L’Abbaye de Fontenay et l’architecture cistercienne/3.6

LE CHAUFFOIR

Ph. L. B.
40. Petit chauffoir.

À l’angle sud-est du cloître, on pénètre dans une pièce de proportions modestes, recouverte de deux voûtes d’ogives refaites après coup et qui portent très gauchement sur des culots et sur un chapiteau rapporté sur la corniche d’un

41. Cheminées du chauffoir de Fontenay.

pilier (fig. 40). Cette salle passe pour avoir été le chauffoir, calefactorium. On constate, en effet, dans l’épaisseur du mur occidental, la présence de deux gaines de cheminées aboutissant à une mitre en pierre qui s’élève sur le toit et porte deux tuyaux cylindriques couronnés d’un lanternon ajouré[1](fig. 41).

Le chauffoir était le seul endroit où la règle tolérât du feu en dehors de la cuisine. Dans cette salle, les religieux, pendant l’hiver, passaient le temps qu’ils ne consacraient pas à la prière à l’église et aux travaux extérieurs. Là encore, après l’office du matin, les moines allaient graisser leurs sandales pour se rendre aux occupations de la journée. Le chauffoir se trouvait généralement à côté de l’escalier du dortoir dans les monastères cisterciens. En effet, deux arcs en plein cintre, retombant sur un pilier carré et trapu, forment deux retraits, dans l’un desquels débouche un escalier qui conduisait à l’ancien dortoir des religieux
42. Cheminées du chauffoir de Noirlac.
et donne accès actuellement à l’étage supérieur du bâtiment méridional, transformé en appartement au xixe siècle. Cette pièce, fort exiguë, n’aurait pu recevoir qu’un très petit nombre de religieux. Un chauffoir plus vaste, chauffé par l’une des deux cheminées, devait s’étendre à la suite, parallèlement au cloître, jusqu’au réfectoire. Les portes de cette pièce, dont l’une est surmontée d’un linteau orné d’un arc trilobé,
43. Cheminée du chauffoir de Sénanque.
(D’après H. Révoil, Architecture romane du midi de la France.)

se voient encore sous la galerie du cloître. Cette salle pouvait être réservée à certains travaux d’intérieur, comme ceux des scribes ; elle a pu servir de bibliothèque. Dom Martène, lors de la visite qu’il fit à Fontenay au commencement du xviiie siècle, signale, parmi les restes de son ancienne splendeur, un grand nombre de manuscrits des œuvres des Pères de l’Église, pour la plupart[2].

Un petit chauffoir devait être également annexé à l’infirmerie et le logement de l’Abbé pouvait être exceptionnellement réchauffé par une cheminée, ou même par une sorte de brasero, comme l’était la cellule de saint Bernard les derniers temps de sa vie. Au-dessous de son lit, au dire de Dom Martène, une pierre percée de trous laissait passer la chaleur d’une sorte d’hypocauste construit à l’étage inférieur.

  1. Les têtes de cheminées du XIIe siècle sont assez rares en France pour qu’il soit intéressant de rapprocher de celles de Fontenay celles de la même époque qui se voient encore dans l’abbaye de Noirlac. Le foyer de la vaste cheminée du chauffoir de Sénanque, situé au-dessous du dortoir, est sur un plan demi-circulaire, surmonté d’un manteau conique, dont la gaine se termine au-dessus du toit par un large tuyau cylindrique percé de meurtrières et couronné par une pyramide fleuronnée.
  2. Dom Martène, ouvrage cité, I, 150.