Nouvelles Éditions Latines (p. 29-31).

III


L’IDÉAL DE L’ANCIENNE ÉLITE


Le Souverain était le lien entre le Ciel et la Terre, le créateur, le « secréteur », comme on l’a dit, de l’ordre universel.

L’idéal de tout son entourage et de tout ce qui s’était plus ou moins élevé : laboureurs, artisans, marchands aussi bien que dignitaires, était de l’aider à bien remplir ce rôle. Tous ambitionnant de fournir cette aide, un classement, une hiérarchie devait nécessairement s’ensuivre qui occupa dans l’ensemble des institutions chinoises une des places les plus importantes. La preuve en est dans l’existence d’un Ministère des Fonctionnaires qui, à côté de celui des Cérémonies, caractérise le gouvernement de la Chine. Ce Ministère fut l’organe régulateur de la bureaucratie. Il enregistrait la candidature perpétuelle des fonctionnaires à un degré supérieur de la hiérarchie. Sans limite d’âge, ceux-ci pouvaient se présenter à des examens de plus en plus difficiles pour avoir accès à un grade plus élevé.

Ces examens étaient exclusivement littéraires. Des gens de toute classe pouvaient s’y présenter et par conséquent atteindre aux plus hautes fonctions. Il n’y avait pas de noblesse privilégiée bénéficiaire des charges publiques. Le mode de recrutement des fonctionnaires était ainsi démocratique, mais le fait du prince apportait quelquefois une exception à la règle. D’après les résultats obtenus par un candidat, celui-ci était proposé par le Ministère des Fonctionnaires pour telle ou telle nomination, décoration, etc. C’était un « lettré », personnage auquel les Européens ont donné dans l’exercice de sa fonction, quels que soient son rang et la couleur indicatrice du bouton qui surmontait sa coiffure, l’appellation générique de « mandarin », terme d’origine portugaise (mandar : commander) ; son nom chinois était kouan.

Les lettrés formèrent rapidement une caste qui fit parler d’elle. Sous la dernière dynastie qui régna sur la Chine, la dynastie mandchoue des Tsing, les lettrés tinrent dans leurs mains plus qu’à aucune autre époque les rouages du gouvernement. La matière des examens était déterminée par eux. Eux seuls étaient examinateurs et il était indispensable de faire profession de leurs idées. Ils détenaient de cette façon une sorte de monopole pour le recrutement des fonctionnaires, ce qui leur donnait en fait le gouvernement du pays.

Les lettrés, c’est-à-dire tous ceux qui avaient plus ou moins étudié les textes sous un maître confuciiste, représentaient un pour cent de la population totale, soit trois ou quatre millions d’individus.

Le P. Wieger dans son Histoire des croyances religieuses (Challamel) les juge sévèrement. « Les lettrés, écrit-il, p. 698, souffrent tous plus ou moins, dans leur volonté, des suites funestes de la voie moyenne confuciiste. S’en tenir, dans tous les cas, à l’expédient qui coûte le moindre effort, au truc qui permettra de se tirer vaille que vaille de la difficulté présente, sans utilisation des expériences passées, sans prévoyance des éventualités futures. »

La critique est acerbe, mais à dire vrai, si les lettrés ont compté parmi eux des esprits novateurs, ils n’ont jamais su conformer leurs actes à leurs paroles souvent justes et hardies. L’audace agissante leur a toujours fait défaut. Tournés vers le passé, ils ont rien fait pour que leur opposition dépourvue d’activité réalisatrice servit à l’avenir de la Chine.