L’évangile et l’apocalypse de Pierre/Introduction




INTRODUCTION





LA DÉCOUVERTE. — LE MANUSCRIT


Les fragments d’évangile et d’apocalypse, dont nous nous proposons d’entretenir le lecteur et qui, depuis quelques mois, exercent la sagacité des critiques, ont été découverts en Haute-Égypte, dans la nécropole chrétienne d’Akhmîm, l’ancienne Panopolis. C’était pendant l’hiver 1886-87, au cours des fouilles exécutées par M. Grébaut, alors directeur général des antiquités d’Égypte. Les fragments en question ne forment pas le seul ni même le principal contenu du manuscrit où ils se trouvent : il renferme encore deux pages des actes du martyre de saint Julien et un long morceau (environ la cinquième partie) du texte grec du livre d’Hénoch[1], document d’une haute valeur historique ; car, à part quelques passages cités par les Pères, on ne connaissait jusqu’ici que par une traduction éthiopienne cette vieille apocalypse, si vénérée des premiers chrétiens.

Pourquoi ces documents hétérogènes ont été ainsi réunis, c’est ce qu’il est assez difficile de dire : pourtant, on ne peut s’empêcher d’être frappé d’une certaine ressemblance entre les sujets traités dans les trois principaux morceaux : la Résurrection, la vie d’outre-tombe, les mystères du monde céleste. Qui sait si nous n’aurions pas là une sorte d’anthologie formée pour son usage personnel par quelque chrétien préoccupé des choses à venir ?

Quoi qu’il en soit, ces différents débris forment aujourd’hui un manuscrit unique sur parchemin, composé de trente-quatre feuillets[2] et affectant la forme d’un livre, non d’un rouleau ; ces feuillets mesurent 15 centimètres sur 12 ; détachés pour la plupart les uns des autres, ils sont réunis dans une couverture de cuir noirci par le temps. Ils sont écrits sur les deux faces et doivent être faits d’une matière fort mince ; car l’encre transparaît, parfois avec une grande netteté, d’une page à l’autre. Pourtant, malgré les décharges que l’on observe aussi çà et là d’une page sur la page opposée, malgré les débris d’écriture mal effacée que l’on aperçoit de place en place, la lecture reste en général aisée.

Les feuillets ne portent aucune pagination ; pour rendre plus claire la disposition générale du recueil nous supposerons, à l’exemple de M. Bouriant, chacun d’eux paginé au recto et au verso.

La page 1 est occupée par une croix copte grossièrement exécutée ; elle est enfermée dans un cadre rectangulaire et porte sur chacun de ses bras une croix plus petite. Au dessous des bras, à droite et à gauche, un Α et un Ω.

Les pages 2-10 renferment le fragment de l’évangile de Pierre. Le feuillet portant les nos 11 et 12, qui tient encore après le feuillet 9-10, est resté vide. Les bords extérieurs des pages 1-12 sont fort noircis. À part quelques mangeures de peu d’étendue et qui n’ont fait disparaître que quelques lettres (pages 2, 5, 6), ce premier cahier est d’ailleurs bien conservé.

Les pages 13-20 contiennent ce qui reste de l’apocalypse de Pierre. Le cahier se trouve cousu la tête en bas dans le manuscrit, de sorte qu’il faut prendre à la page 20, ou plutôt à la page 19 (car la page 20 a été laissée en blanc), pour trouver le début du fragment : le morceau finit à la page 13. Ce cahier a été beaucoup plus endommagé que le précédent : les feuillets 15-16 et 19-20 surtout présentent de grandes lacunes.

Dans les pages suivantes (21-66) on trouve deux fragments du livre d’Hénoch différant par l’écriture et les habitudes orthographiques, mais se faisant suite à une syllabe près : le premier, qui s’étend de la page 21 à la page 50, comprend Hén. 19, 3b-21, 9a et 1, 1-14, 22a ; le second, pages 51-66, embrasse Hén. 14, 22b-32, 6a. Cette partie du manuscrit est généralement bien conservée : le coin supérieur des premiers feuillets a été fortement endommagé, mais les parties écrites n’ont été atteintes que légèrement (aux pages 21, 22, 23) ; il manque également quelques lettres pages 33, 34, 63, 65.

Sur le dernier feuillet enfin (p. 67-58), on trouve un fragment des actes du martyre de saint Julien : le parchemin est noirci et rongé des bords ; mais l’écriture est intacte ; la grande lacune que l’on remarque au milieu de la page est antérieure à la transcription du morceau.

Donnons maintenant quelques détails sur l’exécution de chacun de ces fragments : l’évangile et l’apocalypse de Pierre sont de la même écriture, un mélange très particulier d’onciale et de minuscule, probablement de la même main. Quoique claires et d’un aspect régulier, ces copies ne doivent pas être l’œuvre d’un calligraphe : il n’y a que peu ou point de marge ; les lignes sont de longueurs assez inégales et tendent parfois à descendre, si bien qu’aux pages 18 et 16, la dernière ligne n’a pu, faute de place, être prolongée au-delà du milieu de la page. Nous ne sommes pas en présence des débris d’un manuscrit complet de l’évangile et de l’apocalypse de Pierre, mais de simples extraits qui n’ont jamais eu plus d’étendue qu’aujourd’hui : chacun des deux cahiers, en effet, (1-12 et 20-13) commence par une page blanche ; et, ni dans l’un ni dans l’autre, la page finale n’est complètement remplie[3] : la dernière ligne de l’apocalypse est restée inachevée ; à la page 10 (fin de l’évangile) il y a un blanc de trois lignes environ, où l’on a tracé un entrelacs grossier surmonté de trois croix coptes, et cette page 10 est encore suivie d’un feuillet complètement vide[4].

Suivant une remarque parfaitement juste de l’éminent paléographe M. H. Omont, conservateur-adjoint au département des manuscrits de la Bibliothèque Nationale, l’écriture de l’évangile et de l’apocalypse de Pierre présente une analogie frappante avec celle du papyrus mathématique d’Akhmîm, publié par M. Baillet dans les Mémoires de la Mission française au Caire (même tome et même fascicule que les fragments de Pierre donnés par M. Bouriant). Presque toutes les formes de lettres de notre manuscrit se retrouvent dans la table paléographique insérée à la suite de la page 88 (Pl. 1, colonnes 1 et 2) ; et la description donnée par M. Baillet (p. 4-8)[5] pourrait s’appliquer, sans grandes modifications, à nos fragments. Cela nous dispensera d’entrer dans les détails. Remarquons toutefois que, dans notre manuscrit, le β dépasse toujours la ligne ; que le σ lunaire y est fort souvent formé d’un seul trait ; qu’il n’est pas fait emploi, à ma connaissance du moins, du δ ni du θ minuscules.

Les abréviations se bornent aux abréviations courantes : ν final, θς, ϰς, ανος, ου (A P 17. 25), lettres supérieures. À noter un ι adscrit (ηι, EP 35) et un η pointé (ib. = ). Je n’ai remarqué ni signe de ponctuation (sauf peut-être un point en haut à la fin de l’évangile), ni accent, ni séparation de mots.

Les deux scribes qui ont copié le fragment du livre d’Hénoch se servent de l’onciale penchée courante dans les manuscrits égyptiens. L’aspect des pages est régulier : le Ρ, l’ϒ, le Φ, le Ψ, et, dans la seconde partie, le Ξ et le Τ dépassent seuls la ligne. Les marges ont été en général bien ménagées. Le second copiste surtout prend soin de remplir les blancs à la fin des lignes trop courtes (voy. aussi, dans la première partie, page 21, ligne 3) et de resserrer l’écriture à la fin des lignes trop longues. Il emploie avec plus de régularité que le premier scribe les ϋ et les ϊ au commencement des mots ou entre deux voyelles[6]. L’un et l’autre font usage des apostrophes après les noms propres et les noms communs terminés par une consonne : à part cela, aucun signe pour séparer les mots[7].

Les fragments de saint Julien enfin présentent un troisième type d’écriture : c’est une onciale massive ; au lieu d’être allongées et inclinées, les lettres pourraient en général s’inscrire dans un carré ; les lignes, au nombre de vingt-deux sur chaque page, sont de longueur fort inégale. L’orthographe du morceau est barbare.

Sur l’âge de ces différents manuscrits, un savant compétent, M. Omont, a bien voulu me donner son jugement. Il estime que les fragments de Pierre sont contemporains du papyrus mathématique d’Akhmîm. « M. Baillet, dit-il, attribue au viie ou viiie siècle (p. 4) l’écriture du papyrus mathématique, rien ne s’y oppose au point de vue paléographique. J’avoue cependant que je serais porté à rajeunir quelque peu la minuscule de l’évangile de saint Pierre et à la reporter plutôt au viiie ou ixe siècle, date qu’il semble qu’on doive assigner aussi aux deux onciales penchées du livre d’Hénoch. Quant au fragment des actes de saint Julien, peut-être faut-il le faire remonter au viie siècle. »

M. Bouriant, de son côté, a observé que la région du cimetière où l’on a retrouvé notre manuscrit a été utilisée du viiie au xiie siècle : c’est donc dans cet intervalle que le recueil qui nous occupe aura été enfoui. Les deux constatations concordent : le parchemin découvert dans la tombe d’Akhmîm a dû être achevé vers le viiie ou le ixe siècle.

Nous donnons dans les pages qui suivent une édition des fragments de l’évangile et de l’apocalypse de Pierre corrigée d’après les photographies. Certains passages sont indistincts sur les reproductions que nous avons eues entre les mains : on trouvera en ce cas dans les notes, accompagnée de la lettre B., la partie correspondante de la copie faite par M. Bouriant sur l’original.





  1. Sur cette découverte, voyez A. Dillmann, Ueber den neugefundenen griechischen Text des Henoch-Buches ; Sitzungsberichte der K. P. Akademie der Wiss. zu Berlin, LI, LIII, p. 1039 ss., 1079 ss. ; et A. Lods, Le livre d’Hénoch, fragments grecs découverts à Akhmim, publiés avec les variantes du texte éthiopien, traduits et annotés, Paris, Leroux, 1892.
  2. Le dernier était collé sur la garde de la reliure du manuscrit.
  3. Dans l’évangile, la page 10 n’a que quatorze lignes, alors que les précédentes en ont dix-sept, dix-huit et dix-neuf ; dans l’apocalypse, la page 13, a seize lignes au lieu de dix-huit, dix-neuf et vingt.
  4. Il me semble distinguer à la fin de l’apocalypse la trace de quelques mots effacés : ce qui tendrait à prouver que le manuscrit qui a servi de modèle était plus complet que la copie actuelle.
  5. Notamment le résumé de la page 8, lignes 3-14.
  6. On remarque dans la première partie, deux γ pointés à droite et à gauche de la hampe (c’est ainsi que ce copiste pointe aussi les ι) : dans le mot τεταγμένος (2, 1).
  7. Sauf pourtant p. 28, l. 10 (υμων ·) ; p. 34, l. 10 (παραϰυψαντες ·) ; p. 41, l. 24 (ϰοινονησουσιν.) ; peut-être p. 38, l. 22 (αυτων ·) ; p. 58, l. 15 (21 6), un blanc avant ουτοι. En plusieurs endroits, notamment pp. 59-62, on trouve des points grossièrement tracés entre les mots ; mais ils ont été manifestement ajoutés après coup.