Texte établi par Alphonse Constantau bureau de la direction de La Vérité (p. 82-87).

XV

La Communion.


Pères et mères qui ne croyez plus à l’autorité de l’Église, vous voulez cependant que vos enfants fassent leur première communion, et vous croiriez manquer à vos devoirs naturels si vous ne leur imposiez pas ce devoir religieux.

Et en cela vous n’êtes plus conduits par une croyance raisonnée, mais par cet instinct sacré qui fait vivre les religions au cœur des masses.

Oui, vous faites bien d’envoyer vos enfants à l’église, et de les faire admettre à la première communion, vous qui attendez encore la seconde.

Car dans ce symbole est contenue la religion avec ses promesses de liberté, d’égalité et de fraternité.

Qu’est-ce que la première communion ? C’est l’admission au banquet où les hommes fraternisent entre eux et avec Dieu même.

Là, il n’y a ni riches ni pauvres ; tous ont une part égale au pain que le Christ a payé de son sang et de sa vie et qu’il a pu ainsi léguer aux générations futures en leur disant : C’est ma chair et mon sang !

Symbole qui, depuis dix-huit cents ans et plus, proteste hautement contre l’appropriation égoïste et meurtrière et qui n’a pas encore été compris.

Cherchez un mot qui soit l’opposé direct et absolu de communion : j’en suis fâché pour ceux à qui cela peut causer de l’ennui, mais c’est propriété. Consultez la grammaire.

Certes je suis loin de vouloir manquer de respect à la propriété, ce dieu sourd et aveugle de notre malheureuse époque ; mais j’ai un avertissement sérieux à donner aux hommes qui en propagent le culte et qui le défendent contre toutes les attaques, même de la raison. Vous êtes propriétaires et vous faites communier vos enfants avec ceux de vos ouvriers et de vos domestiques ! Prenez garde !

Vous êtes propriétaires et vous admettez le christianisme comme base de renseignement qu’on donne au peuple !… : Prenez garde encore une fois !

Prendre garde et pourquoi donc ? Est-ce que la morale chrétienne ne condamne pas formellement les voleurs ?

Oui certes, elle les condamne ; et c’est ce qui devrait faire trembler la plupart d’entre vous.

Mais répondez, je vous prie, aux questions que je vais vous faire.

Le Christ s’est-il donné et a-t-il été reçu par les vrais chrétiens, non-seulement comme un docteur, mais comme un modèle ? — Oui.

A-t-il possédé ou voulu posséder quelque chose au monde ? — Non.

A-t-il jamais parlé en faveur de la propriété ? — Non.

A-t-il imposé la désappropriation comme une condition de salut ? — Oui.

A-t-il dit qu’un câble passerait plus facilement par le trou d’une aiguille qu’un riche par la porte du ciel ?

A-t-il défendu à ses apôtres de posséder et de s’approprier quoi que ce soit ?

A-t-il établi une telle solidarité entre les hommes que la souffrance d’un seul doive être la souffrance de tous, et que l’insulte ou l’injustice faite à un seul soit faite à lui-même, c’est-à-dire à Dieu ?

A-t-il dit que si quelqu’un disputait à un chrétien sa tunique, le chrétien devait donner encore son manteau ?

A-t-il voulu constituer l’unité divine et humaine, et la communion en est-elle le symbole ? — Oui, toujours oui.

Les premiers chrétiens, disciples et frères des apôtres, ont-ils dû mieux comprendre que nous les intentions du Christ ?

Ont-ils mis tout en commun ?

Saint Pierre, le chef de la communauté chrétienne, a-t-il puni de mort Ananias et Saphyra pour fait d’appropriation furtive et de soustraction frauduleuse de leur propre bien à la communauté ?

Aucun des Pères et des docteurs catholiques a-t-il jamais osé désavouer les apôtres et blâmer les maximes et les pratiques de la primitive Église ?

Maintenant, dites-moi ce qui empêche les hommes de penser à Dieu ? n’est-ce pas le souci de gagner de l’argent ?

Quelle est l’unique source de leurs divisions et de leurs crimes ? n’est-ce pas la propriété et ses convoitises ?

Quelle est la base de l’individualisme égoïste ?

Par quoi les hommes sont-ils séparés en castes ?

D’où vient l’aristocratie ? D’où vient qu’il y a des parias ? N’est-ce pas de la propriété ?

Ce sont des faits que je constate ; si je me trompe, qu’on me le dise ; je demande seulement qu’on me réponde oui ou non. Du reste, je ne touche pas ici à la propriété légale, et j’examine seulement la chose au point de vue religieux et chrétien.

Or je crois avoir assez clairement et solidement établi que le christianisme, résumé dans la communion, et la civilisation moderne, résumée dans la propriété, sont tellement opposés l’un à l’autre et dans les mots et dans les choses, que l’un doit nécessairement détruire l’autre, et que, si la société croit dangereuses les idées du communisme spiritualiste, il faut qu’elle brûle l’Évangile et qu’elle proscrive le nom de chrétien, afin que jamais on ne donne aux enfants du peuple des droits et des idées étranges en les faisant communier à la table de Dieu.

On me demandera peut-être pourquoi, moi qui parle ainsi, je ne me suis jamais approchée avec ma fille de la communion catholique.

C’est que je ne pouvais ni ne voulais livrer ma dignité de femme aux questions impures d’un prêtre.

C’est que je ne voulais pas livrer à ces hommes l’innocence morale de ma fille.

Car le célibat des prêtres est selon moi une chose impie, et les assiduités des femmes au confessionnal une sorte de profanation des droits de la nature.

Est-ce donc pour séduire les âmes de nos filles qu’ils renoncent à avoir une femme pour légitime épouse !

Le mariage spirituel est beau, sans doute, et je le comprends, moi qu’on a fait passer pour une femme débauchée parce que je règne assez sur mes sens pour dédaigner la pruderie !

Mais ce mariage ne doit pas être clandestin : il faut qu’il soit libre d’admettre, s’il veut, l’amour des sens, afin d’en triompher volontairement.

Quoi ! désirer sans cesse et n’oser pas ! et mentir toujours et respirer furtivement un souffle qui vous donne la fièvre et dissimuler dans des capucinades hypocrites les émotions passionnées du désir !… Fi ! c’est infâme !