à Mining Corporation of Canada, entreprise ontarienne, qui n’a fait pourtant que la remettre en exploitation.

M. J.-H. Rainville, sénateur, fut l’un des promoteurs d’Argonaut et d’Amulet, avant de s’intéresser, comme il le fait présentement, à la prospection de la propriété Flemming et de quelques autres ?

C’est être mal informé que de prétendre que le gouvernement de la province de Québec n’avait pour ainsi dire pas de département des Mines quand les premiers prospecteurs ontariens ont envahi son territoire.

Dès 1906 et 1907, feu Joseph Obalski, alors surintendant des mines, en compagnie de M. Henri Valiquette, ingénieur, alors son assistant, entreprenait deux longues excursions de reconnaissance jusqu’aux sources de la Kinojévis, même au delà. En 1906, c’était du côté est ; en 1907, du côté ouest. Ses rapports minutieusement dressés ont été publiés en anglais comme en français. Ils ont vraisemblablement servi, plus tard, à guider des prospecteurs ontariens et de langue anglaise.

En 1911, un parti dirigé par M. J.-Austen Bancroft, professeur de géologie à McGill, qui comprenait entre autres Canadiens français M. A.-O. Dufresne, alors jeune ingénieur, maintenant directeur du service des Mines à Québec, se rendait dans ces mêmes régions, y passait plusieurs mois, pour en dresser la carte géologique. Le rapport minutieux de M. Bancroft, qui mentionne les noms de ses jeunes compagnons canadiens-français, apparaît au rapport général du ministère provincial des Mines, pour l’année 1912. Cette reconnaissance s’était faite dans toute la Haute-Harricana et dans le bassin de la rivière Laflamme. Bien d’autres explorations gouvernementales ont été faites depuis ce temps.

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Il est donc tout à fait injuste à l’endroit de la province de Québec de laisser entendre que c’est l’Ontario et les Ontariens qui lui ont révélé les richesses de son sous-sol, nous entendons ici de son sous-sol abitibien et témiscaminguois. Il est cependant trop vrai que le public québécois s’est longtemps désintéressé de ces richesses. Était-il à même de les apprécier à leur juste valeur ? Avant de se laisser attirer par l’exploitation d’une mine, il n’est pas mauvais d’avoir certaine notion de ce que c’est. Notre public avait-il cette notion ?

Au cours de mon dernier voyage en Abitibi, j’ai eu l’occasion de pouvoir suivre sur le champ, à la surface et dans les mines, le travail des prospecteurs, des géologues et des ingénieurs. C’est ce que je tâcherai de raconter, aussi simplement que possible, dans les chapitres suivants.