Traduction par Théophile Seyrig.
Librairie polytechnique Ch. Béranger, éditeur (p. 129-160).
POUSSIÈRES SOLAIRES, AURORES POLAIRES, MAGNÉTISME TERRESTRE

V

LES POUSSIÈRES SOLAIRES
DANS L’ATMOSPHÈRE TERRESTRE.
LES AURORES POLAIRES
LES VARIATIONS DU MAGNÉTISME TERRESTRE

Nous avons étudié dans le chapitre précédent les effets produits sur les corps célestes éloignés, par les particules de matière que lancent dans l’espace le soleil et les étoiles. Il y a intérêt à savoir si ces poussières ont aussi quelque effet sur notre globe. Nous avons déjà fait remarquer que la lueur très particulière que l’on observe sur tous les points de la voûte céleste dans des nuits claires, était produite par les décharges électriques de la poussière cosmique qui nous arrive. Ceci conduit à nous demander si les aurores boréales, que la science moderne considère comme le résultat de décharges électriques dans les régions supérieures de l’atmosphère, ne sont pas causées de même par la chute de poussières solaires. Et de fait, on verra que nous pourrons, de cette sorte, expliquer toute une série de singularités de ces phénomènes mystérieux, qui de tout temps ont excité l’imagination.

Il est acquis maintenant, que les météores et les étoiles filantes qui pénètrent dans l’atmosphère, y deviennent incandescents par leur frottement dans l’air à une hauteur moyenne de 120 kilomètres, et parfois déjà à 150 ou 200 kilomètres. Dans un cas isolé on a cru observer que la hauteur était beaucoup plus grande encore. L’atmosphère s’étend donc jusqu’à ces très grandes hauteurs, et elle n’est pas limitée, comme on le croyait jadis, à un maximum de 100 kilomètres.

Il en résulte que des particules beaucoup plus fines que les météores, comme la poussière solaire, peuvent être retenues à des hauteurs encore plus grandes, sans jamais y atteindre la température de l’incandescence, par suite de leur ténuité et du refroidissement par rayonnement ou par conductibilité qui en est la conséquence. Nous attribuerons au point d’arrêt de ces poussières une hauteur moyenne de 400 kilomètres.

Les flots poussiéreux, qui sont repoussés dans l’espace par le soleil, sont tantôt électriquement neutres, tantôt chargés d’électricité positive ou négative. Ces derniers seuls peuvent avoir quelque rapport avec les aurores boréales. Les autres, arrivés au contact de l’atmosphère, tombent lentement à la surface du sol. Ils constituent ce qu’on appelle la poussière cosmique, dont la grande importance a été signalée par Nordenskiöld. Il estimait que l’accroissement annuel de la terre par cette cause atteignait au moins 10 millions de tonnes, soit cinq cents fois plus que le chiffre que nous avons indiqué plus haut (voy. p. 118). Il supposait, d’après cela, — et cette opinion a été partagée par Lockyer et plus récemment par Chamberlin —, que les planètes se forment et s’accroissent principalement de météorites.

Mais la poussière qui, du soleil, parvient à la terre, ne dépasserait pas beaucoup 200 tonnes par an, si elle n’était pas chargée d’électricité. Lors même que ce chiffre serait beaucoup plus faible que la réalité, la quantité en serait toujours très minime, en comparaison des 20 000 tonnes de météores ou d’étoiles filantes qui annuellement tombent sur la terre. Malgré cela l’importance de cette chute de poussières est très grande, par suite de son état de division extrême. Il est probable qu’elles sont en proportion beaucoup plus abondante dans les régions supérieures de l’atmosphère que celles abandonnées par les météores, bolides ou autres.

Si cette poussière, malgré sa masse totale très insignifiante, a néanmoins une grande importance pour les phénomènes terrestres, cela tient à sa finesse extrême, qui lui permet de rester, comme la poussière du Krakatoa, très longtemps en suspension dans l’atmosphère, plus d’un an peut être. Cela tient encore, peut être surtout, à l’électricité dont elle arrive chargée.

Pour comprendre les effets produits par cette poussière sur notre globe, il faut nous rendre compte comment les conditions d’existence de la terre dépendent de ses rapports avec les diverses parties actives du soleil. Il faut encore savoir comment l’émission de ces poussières est une conséquence de l’activité variable du soleil. Cela ne peut se faire qu’à l’aide de données statistiques très étendues.

De longues séries d’observations sont nécessaires pour se faire une idée de l’effet produit par ces poussières.

Ces particules très ténues emportent, lorsqu’elles sont repoussées au loin par le soleil, les gaz qu’elles ont pu condenser à leur surface, et qui faisaient primitivement partie de la chromosphère ou de la couronne solaire. Parmi eux, l’hydrogène est le plus important, après lui l’hélium et les autres gaz nobles dont Ramsay a démontré l’existence dans l’atmosphère terrestre. Ces gaz ne s’y trouvent qu’en quantités fort minimes. L’hydrogène ne s’y trouverait même pas normalement à l’état libre, suivant Liveing et (après lui) suivant Mitchell. On en trouve parfois, il est vrai, dans les produits gazeux des volcans, par exemple dans ceux du Kilauea, dans l’île Hawaï, mais il s’enflamme immédiatement en arrivant au contact de l’air. S’il existait à l’état libre dans notre atmosphère, il se combinerait petit à petit avec l’oxygène pour former de l’eau, et l’on est conduit à admettre qu’il nous arrive en petites quantités d’une autre source, qui ne peut être que le soleil. Mitchell considère ce fait comme un puissant argument en faveur de l’arrivée des poussières solaires dans noire océan atmosphérique.

Cette poussière solaire qui tombe sur notre globe doit naturellement varier avec l’activité éruptive du soleil. Chez nous, la quantité qu’on en trouve répandue dans les couches supérieures de l’atmosphère influence la couleur de la lumière que nous envoie en même temps le soleil. Après l’éruption du Rakata (Krakatoa) en 1883, et aussi, à un degré moindre après l’éruption de la Montagne Pelée, à la Martinique, tout le monde a pu observer ce qu’on a appelé plus spécialement les « lueurs rouges ».

On a remarqué en même temps un autre phénomène, qui, lui, a pu être soumis à des mesures.

On sait que la lumière du ciel est partout polarisée, sauf en un très petit nombre d’endroits. Parmi ces endroits il en est un que l’on désigne sous le nom de point d’Arago, qui est situé un peu au-dessus du point directement opposé au soleil. Un autre, appelé le point de Babinet, se trouve un peu au-dessus du soleil lui-même. Si l’on détermine la hauteur de ces deux points au moment du coucher du soleil, on trouve, tout à fait en accord avec les prévisions de la théorie, que cette hauteur est plus grande lorsque l’atmosphère est chargée de poussières que lorsque les conditions sont normales. Un savant allemand, M. Busch, a déterminé les hauteurs moyennes de ces points au moment indiqué ci-dessus. Il les a mis en regard avec le nombre annuel des taches, et il a pu établir le curieux tableau suivant, où les dites hauteurs sont indiquées en degrés au dessus de l’horizon :

ANNÉE POINT D’ARAGO POINT DE BABINET NOMBRE DES TACHES
du soleil
1886 20°,1 23°,9 23,1
1887 19°,7 21°,9 19,1
1888 18°,4 17°,9 16,7
1889 17°,8 16°,8 16,1
1890 17°,7 15°,4 16,5
1891 20°,6 23°,3 35,6
1892 19°,6 21°,5 73,8
1893 20°,2 24°,2 84,9
1894 20°,7 23°,3 78,0
1895 18°,8 19°,0 63,9
Moyenne 19°,4 20°,7 40,0

Il y a, dans la suite de ces chiffres, une marche régulière bien accusée. La période du maximum des taches solaires correspond exactement au maximum de l’altitude des points dits neutres. La même concordance existe pour les minima. Il semble seulement que les phénomènes dépendant de l’atmosphère marquent un léger retard sur les phénomènes correspondants du soleil.

Lorsque l’air est chargé de poussières, et qu’en même temps une forte ionisation a été produite par l’influence de rayons cathodiques, les circonstances sont favorables à la formation des nuages. C’est un effet facilement observable au moment de la production des aurores boréales. Celles-ci sont si régulièrement suivies par des nuages abondants, de forme caractéristique, qu’Adam Paulsen a réussi, à l’aide de ces nuages, à observer des aurores en plein jour.

Une autre concordance a été notée entre l’abondance de ces nuages, — des cirrus, — et les taches solaires. Klein les a observées avec suite à Cologne, et il a publié le résultat de ses observations de 1850 à 1900. Il a montré ainsi que pendant cette période, qui comprend plus de quatre périodes de onze ans des taches solaires, leurs maxima correspondent précisément aux années où l’on a observé le plus de cirrus. Les minima présentent, ici encore, la même concordance.

Il semble qu’une formation plus abondante de nuages se produise également sur la planète Jupiter, au moment où le soleil présente la plus grande abondance de taches. Vogel a remarqué qu’à ces moments-là, Jupiter brille d’une lumière beaucoup plus blanche que lors des minima des taches, où il parait rouge. Plus on réussit à plonger le regard dans la profondeur de l’atmosphère de cette planète, plus elle semble rouge. Lorsque l’activité du soleil est grande, les parties supérieures de l’atmosphère de Jupiter se remplissent de nuages.

La poussière solaire a également une certaine influence sur les comètes. M. Backlund (directeur de l’observatoire de Poulkovo, près de Saint-Pétersbourg) a fait de notables études sur certaines particularités du mouvement de la comète d’Encke. En soumettant au calcul les résultats très considérables de l’observation de cette comète, il a reconnu qu’elle avait dû éprouver une résistance très marquée à son mouvement, à des époques où les taches solaires étaient les plus abondantes. Cette résistance semble indiquer la présence de poussières dans l’espace parcouru par elle. Par la suite, cette résistance a varié avec l’abondance des taches. M. Berberich a constaté que les queues des comètes sont plus brillantes dans les années où on voit beaucoup de taches, que dans les années de minima. Il en résulte comme conséquence, que l’on découvre plus de comètes dans les années de maxima que dans les années moyennes. Cette particularité s’explique aisément par la luminosité plus grande que prennent les chevelures quand elles sont frappées par les poussières solaires chargées d’électricité.

C’est l’arrivée dans notre atmosphère de la poussière solaire chargée d’électricité qui est cause de la production des aurores boréales et australes.

Ces aurores se produisent, comme leur nom l’indique, principalement dans les régions qui environnent les pôles de notre globe. Elles n’ont cependant pas leur fréquence la plus grande dans le voisinage immédiat des pôles géographiques. Le maximum se produit dans les cercles qui comprennent les pôles magnétiques et géographiques. Le cercle qui, au Nord, correspond à leurs maxima passe par le cap Tcheljuskine, au nord de la Nouvelle-Zemble, par la côte nord-ouest de la Norvège, puis à quelques degrés au sud de l’Islande et du Groenland, traverse la baie d’Hudson et passe enfin à la pointe nord-ouest de l’Alaska. À partir de ce cercle, les aurores se manifestent beaucoup moins à mesure qu’on marche vers le Sud. On en observe à Stockholm cinq fois moins qu’en Laponie, et à Paris, trente fois moins.

Paulsen partage les aurores boréales en deux catégories, fort différentes les unes des autres. Si jusqu’à présent on a éprouvé tant de difficultés à résoudre les problèmes connexes à ces apparitions, c’est que, semble-t-il, on a eu le tort de vouloir
Fig. 38, Aurores en forme d’arc, observées par Nordenskiöld, détroit de Behring, 1879
Fig. 38. — Aurores en forme d’arc, observées par Nordenskiöld, pendant l’hivernage de la Vega, près du détroit de Behring. 1879.
appliquer à toutes les aurores le même raisonnement et la même critique. Les aurores de la première catégorie n’ont point de rayons. Elles occupent dans le ciel un vaste espace horizontal. Elles sont tranquilles, et leur lumière est étonnamment calme. Elles montent lentement vers le zénith, et aucune perturbation magnétique ne les accompagne. Ces aurores ont en général la forme d’un arc, dont le sommet se trouve dans la direction du méridien magnétique (voy. fig. 38). Il arrive assez fréquemment qu’il y ait plusieurs arcs superposés concentriquement.

Ce genre d’aurores fut observé par Nordenskiöld, très régulièrement, pendant la durée de la nuit polaire, lorsqu’il hiverna dans le voisinage du détroit de Behring, près de Pitlekaj. Adam Paulsen les a très souvent vues en Islande et au Groenland, dans des localités situées en dedans du cercle des maxima qui a été défini plus haut, où les aurores boréales sont d’une grande
Fig. 39, Aurore de forme rayonnante
Fig. 39. — Aurore de forme rayonnante.
fréquence. Il arrive qu’on en voit également au sud de ces régions, où elles prennent la forme de grands arcs d’un blanc laiteux qui montent très haut dans le ciel.

Dans les régions arctiques on observe souvent que de grandes étendues de ciel présentent une lumière diffuse, que l’on pourrait le mieux comparer à une nuée lumineuse, dans laquelle seraient répandues des parties plus sombres, mais dont l’obscurité n’est peut-être qu’un effet de contraste. Cette forme de l’apparition a été plusieurs fois remarquée par les membres de l’expédition suédoise, au cap Thordsen, en 1882–1883.

On a fréquemment observé, principalement dans les régions arctiques, des étendues lumineuses qui avaient si peu d’élévation qu’elles cachaient des collines situées un peu plus loin. Ainsi, par exemple, Lemström a vu au Spitzberg une aurore formant nappe, qui se trouvait entre lui et une paroi de montagne, dont la hauteur ne dépassait pas 300 mètres. Dans le nord de la Finlande il a observé une ligne d’aurore devant un drap noir placé à quelques mètres seulement de distance. Ces phénomènes sont rangés également par Adam Paulsen parmi les aurores boréales de la première catégorie ; il les considère
Fig. 40, Aurore boréale observée par Gyllenskiöld au Spitzberg, 1883
Fig. 40. — Aurore boréale, observée par Gyllenskiöld, au Spitzberg. 1883.
comme des nuages phosphorescents, que des courants atmosphériques ont fait descendre exceptionnellement bas, près du sol.

Les aurores de la seconde catégorie sont celles qui montrent les rayons si caractéristiques du phénomène généralement connu sous ce nom. Ces rayons sont parfois tout à fait distincts (fig. 39), mais en général ils se fondent les uns dans les autres, principalement vers le bas, ressemblant alors à des draperies flottant au vent (voy. fig. 41). Ces rayons ont à très peu près la direction de l’aiguille de la boussole d’inclinaison. Quand ils se développent beaucoup, de façon à occuper toute la voûte céleste, leur point de convergence est très nettement reconnaissable comme le point central d’une « couronne » (fig. 40). Quand une aurore atteint son maximum d’intensité elle semble parcourue par de nombreuses vagues lumineuses.

Les draperies semblent très minces ; Paulsen remarqua parfois au Groenland, qu’elles semblaient passer au-dessus de sa tête. Elles se présentaient alors en raccourci, par la tranche, et elles avaient la forme de lignes ou de bandes lumineuses.

Cette catégorie d’aurores influence l’aiguille aimantée. Quand elles franchissent le zénith, cette influence change de sens : la déclinaison passe de l’Est à l’Ouest, quand la bande va du Nord au Sud. Paulsen en conclut que les rayons contiennent de l’électricité négative (rayons cathodiques), cheminant du haut vers le bas. Ce type d’aurores correspond donc à de violents mouvements d’électricité négative, tandis que celles de la première catégorie semblent provenir d’une matière phosphorescente qui n’est pas animée de mouvements de quelque importance. Les rayons peuvent descendre jusque dans des couches atmosphériques très voisines du sol, tout au moins dans les contrées limitrophes du cercle des maxima. Nous citerons encore à ce sujet l’observation de Parry, qui, à Port Bowen (N-O de la terre de Baffin), a vu un rayon d’aurore boréale qui se produisait devant une côte dont la hauteur fut trouvée de 214 mètres.

Les aurores de la première catégorie peuvent passer dans la seconde, et réciproquement. L’arc calme de l’aurore émet parfois subitement des rayons, qui se dirigent vers le sol. Si l’aurore est forte, ces rayons s’élancent quelquefois aussi vers le haut. Par contre la violente agitation d’une aurore à draperies peut se calmer et faire place à une lumière paisible et diffuse qui couvre le ciel.

Les aurores calmes se voient surtout dans les régions arctiques. Plus loin du pôle elles ne se manifestent que par une lumière diffuse, qui semble répartie uniformément sur le firmament et qui donne la ligne blanchâtre dont nous avons déjà parlé.

Les aurores les plus fréquemment observées, même ailleurs que par les membres des expéditions arctiques, appartiennent à la seconde catégorie. Toutes celles sur laquelle nous donnerons plus loin quelques statistiques sont des aurores rayonnantes, à l’exception de celles d’Islande et du Groenland. Ces aurores rayonnantes suivent d’une façon très marquée la
Fig. 41, Draperies d’une aurore boréale, vue dans le Finmarken
Fig. 41. — Draperies d’une aurore boréale, vue dans le Finmarken (Norvège septentrionale).
période de 11,1 années des taches solaires. Elles deviennent bien plus fréquentes dans les années de taches abondantes, mais tel ne serait pas, d’après Tromholt, le cas pour celles d’Islande et du Groenland. Celles-là semblent être à peu près indépendantes de la fréquence des taches. Souvent les maxima des aurores correspondants aux maxima des taches sont dédoublés par un minimum secondaire.

Cette remarque s’applique le plus nettement aux contrées polaires, mais elle résulte également des statistiques scandinaves et d’autres pays.

Cherchons maintenant à comprendre très exactement quelle est la nature d’une aurore boréale. Pour cela nous allons étudier la couronne solaire d’une année de minima de taches, par exemple l’année 1900 (voy. fig. 30). Les rayons de cette couronne qui émanent du voisinage des pôles du soleil s’infléchissent latéralement sous l’influence des lignes de force magnétiques. Les particules très petites, chargées d’électricité négative, n’ont évidemment qu’une vitesse très faible, en sorte que leur trajectoire reste très voisine de ces lignes de force, et qu’elles finissent par se rassembler plus bas, dans le voisinage de l’équateur. Là, les lignes de force sont moins abondantes, par quoi nous voulons dire que les forces magnétiques sont elles-mêmes plus faibles. La poussière solaire peut donc être chassée par la force répulsive de façon à former un grand disque, contigu au plan équatorial du soleil. Ce disque nous apparaît, vu de la terre, sous forme de deux grands faisceaux de rayons qui s’allongent dans la direction de l’équateur solaire.

Ainsi chassée, une partie de cette poussière solaire arrive au voisinage de la terre. Elle y subit naturellement l’influence des lignes de force magnétiques de notre globe. Il en résulte qu’il se forme deux faisceaux qui se dirigeront vers les deux pôles magnétiques du globe. Ces pôles ne se trouvent pas à la surface, mais à une certaine profondeur, c’est pourquoi les rayons ne se dirigent pas tous vers le pôle magnétique superficiel. Il faut s’attendre à ce que les particules chargées négativement qui nous viennent du soleil se dirigent principalement vers une région située un peu au sud du pôle magnétique nord, lorsqu’il est midi pour celui-ci. Quand au contraire il est minuit au pôle magnétique nord, la plupart des particules chargées sont saisies par les lignes de force avant qu’elles ne passent le pôle Nord. C’est pourquoi le cercle des maxima des aurores entoure à la fois le pôle géographique de la terre et le pôle magnétique (voy. p. 134). La poussière chargée négativement se concentrera donc dans deux anneaux, au dessus des cercles des maxima. Elle causera une lueur phosphorescente quand elle rencontrera des molécules d’air, absolument comme si celles ci étaient frappées par les atomes électrisés du radium. Cette lueur phosphorescente se manifeste sous forme d’un arc lumineux dont la hauteur au-dessus de la surface terrestre est d’environ 400 kilomètres, comme l’ont indiqué les mesures de Paulsen. Le point culminant de cet arc semble toujours se trouver là où le cercle des maxima est le plus rapproché du lieu d’observation. Cette direction concorde, à fort peu de chose près, avec la direction de l’aiguille aimantée.

Le physicien norvégien Birkeland a fait un grand nombre d’expériences sur l’effet que produisent les rayons cathodiques sur une sphère en fer aimantée, qui pouvait représenter la terre. Ces rayons sont considérés comme formés de particules chargées négativement, animées d’une vitesse énorme. La sphère était recouverte d’un enduit phosphorescent, et dans son voisinage se trouvaient disposés des écrans également enduits de la même matière. Il devint ainsi possible de suivre exactement les trajets des rayons cathodiques qui impressionnaient la matière phosphorescente, et l’on obtint une reproduction très approchée du phénomène des aurores. M. Störmer, un autre savant norvégien a pu ensuite soumettre au calcul le trajet des molécules de cette sorte.

La couronne solaire se manifeste et se comporte tout autrement dans les années de maxima (voy. fig. 31). Les rayons se dirigent un peu dans tous les sens, suivant des lignes droites. Si quelques régions semblent particulièrement bien fournies, ce sont celles qui correspondent aux zones contenant les taches. La vitesse dont est animée alors la poussière solaire est évidemment beaucoup trop grande pour qu’elle puisse être influencée et déviée par les lignes de force magnétique. Par suite cette même poussière chargée ne sera pas très sensiblement influencée par les lignes magnétiques de la terre. Elle tombera surtout là où elle nous arrivera la plus dense. Ces rayons solaires « durs »[1] paraissent être émis par les facules, et comme ces facules existent en plus grande abondance dans les années où il y a beaucoup de taches, de même on voit beaucoup d’aurores boréales dans des régions fort éloignées des cercles de maxima, notamment lorsque les taches sont nombreuses.

L’inverse se produit pour les rayons de poussière solaire que nous appelons « tendres », qui arrivent toujours dans le cercle des maxima des aurores. Ces rayons se manifestent le plus souvent quand il y a un minimum de taches, comme le font voir les observations de la couronne. (Il est possible qu’ils soient entraînés par les rayons « durs » dans les années de maxima.) En conséquence on verra le plus d’aurores boréales de la sorte correspondante, dans les années de minima. Les deux sortes de rayons « durs » et « tendres » sont certainement émis simultanément, mais les premiers sont prédominants dans les années de maxima, les autres dans les années de minima.

On sait depuis longtemps que dans des régions autres que polaires, la périodicité des aurores boréales suit très exactement celle des taches solaires. La preuve en a été faite par M. Fritz depuis 1863. La période est assez variable, — de 7 à 16 ans —, mais en moyenne elle est de 11,1 années. Nous résumons, dans l’énumération ci contre, les millésimes des maxima et minima des unes et des autres.

TACHES
solaires.
AURORES
boréales.
TACHES
solaires.
AURORES
boréales.
Années de maxima. 1728
1739
1750
1762
1770
1778
1788



1730
1741
1749
1761
1773
1778
1788



1804
1816
1830
1837
1848
1860
1871
1883
1893
1905
1805
1819
1830
1840
1850
1862
1871
1882
1893
1905
Années de minima. 1734
1745
1755
1767
1776
1785
1798


1735
1744
1755
1766
1775
1783
1799


1811
1823
1834
1844
1856
1867
1878
1889
1900
1811
1822
1834
1844
1856
1866
1878
1889
1900

On a reconnu qu’il existe encore d’autres périodes ou fluctuations plus longues, comme l’a déjà prouvé de Mairan dans son ouvrage classique de 1746, et qui se rapportent aussi bien à la fréquence des taches qu’à celle des aurores. D’après Hansky il existerait une période de 72 ans ; d’après Schuster, il y en aurait une de 33 ans. On a constaté des maxima extrêmement marqués au commencement et à la fin du xviiie siècle ; le dernier fut celui de 1788, après quoi pendant toute la période de 1800 à 1830 les aurores boréales devinrent fort rares. Il en fut de même pendant une série d’années au milieu du xviiie siècle. Les années 1850 et particulièrement 1871 donnèrent des maxima très importants ; depuis lors nous sommes de nouveau dans une période de calme.

On trouve, dans la littérature qui concerne notre sujet, des indications fort diverses concernant la hauteur à laquelle se produisent les aurores. D’une façon générale cette hauteur semble être d’autant plus grande que le lieu de l’observation est plus voisin de l’équateur. Cela concorde très bien avec la faible déviation des rayons cathodiques vers la surface du globe, dans les contrées éloignées du pôle. On a cherché à mesurer ces hauteurs, et Gyllenskiöld a trouvé, au Spitzberg, une hauteur moyenne de 55 kilomètres. Dans le Nord de la Norvège, Bravais a trouvé de 100 à 200 kilomètres. Dans le centre de l’Europe, de Mairan l’a évaluée à 900 kilomètres mais Galle, par contre, à 300 kilomètres. Au Groenland, Paulsen a observé des aurores de très faible hauteur. En Islande, il trouva pour hauteur du point culminant des aurores en arc, 400 kilomètres. Or, ce point peut être considéré comme l’origine de l’aurore.

Ces hauteurs, dont les plus anciennes mesures n’offrent pas une certitude très absolue, correspondent assez bien à l’ordre de grandeur que l’on attribuerait à la distance où la poussière solaire entrerait en contact avec notre atmosphère.

Il existe encore, pour les aurores, une périodicité annuelle, que l’on explique très aisément à l’aide de la théorie de la poussière solaire. Ainsi que nous l’avons dit, les taches ne se produisent que très rarement dans le voisinage immédiat de l’équateur du soleil. La même chose est vraie pour les facules. Dans des latitudes un peu plus élevées, elles augmentent rapidement, et leur plus grand nombre se trouve vers le 15e degré de latitude.

Le plan de l’équateur solaire est incliné d’environ 7 degrés sur le plan de l’écliptique. La terre se trouvera donc dans le plan de cet équateur le 6 décembre et le 4 juin de chaque année, et sa plus grande élongation a lieu trois mois plus tard. On peut donc s’attendre à un minimum de chute de cette poussière solaire, quand en décembre et juin, la terre rencontre le plan équatorial. Les maxima correspondraient par contre aux mois de mars et de septembre. L’observation de ces faits est un peu gênée par le crépuscule qui, par les nuits claires de l’été, empêche l’observation des aurores dans les régions polaires. Les nuits sombres de l’hiver favorisent au contraire leur observation. Il a cependant été possible d’établir pour un certain nombre de pays un résumé qui fait voir la répartition des aurores sur les différents mois de l’année. J’ai établi ce tableau avec le concours de M. Ekholm.

 Suède. Norvège. Islande
et Groenland.
États-Unis
d’Amérique.
Aurores
australes.
1883-96 1861-95 1872-92 1871-93 1856-94
Janvier
1 056 251 804 1 005 056
Février
1 173 331 734 1 455 126
Mars
1 312 335 613 1 396 183
Avril
11568 090 128 1 724 148
Mai
11170 006 001 1 270 054
Juin
1110 000 000 1 061 040
Juillet
1154 000 000 1 233 035
Août
11191 018 040 1 210 075
Septembre
1 055 209 455 1 735 120
Octobre
1 114 353 716 1 630 192
Novembre
1 077 326 811 1 240 112
Décembre
11940 260 863 11912 081
 
Moyennes
11727 181 430 1 322 102

Il y a des contrées où la différence entre la durée du jour et de la nuit n’est pas très grande aux diverses époques de l’année. Tel est le cas aux États-Unis et dans des contrées situées vers le 40e degré de latitude Sud où l’on peut observer des aurores australes. On trouve alors que le minimum principal a lieu en hiver. Dans l’hémisphère Nord il se produit en décembre, dans l’hémisphère Sud, en juin ou en juillet. Un minimum moins marqué se présente en été.

Parmi les époques où la terre passe dans le plan équatorial du soleil et où il arrive sur notre globe un minimum de poussières, celles-là se distinguent par des apparitions de l’aurore plus fréquentes, qui correspondent à l’altitude la plus grande du soleil. C’est à quoi il faut s’attendre, car la plus grande partie des poussières solaires tombe sur les parties du globe où le soleil, passant au méridien, a la plus grande altitude. Les deux maxima de mars et avril, de septembre et octobre, qui correspondent à l’éloignement le plus grand de la terre du plan équatorial du soleil sont très nettement marqués dans toutes les statistiques, sauf en Islande et au Groenland. Ici, la fréquence visible des aurores dépend uniquement de l’intensité de la lumière crépusculaire. Il n’existe en conséquence qu’un maximum, celui de décembre ; le minimum correspondant a lieu en juin. Il convient de remarquer toutefois qu’une statistique d’observations plus récentes (1891–1903) donne un minimum en décembre. C’est par la même raison que le minimum d’été est très faible dans les pays situés sous les latitudes élevées, comme la Suède et la Norvège.

Une raison tout analogue rend très difficile de déterminer la période journalière des aurores. La plus grande proportion des poussières solaires tombe aux environs de midi, et le plus grand nombre d’aurores devrait faire son apparition un peu après midi, tout comme la chaleur diurne se fait sentir un peu après le passage du soleil au méridien. Par suite du fort éclairage par le soleil, il est évident que ce maximum ne peut s’observer que dans la nuit arctique des régions polaires, et encore, à condition d’y faire une correction de l’influence troublante de la lumière crépusculaire. C’est en opérant ainsi que Gyllenskiöld a trouvé au cap Thordsen, au Spitzberg, un maximum à 2 heures 40 minutes. Le minimum correspondant avait lieu à 7 heures 40 minutes du matin. En d’autres endroits on arrive seulement à constater que les aurores sont plus vives et plus fréquentes avant minuit, plutôt qu’après. Dans l’Europe centrale le maximum se produit vers 9 heures du soir, en Suède et Norvège (sous 60 degrés de latitude) une demi-heure à une heure plus tard.

On a constaté encore, pour les aurores, quelques autres périodes, à peu près mensuelles. L’une de 25,93 jours est particulièrement marquée pour les aurores australes : pour elle le maximum dépasse la fréquence moyenne de 44 p. 100. En Norvège, pour les aurores boréales, ce chiffre est de 23 p. 100, et en Suède seulement 11 p. 100[2]. Cette période est connue depuis longtemps pour une série d’autres phénomènes, principalement magnétiques, qui sont, comme nous le verrons plus loin, en étroite connexité avec le phénomène des aurores, mais qui s’observent également à l’occasion d’orages et d’accidents dans la pression atmosphérique. On a pendant longtemps cherché quelle relation il pouvait y avoir entre cette période et la rotation du soleil. Le savant autrichien Hornstein a été jusqu’à proposer de déterminer avec une grande exactitude la durée de cette période parce qu’elle « devrait fournir une valeur pour la rotation du soleil, plus exacte que celle donnée par l’observation directe ». Nous savons aujourd’hui que cette rotation n’est pas la même aux différentes latitudes, un fait que Carrington et Spörer avaient déduit du mouvement des taches, mais qui a été définitivement établi par les mesures spectroscopiques faites par Dunér, Halm et Adams du mouvement de la photosphère. Parmi elles, celles d’Adams (1908) semblent les plus précises. Il a déterminé les périodes suivantes de rotation sidérale, auxquelles correspondent les révolutions synodiques également indiquées[3].

Latitudes du soleil
200 15 30 45 60 75 degrés.
Rotation sidérale
024,5 25,9 26,3 28 29,5 30,6 jours.
Rotation synodique
026,3 27,9 28,4 30,4 32,1 33,4 jours.

Ce fait que la rotation de la photosphère solaire, et celle des taches, des facules et des protubérances augmente de durée à mesure que la latitude augmente, est un des phénomènes mystérieux de la physique du soleil. On observe quelque chose d’analogue dans les nuages de Jupiter, mais là, les différences sont beaucoup moins marquées. Elles n’atteignent guère que un pour cent. Les nuages de notre atmosphère terrestre se comportent d’une façon tout opposée, ce qui s’explique aisément par les conditions de la circulation atmosphérique[4].

Dans le cas que nous considérons, la position du soleil par rapport à la terre a seule de l’importance. On voit que la période de 25,93 jours ne correspond à aucune des durées de rotation synodique d’une partie quelconque de la photosphère solaire. La plus faible différence est celle qui se rapporte à l’équateur, et il semblerait indiqué que ce fut avec celui-ci que nous établissions nos comparaisons, car la terre ne s’écarte jamais beaucoup du plan équatorial solaire. Elle y retourne d’ailleurs périodiquement deux fois par an.

Une autre particularité vient s’ajouter à ce qui précède. Plus un point est éloigné du centre du soleil, plus sa rotation est rapide, sa durée plus courte. Ainsi, la révolution synodique des facules à l’équateur solaire est, — en moyenne —, de 26,06 jours, celle des taches de 26,82 jours et celle de la photosphère de 27,3 jours. En ce qui concerne les masses d’hydrogène qui se trouvent plus haut, c’est-à-dire plus éloignées du centre, Adams a fait voir qu’elles ont, sur toute la surface du soleil, la même vitesse, savoir environ 23 jours de rotation sidérale ou 24,5 jours de rotation synodique. Certaines facules plus éloignées du centre tournent en moins de 26 jours, et nous arrivons ainsi à cette conclusion, que la durée de nos périodes de 25,93 jours est d’accord avec celle de la rotation des facules situées très haut dans la région équatoriale du soleil, et qu’elle est probablement connexe à celle-ci. Cela vient correspondre parfaitement à l’idée que nous nous faisons de la physique du soleil.

C’est en effet dans les courants gazeux ascendants que se forment les facules, dans des couches un peu moins élevées que celles qui produisent les gouttelettes chassées par la pression de radiation. Cette pression est effectivement la plus grande, précisément dans le voisinage des facules.

La même raison fait que la répulsion des poussières solaires est la plus énergique quand les facules sont très développées, c’est-à-dire aux périodes d’une grande activité éruptive du soleil, ce qui correspond encore à l’abondance des taches.

Il est probable que la température des parties périphériques du soleil est plus élevée quand les taches sont nombreuses, que lorsqu’elles sont rares, car les facules et les taches sont les résultats d’une sorte de brassage dans les couches extérieures. Il a pour conséquence d’amener les parties intérieures, plus chaudes, dans l’atmosphère solaire. Certaines observations faites par Saveljeff, à Kiew, sur l’intensité de la radiation solaire, semblent appuyer à ce point de vue. Mais simultanément avec ce phénomène la quantité d’atomes de poussière augmente, tant dans l’atmosphère solaire que dans celle de la terre, et aussi dans l’espace entre les deux astres. L’état nuageux augmente par suite. Ces circonstances font que le rayonnement effectif du soleil sur la terre diminue lorsque le nombre des taches augmente. M. Köppen a constaté que sous les tropiques la température baisse de 0°,32 C au-dessous de la moyenne lorsque les taches atteignent leur maximum. Par contre, cinq ans plus tard, c’est-à-dire un an avant le minimum, cette température atteint son maximum, soit 0°,41 C au-dessus de la moyenne. La même chose se produit dans d’autres régions du globe, mais on s’en aperçoit moins facilement. Le physicien français M. Nordmann a confirmé sous tous les rapports les résultats de M. Köppen.

Il nous reste encore à signaler une autre période, qui est en relation avec les phénomènes des aurores. C’est celle du mois tropique, qui est de 27,3 jours. Cette période est très peu connue encore, il est possible qu’elle dépende de l’état de charge électrique de la lune. Cette période a cela de particulier qu’elle se produit en sens inverse dans les deux hémisphères Nord et Sud. Lorsque la lune se trouve au-dessus de l’horizon, il semblerait qu’elle influe négativement sur la
Fig. 42, Variation de la déclinaison de Kew, près de Londres
Fig. 42. — Variations de la déclinaison à Kew, près de Londres, les 15 et 16 novembre 1905. Une grande perturbation, qui se produisit le 15 novembre à 9 heures du soir, correspond à la plus grande intensité de l’aurore.
production des aurores, les empêchant. Mais il faut naturellement dans ces cas tenir compte aussi de la gêne qu’apporte aux observations la lumière de la lune.

On sait depuis longtemps, — les observations de Celsius et de Hiorter, en 1741, l’ont fait connaître —, que les aurores influent sur la direction de l’aiguille aimantée. On en a tiré la conclusion que les aurores avaient pour cause des décharges électriques, qui, elles aussi, influent sur l’aiguille. Ces manifestations magnétiques ont, sur les aurores, le grand avantage que leur observation n’est pas gênée par la lumière du soleil ou de la lune. Mais comme nous l’avons déjà dit (p. 138), l’aurore à rayons de la seconde catégorie, produit seule cet effet magnétique (comp. fig. 42 et 43).

Ces variations magnétiques ont absolument les mêmes périodes que les aurores et que les taches solaires. D’abord, en ce qui concerne la période la plus longue de 11,1 années, les observations ont fait reconnaître que les perturbations, — c’est-à-dire des variations subites dans la position qu’occupe l’aiguille aimantée —, reflètent fidèlement les variations des taches solaires. Dès 1852 cette connexité fut reconnue par Sabine en Angleterre, par Wolf en Suisse et par Gautier en
Fig. 43, Marche de l’intensité horizontale des 15 et 16 novembre 1903 à Kew, près de Londres
Fig. 43. — Marche de l’intensité horizontale les 15 et 16 novembre 1905, à Kew. Le 15 novembre une aurore boréale extraordinairement brillante fut observée en Galicie, Allemagne, France, Norvège, Angleterre et Irlande aussi bien qu’en Nouvelle-Écosse (Canada occidental). Son maximum eut lieu vers 9 heures du soir. Déjà vers 6 heures elle se montra exceptionnellement brillante.
France. Mais la variation diurne de l’aiguille est également soumise à la même périodicité. L’aiguille aimantée dirige son extrémité Nord vers le Nord avec, dans nos régions, une faible déviation vers l’Ouest. Cette déviation occidentale a son maximum un peu après midi, vers 1 heure. Elle est plus grande en été qu’en hiver, et son mouvement est plus grand de jour que de nuit. Il est donc évident qu’il s’agit ici d’un effet d’influence du soleil. Cela apparaît plus clairement encore quand on compare les changements dans la variation diurne avec le nombre des taches. Nous donnons ici un petit tableau qui enregistre cette variation de la déclinaison à Prague pour les années 1856 à 1889. Les années de maxima et de minima des taches solaires sont seules indiquées, de même que celles des variations magnétiques.

 
Années
1856 1860 1867 1871 1879 1884 1889
Nombre de taches
04,3 95,7 07,3 139,1 03,4 63,7 06,3
 
Années
1856 1859 1867 1871 1878 1883 1889
Variation diurne
observée
5,98 10,36 6,95 11,43 5,65 8,34 5,99
de la déclinaison
calculée[5]
6,08 10,20 6,22 11,15 6,04 8,76 6,17

Il est aisé de voir que les années des maxima et des minima concordent à fort peu de chose près pour les deux phénomènes. La concordance est si évidente que l’on peut considérer qu’il y a une relation linéaire entre la variation diurne et le nombre des taches, ce qui résulte des deux dernières lignes du tableau.

La variation annuelle est encore tout à fait la même que celle des aurores. Le tableau ci-dessous le montre par le résumé des variations magnétiques et la comparaison avec le tableau de la page 145. L’unité adoptée pour la mesure de ces variations est la moyenne annuelle elle-même.

 Janvier. Février. Mars. Avril. Mai. Juin.
Toronto. Déclinaison
0.57 0,84 1,11 1,42 0,98 0,53
Tonto Comp. horiz.
0,56 0,94 0,94 1,50 0,90 0,36
Tonto Comp. vertic.
0,57 0,74 1,08 1,49 1,12 0,50
Greenwich, Moyenne
0,93 1,23 1,22 1,09 0,81 0,71
 
Juillet. Août. Septembre. Octobre. Novembre. Décembre.
Toronto. Déclinaison
0,94 1,16 1,62 1,31 0,78 0,76
Tonto Comp. horiz.
0,61 0,75 1,71 1,48 0,98 0,58
Tonto Comp. vertic.
0,71 1,08 1,61 1,29 0,75 0,61
Greenwich. Moyenne
0,81 0,90 1,15 1,18 1,02 0,83

M. Van Bemmelen a calculé la variation diurne des perturbations pour les années 1882 et 1895. Ses observations ont été faites à Batavia, dans l’île de Java. Le maximum a lieu à 1 heure de l’après-midi, et sa valeur atteint les 1,83 de la moyenne du jour. Le minimum a lieu à 11 heures du soir ; sa valeur est de 0,48. De 8 heures du soir à 3 heures du matin les perturbations sont aussi peu fréquentes qu’à 11 heures du soir.

La variation la plus grande est celle de l’aiguille de déclinaison. Elle atteint un maximum de 3,26 à midi, et un minimum de 0,14 à 11 heures du soir.

La période d’environ 26 jours (v. p. 147) a été en premier lieu étudiée par Hornstein. Elle a été reconnue par plusieurs savants, Broun, Liznar et C. A. Muller, dans les variations et perturbations magnétiques. Pour Schuster cette période ne serait pas encore démontrée, les observations probantes étant encore trop peu nombreuses.

La lune a une influence peu sensible sur l’aiguille aimantée, ainsi que Kreil l’a fait voir dès 1841. Cette influence est de sens opposé dans les deux hémisphères Nord et Sud. Elle correspond à une sorte de phénomène de marée.

Les rayons ultra-violets émis par le soleil sont fortement absorbés lors de leur passage dans l’atmosphère terrestre. Ils y provoquent l’ionisation des molécules d’air. Cette ionisation est en général plus active dans les régions supérieures. Les courants d’air ascendants emportent avec eux de la vapeur d’eau, qui arrive à se condenser de préférence sur les ions négatifs. C’est ainsi que les nuages sont pour la plupart chargés d’électricité négative, ce que déjà Franklin parvint à prouver, à l’aide de son cerf-volant. Après que les gouttes d’eau de pluie sont tombées, l’air qui les contenait reste chargé positivement, comme on l’a reconnu par des ascensions de ballons. Les nuages qui se forment aux plus grandes hauteurs sont les plus fortement chargés ; de là vient que sur la terre ferme les orages sont les plus fréquents en été. Là aussi, c’est-à-dire pour les orages, on a reconnu une période de 26 jours, Bezold l’a constaté pour l’Allemagne du Sud, M. Ekholm et moi-même pour la Suède. Leur maximum se produit 8,3 jours après le maximum des aurores, ce qui est à peu près égal à une demi-période.

La période longue du soleil, soit 11,1 années, se marque aussi dans la fréquence des orages. D’après les recherches de Hess sur les orages en Suisse, il y en eut 103,6 par an dans les années 1900–1902 qui étaient pauvres en taches solaires. Le nombre des taches n’y fut que de 5,7 par an en moyenne. Par contre dans les années 1895 et 1905, qui étaient des années de maxima (60,6 taches par an) les orages furent au nombre de 79,3.

La période tropique lunaire de 27,3 jours est observable aussi pour les orages et pour les aurores. Les deux maxima se produisent ensemble, c’est-à-dire quand la lune se trouve le plus bas possible sur l’horizon. Le maximum pour l’hémisphère Nord a lieu une demi-période avant celle de l’hémisphère Sud.

Les diverses stations météorologiques ont réuni une masse considérable de matériaux d’observation, relatifs aux orages et surtout aux phénomènes magnétiques. Leur étude détaillée est cependant très loin encore d’être faite.

Quelques observateurs, comme Sidgreaves, doutent encore de la corrélation étroite qui existe entre les taches solaires, les aurores polaires et les perturbations magnétiques. Ils remarquent en effet que l’on a constaté le passage sur le soleil de fortes taches, sans que, la terre étant même au point le plus rapproché du soleil, on ait observé un effet magnétique quelconque. Mais la plupart des savants partagent certainement cette opinion que les perturbations de l’aiguille aimantée sont produites par les taches, quand elles passent au méridien solaire faisant face à la terre.

Ainsi, par exemple, Maunder a pu étudier la tempête magnétique et l’aurore qui ont suivi le passage par le méridien solaire d’une grande tache, du 8 au 10 septembre 1898. L’effet maximum en fut constaté environ 21 heures après ce passage au méridien.

De même Riccò a trouvé une différence de 45,5 heures entre le passage d’une tache au méridien et le plus grand effet magnétique. Il a basé ses observations sur 10 cas, où il a été possible de faire des observations d’une grande précision. Il a de même soumis au calcul les observations qui avaient été faites par Ellis, et que Maunder avait étudiées. Elles lui ont fourni des chiffres sensiblement pareils : la différence serait, dans cette série, de 42 heures et demie.

Ces résultats correspondent à une vitesse moyenne des poussières solaires de 910 et 980 kilomètres par seconde. Il n’y a du reste aucune difficulté à calculer le temps que mettrait une goutte de 0,00016 mm. de diamètre (cette dimension est celle qui correspond à la plus grande vitesse) et ayant le poids spécifique de l’eau, pour venir du soleil jusqu’à la terre. Elle sera soumise, pour cela, à l’action de la pesanteur exercée par le soleil, et à celle de la force répulsive qui est environ 2,5 fois plus grande.

On trouve comme résultat de ce calcul 56 heures, ce qui correspond à une vitesse moyenne de 740 kilomètres par seconde. Pour que cette poussière solaire pût se mouvoir aux vitesses déterminées par Riccò, sa densité devait être inférieure à l’unité, soit 0,66 et 0,57. Cette valeur n’a rien d’invraisemblable si l’on admet que les gouttelettes sont formées de carbures d’hydrogène, contenant en dissolution de l’hydrogène, de l’hélium et d’autres gaz nobles. Ainsi que nous en avons fait la remarque plus haut, à propos des queues cométaires, on arrive à des vitesses plus grandes pour la poussière solaire si l’on suppose qu’elles sont formées de margarites feutrées de carbone, de silicates ou de fer, toutes matières qui sont les parties constituantes principales des météorites.

Il convient peut-être de faire remarquer ici, que la lumière de l’aurore, examinée spectroscopiquement, a donné comme raie principale, celle du gaz noble le krypton. Comme ce gaz n’existe dans notre atmosphère que dans des proportions infinitésimales, il n’est pas improbable qu’il soit apporté par les poussières solaires, et que son spectre soit produit par la libération de sa charge électrique. Les autres raies données par les aurores sont celles de l’azote, de l’argon et des autres gaz nobles. Mais la quantité de ces gaz nobles qui est transportée de cette façon dans l’atmosphère est certainement extrêmement insignifiante.

Les phénomènes électriques de notre atmosphère ont une importance relativement grande en ce qui concerne la vie organique, et par conséquent aussi pour l’homme. C’est par des décharges électriques que l’azote de l’air arrive à se combiner avec l’oxygène et avec l’hydrogène et à produire ainsi les combinaisons ammoniacales, les nitrites et les nitrates dont l’importance pour la végétation est aujourd’hui reconnue. Il semble que ces combinaisons ammoniacales, qui jouent un si grand rôle dans les contrées tempérées, soient produites surtout par les décharges tranquilles, qui correspondent à la nature des aurores. Au contraire les combinaisons oxygénées qui abondent dans les régions tropicales sont plutôt le produit des orages. Elles arrivent au sol par la chute des pluies, et elles y produisent leurs effets bienfaisants sur la végétation. La quantité d’azote ainsi liée par des combinaisons chimiques, qui se répand dans le sol, s’élève, en Europe, à environ 1,25 gr. par mètre carré et par année. Sous les tropiques il y en a environ quatre fois plus. Si l’on admet une moyenne de 3 grammes pour l’ensemble des parties continentales du globe, cela correspond à 3 tonnes par kilomètre carré, et pour toute la terre ferme (136 millions de kilomètres carrés) à 400 millions de tonnes par an. Une très faible partie seulement de ce total tombe sur des terres cultivées, mais le surplus n’est pas pour cela entièrement perdu. Les forêts, les steppes herbeux, etc., en profitent.

Il peut être intéressant de mettre ces chiffres en regard de ceux de la consommation des nitrates du Chili. Ceux-ci donnèrent à l’agriculture, en 1880, 50 000 tonnes, en 1890, 120 000 tonnes, en 1900, 210 000 tonnes et en 1905, 260 000 tonnes. Il faut ajouter à ces nitrates naturels les produits azotés que livrent les usines à gaz sous forme de sels ammoniacaux. On peut les estimer au quart environ de la quantité des nitrates. À ce total il faudrait encore ajouter la production en sels ammoniacaux des États-Unis, mais ce que nous avons dit suffit pour se rendre compte que l’azote artificiel, répandu sur la terre pour favoriser la végétation, ne s’élève pas à la millième partie de celle que fournit directement la nature.

On peut évaluer à 3 980 billions de tonnes la quantité d’azote que contient l’atmosphère terrestre. C’est dire que les combinaisons résultant de l’action de l’électricité n’affectent annuellement qu’un trois millionième de cette quantité totale, — en admettant que l’océan reçoit autant de produits azotés que la terre ferme. L’azote ainsi combiné fait prospérer la végétation terrestre ou aquatique. Après que l’activité vitale des plantes a parcouru son cycle, cet azote retourne soit dans l’atmosphère, soit à l’océan, dont la teneur en azote se trouve, par la dissolution, en équilibre avec celui de l’air. Il n’y a donc pas à craindre une diminution sensible de l’azote de l’air, ce qui concorde avec ce fait qu’aucune accumulation progressive des combinaisons azotées n’a été remarquée, ni dans les parties solides ni dans les parties liquides du globe.

Comparons ces faits avec ce qui se passe pour l’acide carbonique (voy. p. 61). Le cycle annuel de la végétation du globe n’en absorbe pas moins d’un cinquantième du contenu de l’atmosphère. Comme cet acide carbonique est la source de production de l’oxygène, et que l’air contient, en volume, à peu près sept cents fois plus que l’acide carbonique, la circulation, par combinaison, de l’oxygène de l’air, en affecte environ la 35 000e partie. En d’autres mots, l’oxygène de l’air prend part aux phénomènes de la végétation environ cent fois plus que l’azote, ce qui est d’ailleurs tout à fait d’accord avec les propriétés chimiques plus actives de ce corps.

Les particules négativement chargées, qui, venant du soleil, se trouvent transportées dans les parties supérieures de l’atmosphère terrestre, se déchargent de leur électricité, comme nous l’avons vu, par les aurores, en partie vers la terre. Par suite il y a augmentation de la charge négative de la terre, concordante avec l’augmentation des taches solaires. Cette charge se mesure par ce qu’on appelle l’électricité atmosphérique, c’est-à-dire, par la diminution du potentiel électrique mesuré en volts, par mètre de hauteur, lorsque l’air est pur. À Kew, près de Londres, Chree trouva qu’en moyenne le potentiel augmentait de 147 volts par mètre de hauteur dans les années de minima 1900 à 1902. Cela représente 8 p. 100 de moins que la moyenne des années d’observation 1898 à 1904, où la moyenne de l’accroissement du potentiel fut de 159 volts par mètre.

Avant de quitter ce sujet, il nous faut brièvement faire mention d’un phénomène très singulier, connu sous le nom de lumière zodiacale. On voit cette lumière toutes les nuits lorsque le temps est clair, quelques heures avant ou après le lever ou le coucher du soleil. Dans nos régions il est rare de l’apercevoir, sinon aux environs des équinoxes. On le décrit en général comme un cône de lumière dont la base est près de l’horizon, et dont l’axe se trouve près du plan de l’écliptique, — le zodiaque. De là son nom.

Le spectre de cette lumière est continu, d’après Wright et Liais. On affirme que sous les tropiques sa luminosité est égale à celle de la voie lactée.

Il n’y a aucun doute que cette lumière est produite par des particules poussiéreuses éclairées par le soleil. On pensait, en conséquence, que cette poussière formait, autour du soleil, un anneau, et que cet anneau était un résidu de cette nébuleuse primitive, qui, d’après l’hypothèse de Kant et de Laplace a été l’origine de la condensation de notre système solaire.

Parfois on remarque, partant de la pointe extrême de la
Fig. 44, Lumière zodiacale sous les tropiques
Fig. 44. — Lumière zodiacale sous les tropiques.
lumière zodiacale, une bande lumineuse faible, qui s’étend tout en travers du ciel nocturne, dans le plan de l’écliptique. Dans la région qui est en opposition directe avec le soleil, cette bande s’élargit, et semble plutôt une tache lumineuse, grande, diffuse, et peu définie. Elle a environ 12 degrés de largeur et 9 degrés de hauteur. On la désigne en général sous le nom de reflet (Gegenschein). Elle fut décrite pour la première fois par Pezenas, en 1780.

L’explication la plus plausible de ce reflet, est qu’il est produit par de petites météorites ou par des particules poussiéreuses incandescentes, qui sont en voie de tomber vers le soleil. Tout comme la position réelle de la couronne de l’aurore boréale, il semble que celle de ce reflet ait pour cause un effet de perspective. Les trajectoires de ces petits corps seraient dirigées vers le soleil, et doivent par conséquent paraître émaner d’un point qui lui est directement opposé par rapport à la terre.

Mais nous ne savons encore que fort peu de chose de ce Gegenschein. La position même de la lumière zodiacale, le long de l’écliptique, a été mise en doute, car des observations plus récentes semblent indiquer qu’elle se trouverait plutôt dans le plan de l’équateur solaire. Quoi qu’il en soit, l’opinion parait bien fondée, qui veut que sa lumière provient de corpuscules qui viennent du soleil ou qui y tombent. Pour nous, c’est là une confirmation que la masse de poussière solaire est certainement considérable, et qu’on peut bien la considérer comme la cause qui produit ces étranges apparitions.


  1. Cette désignation de rayons de poussière solaires « durs » et « tendres » correspond aux désignations analogues que l’on applique aux rayons cathodiques. Les rayons « tendres » ont une plus petite vitesse, et sont, par suite, déviés plus fortement par des forces extérieures comme les forces magnétiques.
  2. Cela provient de ce que dans les régions australes l’on n’a encore enregistré qu’un nombre relativement faible, et seulement les aurores très importantes. Si, dans un pays étendu on s’applique à faire les observations avec un très grand soin, et à des endroits multiples, on constate qu’il y a presque toutes les nuits une aurore. C’est ce qui fait que les périodes, constatées seulement par le nombre absolu, deviennent moins marquées.
  3. On entend par durée de rotation sidérale d’un point du soleil, le temps qui s’écoule entre les deux instants où une étoile donnée passe par le plan méridien dudit point, c’est-à-dire par le plan qui passe par les pôles solaires et le point. La rotation (ou révolution) synodique se détermine par le passage de la terre par le même plan méridien de l’astre. Par suite du cheminement de la terre dans son orbite la rotation synodique est plus longue que la sidérale.
  4. Peut-être les couches atmosphériques les plus élevées (de 20 à 80 kilomètres d’élévation) font-elles une exception à cet égard. Les nuages lumineux nocturnes, qui furent vus à Berlin de 1883 à 1892 (après l’éruption du Krakatoa) et qui se tenaient dans ces régions élevées, avaient par rapport à la surface du globe, un mouvement de sens inverse à celui des cirrus, qui cheminent vers l’Est.
  5. Ces valeurs sont données par la formule , où est la déclinaison. et des constantes déterminées et le nombre de taches. La formule est toute empirique, mais on voit qu’elle conduit à des vérifications remarquables.