Traduction par Théophile Seyrig.
Librairie polytechnique Ch. Béranger, éditeur (p. 1-41).

I

PHÉNOMÈNES VOLCANIQUES
ET TREMBLEMENTS DE TERRE

Des catastrophes sismiques d’une importance exceptionnelle ont dans ces derniers temps ramené l’attention sur les forces puissantes des éruptions volcaniques ou des tremblements de terre. Tout le monde a encore présent à l’esprit celle qui, en avril 1906, a ravagé les riantes campagnes des environs du Vésuve, celles de Californie et du Chili, où la capitale, Valparaiso, a été presque détruite. Plus récemment enfin celle du 28 décembre 1908 a causé à Messine, à Reggio, et dans tout le pays environnant, des pertes énormes de vies humaines et de propriétés. À l’exception de ce dernier cataclysme, qui est un des plus grands dont l’histoire gardera le souvenir, les autres sont cependant insignifiants, si on les compare à certains bouleversements plus anciens, dont le récit est venu jusqu’à nous.

L’éruption volcanique la plus violente de notre époque est sans doute celle des 26 et 27 août 1883 qui a fait disparaître environ les deux tiers de l’île de Krakatoa. Cette île, qui se trouve dans le détroit de la Sonde entre Sumatra et Java, avait une surface d’environ 33 kilomètres carrés. Bien qu’elle fût inhabitée elle-même, l’explosion qui la fit disparaître presque en entier entraîna cependant la mort de 40 000 personnes environ, principalement par l’effet de la puissante vague qui fut créée par le phénomène, et qui causa des raz de marée considérables dans toutes les régions avoisinantes de l’île.

Les conséquences du tremblement de terre de février et mars 1783, dans les Calabres, avaient été plus grandes encore. Le 5 février de cette année, l’importante ville de Messine fut détruite, et l’on estime à 100 000 le nombre des personnes tuées dans cette occasion. Cette même région, mais plus particulièrement celle des Calabres, a été affligée le 3 septembre 1905 par toute une série de secousses destructives.

Une autre catastrophe, qui est restée historique par suite du nombre considérable de victimes humaines qu’elle a faites, est celle qui détruisit la capitale du Portugal, la ville de Lisbonne, le 1er  novembre 1755. Il y eut, selon les uns, 90 000 morts, selon d’autres, 30 000. Là encore, ce fut un raz de marée, formant une vague d’au moins 5 mètres de hauteur, qui se jetant sur les quartiers bâtis sur le rivage, noya au moins les deux tiers du total des victimes.

Les pertes matérielles les plus importantes furent celles de San-Francisco. On les évalue à 760 millions de francs, puis celles de Sicile et de Calabre (1908) où on les estime à 800 millions. En Californie il y eut relativement peu de vies perdues. Officiellement leur nombre n’est que de 709, mais il est probable qu’un nombre assez considérable de cas n’ont pas été enregistrés, des marins, des Chinois, des Japonais, etc. La dernière catastrophe de Sicile au contraire, a causé de nombreuses morts : on les estime à 90 000 au moins.

Le volcan le mieux connu, sur lequel on a pu faire les études les plus suivies, est le Vésuve. Du temps de la splendeur de Rome, ce Vésuve était une montagne paisible, un cône d’éruption éteint, et dont l’histoire ne rappelait aucune période d’activité. Tout autour de lui des colonies grecques s’étaient établies, attirées par la fertilité extrême du sol. Leur richesse était notoire, et avaient fait donner à la région le nom de la Grande Grèce. La catastrophe de l’an 79 fut foudroyante. Elle est connue de tous, pour avoir entraîné la destruction des villes de Pompéi et d’Herculanum. Les masses gazeuses qui, dans cette éruption, se firent jour, déplacèrent une importante partie du vieux cône volcanique, et c’est la portion qui en subsiste encore aujourd’hui qui porte le nom de Monte Somma. Les masses projetées en dehors, cendres et laves,
Fig. 01, Le Vésuve
Fig. 1. — Le Vésuve. Vue prise de l’île de Nitida
par un temps d’activité moyenne.
constituèrent le nouveau Vésuve, celui que nous voyons. L’aspect de celui-ci a maintes fois changé depuis lors, chaque éruption nouvelle contribuant à ces variations, et tout récemment, en 1906, un nouveau cône de cendres a été ainsi formé. Mais depuis l’an 79 le nombre des éruptions ne se compte plus. Il y en eut tout particulièrement dans les années suivantes : 203, 472, 512, 685, 993, 1036, 1139, 1500, 1631 et 1660. Les intervalles qui séparent ces années n’ont aucune régularité. Mais on peut dire que le Vésuve est d’une activité presque ininterrompue, la plupart du temps très faiblement, en sorte que le panache de fumée de son cratère rappelle presque seul que l’activité du feu intérieur persiste (fig. 1). Des années d’activité particulièrement violente, furent cependant celles de 1794, 1822, 1872 et 1906.

À côté des volcans d’activité puissante, comme celui-là, il y en a d’autres qui ne causent guère de dommages. Tel est le Stromboli, situé dans la mer Tyrrhénienne. L’activité de celui-ci est continue, peut-on dire, depuis des milliers d’années.
Fig. 02, Le Vésuve
Fig. 2. — L’éruption du Vésuve de 1822, d’après un dessin
fait sur place par Poulett-Scrope.
Ses éruptions se suivent avec rapidité, à des intervalles tantôt de moins d’une minute, tantôt de vingt minutes et plus. Son panache incandescent sert aux marins de phare naturel. La force de ses éruptions est variable, cela va de soi, et l’on dit qu’en 1906 il aurait été exceptionnellement actif.

Il est d’autres volcans que l’on pourrait de même qualifier de paisibles. Tels sont par exemple les grands volcans de l’île de Hawaï dont les éruptions sont presque toujours fort insignifiantes ou tout au moins peu violentes.

Les matières expulsées par les volcans, loin de leurs phases d’activité, sont variées. Parmi elles la vapeur d’eau joue un rôle capital. Elle est cause que le nuage qui toujours se forme au-dessus du cratère est le signe le plus certain de la plus ou moins
Fig. 03, L’éruption du Vésuve de 1872
Fig. 3. — L’éruption de 1872, d’après une photographie.
grande activité de la montagne. Se produit-il des éruptions violentes ? Les masses de vapeur d’eau expulsées sont lancées en l’air avec une force inouïe ; elles atteignent alors jusqu’à 7 et 8 000 mètres d’altitude au-dessus de la montagne, comme on peut s’en rendre compte par les figures que nous reproduisons ici.

La hauteur du sommet du Vésuve est d’environ 1 300 mètres au-dessus du niveau de la mer. Les figures 2 et 3 permettent, en partant de là, d’apprécier la hauteur à laquelle s’élèvent les masses expulsées. La figure 2 est la reproduction d’un dessin de Poulett-Scrope fait pendant l’éruption de 1822. Il semble que l’air fut à ce moment d’une immobilité absolue. Les vapeurs expulsées ont, par suite, pu se répandre tranquillement, et ont pris, dans leur ensemble, la forme d’un pin maritime. Elle rappelle la nuée dont Pline l’Ancien nous a laissé une description, et qu’il avait observée pendant l’éruption de l’an 79. Mais si l’air n’est pas aussi absolument calme, la nuée prend une forme moins régulière, par exemple celle de la figure 3. Or des nuages qui s’élèvent à des hauteurs aussi grandes que celles dont nous parlons, sont presque toujours le siège de puissantes décharges électriques. Des éclairs nombreux et énormes se produisent presque toujours, illuminant ce nuage ténébreux, et contribuent à rendre infiniment impressionnant le spectacle que l’on a sous les yeux.

Ce nuage, du reste, se résout promptement en pluie. Elle est mêlée à la cendre que le volcan a projetée en même temps, et elle est conséquemment souvent noire comme de l’encre. La cendre elle-même, séchée, a des couleurs variées allant du gris clair, du gris jaune et du brun jusqu’au noir. Elle est constituée par de minuscules gouttelettes de lave, qui ont été entraînées par le jet puissant de vapeur d’eau que le volcan expulse, et qui se sont vite figées en arrivant dans l’atmosphère. Des gouttes de lave un peu moins ténues se solidifient en formant comme des grains de sable, ou encore en « lapilli », c’est-à-dire petites pierres, et enfin en « bombes » plus grosses, que leur trajet dans l’air raye parfois, ou auxquelles il donne des aspects piriformes. Ce sont ces produits solides qui font en général le plus de dégâts. En 1906 le poids des masses expulsées, retombant en couches épaisses, a suffi pour écraser des toitures de maisons (voy. fig. 4). Une couche de 7 mètres d’épaisseur a recouvert jadis Pompéi d’un linceul pesant et protecteur, qui a subsisté jusqu’aux fouilles entreprises dans des temps encore très récents. La cendre fine qui composait la matière enveloppante, et la boue produite par la pluie ont moulé les objets sur lesquels elles tombaient et en ont fait des moulages comme si elles étaient constituées par du plâtre. Ce moule a durci ensuite, les objets moulés ont peu à peu disparu par la décomposition, et il a été souvent possible de couler dans les vides ainsi conservés, du plâtre qui a reproduit avec fidélité la forme de l’objet primitif.


Fig. 04, L’éruption du Vésuve de 1906
Fig. 4. — L’éruption du Vésuve de 1906, d’après une photographie.
Les nuages sont constitués principalement par des cendres.

C’est de cette même façon qu’il se forme au fond de la mer, si les cendres volcaniques y tombent en abondance, une couche de tuf, qui enveloppe les algues ou les êtres marins qu’elle recouvre. Tel est le sol dans le voisinage de Campagna Felice, près de Naples.

D’autres produits de l’éruption sont les ponces. Ce sont des pierres d’un volume plus grand, mais très poreuses, étant soufflées en quelque sorte par la vapeur d’eau qui les pénétrait au moment de leur refroidissement. On les voit flotter à la surface des eaux ou de la mer, et les vagues les réduisent petit à petit en sable volcanique, par l’effet du frottement réciproque. Ces masses de ponces sont parfois si abondantes que la navigation peut être grandement gênée et rendue dangereuse. Tel fut le cas dans les environs de l’île Krakatoa en 1883.

La vapeur d’eau n’est pas le seul produit gazeux expulsé par les éruptions volcaniques. Le principal est l’acide carbonique, mais on trouve encore de la vapeur de soufre, de l’acide sulfhydrique, de l’acide chlorhydrique, du chlorure d’ammonium ; moins abondamment enfin, des chlorures de fer et de cuivre, de l’acide borique, et encore quelques autres corps. Le vif refroidissement de tous ces corps qui arrivent incandescents dans l’atmosphère en condense une grande partie sur les parois même du volcan. Mais les plus volatils d’entre eux, l’acide carbonique et les autres acides mentionnés ci-dessus, peuvent se répandre sur des espaces considérables à l’entour de la montagne, et, soit par leur chaleur, soit par leurs propriétés vénéneuses, frapper de destruction toute vie humaine ou animale qui se trouvera sur leur trajet. Telle fut la cause de l’épouvantable catastrophe qui, le 8 mai 1902, anéantit la ville de Saint-Pierre, à la Martinique. L’éruption de la Montagne Pelée y causa la mort de 30 000 habitants dont presque pas un seul n’échappa.

Parfois aussi le volcan vomit du gaz hydrogène. Ce gaz s’enflamme et brûle en arrivant dans l’atmosphère, phénomène rare, mais qui a été observé dans le cratère du Kilauea, dans l’île d’Hawaï.

Il arrive que la cendre volcanique est transportée à de grandes distances par les courants atmosphériques. C’est ainsi que l’on a constaté le transport de ces produits d’éruption depuis la côte occidentale de l’Amérique du Sud jusqu’aux Antilles, d’Islande en Norvège et en Suède, du Vésuve (en 1906) jusqu’au Holstein. L’exemple le plus connu de ces transports est celui de l’éruption du Krakatoa qui, en 1883, projeta des cendres jusqu’à une hauteur de 30 kilomètres, et dont les particules les plus fines furent transportées par les courants atmosphériques sur toutes les parties du globe. Pendant deux ans la présence dans l’air de ces poussières furent la cause des splendides phénomènes observés au lever et au coucher du soleil, et auxquels on donna le nom spécial de « lueurs rouges ». Ces lueurs furent observées à nouveau en Europe en 1902, après l’éruption de la Montagne Pelée à la Martinique. Les poussières du Krakatoa causèrent encore un autre phénomène distinct du premier, qu’on désigne sous le nom de « nuages lumineux nocturnes ». Ces nuages flottaient à une hauteur d’environ 80 kilomètres dans l’atmosphère terrestre, et pouvaient ainsi se trouver éclairés par le soleil, longtemps après que celui-ci fut couché.

Le volcan Mauna-Loa, dans l’île d’Hawaï, a une altitude qui approche de celle du mont Blanc. Il a un certain nombre de cratères, parmi lesquels l’un porte le nom de Kilauea, et présente à l’étude un intérêt particulier. Ce cratère contient une mer de lave fondue, d’environ 12 kilomètres carrés de surface. Cette étendue varie toutefois assez considérablement. La lave bouillonnante, en fusion ignée, lance continuellement dans l’atmosphère des masses gazeuses, par de faibles explosions. Des jets incandescents s’élèvent à ces moments, à des hauteurs d’une vingtaine de mètres. Çà et là, au pourtour de ce lac de feu, la lave déborde, s’écoulant par les fentes des parois, et se répand sur les pentes de la montagne, jusqu’à ce que, par cet écoulement, le niveau de la lave se soit de nouveau affaissé plus bas que le point d’écoulement. La lave est en général assez fluide, ce qui lui permet de se répandre assez aisément sur de grandes surfaces.

Des inondations analogues de lave se produisent de temps en temps en Islande, se répandant sur des milliers de kilomètres carrés. Une éruption de ce genre particulièrement importante fut celle du Laki, en 1783. Elle inonda de laves une région inhabitée, mais malgré cela les dégâts qu’elle causa furent des plus importants. Des phénomènes du même genre se sont produits dans des époques plus reculées, pendant les époques géologiques de notre planète. Pendant la période tertiaire, notamment, des nappes formidables de lave se sont répandues
Fig. 05, Lave en blocs de Mauna Loa
Fig. 5. — Lave en blocs du Mauna Loa.
à la surface du sol. Elles ont recouvert, par exemple, l’Angleterre et l’Écosse sur une surface d’au moins 100 000 kilomètres carrés. Au Dekkan, dans l’Inde, on a constaté un champ de lave de 400 000 kilomètres carrés, et atteignant jusqu’à 2 000 mètres d’épaisseur. Le Wyoming, le Yellowstone-Park, le Nevada, l’Utah, l’Orégon et d’autres régions encore des États-Unis, puis encore la Colombie britannique ont d’immenses champs de laves anciennes, de même nature et provenance.

La lave, s’écoulant des cratères, ne se présente pas toujours
Fig. 06, Le Geyser Excelsior, Yellowstone-Park
Fig 6. — Le geyser « Excelsior », dans le Yellowstone-Park, Wyoming.
Reliquat d’une puissante action volcanique pendant l’époque tertiaire.
de la même façon. Elle contient parfois des masses gazeuses énormes, qui, en se frayant un passage à l’air au moment de la solidification, brisent la matière en blocs rugueux et déchirés, de dimensions fort inégales, et forment ainsi la lave en blocs (blocklava).

Lorsque ces coulées de lave se répandent dans des régions habitées et cultivées, la dévastation qu’elles causent est immense. Toutefois la perte de vies humaines est en général peu importante, la progression de la coulée étant naturellement lente, par suite de la viscosité de la masse.

Quand l’activité volcanique vient à diminuer, ce qui est en général graduel, ou si elle vient à cesser tout à fait, il en reste cependant presque toujours des traces. Les régions où elle s’est produite présentent ordinairement des lieux d’émission où des gaz et des eaux thermales s’échappent du sol. Ces faits s’observent dans beaucoup de régions où les volcans de la période tertiaire répandaient leurs champs de lave. Citons à ce sujet la région des geysers de l’Islande, ceux du Yellowstone-Park (voy. fig. 6) et de la Nouvelle-Zélande. La thérapeutique profite aujourd’hui largement des vertus des eaux si renommées de la Bohême (Karlsbad, etc.). Il serait aisé d’énumérer un très grand nombre de manifestations analogues, telles que les fumeroles d’Italie, de la Grèce et d’autres pays encore ; les mofettes chargées d’acide carbonique, fréquentes dans les montagnes de l’Eifel (Prusse rhénane), dans la grotte du Chien à Naples, et dans la vallée de la Mort à Java ; les solfatares des Champs Phlégréens, aux environs de Naples, celles de Grèce, qui vomissent des vapeurs de soufre, de l’acide sulfhydrique et de l’acide sulfureux, et bien d’autres encore.

Du même ordre sont les volcans dits « de boue » qui expulsent des eaux salées, des gaz et des boues variées. Les gaz qui s’en échappent sont, en général, de l’acide carbonique et des carbures d’hydrogène. Tels sont ceux de Parme et de Modène, ceux de Kronstadt en Transylvanie.

Quelques-unes des plus hautes montagnes du globe sont des volcans éteints. Tels sont l’Aconcagua (6 970 mètres) dans la Cordillère de l’Amérique du Sud et le Kilimandjaro (6 010 mètres) de l’Afrique centrale. Leur destruction par les intempéries est rapide, car ils sont constitués en grande partie par des matériaux divisés et meubles, de cendre volcanique entremêlée de laves, par coulées. Ces dernières qui occupent des dispositions rayonnantes autour du centre d’éruption, protègent les parties qu’elles recouvrent contre les érosions. Mais sur leurs bords l’action des eaux est d’autant plus puissante, ce qui produit souvent de véritables coupes dans la masse de l’ancien cône volcanique, et même dans les couches terrestres que les éruptions ont recouvertes jadis.

Le Monte Venda, près de Padoue, présente un très intéressant exemple d’un cas semblable. On peut y observer comment du calcaire sédimentaire sous-jacent a été métamorphisé par la lave chaude qui s’est répandue à sa surface, et a été, par cette action, transformé en marbre sur une épaisseur d’environ un mètre. Mais on trouve d’autres cas, où le calcaire situé au-dessus d’une couche de lave a subi un métamorphisme analogue. On doit en conclure que la lave ne s’est pas toujours répandue par-dessus le bord d’un cratère, mais qu’elle s’est parfois frayé un chemin souterrainement, par exemple dans les fentes séparatives de deux couches calcaires de nature différente. On constate de semblables infiltrations souterraines dans les lakkolithes de l’Utah, dans certaines formations du Caucase. Dans ces endroits, les couches supérieures ont été soulevées par la lave arrivant sous pression. Mais cette lave s’est solidifiée avant d’avoir pu arriver à la surface, pour s’épandre comme d’un volcan.

Toute une série de granits n’ont pas d’autre origine. Tels sont les batholithes, que l’on trouve principalement en Norvège, en Écosse, à Java. Parfois il n’est resté de tout le volcan, qu’un noyau de lave solidifiée. Ces noyaux, qui sont les restes de ce qui remplissait jadis le conduit central d’un volcan, sont très fréquents en Écosse et dans l’Amérique du Nord, où on leur donne le nom de « Necks »[1] (fig. 7).

On trouve au Colorado des vallées profondes, désignées sous le nom de « Cañons », dont les parois sont pour ainsi dire verticales, et qui sont le résultat de l’érosion par l’eau des rivières qui coulent encore, ou qui ont coulé dans leur fond. Ces parois permettent d’y faire des études d’un haut intérêt, comme le montre, par exemple, un dessin de Dutton, reproduit schématiquement
Fig. 07, Mato Tepee, Wyoming
Fig. 7. — Mato Tepee, dans le Wyoming.
Un type de neck volcanique.
dans la figure 8. La paroi qu’il représente a une hauteur franche d’environ 800 mètres. On y remarque quatre traînées qui ne sont autre chose que des fissures, remplies jadis par des laves qui s’élevaient par elles jusqu’à la surface. Au sommet d’une de ces fissures, il existe encore aujourd’hui un petit cône de cendres volcaniques, tandis que ceux qui, sans doute ont également existé à l’exutoire des trois autres fissures, ont disparu, emportés par les eaux superficielles, tandis qu’il subsiste encore à chacun un petit « Neck ». Il semble évident qu’une poussée de lave très fluide s’est produite dans des fissures préexistantes, et qu’elle a atteint la surface du sol, avant de se refroidir et de se figer[2]. Il faut reconnaître que la pression sous laquelle arrivait la lave devait forcément être puissante, sans quoi elle n’aurait pas pu atteindre la surface sans se figer.

L’explosion du Krakatoa, en 1883, fit disparaître la moitié du volcan. L’autre moitié resta en place. Elle montre très nettement la coupe d’un cône volcanique qui n’a subi que d’assez faibles érosions par l’eau. On y reconnaît encore aujourd’hui, dans l’axe du cône, le bouchon de lave consolidée, qui occupe l’ancien conduit du cratère. Rayonnant autour de celui-ci on voit des couches de lave, de couleur claire, séparant d’autres
Fig. 08, Fissures remplies de lave, Torowheap Cañon, Colorado
Fig. 8. — Figure schématique d’un terrain avec fissures remplies de lave, surmonté d’un cône de cendres volcaniques dans le Torowheap Cañon, sur le plateau du Colorado.
couches plus foncées de cendres, à la surface desquelles elle s’est successivement répandue.

La répartition des volcans à la surface du globe présente une certaine régularité, facile à constater. Presque tous se trouvent dans le voisinage des mers. Quelques-uns, — ceux de l’intérieur de l’Afrique, — en sont seuls éloignés. Mais ceux-là aussi se trouvent dans le voisinage de grandes nappes d’eau ; les lacs africains sont presque des mers intérieures. On parle bien de quelques volcans qui existeraient au centre de l’Asie, mais cette existence est très douteuse.

D’autre part il est des étendues de côtes considérables dans le voisinage desquelles on ne trouve aucun volcan. Tels sont les rivages de l’Australie, et la longue étendue des côtes de l’océan du Nord, qui baigne l’Europe, l’Asie et l’Amérique. On ne trouve de volcans que là, où, dans le voisinage de la mer, on constate l’existence de fentes de l’écorce terrestre. Il existe souvent de ces brisures loin de la mer, comme par exemple dans les Alpes d’Autriche, mais on n’y constate jamais de signes d’activité volcanique. Par contre ces mêmes régions sont en général bien connues pour les phénomènes sismiques qui y sont fréquents.

Il était naturel que depuis longtemps on expliquât les volcans au moyen de l’hypothèse que par eux, la masse en fusion qui occupe l’intérieur du globe, se frayait un chemin jusqu’à la surface. On a même essayé d’évaluer la profondeur à laquelle devaient se trouver ces foyers d’éruption, mais les résultats de ces estimations n’ont conduit à aucune concordance. On a, par exemple, soumis à une recherche de ce genre le Monte Nuovo, qui surgit en 1538 dans les Champs Phlégréens, près de Naples. On est arrivé, tantôt à une profondeur de 1 300 mètres, tantôt à 30 kilomètres ! Pour le Krakatoa on a évalué à plus de 50 kilomètres la profondeur du centre d’éruption. Mais tous ces calculs ont en somme peu d’intérêt, car il est probable que tous les volcans se trouvent sur des fentes de l’écorce terrestre, par lesquelles la masse fondue, le magma intérieur, pressé comme un coin, se trouve poussé vers la surface. Il serait donc difficile de dire où se limite le foyer de ce magma et où commence le conduit d’émission. Le Kilauea seul donne l’impression que l’on se trouve peut-être en présence d’une grande ouverture qui traverserait toute l’écorce terrestre, et par laquelle la masse intérieure fondue se présente librement à la surface du globe (fig. 9).

Les observations recueillies à l’occasion de sondages profonds dans les diverses contrées du globe ont fait connaître que la température s’élève assez rapidement, à mesure que l’on pénètre dans l’écorce terrestre. En moyenne cet accroissement est de 30 degrés par 1 000 mètres de profondeur. Mais les sondages les plus profonds n’atteignent pas même encore 2 000 mètres. À Paruchowitz, en Silésie, on a été à 1 960 mètres[3], et à Schladebach, près Merseburg (province de Saxe) à 1 720 mètres. Si la progression continue à raison de 30 degrés pour chaque kilomètre de profondeur, on voit qu’à 40 kilomètres
Fig. 09, Le cratère du Kilauea, Hawaï
Fig. 9. — Le cratère du Kilauea, Hawaï.
de la surface terrestre il doit exister une température qui correspond à la fusion de la plupart des roches connues. Il est vrai que le point de fusion s’élève certainement avec la pression que subit la matière, mais l’importance de ce fait a sans doute été très exagérée lorsqu’on a cru pouvoir en conclure qu’à cause de lui l’intérieur du globe pourrait bien être solide. Tammann a prouvé, par des expériences, que la température de fusion ne s’élève par la pression que jusqu’à un certain point, à partir duquel cette température s’abaisse de nouveau, la pression croissant toujours.

Il ne serait donc pas absolument exact de supposer qu’à 40 kilomètres de profondeur toutes les roches fussent liquides. Mais on peut également faire cette hypothèse, que certaines roches se comportent comme la diabase, étudiée par Barus, dont la température de fusion s’élève de 1 degré par 40 atmosphères de pression, ce qui correspond à 155 mètres d’épaisseur de la croûte du globe. On en déduit que l’épaisseur totale ne peut pas être plus grande que 50 à 60 kilomètres. Aux profondeurs plus grandes, tout doit être à l’état de fusion.

Dans cette masse fondue la silice, par suite de sa faible densité relative, doit se trouver prépondérante dans les couches supérieures. Les masses plus riches en oxyde de fer, celles que l’on désigne sous le nom de parties basiques du magma, sont vraisemblablement concentrées dans les régions plus profondes.

Comment convient-il de nous représenter ce magma ? Comme un liquide excessivement visqueux dont la consistance peut être comparée à celle de l’asphalte. Les silicates des roches se comportent en effet tout autrement quand la température de fusion est atteinte que ne le font les liquides ordinaires. MM. Day et Allen ont fait à ce sujet des expériences fort curieuses. Ils ont soumis à des températures excédant celle de la fusion, des bâtonnets de divers minéraux, tels que de l’albite et du microcline, qui sont des feldspaths. De petits prismes de 30 millimètres de long, sur 1 et 2 millimètres dans le sens transversal, appuyés par leurs deux bouts, ont été soumis, dans un four, à une température qui dépassait de 100 degrés celle de leur fusion. Ils ont conservé leur forme pendant 3 heures sans même se courber d’une façon sensible, tout en présentant, à la sortie du four, une apparence complètement vitrifiée, indicative d’une fusion certaine.

S’il en est ainsi, le magma central doit ne présenter que des mouvements et une diffusion des parties constituantes extrêmement faibles. Cela est surtout le cas dans les couches extérieures, sans doute les plus visqueuses, comme elles doivent être les plus acides.

Ce magma peut donc avoir, comme l’albite dans les expériences que nous venons de citer, à peu près l’apparence d’un corps solide. Les parties qui se révèlent à nous par les produits de volcans très rapprochés, comme le Vésuve, l’Etna, et Pantellaria, peuvent être de composition fort différente, comme c’est le cas pour les laves de ces trois endroits. Il n’en résulte nullement, comme le voudrait M. Stübel, que ces trois foyers volcaniques soient complètement isolés l’un de l’autre.

On a mesuré la température des laves du Vésuve, et on a trouvé, à l’extrémité inférieure de leur cours, qu’elles avaient encore de 1 000 à 1 100 degrés. D’autre part, on a constaté la présence dans leur masse, de certains cristaux, comme de la leucite et de l’olivine, et on a des raisons positives de penser que ces cristaux existaient déjà avant la sortie du cratère. Cela conduit à conclure qu’au moment de l’expulsion la température ne devait pas dépasser 1 400 degrés.

Il ne serait cependant pas exact de dire, à la suite de cette concordance, que le foyer du volcan, d’où proviennent les matières expulsées, se trouve à une profondeur de 50 kilomètres. Il est même probable que ce foyer se trouve beaucoup moins bas, peut-être à 10 kilomètres seulement ! Ici, comme dans bien d’autres endroits où il y a des volcans, la croûte terrestre est vraisemblablement très fissurée, en sorte qu’à ces endroits la masse ignée arrive à se rapprocher beaucoup plus de la surface extérieure que partout ailleurs.

Nous avons fait remarquer que, presque partout, les volcans se rencontrent dans le voisinage de nappes d’eau, mers ou lacs. L’importance de la présence de cette eau dans les phénomènes volcaniques tient sans doute à ce que par des fissures, existant dans le fond des bassins, elle pénètre dans les profondeurs. Si cette eau parvient à des couches dont la température est de 365 degrés — qui est sa température critique —, elle ne peut plus exister à l’état liquide. Quoique transformée en vapeur, elle continuera quand même à pénétrer plus avant dans la profondeur si elle trouve un chemin. Quand elle aura atteint la masse ignée, elle sera absorbée par celle-ci avec une grande énergie. La raison en est qu’à partir de la température de 300 degrés, l’eau devient un acide plus puissant que même l’acide silicique. Celui-ci, qui est une des parties constituantes principales du magma formé surtout de silicates, sera déplacé de ses combinaisons par l’eau. Plus la température est élevée, plus sera grande la faculté du magma de fixer de l’eau.

La conséquence de cette fixation est que la masse va gonfler, en même temps qu’elle deviendra plus fluide. Elle sera expulsée, parce qu’il se produira une pression, que l’on peut comparer à la pression osmotique qui se manifeste lorsqu’une solution de sucre ou de sel absorbe une nouvelle quantité d’eau. Cette pression peut devenir extrêmement élevée, et atteindre des milliers d’atmosphères ! On comprend qu’elle forcera le magma à s’élever dans le conduit qui aboutit au cratère du volcan, même si celui-ci ne débouche dans l’atmosphère qu’à une altitude de 6 000 mètres.

À mesure que ce magma s’élève dans la cheminée du volcan, il va se refroidir. Sa capacité pour retenir l’eau absorbée, diminuera avec la température. Cette eau va donc être libérée, avec accompagnement de violents bouillonnements ; elle entraînera dans son ébullition des gouttes de lave, ou même des masses plus importantes, et ce mélange retombera, une fois parvenu dans l’atmosphère, sous forme de pluie, de cendres, ou de ponces. La lave qui s’est écoulée sous la forme fluide, et qui se refroidit rapidement, continue à abandonner de la vapeur d’eau, et elle est ainsi déchirée en formant des laves en blocs.

Si, au lieu d’être expulsée dans une ascension violente, la lave arrive au cratère animée d’un mouvement lent, elle n’en abandonne pas moins de l’eau, mais très doucement. La surface du lac de lave étant longuement en contact avec l’atmosphère, lui abandonne toute l’eau qu’elle tient en excès, et quand elle commencera à se déverser, ses coulées présenteront, comme au Kilauea, des surfaces moins tourmentées, et même lisses et brillantes.

On a pu reconnaître que certains volcans n’ont pas dû se trouver situés à des endroits où la croûte terrestre a présenté des brisures, ou des solutions de continuité. Tel est le cas de certains volcans éteints de l’époque tertiaire en Souabe ou encore dans l’Afrique du Sud, près des célèbres mines de diamant. On se représente cependant aisément que le résultat du gonflement du magma que nous venons d’expliquer, est la production d’une pression si énorme, qu’elle peut forcer le passage à travers l’écorce, à des endroits où elle offrira une moindre résistance, par suite d’amincissement ou par d’autres causes, même sans qu’une brisure ou fissure antérieure fut nécessaire.

Continuons maintenant à considérer le magma intérieur du globe, et pénétrons plus avant dans la profondeur. Il n’existe pas de raison pour croire que la température cessera de croître à mesure que nous approcherons davantage du centre du globe. À des profondeurs de 3 ou 400 kilomètres, cette température atteindra une élévation telle, qu’aucun corps ne peut plus exister, sinon à l’état gazéiforme. À l’intérieur de l’enveloppe ayant cette épaisseur tout le centre de la terre doit donc être gazeux. Seulement nous possédons certaines données sur ce que sont des gaz qui sont à la fois soumis à de fortes pressions, et élevés à des températures considérables. Ces données nous conduisent à admettre que le gaz de l’intérieur du globe est en fait un magma très peu fluide, qu’on pourrait, sous certains rapports, comparer à un corps solide. Sa compressibilité, en particulier, est excessivement faible.

On pourrait croire qu’il est impossible de rien savoir des propriétés de ces parties centrales. En effet ce n’est guère que par déduction que certains phénomènes, comme les tremblements de terre, nous ont fourni quelques indications à cet égard. Les parties dont nous parlons forment, en somme, de beaucoup la plus grande fraction du globe entier. Leur densité doit être très considérable, car la densité moyenne du globe est de 5,52, tandis que celle des couches extérieures, de l’enveloppe, comprenant les océans et les parties solides que nous avons sous les yeux, ont une densité bien moindre. Les roches ordinaires n’ont qu’une densité moyenne de 2,5 à 3. On a donc pu supposer que les parties intérieures du globe sont métalliques. Wiehert a tout particulièrement soutenu cette opinion, d’après laquelle le fer serait la principale partie constituante de la masse gazeuse centrale. Une circonstance particulière vient à l’appui de cette opinion : c’est que le fer est une des matières constitutives du soleil, les plus importantes, comme le prouve l’analyse spectrale. De même les pierres météoriques qui nous arrivent des espaces stellaires sont riches en métaux, mais particulièrement en fer. Enfin, dernier argument, le magnétisme terrestre nous révèle que certainement les régions profondes de la croûte terrestre doivent contenir des masses importantes de fer. On peut ajouter qu’il existe de sérieuses raisons pour croire que le fer natif que nous rencontrons parfois, comme par exemple dans les masses connues d’Ovifak, au Groenland, seraient d’origine volcanique[4].

Les matières gazeuses qui se trouvent enfermées au centre de la terre se comportent donc, par suite de leur grande densité, et au point de vue physique et chimique, à peu près comme le feraient des liquides. Mais des métaux, tels que le fer, ont sûrement aux températures les plus élevées, un poids spécifique de beaucoup supérieur à celui de leurs oxydes ; de même ces oxydes sont plus denses que leurs silicates. Il faut donc en conclure que les gaz du centre même de la terre consistent presque exclusivement en métaux. Les parties périphériques au contraire sont formées d’abord d’oxydes, puis, plus extérieurement, de silicates.

Les parties extérieures du magma, qui pénètrent dans les couches superficielles, avec lesquelles elles sont en contact, sous forme de batholithes, se séparent probablement, par suite du refroidissement, en deux parties. L’une, plus légère, reprend la forme gazeuse, par suite de sa teneur en eau et en matières dissoutes. L’autre, plus dense, ne se compose guère que de silicates, combinés avec une quantité relativement faible d’eau.

La première partie, fortement aqueuse, pénètre dans les couches sédimentaires qu’elle rencontre, en remplit les interstices et les fentes, et les remplit de matières cristallisées, qui souvent ont pour nous une grande valeur, comme lorsqu’elles sont formées de dépôts stanniques, cupriques, ou d’autres minerais. L’eau s’évapore ensuite lentement à travers les couches superposées. La masse visqueuse des silicates se prend par contre en masses vitrifiées, ou, si le refroidissement est lent, comme par exemple dans la formation des granits, en masses, formées de cristaux de petites dimensions.

Passons maintenant à l’étude des tremblements de terre. Aucun pays du globe n’est à l’abri de ces phénomènes. Ils ne se manifestent cependant que sous des formes absolument bénignes et sans présenter aucun danger dans les régions telles que des parages de la Baltique ou le Nord de la Russie. La raison en est que dans ces contrées la croûte terrestre n’a subi depuis de longues périodes géologiques aucun remaniement. Elle est restée en repos et elle n’a été fendillée par aucune cause. Un séisme, relativement important pour la région, a été constaté le 23 octobre 1904, particulièrement sur la côte occidentale de la Suède, et y fut considéré comme exceptionnellement violent. Il ne causa cependant point de dégâts dignes d’être mentionnés, — quelques cheminées seules furent jetées par terre. Il dut son origine à l’existence d’une faille, relativement importante pour les régions boréales, qui se trouve au large du Skagerrak. Elle est le prolongement du pli le plus profond qui existe sur le fond de la mer du Nord et qui est connu sous le nom de la « fosse norvégienne ». Elle contourne parallèlement les côtes de la Norvège.

En Allemagne, on ressent fréquemment des séismes dans le Vogtland de la Saxe. Il en est de même en Suisse. De toute l’Europe ce sont les contrées de l’Espagne, de l’Italie et de la Péninsule balkanique, puis encore du Karst autrichien, qui sont le plus fréquemment agitées par des tremblements de terre.

La British Association a créé un comité qui est spécialement chargé de l’étude des tremblements de terre. Ce comité a très grandement contribué aux connaissances que nous possédons sur ces phénomènes. D’après lui, tous les séismes importants se groupent autour d’un certain nombre de centres bien définis, qui sont indiqués sur notre carte (fig. 10). La plus importante de toutes ces régions est celle qui est marquée F, et qui comprend l’Indochine, les îles de la Sonde, la Nouvelle-Guinée et le Nord de l’Australie. Dans cette région il s’est produit dans la période sexennale de 1899 à 1904, 249 tremblements de terre qui ont rayonné et qui ont été enregistrés par des observatoires souvent fort éloignés.

Ce centre sismique est très voisin d’un autre, marqué E sur la carte, qui a donné, pendant cette même période, 189 tremblements. Vient ensuite la région K très étendue où l’on a enregistré 174 séismes, et qui comprend les plis les plus importants dans la croûte de l’ancien continent. Elle s’étend des Alpes à l’Himalaya. Cette région est particulièrement intéressante, parce qu’elle donne des tremblements très fréquents, tout en ne comprenant presque exclusivement que des contrées continentales.

Les régions A, B et C, ont eu 125, 98 et 95 séismes. Elles sont voisines des grandes fractures de la croûte terrestre qui longent la côte du Pacifique et dans la mer des Antilles. La zone D, où l’on a compté 78 séismes, se trouve dans des conditions analogues.

Les régions que nous venons d’énumérer ont une importance sensiblement égale à la zone G qui comprend l’océan Indien. On y a compté 85 ébranlements du sol. Mais on en a enregistré 107 dans la région H, qui comprend l’Est atlantique.
Fig. 10, Carte des principaux centres séismiques
Fig. 10. — Carte des principaux centres séismiques,
d’après les recherches de la British Association.
Mais les séismes de cette zone sont relativement faibles, et si l’on en a tant observé, c’est qu’un grand nombre d’observatoires se trouvent dans les pays avoisinants. Tel est encore le cas pour les zones I, devant Terre-Neuve, et J, entre l’Islande et le Spitzberg, où l’on a compté 31 et 19 séismes. La région la moins fréquemment ébranlée parmi celles considérées comme soumises à ces phénomènes est le district L, qui avoisine le pôle Sud. On y a enregistré 8 séismes. Mais ce nombre minime tient sans doute à l’absence d’observatoires voisins. On a récemment ajouté aux précédentes une nouvelle région M qui s’étend au Sud Sud-Ouest de la Nouvelle-Zélande. On y a constaté le nombre considérable de 75 forts tremblements de terre, enregistrés entre le 14 mars et le 23 novembre 1905 ! Ils ont tous été ressentis par l’expédition scientifique de la Discovery à 70 degrés de latitude Sud et 178 degrés de longitude Est.

Les tremblements de terre ne sont, en général, pas isolés, mais se produisent par groupes. Ainsi en mars 1868, on a compté plus de 2 000 secousses dans l’île d’Hawaï. En 1870–1873 les environs de Phocis, en Grèce, ont été ainsi dévastés. On y a observé pendant longtemps des secousses qui se suivaient d’une façon ininterrompue, parfois à des intervalles de trois secondes seulement. On a estimé que pendant cette période, qui a duré trois ans et demi, il a dû y avoir environ 500 000 secousses et 250 000 bruits ou coups souterrains, non accompagnés d’ébranlements sensibles. De toutes les secousses, seulement 300 environ ont causé de réels dommages et 35 d’entre elles furent seules assez fortes pour être enregistrées par les journaux. En 1904, ces phénomènes se renouvelèrent, et un groupe de secousses furent ressenties du 10 au 28 octobre. Parmi elles celle du 23 octobre semble avoir été la plus notable, mais de nombreuses secousses de moindre importance se firent sentir, notamment le 24 et le 25.

À San-Francisco, en 1906, le séisme commença le 18 avril, à 5 heures 12 minutes 6 secondes du matin (heure du Pacifique). Il dura jusqu’à 5 heures 13 minutes 11 secondes, c’est-à-dire pendant 1 minute et 5 secondes. Mais pendant l’heure qui suivit, on nota 12 secousses plus faibles. De ce moment jusqu’à 6 heures 52 minutes du soir on en compta 19 autres. Enfin les jours suivants on enregistra encore diverses autres secousses beaucoup plus faibles.

Il arrive en général que quelques secousses faibles précèdent celles qui sont violentes et destructrices. Elles servent ainsi fréquemment d’avertisseurs. Mais tel n’est malheureusement pas toujours le cas. Les cataclysmes de Lisbonne en 1755, de Caracas en 1812, qui détruisirent ces deux villes, furent subites. De même ceux qui firent tant de ruines à Agram en 1880, et celui de San-Francisco, dont il vient d’être question. L’île d’Ischia fut ébranlée, assez faiblement, en 1881, sans secousses prémonitoires. Au contraire, en 1883, les secousses commencèrent faiblement, mais atteignirent une violence assez grande pour dévaster cette ravissante île. Il arrive en
Fig. 11, Fentes produites par le tremblement de terre de San-Francisco, 1906
Fig. 11. — Fentes produites par le tremblement de terre
de San-Francisco, en 1906. Rue Valentia.
général aussi que le séisme principal est suivi par un certain nombre d’autres, plus faibles, comme en 1906 à San-Francisco et au Chili[5]. Les séismes qui se réduisent à une seule secousse dévastatrice comme celui de Lisbonne en 1755 sont très rares.

Parmi les effets des tremblements de terre, on constate souvent l’existence de grandes fentes du sol. À San-Francisco on en trouva à plusieurs endroits. Une des plus remarquables a été vue à Midori, au Japon. Elle s’est produite au tremblement du 20 octobre 1891. Il en subsiste un « rejet » qui atteint jusqu’à 6 mètres de hauteur verticale et 4 mètres de déplacement horizontal. Elle n’a pas moins de 65 kilomètres de longueur ! Des fissures importantes ont été constatées en Calabre en 1783, au mont Sant’Angelo. De même au plateau gréseux de Bâlpakrâm, dans l’Inde, en 1897.

Souvent, dans des régions accidentées, il survient des chutes ou des glissements de montagnes, conséquences de la formation de fentes et des ébranlements. Le tremblement de la Phocide, dont il a été parlé plus haut, a causé la chute d’un nombre considérable de blocs rocheux près de Delphes. Une catastrophe ancienne, en Carinthie, a entraîné l’effondrement d’une montagne entière, celle de Dobratsch, faisant partie de l’Alpe de Villach. Le 25 janvier 1348 cette montagne ensevelit totalement deux villes et dix sept villages.

Le séisme du 18 avril 1906, en Californie, a eu pour point de départ une faille du sol qui part de l’embouchure de l’Alder-Creek, près de Arena Point. Elle court à peu près parallèlement à la ligne côtière, restant presque partout sur terre, mais passant sous l’Océan près de San-Francisco. On la retrouve sur terre plus au Sud entre Santa-Cruz et San-José, puis on la suit par Chittenden jusqu’au mont Pinos. Elle a ainsi une longueur totale d’environ 600 kilomètres. Sa direction est Nord 35 degrés Ouest à Sud 35 degrés Est. C’est le long de cette faille que les bords en ont glissé l’un sur l’autre. La portion qui se trouvait au Sud-Ouest s’est déplacée vers le Nord-Ouest d’environ 3 mètres, mais même par endroits jusqu’à 6 mètres. Dans quelques endroits, à Sonoma et dans le comté de Mendocino la tranche Sud-Ouest s’est quelque peu remontée par le glissement, mais nulle part plus de 1,20 m. Cette fissure ou faille est la plus longue qui ait jamais été observée comme suite d’un tremblement de terre.

Après un séisme, la surface terrestre ne reprend pas toujours son assiette ancienne, mais conserve une forme plus ou moins ondulée. Cet effet s’observe le plus aisément là où des routes ou des voies ferrées ont été affectées par le tremblement. On rapporte par exemple qu’à San-Francisco, les voies de tramway de Market-Street, une des principales rues de la ville, formaient comme de grosses vagues, tant elles étaient ondulées.

Les déplacements de l’écorce terrestre ainsi que les formations
Fig. 12, Cratères avec cônes de sable, séisme de Corinthe, 1851
Fig. 12. — Cratères avec cônes de sable, et fentes, produites par le séisme de Corinthe en 1851. Des branches d’arbres émergent de l’eau d’inondation.
des fentes ont des conséquences parfois notables. Des rivières ont quelquefois dû changer leur cours, des sources disparaissent et d’autres apparaissent. Ce fut le cas en Californie en 1906. Parfois les eaux souterraines se fraient violemment passage à travers le sol, amenant avec elles, à la surface, des sables, des boues et des pierres, formant ainsi des monticules dont la forme rappelle celle d’un cratère (fig. 12). Des inondations fort étendues en ont quelquefois été la conséquence. Un séisme de cette nature fut jadis la cause que l’ancienne Olympie fut noyée sous une couche de sables mouvants, qui recouvrit et préserva un grand nombre d’œuvres de l’art grec, — entre autres la statue très connue de l’Hermès d’Olympie. Ce flot s’écoula à son tour et les fouilles récentes ne présentèrent plus guère de difficultés.

Si les glissements qui se produisent dans les couches du sol font dévier ou disparaître les canaux naturels qui alimentent les sources, il n’est pas surprenant que les conduites d’eau artificielles soient brisées de même. Les dégâts qui en résultent, ainsi que les conséquences indirectes de ces ruptures sont, à l’occasion, fort graves. L’alimentation en eau n’existant plus, l’extinction des incendies qui éclatent presque toujours après la chute des édifices devient impossible. C’est ainsi que le feu dévaste en général ce que les secousses ont commencé à détruire, et tel fut le cas à San-Francisco et à Messine.

Comme la terre, les mers sont violemment ébranlées par les tremblements du sol. Le niveau en est soulevé en vagues puissantes. Nous avons déjà fait mention du raz de marée qui accompagna le tremblement de Lisbonne en 1755. Il se propagea en une vague gigantesque jusqu’aux côtes de Suède et de Norvège. En l’an 1510 un raz de marée de ce genre envahit les parties basses de Constantinople, jetant à terre 109 mosquées et 1 070 maisons d’habitation. Plus récemment, le 15 juin 1896, un séisme de l’île de Nippon (Japon) fut suivi d’un raz de marée qui se jeta sur la ville de Kamaishi, balaya 7 600 maisons et causa la mort de 27 000 êtres humains. À Messine, en 1908, des vagues envahissant le rivage ont causé d’importants dégâts.

Nous avons déjà parlé aussi de la vague que produisit le cataclysme du Krakatoa. Cette vague se propagea à travers tout l’océan Indien, passa le cap de Bonne Espérance ainsi que le cap Horn. Elle fit ainsi le tour complet du monde.

Nous pouvons ajouter que la marée atmosphérique qui eut son origine dans cette même éruption, fut peut-être plus étonnante et plus remarquable encore. En effet, on a constaté que les bruits les plus intenses, comme celui d’une très violente canonnade, s’entendaient au maximum jusqu’à une distance de 150 kilomètres. On connaît un seul cas, exceptionnellement favorable à la transmission du son, où la distance d’audition a atteint 270 kilomètres. Mais l’éruption du Krakatoa fut entendue à Alice-Springs, à 3 600 kilomètres de distance, et même à l’île Rodriguez qui se trouve à 4 800 kilomètres ! Les barographes des diverses stations météorologiques enregistrèrent tout d’abord une hausse subite de la pression atmosphérique. Un abaissement considérable suivit immédiatement, puis encore une série d’oscillations faibles. Dans certaines stations ces effets de pression se répétèrent jusqu’à sept fois, d’où l’on a cru devoir conclure que la vague atmosphérique avait fait le tour entier de la terre, trois fois dans un sens et trois fois dans le sens opposé. On a pu mesurer la vitesse de propagation de cette marée de l’air ; on l’a trouvée égale à 314 m. 20 par seconde, ce qui est la vitesse théorique à une température de ‒27 degrés, correspondant sensiblement à une hauteur au-dessus du sol, de 8 000 mètres. Des vagues aériennes plus faibles produisent les bruits de souffle ou de froissement que l’on entend. Parfois des phénomènes lumineux sont signalés comme accompagnant les tremblements de terre. On les compare à des lueurs ignées ou à des aurores. Des perturbations magnétiques sont parfois produites — même à des distances considérables, — comme lors de l’éruption de la Montagne Pelée en 1902.

Depuis une dizaine d’années environ on a étudié très minutieusement un phénomène particulier qui est celui de la variation du pôle, ou de l’axe de rotation de la terre. Nos pôles se déplacent par rapport à leur position moyenne, en suivant une courbe tout à fait irrégulière. Ce déplacement est extrêmement faible ; le pôle Nord ne s’écarte pas de sa position moyenne de plus de 10 mètres. Mais on a cru faire cette observation, qu’à la suite de séismes violents le pôle subit de brusques déplacements, surtout si plusieurs de ces séismes se suivent de près. S’il en est ainsi, le phénomène dont nous parlons fait comprendre, mieux que tout autre, la puissance des effets des tremblements, s’ils sont capables de déranger de son équilibre normal la masse entière du pesant globe terrestre.

Un dommage matériel qui a plusieurs fois été causé par des tremblements de terre, consiste dans la détérioration des câbles télégraphiques sous marins. On a plus d’une fois remarqué que la gutta-percha qui est toujours une des parties constituantes de ces câbles, a été fondue, ce qui semble prouver qu’il y a des éruptions volcaniques sous le fond de la mer. Depuis que ces faits ont été connus on évite avec soin, dans la pose des câbles, les régions qui sont des centres ordinaires de séismes, que les études les plus récentes ont fait connaître.

De tout temps on a été habitué à considérer comme connexes les phénomènes d’éruption volcanique et ceux des tremblements de terre. Il est hors de doute que cette connexité a existé dans un grand nombre de séismes. Pour le prouver le comité britannique que nous avons nommé plus haut, a établi la liste suivante d’un certain nombre de tremblements de terre aux Antilles.

1692. — Destruction de Port-Royal, à la Jamaïque. Une certaine étendue de terres disparaît dans la mer. Éruption du volcan de Saint-Kitts.

1718. — Très important tremblement à Saint-Vincent, accompagné d’une éruption du volcan de l’île.

1766–67. — Grands tremblements dans la partie Nord-Est de l’Amérique méridionale, à Cuba, à la Jamaïque et aux Antilles. Éruption de Sainte-Lucie.

1797. — Tremblement de terre de Quito : 40 000 victimes. Tremblements aux Antilles. Éruption à la Guadeloupe.

1802. — Violent séisme à Antigua. Éruption à la Guadeloupe.

1812. — Caracas, capitale du Venezuela, est complètement détruite par un tremblement. De violentes secousses sont ressenties aux États-Unis du Sud, à partir du 11 novembre.

1811. — Éruptions à Saint-Vincent et à la Guadeloupe.

1835–36. — Violents tremblements au Chili et dans l’Amérique centrale. Éruption à la Guadeloupe.

1902. — Le 19 avril, violentes secousses, qui détruisent de nombreuses villes du Centre-Amérique. La Montagne Pelée entre en activité. Le 3 mai, éruption de celle-ci. Destruction des câbles sous-marins avoisinants. La mer se retire. Le 7 mai, éruption à Saint-Vincent : destruction des câbles. Nouvelles et importantes fluctuations de la mer le 8, 19 et 20 mai. Le 8 mai, violente éruption de la Montagne Pelée et destruction de la ville de Saint-Pierre. Nombreux séismes moins importants.

Cette énumération fait saisir combien l’instabilité de cette région de la terre est grande, et combien notre vieille Europe est en repos, surtout dans sa partie nord. Il y a des régions de l’Amérique centrale qui sont si fréquemment secouées par des tremblements qu’on a été jusqu’à donner au Salvador le nom de « hamac ». On n’exagère pas beaucoup en disant que le sol y est dans un état de trépidation continue.

Il est d’autres contrées encore qui sont très fréquemment visitées par ces cataclysmes, comme par exemple les îles Kouriles et le Japon, et comme encore les Indes occidentales. Dans tous ces pays la croûte terrestre a été brisée pendant des périodes géologiques récentes, et notamment à l’époque tertiaire. Des fentes nombreuses se sont produites à ce moment ; elles ont formé des replis, et leur refermeture dure encore. Les petits séismes, — et on ne compte pas moins de 30 000 de ceux-ci par an, — n’ont pas de relation directe et étroite avec les éruptions volcaniques. Il peut en être de même pour certaines secousses plus puissantes, comme par exemple celle de San Francisco.

On cite encore une autre cause qui sans doute peut produire certains tremblements de terre. Le fond de la mer a souvent une pente rapide. Si, près de là, il existe des dépôts sédimentaires, amenés par les rivières dans le cours des temps, il peut y avoir, à un moment donné, des glissements de masses fort considérables. D’après Milne, le séisme du 15 juin 1896, à Kamaishi, aurait eu cette origine.

Enfin on est fondé à croire que même les inégalités de la pression atmosphérique entre des régions voisines, dont l’effet est de charger différemment par endroits la croûte terrestre, peuvent favoriser la production des tremblements de terre.

Il existe quelques contrées où l’on ne se préoccupe pas de séismes, et où cependant il s’en produit souvent. Telle est par exemple la région de Vienne en Autriche, où il se produit, dans les environs, des mouvements du sol fréquents, et parfois même assez importants. Sur la carte de la figure 13, on remarquera trois lignes, qui correspondent probablement à d’importantes fentes du sous-sol, et qui sont connues pour être les foyers de nombreux mouvements de la surface.

La première de ces lignes, marquée AB (fig. 13), est connue sous le nom de « Ligne des Thermes » (Thermallinie). Elle marque la série de nombreuses sources chaudes balnéaires qui sont : Meidling, Baden, Vöslau et d’autres encore. Ces sources sont employées comme thermes médicinaux.

Une seconde ligne CD porte le nom de ligne de la Kamp, d’après la petite rivière dont elle suit en partie le cours. La troisième enfin est la ligne de la Muerz, également du nom d’une rivière. La ligne de chemin de fer Vienne-Bruck suit les vallées AB et EF.

Ces trois lignes se rencontrent dans les environs de Wiener-Neustadt. Ce point est le centre de nombreux ébranlements du sol, dont un certain nombre sont indiqués sur la carte par le millésime où ils se sont produits. Une autre courbe, marquée XX, indique le contour d’une zone où se firent sentir les effets d’un séisme du 3 janvier 1873. Il s’étendit à droite et à gauche de la ligne de la Kamp, et on remarquera combien, au milieu de la longueur de cette ligne, la région intéressée s’étendit à
Fig. 13, Lignes sismiques de la Basse-Autriche
Fig. 13. — Lignes sismiques de la Basse-Autriche.
droite et à gauche, où les terrains superficiels étaient sans consistance : c’est la plaine entre Sankt-Pölten et Tulln. Au contraire, vers le Nord-Ouest et vers le Sud-Est, il existe des masses montagneuses qui ont limité nettement l’étendue du séisme.

On a fait des observations analogues lors du tremblement qui a désolé la ville de Charleston, aux États Unis, en 1886. Il fit 27 victimes et il était considéré comme le plus violent séisme connu dans l’Amérique du Nord, avant 1906. La ville est voisine des monts Alleghany, qui ont fait un obstacle puissant contre l’extension de la secousse. La vallée du Mississipi, au contraire, avec ses terrains alluvionnaires, a permis leur transmission avec une beaucoup plus grande facilité. — À San-Francisco, on a observé que les plus grandes ruines se sont produites dans les quartiers construits sur un sol meuble, dans le voisinage du port. Les quartiers situés plus haut sur le dos d’âne rocheux de la ville supérieure sont restés comparativement indemnes ; le feu y a fait ultérieurement plus de ravages que les secousses. L’étude des effets de ce séisme au point de vue destructif a permis de faire du sol de cette ville quatre catégories, savoir : 1o  sol rocheux ; 2o  vallons situés entre des massifs rocheux mais remblayés peu à peu, et naturellement ; 3o  dunes sableuses ; 4o  remblais artificiels. Ce dernier terrain s’est comporté, suivant l’expression de la Commission qui a été chargée de grouper tous les renseignements sur ce cataclysme. « comme une gelée semi-liquide dans une coupe ».

On conçoit que dans ces conditions les « Sky scrapers », ou bâtiments à nombreux étages, qui sont construits avec une ossature en acier, et dont les fondations sont descendues jusqu’au sol rocheux, aient le mieux résisté. Après eux viennent les maisons bâties en briques et ciment, posées sur un bon sol profond. Les maisons en bois se sont montrées insuffisantes par suite de l’absence de sérieux assemblages horizontaux. Mais la bonne résistance des bâtiments à ossature métallique est facilement reconnaissable à l’inspection de la figure 14.

Les dégâts les plus importants du séisme de San-Francisco se sont produits sur le trajet même de la fissure dont nous avons parlé, p. 28. Furent également très éprouvées les localités de Santa-Rosa, San-José et Palo-Alto. Ces localités, comme aussi l’Université de Stanford, sont bâties sur le sol meuble de la vallée qui aboutit à la baie de San-Francisco. Par contre la
Fig. 14, Bâtiment de l’université de Stanford après le tremblement de terre de 1906
Fig. 14. — Bâtiment (bibliothèque) faisant partie de l’Université Stanford, en Californie, après le tremblement de 1906. On voit la résistance considérable offerte au séisme par la construction métallique, comparée à celle des maçonneries non armées. Pour la résistance des bâtiments en bois, voir la figure 11.
riche Université californienne de Berkeley et l’observatoire de Lick, connu dans le monde entier, n’ont heureusement subi pour ainsi dire, aucun dommage. L’un et l’autre sont établis directement sur des sols de fondation rocheux.

Pour revenir aux contrées des Calabres et de la Sicile, nous donnons ici une carte (fig. 15) reproduite d’après Suess. Ces régions ont été maintes fois dévastées par des séismes importants. Celui de 1783 a été un des plus terribles, puis celui du 28 décembre 1908. Mais très fréquemment des secousses de plus faible importance font trembler le sol.

C’est à une époque relativement récente que le fond de la mer Tyrrhénienne s’est affaissé et il continue, aujourd’hui encore, à s’enfoncer sous les flots. On remarquera sur la carte cinq lignes pointillées qui se trouvent sur l’emplacement de fissures reconnues de la croûte solide. Elles font intersection dans la région qui avoisine les îles Éoliennes. On remarquera encore une bande circulaire, légèrement hachurée, qui correspond également à une fissure d’où partirent les secousses des deux tremblements sus indiqués. La croûte terrestre se comporte ici un peu comme un carreau de vitres qui, serti au pourtour, serait brisé par un coup central, produit aux environs de l’île Lipari. De ce centre rayonnent les nombreuses lignes de fracture indiquées, et les fragments détachés des parties fixes environnantes le sont circulairement suivant la bande hachurée.

L’Etna se trouve précisément à l’intersection de la fracture circulaire et d’une des lignes rayonnantes.

L’importance et le grand intérêt pratique que présente l’étude des tremblements de terre a conduit, dans ces derniers temps, à l’établissement d’un grand nombre d’observatoires séismologiques. On y enregistre tous les mouvements vibratoires du sol au moyen de pendules qui inscrivent leurs déplacements sur des bandes de papier qui se déroulent. Lorsqu’aucun mouvement ne se manifeste, la ligne ainsi inscrite est une droite. Quand une secousse se produit, la ligne devient sinueuse. Si le mouvement du papier est très lent, ces sinuosités se confondent et on semble n’avoir qu’une ligne épaissie. La figure 16 est la reproduction d’un de ces enregistrements de trépidations, obtenu à Shide, dans l’île de Wight, le 31 août 1898. Il se rapporte à un séisme qui s’est produit dans la région G de la carte (fig. 10), c’est-à-dire dans l’océan Indien. On y remarque un
Fig. 15, Lignes des séismes de la région d’affaissement Tyrrhénienne
Fig. 15. — Lignes des séismes dans la région d’affaissement Tyrrhénienne.
premier élargissement de la ligne à 20 heures 5 minutes 2 secondes. La ligne s’est élargie de plus en plus, et les déviations les plus fortes, correspondantes aux secousses les plus intenses,
Fig. 16, Séismogramme relevé à Shide, île de Wight, 31 août 1898
Fig. 16. — Séismogramme, relevé à Shide, dans l’île de Wight, le 31 août 1898.
furent enregistrées à 20 heures 36 minutes 25 secondes et à 20 heures 42 minutes 29 secondes. Elles diminuèrent ensuite lentement.

On donne le nom de préphase au commencement de l’ébranlement, à 20 heures 5 minutes 2 secondes. Celui-ci a suivi une trajectoire directe à travers le noyau du globe, et on a reconnu que sa vitesse de translation est de 9,2 km. par seconde. Elle parcourt le diamètre entier du globe en 23 minutes. Elle est toujours très faible, ce qu’il faut attribuer au frottement très considérable des matières traversées, ainsi que cela se produit dans les gaz fortement surchauffés qui occupent le centre du globe. Le fort ébranlement enregistré à 20 heures 36 minutes 25 secondes marque un mouvement de la croûte solide du globe. Cette secousse est beaucoup moins affaiblie par la transmission que la précédente. Sa vitesse de translation est moindre aussi ; elle n’est que de 3,40 km. par seconde le long de la surface terrestre.

On peut calculer la vitesse de translation d’un choc à travers une masse homogène de quartz. On la trouve égale à 3,60 km. par seconde, c’est-à-dire sensiblement concordante à celle donnée par l’expérience. Cela doit, en effet, être le cas, car la croûte du globe est formée principalement de silicates, c’est-à-dire de combinaisons quartzifères, dont les propriétés se ressemblent.

La vitesse de translation à des distances relativement petites est moins grande ; on n’y observe pas toujours la préphase faible. Elle descend jusqu’à 2 kilomètres par seconde. Il faut en chercher la raison dans ce que la propagation de la secousse se fait par une trajectoire courbe qui passe par les couches plus profondes et plus solides, ou encore parce qu’elle passe par des couches plus hétérogènes et plus brisées qui la transmettent beaucoup plus lentement que les masses homogènes. Ainsi, dans du grès peu consistant, la vitesse est de 1,2 km., dans l’eau 1,4 km. et dans du sable meuble 0,3 km. par seconde.

On conçoit qu’à l’aide de l’enregistrement de l’heure d’arrivée de la première secousse et de la secousse principale, on puisse calculer la distance entre le lieu de l’observation et le centre du tremblement. Parfois on observe que la forte secousse se répète en s’inscrivant à nouveau au bout de quelque temps, un peu affaiblie. Cette deuxième inscription semble indiquer que la propagation a suivi le chemin le plus long autour du globe entre le lieu d’émission et celui de l’enregistrement. Ce phénomène est le même que celui de la propagation de l’onde atmosphérique observée lors de l’éruption du Krakatoa (voy. p. 31). La vitesse de translation est la même pour les deux inscriptions.

Les observations enregistrées par M. Milne l’ont conduit à cette conclusion que si la ligne droite qui joint le centre du séisme au point d’enregistrement ne passe pas à plus de 50 kilomètres au-dessous de la surface de la terre, la secousse est transmise en entier par la croûte solide. Il en conclut à une épaisseur moyenne de cette croûte, égale à 50 kilomètres, ce qui est une remarquable concordance avec l’épaisseur déduite de la considération des températures (voy. p. 18). Il est intéressant d’ajouter que l’on a déterminé, à l’aide d’observations du pendule, la densité de la croûte dans le voisinage des stations. On a cru pouvoir en conclure que jusqu’à 50 ou 60 kilomètres cette densité est très variable, et qu’elle ne devient uniforme qu’à partir de cette profondeur. Ces 50 à 60 kilomètres seraient encore la mesure de l’épaisseur de la croûte terrestre.

L’étude des secousses que subit le sol conduit ainsi à cette conclusion que nos hypothèses sur l’épaisseur peu considérable de la croûte solide et sur la nature gazeuse du noyau central doivent se rapprocher beaucoup de la réalité. Nous pouvons espérer que des études approfondies des séismogrammes nous feront connaître encore bien des choses sur l’état des parties plus profondes du globe, de celles qu’une étude moins critique pourrait faire considérer comme complètement inaccessibles aux recherches scientifiques.


  1. Littéralement, en anglais : cou.
  2. Cette fluidité provenait probablement d’une forte teneur en magnésie et en oxyde de fer. Un excès de silice produit l’effet contraire. La présence de l’eau pouvait également augmenter la fluidité.
  3. Actuellement 2 003 mètres.
  4. On a longtemps attribué une origine météorique à ces masses mais les investigations les plus récentes ont conduit à leur supposer plutôt une origine terrestre, et volcanique.
  5. Il en fut de même pour le récent tremblement de terre de Messine, en décembre 1908, et pour celui des environs de Salon-Rognes en Provence, le 11 juin 1909.