L’émancipation de la femme/Avertissement

Texte établi par Alphonse Constantau bureau de la direction de La Vérité (p. 5-8).


AVERTISSEMENT.


On rit, avec quelque raison peut-être, des messies et des faux dieux de notre époque ; aussi, en publiant ce Testament de la Paria, ne prétendons-nous pas poser Flora Tristan en prophétesse ou en inspirée.

Cette femme pourtant a cru jusqu’à la mort ; elle s’est dévouée pour la classe ouvrière d’abord en général, mais elle voulait ensuite travailler au renouvellement de l’humanité par l’émancipation morale de la femme, et c’est pourquoi elle travaillait en silence à un livre plein de pensées hardies et généreuses qui ne devait être publié qu’après sa mort. Ce livre ne contient pas une doctrine nouvelle, et cependant nous ne balançons pas à le placer parmi les ouvrages les plus profonds et les plus sérieux de notre époque palingénésique ; ce sont les adieux d’un beau génie incompris ; c’est enfin ce dernier chant de l’âme croyante et sacrifiée que les anciens avaient doué de tant de mélodie sous l’emblème du chant du cygne.

Tous ceux à qui la mémoire des amis du peuple est chère, tous les hommes d’avenir, toutes les femmes qui sentent la dignité de leur sexe dans les prérogatives de la mère liront avec intérêt cet ouvrage.

Sans doute qu’on y trouvera un peu de ce désordre enthousiaste et cette exagération hyperbolique qui sont ordinaires chez les âmes ardentes ; les saints du catholicisme n’ont-ils pas eu aussi leurs pieuses exagérations ?

Sans doute que les récriminations de Flora contre la société dont elle avait tant souffert ont un peu de véhémence et d’amertume ; les heureux lui pardonneront et les malheureux la comprendront. Quant à l’ordre social, il n’en sera pas moins toujours le même tant que Dieu voudra.

Du reste, ne fût-ce qu’au point de vue de la curiosité, cette publication ne peut manquer d’avoir du succès. Je livre donc au public ce qu’on m’a confié pour lui, je n’ai prêté à Flora que ma rédaction dans les endroits que ses notes laissaient embarrassés ou douteux, mais toujours selon ses traditions verbales.

C’est en un mot sa pensée et non la mienne que je soumets au jugement de l’opinion ; car, pour moi, je suis las d’avoir des pensées que personne ne partage, et je me retire d’une lice où j’ai combattu douloureusement et généreusement peut-être, quoique sans encouragements et sans gloire, pour achever de mourir dans l’ombre en priant sur les tombeaux des nobles cœurs qu’on oublie et en conversant avec les âmes de ceux qui ont aimé sans espérance et proféré une parole sans écho !


A. Constant.