L’Abbé ou suite du Monastère
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 14p. 282-293).


CHAPITRE XXV.

le chapelain.


Lorsque la torche de l’amour a mis le cœur en feu, vient dame Raison avec ses vues et ses précautions : elle sert autant que le vieux bedeau à barbe grise, qui du haut des voûtes de l’Église fait jouer sa vieille pompe pour lancer goutte à goutte un filet d’eau bien mince sur un immense incendie.
Ancienne comédie.


En proie à ses rêveries, Roland Græme se rendit le lendemain matin sur les créneaux du château, comme dans un lieu où il pouvait se livrer sans être interrompu aux pensées qui l’assiégeaient en foule. Mais ce lieu de retraite se trouva mal choisi pour l’instant, car il y fut joint par maître Élie Henderson.

« Je vous cherchais, jeune homme, dit le prédicateur ; car j’ai à vous parler d’une chose qui vous touche de près. »

Le page n’avait pas de prétexte pour éviter la conférence que lui offrait ainsi le chapelain, bien qu’il pensât qu’elle pouvait devenir embarrassante.

« En vous enseignant, aussi bien que mes faibles moyens me l’ont permis, vos devoirs envers Dieu, dit le chapelain, je n’ai pas assez long-temps insisté sur vos devoirs envers l’homme, et ce retard a été bien involontaire. Vous êtes ici au service d’une dame, honorable quant à sa naissance, méritant la pitié de tous pour ses infortunes, et qui même ne possède que dans un trop haut degré ces qualités extérieures qui gagnent les regards et l’attention des hommes. Avez-vous considéré vos devoirs envers cette dame, envers Marie d’Écosse, sous leur vrai point de vue et dans leurs conséquences ?

— Je me flatte, révérend ministre, répondit Roland, de connaître assez bien les devoirs qu’un serviteur tel que moi doit remplir envers sa royale maîtresse, surtout dans une situation si déchue et si malheureuse.

— Très-bien ; mais ce sont ces honnêtes sentiments eux-mêmes qui peuvent, dans l’état où se trouve Marie, t’entraîner dans un grand crime et une grande trahison.

— Comment cela ? révérend ministre ; j’avoue que je ne vous comprends pas.

— Je ne vous parle pas des crimes de cette femme mal conseillée, dit le prédicateur ; ce n’est point une énumération à faire entendre aux oreilles de son serviteur dévoué. Mais il suffit de dire que cette malheureuse femme a rejeté plus d’offres de grâce, plus d’espérances de gloire, qu’on n’en ait jamais fait à une princesse sur la terre ; et, maintenant que son jour de prospérité est passé, elle est enfermée dans ce château solitaire pour le bien commun du peuple d’Écosse, et peut-être pour le salut de son âme.

— Révérend ministre, » dit Roland non sans un peu d’impatience, « je sais trop bien que mon infortunée maîtresse est emprisonnée, puisque j’ai le malheur de partager moi-même son isolement, ce qui, pour vous parler franchement, m’ennuie à la mort.

— C’est de cela même que je veux vous parler, » dit le chapelain avec douceur ; « mais d’abord, mon bon Roland, jetez les yeux sur l’aspect charmant de cette plaine cultivée qui s’étend devant nous. Vous voyez, où la fumée s’élève, ce village à moitié caché par les arbres, et vous savez que c’est le séjour de la paix et de l’industrie. D’espace en espace, vous voyez, sur les bords de la rivière qui le traverse, les tours grisâtres des barons, séparées par des chaumières, et vous savez qu’eux aussi vivent en paix dans leur ménage ; la lance est suspendue à la muraille et l’épée reste dans le fourreau. Vous voyez aussi plus d’une belle église où l’eau pure de la vie est offerte à la soif, et où la faim trouve une nourriture spirituelle. Que mériterait celui qui promènerait le fer et la flamme dans une contrée si belle et si heureuse, qu forcerait les gentilshommes à tirer leurs épées et à les tourner les uns contre les autres, qui incendierait la chaumière et la tour, et qui éteindrait leurs charbons fumants avec le sang de ceux qui les habitent ? que mériterait celui qui relèverait cet ancien Dagon[1] de la superstition que les saints du siècle ont brisé, et qui transformerait les églises du Seigneur en ces lieux hauts où l’on sacrifie à Baal[2] !

— Vous venez de tracer un effrayant tableau, révérend ministre ; cependant je ne devine pas qui vous pouvez accuser du projet d’effectuer un changement aussi horrible.

— Dieu me préserve de te dire que tu es cet homme ; et cependant, Roland Græme, fais-y bien attention, si tu as des devoirs à remplir envers ta maîtresse, la paix de l’Écosse et la prospérité de ses habitants t’imposent des devoirs plus importants encore ; songe à t’en acquitter ; sinon Roland, tu peux être l’homme sur la tête duquel retomberont les malédictions et les châtiments dus aux crimes dont je t’ai offert le tableau. Si tu te laisses gagner par le chant de ces sirènes et que tu aides à faire évader cette malheureuse femme de ce lieu de pénitence et de sûreté, c’en est fait de la paix pour les chaumières de l’Écosse, de la prospérité pour ses palais, et l’enfant à naître maudira un jour le nom de l’homme, premier auteur des maux que doit amener une guerre entre la mère et le fils.

— Je ne connais pas un tel projet, révérend ministre, et ainsi je n’y puis apporter aucun remède. Mon devoir auprès de la reine Marie n’est que celui d’un serviteur, et c’est une tâche dont j’aurais bien voulu parfois être délivré ; néanmoins…

— C’est pour vous préparer à jouir d’un accroissement de liberté, mon fils, que je me suis efforcé de graver dans votre esprit toute la responsabilité qui vous accompagne dans l’exercice de vos fonctions. George Douglas a dit à lady Lochleven que vous étiez fatigué de ce service, et comme votre congé ne peut vous être accordé, mon intercession a presque déterminé la bonne dame à vous employer à quelques commissions au dehors, commissions qui jusqu’ici avaient été remises à des personnes de confiance. c’est pourquoi, venez avec moi chez lady Lochleven, car vous allez avoir à remplir aujourd’hui même un message de cette nature.

— Je vous prie de m’excuser, révérend ministre, » dit le page qui sentait qu’une augmentation de confiance de la part de la maîtresse du château et de ses habitants rendrait sa position doublement embarrassante sous le point de vue moral ; « un seul homme ne peut servir deux maîtres, et je crains que ma maîtresse ne me sache pas bon gré de recevoir d’autres ordres que les siens.

— Ne craignez pas cela, on demandera et on obtiendra son consentement. Je crains qu’elle n’adhère trop aisément à un arrangement pareil, dans l’espoir de se servir de vous comme d’un agent pour entretenir une correspondance avec ses prétendus amis, qui feraient de son nom le mot d’ordre de la guerre civile.

— Et ainsi, je serai exposé aux soupçons des deux côtés ; car ma maîtresse me considérera comme un espion placé près d’elle par ses ennemis, me voyant investi de leur confiance ; et lady Lochleven ne cessera jamais de croire à la possibilité d’une trahison de ma part, parce que cette trahison sera devenue possible. Non, je préfère rester comme je suis. » Il y eut ici un silence d’une ou deux minutes, durant lesquelles Henderson regarda fixement Roland, comme pour découvrir si cette réponse n’avait pas un sens que n’indiquaient point explicitement ses paroles. Il ne pénétra rien ; car Roland page depuis son enfance, savait prendre à propos un air triste et rêveur bien propre à cacher ses émotions intérieures.

— Je ne vous comprends pas, Roland, ou plutôt vos idées, sur ce sujet, sont plus profondes qu’il ne convient à votre humeur habituelle. Il me semblait que le plaisir d’aller de l’autre côté du lac avec un arc, un fusil ou une ligne, aurait fait taire en vous tout autre sentiment.

— Sans doute, » répondit Roland qui s’aperçut combien il serait dangereux que les soupçons d’Henderson prissent plus de consistance ; « je n’aurais songé qu’au fusil ou à la rame et à ces oiseaux sauvages que j’ai tant envie de poursuivre dans les joncs où ils se réfugient hors la portée de mon fusil, si vous ne m’aviez pas dit qu’en allant sur la terre ferme, je pouvais faire brûler le bourg et le château, et causer ainsi la chute de l’Évangile et le rétablissement de la messe.

— Suivez-moi donc, dit Henderson, et nous irons parler à lady Lochleven. »

Ils la trouvèrent à déjeuner avec son petit-fils George Douglas ; « Que la paix soit avec Votre Seigneurie ! » dit le chapelain en saluant sa maîtresse, « Roland Græme attend vos ordres.

— Jeune homme, dit lady Lochleven, notre chapelain nous a répondu de ta fidélité, et nous avons résolu de te donner quelques commissions à faire pour nous dans notre bourg de Kinross.

— Non par mon avis, » ajouta froidement Douglas.

« Je n’ai pas dit que ce fût par votre avis, » répondit la dame avec quelque aigreur. « La mère de votre père est assez âgée, je pense, pour pouvoir juger ce qu’elle doit faire dans une circonstance aussi simple. Roland, tu prendras l’esquif et deux de mes gens que Dryfesdale ou Randal désignera, et tu iras chercher plusieurs paquets de vaisselle et de tapisserie qui ont dû arriver cette nuit à Kinross par les chariots d’Édimbourg.

— Vous donnerez ce paquet, dit George Douglas, à un de nos domestiques qui l’attend et que vous trouverez à Kinross. C’est le rapport que j’envoie à mon père, » ajouta-t-il en regardant sa grand’mère, qui marqua son consentement par un signe de tête.

« J’ai déjà annoncé à maître Henderson, objecta Roland Græme, que, comme mon devoir m’attache au service de la reine, il faut obtenir la permission de Sa Grâce pour mon voyage, avant que je puisse me charger de votre commission.

— Informez-vous de cela, mon fils, dit la vieille dame, les scrupules de ce jeune homme sont honorables.

— Je vous demande pardon, madame, je n’ai point l’envie de me présenter devant elle si matin, » répliqua Douglas avec indifférence : « cela pourrait lui déplaire, et je n’en serais nullement flatté.

— Et moi, ajouta lady Lochleven, quoique son caractère se soit adouci, je n’irai point sans nécessité m’exposer à ses sarcasmes.

— Avec votre permission, madame, dit le chapelain, j’irai présenter votre requête à la reine. Durant mon long séjour dans cette maison, elle n’a pas daigné me voir en particulier, ou prêter l’oreille à mes instructions ; et cependant, j’en atteste le ciel, l’amour de son âme et le désir de la faire entrer dans la bonne voie ont été mon principal but en venant ici.

— Prenez garde, maître Henderson, » reprit Douglas d’un ton qui semblait presque railleur, « de vous engager témérairement dans une aventure pour laquelle vous n’avez pas de vocation : un érudit comme vous doit connaître l’adage : Ne accesseris in consilium nisi vocatus. Qui vous a commandé cela ?

— Le maître au service duquel je suis appelé, » répondit le prédicateur en levant les yeux au ciel ; « c’est lui qui m’a commandé de déployer mon zèle pour sa cause en toute occasion.

— Vous n’avez pas été souvent en rapport, ce me semble, avec les cours et les princes, continua le jeune écuyer.

— Non, monsieur, répondit Henderson ; mais, comme mon maître Knox, je ne vois rien d’effrayant dans la jolie figure d’une belle dame.

— Mon fils, interrompit lady Lochleven, n’étouffez pas le zèle de ce brave homme, laissez-le se rendre auprès de l’infortunée princesse.

— Plus volontiers que je n’irais moi-même, » répliqua George Douglas. Mais il y avait quelque chose dans ses manières qui n’était pas d’accord avec ce qu’il disait.

Le ministre se rendit à l’appartement de la royale prisonnière et demanda une audience ; elle lui fut accordée. Il trouva Marie occupée avec ses deux dames à leur travail journalier : elles brodaient. La reine le reçut avec cette politesse qu’en pareil cas elle employait envers tous ceux qui l’approchaient, et le ministre, à son début, fut évidemment plus embarrassé qu’il ne s’y attendait : « La bonne dame de Lochleven, qu’il plaise à Votre Grâce… »

Il s’arrêta un moment, et Marie dit en souriant : « Ma Grâce serait en vérité charmée que lady Lochleven fût notre bonne dame ; mais poursuivez : quelle est la volonté de notre bonne dame de Lochleven.

— Elle désire, madame, reprit le chapelain, que Votre Grâce veuille bien permettre à votre page, à Roland Græme, de se rendre à Kinross pour s’informer de l’arrivée de quelques paquets de tapisserie, envoyés d’Édimbourg pour meubler plus convenablement l’appartement de Votre Grâce.

— Lady Lochleven, répondit la reine, emploie une cérémonie inutile, en nous demandant notre permission pour une chose qui dépend de son bon plaisir. Nous savons bien qu’on nous aurait depuis long-temps privée des services de ce jeune homme si l’on n’avait pas pensé qu’il était plus aux ordres de la bonne dame qu’aux nôtres. Mais nous consentons de grand cœur à ce qu’il s’acquitte de sa commission ; nous ne condamnerons jamais de notre propre volonté une créature vivante à la captivité que nous devons souffrir nous-même.

— Ah ! madame, reprit le prédicateur, il est sans doute naturel à l’humanité de ne point souffrir sans plaintes la perte de la liberté. Cependant il est des personnes qui ont trouvé dans le temps passé au sein de la captivité temporelle les moyens de se racheter d’un esclavage plus terrible.

— Je sais ce que vous voulez dire, monsieur, mais j’ai entendu votre apôtre, j’ai entendu maître John Knox ; et si j’avais eu à être pervertie, j’aurais volontiers cédé au plus éloquent et au plus savant des hérésiarques ; misérable honneur qu’il aurait pu acquérir en triomphant de ma foi et de mon espoir !

— Madame, ce n’est point aux talents et à l’habileté du laboureur que Dieu accorde une récolte abondante ; les vérités qui vous ont été présentées en vain par celui que vous appelez à juste titre notre apôtre, durant le tumulte et les fêtes de votre cour, peuvent mieux se faire entendre dans ces lieux où il vous est loisible de vous livrer à la réflexion. Dieu sait, madame, que je parle dans l’humilité de mon cœur, comme un homme qui ne se comparerait pas plus aux anges immortels qu’au saint homme que vous venez de nommer. Cependant, si vous vouliez appliquer à un noble et légitime usage ces talents et cette instruction que tout le monde vous reconnaît ; s’il vous plaisait de nous laisser entrevoir le plus léger espoir que vous voulez entendre et méditer les puissants arguments qu’on peut alléguer contre l’aveugle superstition et l’idolâtrie dans lesquelles vous avez été élevée, je suis sûr que le plus éloquent de mes frères, que John Knox lui-même, se hâterait d’accourir ici pour retirer votre âme des erreurs de l’Église romaine qui l’enveloppent comme un filet…

— Je vous suis obligée, ainsi qu’à eux, de tant de charité, interrompit Marie ; mais comme maintenant je n’ai qu’une chambre d’audience, je la verrais avec regret changée en synode huguenot.

— Du moins, madame, ne restez pas opiniâtrement dans l’aveuglement de vos erreurs. Écoutez un homme qui a supporté la faim et la soif, qui a veillé et prié pour se rendre digne d’entreprendre la belle tâche de votre conversion, et qui mourrait avec joie à l’instant où cette conversion si avantageuse pour vous-même, et si utile à l’Écosse, serait enfin accomplie. Oui, madame, si je pouvais ébranler le dernier pilier qui soutient le temple païen dans cette contrée, permettez-moi d’appeler ainsi votre foi dans les superstitions de Rome, je serais content de périr écrasé sous ses ruines.

— Je ne veux pas insulter à votre zèle, monsieur, répliqua la reine, en vous disant que vous êtes plutôt fait pour être l’amusement des Philistins que pour les écraser : votre charité mérite mes remercîments, car elle s’exprime chaudement, et son but peut être louable ; mais pensez de moi aussi favorablement que je suis portée à penser de vous, et, croyez-le bien, mon désir de vous rappeler dans l’ancienne et la seule bonne voie n’est pas moins ardent que le zèle qui vous porte à m’enseigner ce nouveau sentier tortueux qui conduit au paradis.

— Eh bien ! madame, si telles sont vos généreuses intentions, » dit Henderson avec feu, « qui empêche de consacrer une partie de ce temps, qui malheureusement n’est que trop à la disposition de Votre Grâce, à discuter une question aussi importante ? Tout le monde sait que vous brillez par l’esprit et l’instruction ; et quoique je n’aie pas un tel avantage, je suis fort dans ma cause, et aussi solide qu’une tour. Pourquoi ne consacrerions-nous pas quelques moments à nous efforcer de découvrir qui de nous deux est dans l’erreur sur une matière aussi importante ?

— Non, dit la reine Marie, je ne présume pas assez de ma force pour accepter un combat en champ clos avec un théologien polémique : en outre, la partie n’est pas égale. Vous, monsieur, vous pourriez vous retirer lorsque vous verriez que vous allez perdre la bataille ; tandis que moi, je suis liée au poteau, et je n’ai pas la liberté de dire que le combat me fatigue. Je désire être seule. »

Elle accompagna ces mots d’un profond salut ; et Henderson, qui, malgré son zèle ardent, ne négligeait pas les bienséances, salua la reine à son tour, en se préparant à sortir.

« Je désire, ajouta-t-il, que mes souhaits ardents, mes prières zélées, puissent procurer à Votre Grâce le vrai bonheur et la vraie consolation, aussi facilement que le plus léger signe de votre volonté me porte à m’éloigner de votre présence. »

Il se retirait, lorsque Marie lui dit avec courtoisie : « Ne me faites pas injure dans votre pensée, monsieur ; il se peut, si ma détention se prolonge, ce qui, j’espère, n’arrivera pas, car mes sujets rebelles se repentiront de leur déloyauté, ou bien ceux qui me sont restés fidèles auront le dessus ; il se peut, dis-je, si ma détention se prolonge, que je n’aie point de répugnance à entendre un homme qui semble raisonnable et compatissant comme vous, et que je me hasarde à encourir votre dédain en m’efforçant de me rappeler et de citer les raisons que les conciles et les prêtres donnent à l’appui de ma foi, bien que je craigne, hélas ! d’avoir perdu mon latin avec tout le reste de ce que je possédais. Toutefois cette conférence sera pour un autre jour. En attendant, monsieur, que lady Lochleven emploie mon page comme elle l’entendra, je ne veux pas éveiller les soupçons en lui disant un seul mot en particulier avant son départ… Roland Græme, mon ami, ne perdez pas une occasion de vous amuser, dansez, chantez, courez, sautez. On peut faire tout cela avec joie ; mais pour faire ici de telles folies, il faudrait avoir plus que du vif argent dans les veines.

— Hélas, madame ! s’écria le prédicateur, quelles exhortations donnez-vous à la jeunesse, tandis que le temps passe et que l’éternité avance ! Pouvons-nous assurer notre salut par de frivoles amusements, ou pouvons-nous accomplir notre œuvre sans craindre et sans trembler ?

— Je ne sais ni craindre ni trembler, répliqua la reine ; Marie Stuart ne connaît point de telles émotions. Mais si mes pleurs et mes chagrins peuvent compenser pour Roland une heure d’amusements innocents, soyez sûr que la pénitence sera exactement remplie.

— Votre gracieuse Seigneurie, dit le prédicateur, se trompe gravement en cela ; nos pleurs et nos chagrins sont une faible compensation de nos propres fautes et de nos propres folies, et nous ne pouvons les céder à d’autres pour effacer leurs erreurs, comme votre Église l’enseigne faussement.

— Puis-je, monsieur, répondit la reine, sans vous offenser par cette prière, vous prier de vous retirer. Mon cœur est vraiment malade, et je ne saurais supposer une plus longue controverse. Tiens, Roland, prends cette petite bourse. » Se tournant alors vers le ministre, elle lui dit en lui montrant ce qu’elle contenait : « Voyez, révérend chapelain, elle ne renferme que deux ou trois testons d’or ; cette monnaie porte mon effigie, et cependant elle a toujours plus servi contre moi que pour moi ; de même, mes sujets, en prenant les armes pour me détrôner, prononçaient encore mon nom pour mot de ralliement et pour cri de guerre. Prends cette bourse, afin que tu ne puisses manquer de moyens de t’amuser. N’oublie pas de me rapporter des nouvelles de Kinross, mais seulement de celles qui pourraient sans soupçon ni offense m’être racontées devant ce révérend ministre, ou en présence de la bonne lady Lochleven elle-même. »

Le congé était trop formel pour rester ; et Henderson sortit moitié mortifié, moitié content de sa réception : car Marie, par une longue habitude, jointe à la finesse qui lui était naturelle, avait poussé à un degré extraordinaire l’art d’éviter une conversation pénible à ses sentiments ou à ses préjugés, sans pour cela heurter ceux de ses interlocuteurs.

Roland Græme sortit avec le chapelain sur un signe de sa maîtresse ; mais il ne lui échappa pas, lorsqu’il quittait la chambre le dernier et faisait un profond salut à sa souveraine, que Catherine Seyton levait son doigt indicateur, en lui faisant un geste que lui seul pouvait apercevoir et qui semblait dire : « Rappelez-vous ce qui s’est passé entre nous. »

Roland reçut ses dernières instructions de lady Lochleven. « Il y a des réjouissances aujourd’hui dans le village, dit-elle. L’autorité de mon fils n’a pu encore exclure ces restes de l’ancien levain de superstition avec lequel les prêtres romains avaient pour ainsi dire pétri le cœur de nos paysans écossais. Je ne vous ordonne pas de vous en abstenir, ma défense serait un piège pour votre folie, ou vous apprendrait à mentir ; mais livrez-vous avec modération à ces vanités, et n’y faites attention un moment que comme à des futilités que vous devez abandonner et mépriser. Notre chambellan à Kinross, Luc Lundin, le docteur Luc Lundin, car c’est le titre qu’il se donne follement, vous fera connaître ce que vous avez à faire. Souvenez-vous que vous avez ma confiance, et montrez-vous-en digne. »

Si nous nous rappelons que Roland Græme n’avait pas encore dix-neuf ans, et qu’il avait passé toute sa vie dans le château solitaire d’Avenel, sauf quelques heures à Édimbourg et son dernier séjour à Lochleven, demeure qui n’avait pas beaucoup contribué à lui faire connaître les plaisirs du monde, nous ne serons pas étonnés que son cœur battît fortement de joie et de curiosité à l’espoir de partager les amusements mêmes d’une fête de campagne. Il se rendit en toute hâte à son petit cabinet, où il retourna toute sa garde-robe, et il est bon d’observer que cette garde-robe était digne de la place qu’il occupait ; car elle lui avait été envoyée d’Édimbourg, probablement par l’ordre du comte de Murray. D’après les ordres de la reine, il s’était jusqu’ici habillé en deuil ou en couleur sombre ; mais il pensa que l’occasion présente réclamait un vêtement plus gai. Il choisit donc l’habit le plus élégant qu’il eût à sa disposition ; il était écarlate, tailladé de satin blanc, couleurs royales d’Écosse. Roland peigna sa longue chevelure bouclée, arrangea sa chaîne et son médaillon autour d’un chapeau de castor, de la forme la plus nouvelle, et suspendit à son côté, au moyen d’un baudrier brodé, la belle épée qu’il avait reçue d’une manière si mystérieuse. Sa parure, jointe à sa bonne mine naturelle et à sa belle taille, faisait de Roland un échantillon des plus élégants et des plus gracieux des jeunes galants de l’époque. Il aurait voulu saluer la reine et ses dames avant son départ ; mais le vieux Dryfesdale l’entraîna vers la barque.

« Nous n’aurons pas d’entretiens secrets, mon maître, » dit le mélancolique serviteur ; « puisqu’on vous accorde quelque confiance, nous essaierons de vous éviter la tentation de la trahir. Dieu te soit en aide, garçon ! » ajouta-t-il en jetant un regard méprisant sur ses habits élégants ; « s’il y a au village un meneur d’ours de Saint-André, prends garde de t’en approcher.

— Et pourquoi, je vous prie ? demanda Roland.

— De peur qu’il ne te prenne pour un de ses singes habillés, » répondit l’intendant avec un sourire malin.

« Je ne porte pas mes habits aux dépens de ta bourse, » s’écria Roland indigné.

« Ni aux dépens de la tienne, mon fils, répliqua l’intendant ; sans cela ta toilette ressemblerait plus à ton mérite. »

Roland retint avec peine la réponse qui lui vint sur les lèvres ; et, s’enveloppant de son manteau d’écarlate, il se jeta dans la barque que les deux rameurs, pressés eux-mêmes de voir la fête, firent voler rapidement vers l’ouest du lac. Lorsqu’ils gagnaient le large, Roland crut apercevoir le visage de Catherine Seyton, quoique soigneusement caché, et l’observant d’une meurtrière pour le voir partir. Il ôta son chapeau et l’éleva en l’air comme un signe qu’il la voyait et qu’il lui faisait ses adieux. Un mouchoir blanc fut agité à travers la fenêtre, et pendant le reste de ce petit voyage, la pensée de Catherine Seyton combattit dans son cœur l’idée qu’il se faisait de la fête où il se rendait. À mesure qu’ils approchaient du rivage, ils entendaient plus distinctement la musique et les chants joyeux, les rires, les acclamations et les cris de plaisir. En un moment la barque fut amarrée, et Roland s’empressa de demander le chambellan : il voulait savoir d’abord de combien de temps il avait à disposer pour pouvoir l’employer le mieux possible.



  1. Dagon était une idole très-révérée des Philistins. Ce mot, en hébreu, signifie poisson : et en effet cette fausse divinité avait par le bas du corps la forme d’un dauphin. a. m.
  2. Baal, divinité fameuse chez les Babyloniens. Son nom, en chaldéen, signifie seigneur. Ses temples étaient bâtis sur des lieux hauts, c’est-à-dire sur le sommet des montagnes. a. m.