L’Abbaye de Fontenay et l’architecture cistercienne/5.7

ABBAYE DE FONTENAY
Ph. L. Bégule.
la forge

LA FORGE

De tout temps, les monastères avaient pour principe de se suffire, sans être obligés d’aller chercher au dehors les produits industriels qui pouvaient leur être nécessaires, ainsi que l’ordonnait, dès le vie siècle, la règle de saint Benoît.

Ph. L. B.
91. Première salle de la forge.

Saint Bernard avait donné aux ateliers de Clairvaux une grande importance et Dom Martène, dans la description qu’il fait de l’abbaye, mentionne les travaux des frères convers et la merveilleuse organisation des tanneries.

À Fontenay, en plus de l’importante exploitation des nombreuses fermes et métairies, confiées aux frères convers, il est certain que la communauté devait pratiquer la plupart des industries indispensables à la construction et aux usages domestiques. Un grand bâtiment, élevé à la fin du xiie siècle et connu de tout temps sous la dénomination de « Forge », permettait à l’abbaye d’ouvrer sur place toutes les pièces de fer qui pouvaient lui être nécessaires et probablement aussi d’en fournir aux communautés voisines. C’était une véritable usine, située en dehors des bâtiments réguliers, sur le bord de la rivière canalisée, dont les eaux faisaient mouvoir des roues hydrauliques actionnant les martinets et la soufflerie des cubilots.

L’édifice, long de 53 mètres, large de 13m50, terminé aux extrémités par deux pignons, est renforcé par une série de contreforts à double étage répartis sur les quatre faces. Il comprend quatre salles séparées par des murs de refend.

92. La forge.
(Au moment de la démolition des bâtiments de la papeterie.)

La première, à l’ouest, est recouverte de quatre voûtes d’ogives, dont les nervures reposent le long des murs sur des culots et retombent en faisceau sur une colonne centrale (fig. 91).

Deux grands arcs communiquaient avec la salle suivante, dont la voûte conique et construite sur arcs d’ogives, aujourd’hui démolie, s’élevait jusqu’au sommet de l’édifice et devait être terminée par un lanternon afin de faciliter la ventilation. Actuellement, un plancher la divise dans sa hauteur, mais nous espérons qu’elle ne tardera pas à reprendre sa forme primitive. C’était la forge proprement dite. On reconnaît en effet, dans la paroi qui longe le canal, les traces des deux fourneaux, dont les larges cheminées traversaient le mur au-dessous de l’arc formeret de la voûte et débouchaient au dehors. Les amorces des hottes sont encore très visibles [1].

ABBAYE DE FONTENAY
Ph. L. Bégule.
LA FORGE (salle principale).
La troisième salle, qui est la plus vaste, est recouverte de dix voûtes d’ogives (fig. 93). Les nervures, les doubleaux et les formerets en tiers-points, dont les arêtes sont simplement abattues, s’appuient sur des culs-de-lampe, en forme de cône renversé, engagés dans le mur. Ces faisceaux de nervures retombent sur deux colonnes isolées, trapues et couronnées de chapiteaux à feuilles lancéolées ; trois fenêtres en plein cintre sur la rivière et deux sur la paroi opposée, à droite et à gauche d’une porte, distribuent une abondante lumière. Cette salle, aussi bien par la disposition de ses voûtes que par les autres détails de sa construction, offre une similitude complète avec le cellier de Noirlac[2].
Ph. L. B.
93. Salle pricipale du bâtiment de la forge.

La dernière salle, recouverte de quatre voûtes d’ogives, est éclairée par deux vastes baies du côté sud ; c’est là que, probablement, se trouvait le moulin à farine, dont les roues motrices devaient être renfermées dans une petite construction latérale, portée sur des arches qui existent encore, à cheval sur le cours d’eau. Au-dessus des voûtes de la forge, de vastes pièces servaient de magasin, largement éclairées par de nombreuses fenêtres en plein cintre.


L’abbaye devait encore posséder d’autres dépendances telles que les logements des artisans et des serviteurs, les granges[3], les étables, les écuries, des ateliers de foulons[4], le moulin à huile, la tuilerie, la buanderie, le cellier pour les provisions destinées aux aumônes par le frère portier. Une autre hôtellerie pour les ecclésiastiques s’élevait très probablement, suivant l’usage, à proximité des bâtiments réguliers. De ces constructions secondaires, il ne reste pas de traces. Non loin de l’entrée du monastère, mais en dehors de l’enceinte, se trouvait un édifice à l’usage des ducs de Bourgogne, où ces derniers venaient parfois se livrer au plaisir, de la chasse, « se délasser de leurs affaires et s’édifier à l’exemple des religieux[5] ». La pièce de procédure mentionnée page 60 nous apprend que l’ancien bâtiment appelé grenier des ducs de Bourgogne était, en 1750, en si mauvais état, que la pluie inondait les voûtes tombant de vétusté. Les tuiles durent en être descendues pour être employées à la réparation du couvert de l’église, parce que depuis longtemps on n’en fabriquait plus de cette espèce dans le pays. De la résidence et des granges, on ne saurait trouver de vestiges ; il est même impossible d’indiquer leur emplacement.


Quelques débris de murailles, qui couronnent la hauteur au midi de l’abbaye, sont les seuls restes du château que l’évêque Ebrard s’était fait construire en arrivant à Fontenay. Au-dessous du château, sur le bord de la route, les anciens plans de l’abbaye indiquent une petite chapelle, sous le vocable de saint Laurent, mais dont on ne connaît pas la date de construction.

Le domaine de Fontenay, sans cesse agrandi, était devenu considérable, comprenant des bois, des terres arables, des vergers, des prairies et des cours d’eau arrosant les deux vallées.

Ph. L. B.
94. Tour du Guet. — Vallée de Fontenay.

Le vallon Saint-Bernard, dans la direction du nord-est, bordé de bois de chênes et de hêtres, aboutit à l’ancien ermitage, berceau de l’abbaye naissante. Ses ruines, à peine reconnaissables, envahies par les lierres et les viornes, se reflètent dans les eaux d’un étang abrité sous les aulnes (fig. 2).

La profonde et riante vallée, qui serpente de l’orient à l’occident, et qui porte le nom de « combe Saint-Laurent », en souvenir de l’ancienne chapelle, donne naissance à la petite rivière de Fontenay qui l’arrose en coulant doucement au milieu des prairies et des bois. Ce cours d’eau alimente deux étangs particulièrement pittoresques, dans un paysage enchanteur : la « Fontaine de l’Orme » et l’étang de « la Roche », non loin duquel s’élève la « tour du guet », construite, dit-on, pour la surveillance de la pêche. En effet, les truites saumonées qui se jouent dans les eaux transparentes du ruisseau de Fontenay, dont la pêche appartenait exclusivement aux moines depuis le xiiie siècle, étaient l’orgueil du couvent. Les rois de France, les ducs de Bourgogne ne dédaignaient pas de se les faire présenter ; Buffon et ses hôtes de Montbard les goûtaient très particulièrement et, aujourd’hui, la truite est toujours le plat d’honneur de la table hospitalière de Fontenay.

La rivière, après avoir pénétré dans l’enceinte de l’abbaye, longe le bâtiment de la Forge, retombe en une grande nappe dans le vaste bassin d’un château d’eau et de là va se perdre dans la Braine, au sud de Montbard.

Enfin, tout auprès de l’entrée du monastère, enfoui dans la verdure, sous l’ombre des frênes et des grands ormes se cache le petit édicule de la modeste, mais si poétique fontaine « ferrée », ainsi dénommée de tout temps, en raison des solides volets qui en ferment l’ouverture. C’est cette source, aux eaux limpides, d’une exceptionnelle pureté qui, depuis l’origine, alimente d’eau potable tous les services de l’abbaye.

Ph. L. B.
95. Fontaine ferrée.
ABBAYE DE FONTENAY
Ph. L. Bégule.
ÉTANG DE LA FONTAINE DE L’ORME
  1. Une autre abbaye bourguignonne, celle de Pontigny, exploitait des mines en 1449 et avait une forge en activité (Enlart, Manuel d’Archéologie française, II, p. 220).
  2. Cf. Lefèvre-Pontalis, « l’Abbaye de Noirlac » (Bulletin Monumental, 1901).
  3. Les abbayes cisterciennes possédaient souvent des métairies, des celliers, des granges en dehors du domaine, et qui étaient parfois de véritables colonies agricoles. Une grange dépendant de Fontenay se trouvait à Poiseul-la-Grange, village de la Côte-d’Or. Cf. Henri Chabeuf, Voyage d’un délégué suisse au Chapitre général de Cîteaux en 1667, Dijon, 1885, p. 28.
  4. Un pré, dans la vallée, porte encore le nom de pré « du Foulon ».
  5. Dom Martêne, ouvrage cité, p. 150.