L’Abîme (Rollinat)/L’Abnégation

L’Abîme. PoésiesG. Charpentier et Cie, éditeurs. (p. 196-197).


L’ABNÉGATION


Ma vie au plus profond de la vallée obscure
S’est recroquevillée entre ses deux parois :
Elle dort son horreur comme ces étangs froids
Dont le croupissement a fixé l’envergure.

Elle étale à jamais son inerte figure
Sous un lichen pourri de cercueils et de croix ;
Le présent y devient l’épave d’autrefois,
L’avenir inutile y moisit son augure.


J’ai vidé ma douleur et mon sort est rempli ;
Mes jours qui sont filés au fuseau de l’oubli
Se mêlent comme une ombre au tourbillon des vôtres.

Croiras-tu maintenant, vieux Sceptique blasé,
Que mon cœur est assez dépersonnalisé,
Assez bien mort à lui pour se donner aux autres ?