Traduction par Henry-D. Davray.
Mercure de France (p. 78-94).

VI

une seconde évasion


Quand je fus assez près, je vis que la lumière venait de la porte ouverte de ma chambre, et j’entendis, sortant de l’obscurité qui cernait cette échappée de clarté, la voix de Montgomery, m’appelant de toutes ses forces.

Je continuai à courir. Bientôt, je l’entendis de nouveau. Je répondis faiblement et l’instant d’après j’arrivai jusqu’à lui, chancelant et haletant.

— D’où sortez-vous ? questionna-t-il en me prenant par le bras et me maintenant de telle façon que la lumière m’éclairait en pleine figure. Nous avons été si occupés, tous les deux, que nous vous avions oublié et il n’y a qu’un instant qu’on s’est préoccupé de vous.

Il me conduisit dans la pièce et me fit asseoir dans le fauteuil pliant. La lumière m’aveugla pendant quelques minutes.

— Nous ne pensions pas que vous vous risqueriez à explorer l’île sans nous en prévenir, dit-il… J’avais peur… mais… quoi ?… eh ! bien ?…

Mon dernier reste d’énergie m’abandonna et je me laissai aller, la tête sur la poitrine. Il éprouva, je crois, une certaine satisfaction à me faire boire du cognac.

— Pour l’amour de Dieu, implorai-je, fermez cette porte.

— Vous avez rencontré quelque… quelque bizarre créature, hein ? interrogea-t-il.

Il alla fermer la porte et revint. Sans me poser d’autres questions, il me donna une nouvelle gorgée de cognac étendu d’eau et me pressa de manger. J’étais complètement affaissé. Il grommela de vagues paroles à propos d’« oubli » et d’« avertissement » ; puis il me demanda brièvement quand j’étais parti et ce que j’avais vu. Je lui répondis tout aussi brièvement et par phrases laconiques.

— Dites-moi ce que tout cela signifie ? lui criai-je dans un état d’énervement indescriptible.

— Ça n’est rien de si terrible, fit-il. Mais je crois que vous en avez eu assez pour aujourd’hui.

Soudain, le puma poussa un hurlement déchirant, et Montgomery jura à mi-voix.

— Que le diable m’emporte, si cette boîte n’est pas pire que le laboratoire… à Londres… avec ses chats…

— Montgomery, interrompis-je, quelle est cette chose qui m’a poursuivi ? Était-ce une bête ou était-ce un homme ?

— Si vous ne dormez pas maintenant, conseilla-t-il, vous battrez la campagne demain.

— Quelle est cette chose qui m’a poursuivi ? répétai-je en me levant et me plantant devant lui.

Il me regarda franchement dans les yeux et une crispation lui tordit la bouche. Son regard, qui, la minute d’avant, s’était animé, redevint terne.

— D’après ce que vous en dites, fit-il, je pense que ce doit être un spectre.

Un accès de violente irritation s’empara de moi et disparut presque aussitôt. Je me laissai retomber dans le fauteuil et pressai mon front dans mes mains. Le puma se reprit à gémir. Montgomery vint se placer derrière moi, et, me posant la main sur l’épaule, il parla :

— Écoutez bien, Prendick, je n’aurais pas dû vous laisser vagabonder dans cette île stupide… Mais rien n’est aussi terrible que vous le pensez, mon cher. Vous avez les nerfs détraqués. Voulez-vous que je vous donne quelque chose qui vous fera dormir ? Ceci… (il voulait dire les cris du puma) va durer encore pendant plusieurs heures. Il faut tout bonnement que vous dormiez ou je ne réponds plus de rien.

Je ne répondis pas, et, les coudes sur les genoux, je cachai ma figure dans mes mains. Bientôt, il revint avec une petite fiole contenant un liquide noirâtre qu’il me fit boire. Je l’ingurgitai sans résistance et il m’aida à m’installer dans le hamac.

Quand je m’éveillai, il faisait grand jour. Je demeurai assez longtemps sans bouger, contemplant le plafond. Les chevrons, remarquai-je, étaient faits avec les épaves d’un vaisseau. Tournant la tête, j’aperçus un repas préparé sur la table. J’avais faim et je me mis en devoir de sortir du hamac, lequel, allant très poliment au-devant de mon intention, bascula et me déposa à quatre pattes sur le plancher.

Je me relevai et m’installai à table ; j’avais la tête lourde, et, tout d’abord, je ne retrouvai que de vagues souvenirs de ce qui s’était passé la veille. La brise matinale, soufflant doucement par la fenêtre sans vitres, et la nourriture que je pris, contribuèrent à me donner cette sensation de bien-être animal que j’éprouvai ce matin-là. Soudain, la porte intérieure qui menait dans l’enclos s’ouvrit derrière moi. Je me retournai et aperçus Montgomery.

— Ça va ? fit-il. Je suis terriblement occupé.

Il tira la porte après lui, et je découvris ensuite qu’il avait oublié de la fermer à clef.

L’expression qu’avait sa figure, la nuit précédente, me revint et tous les souvenirs de mes expériences se reproduisirent tour à tour dans ma mémoire. Une sorte de crainte s’emparait à nouveau de moi, et, au même moment, un cri de douleur se fit encore entendre. Mais cette fois ce n’était plus la voix du puma.

Je reposai sur mon assiette la bouchée préparée et j’écoutai. Partout le silence, à part le murmure de la brise matinale. Je commençai à croire que mes oreilles me décevaient.

Après une longue pause, je me remis à manger, demeurant aux écoutes. Bientôt, je perçus un autre bruit, très faible et bas. Je restai comme pétrifié. Bien que le bruit fût affaibli et sourd, il m’émut plus profondément que toutes les abominations que j’avais entendues jusqu’ici derrière ce mur. Cette fois, il n’y avait pas d’erreur possible sur la nature de ces sons atténués et intermittents ; aucun doute quant à leur provenance. C’étaient des gémissements entrecoupés de sanglots et de spasmes d’angoisse. Cette fois, je ne pouvais me méprendre sur leur signification : c’était un être humain qu’on torturait !

À cette idée, je me levai ; en trois enjambées, j’eus traversé la pièce, et, saisissant le loquet, j’ouvris toute grande la porte intérieure.

— Eh ! là, Prendick ! arrêtez ! cria Montgomery, intervenant.

Un grand chien, surpris, aboya et gronda. Je vis du sang dans une rigole, du sang coagulé et d’autre encore rouge, et je respirai l’odeur particulière de l’acide phénique. Par l’entrebâillement d’une porte, de l’autre côté de la cour, j’aperçus, dans l’ombre à peine distincte, quelque chose qui était lié sur une sorte de cadre, un être tailladé, sanguinolent et entouré de bandages, par endroits. Puis, cachant ce spectacle, apparut le vieux Moreau, pâle et terrible.

En un instant, il m’eut empoigné par l’épaule d’une main toute souillée de sang, et, me soulevant de terre, comme si j’eusse été un petit enfant, il me lança la tête la première dans ma chambre. Je tombai de tout mon long sur le plancher ; la porte claqua, me dérobant l’expression de violente colère de sa figure. Puis la clef tourna furieusement dans la serrure, et j’entendis la voix de Montgomery se disculpant.

— … ruiner l’œuvre de toute une vie ! disait Moreau.

— Il ne comprend pas, expliquait Montgomery, parmi d’autres phrases indistinctes.

— Je n’ai pas encore le loisir… répondait Moreau.

Le reste m’échappa. Je me remis sur pied, tout tremblant, tandis que mon esprit n’était qu’un chaos d’appréhensions des plus horribles. Était-ce concevable, pensais-je, qu’une chose pareille fût possible ? La vivisection humaine ! Cette question passait comme un éclair dans un ciel tumultueux. Soudain, l’horreur confuse de mon esprit se précisa en une vive réalisation du danger que je courais.

Il me vint à l’idée, comme un espoir irraisonné de salut, que la porte de ma chambre m’était encore ouverte. J’étais convaincu maintenant, absolument certain que Moreau était occupé à viviséquer un être humain. Depuis que j’avais, pour la première fois après mon arrivée, entendu son nom, je m’étais sans cesse efforcé, d’une façon quelconque, de rapprocher de ses abominations le grotesque animalisme des insulaires ; et maintenant je croyais tout deviner. Le souvenir me revint de ses travaux sur la transfusion du sang. Ces créatures que j’avais vues étaient les victimes de ses hideuses expériences.

Les abominables sacripants qu’étaient Moreau et Montgomery avaient simplement l’intention de me garder, de me duper avec leur promesse de confidences, pour me faire bientôt subir un sort plus horrible que la mort : la torture, et, après la torture, la plus hideuse dégradation qu’il fut possible de concevoir, m’envoyer, âme perdue, abêtie, rejoindre le reste de leurs monstres. Je cherchai des yeux une arme quelconque : rien. Une inspiration me vint. Je retournai le fauteuil pliant et, maintenant un des côtés par terre avec mon pied, j’arrachai le barreau le plus fort. Par hasard, un clou s’arracha en même temps que le bois, et, le traversant de part en part, donnait un air dangereux à une arme qui, autrement, eût été inoffensive. J’entendis un pas au dehors et j’ouvris immédiatement la porte : Montgomery était à quelques pas, venant dans l’intention de fermer aussi l’issue extérieure.

Je levai sur lui mon arme, visant sa tête, mais il bondit en arrière. J’hésitai un moment, puis je m’enfuis à toutes jambes et tournai le coin du mur.

— Prendick !… hé !… Prendick !… l’entendis-je crier, tout étonné. Prendick !… Ne faites donc pas l’imbécile !…

Une minute de plus, pensais-je, et j’aurais été enfermé, tout aussi certain de mon sort qu’un cobaye de laboratoire. Il parut au coin de l’enclos d’où je l’entendis encore une fois m’appeler. Puis il se lança à mes trousses, me criant des choses que je ne comprenais pas.

Cette fois, j’allais à toute vitesse, sans savoir où, dans la direction du nord-est, formant angle droit avec le chemin que j’avais suivi dans ma précédente expédition. Une fois, comme j’escaladais le talus du rivage, je regardai par-dessus mon épaule, et je vis Montgomery suivi maintenant de son domestique. Je m’élançai furieusement jusqu’au haut de la pente et m’enfonçai dans une vallée rocailleuse, bordée de fourrés impénétrables. Je courus ainsi pendant peut-être un mille, la poitrine haletante, le cœur me battant dans les oreilles ; puis, n’entendant plus ni Montgomery ni son domestique, et me sentant presque épuisé, je tournai court dans la direction du rivage, suivant ce que je pouvais croire, et me tapis à l’abri d’un fouillis de roseaux.

J’y restai longtemps, trop effrayé pour bouger et même beaucoup trop affolé pour songer à quelque plan d’action. Le paysage farouche qui m’entourait dormait silencieusement sous le soleil et le seul bruit que je pusse percevoir était celui que faisaient quelques insectes dérangés par ma présence. Bientôt, me parvint un son régulier et berceur — le soupir de la mer mourant sur le sable.

Au bout d’une heure environ, j’entendis Montgomery qui criait mon nom, au loin, vers le nord. Cela me décida à combiner un plan d’action. Selon ce que j’interprétais alors, l’île n’était habitée que par ces deux vivisecteurs et leurs victimes animalisées. Sans doute, ils pourraient se servir de certains de ces monstres contre moi, si besoin en était. Je savais que Moreau et Montgomery avaient chacun des revolvers, et à part mon faible barreau de bois blanc, garni d’un petit clou — caricature de massue — j’étais sans défense.

Aussi, je demeurai où j’étais jusqu’à ce que je vinsse à penser à manger et à boire, et, à ce moment, je me rendis compte de ce que ma situation avait d’absolument désespéré. Je ne connaissais aucun moyen de me procurer de la nourriture. Je savais trop peu de botanique pour découvrir autour de moi la moindre ressource de racine ou de fruit ; je n’avais aucun piège pour attraper les quelques lapins lâchés dans l’île. Plus j’y pensais et plus j’étais découragé. Enfin, devant cette position sans issue, mon esprit revint à ces hommes animalisés que j’avais rencontrés. J’essayai de me redonner quelque espoir avec ce que je pus me rappeler d’eux. Tour à tour, je me représentai chacun de ceux que j’avais vus et j’essayai de tirer de ma mémoire quelque bon augure d’assistance.

Soudain, j’entendis un chien aboyer, et cela me fit penser à un nouveau danger. Sans prendre le temps de réfléchir — sans quoi ils m’auraient attrapé — je saisis mon bâton et me lançai aussi vite que je pus du côté d’où venait le bruit de la mer. Je me souviens d’un buisson de plantes garnies d’épines coupant comme des canifs. J’en sortis, sanglant et les vêtements en lambeaux, pour déboucher au bord d’une longue crique qui s’ouvrait au nord. Je m’avançai droit dans l’eau, sans une minute d’hésitation, et me trouvai bientôt en avoir jusqu’aux genoux. Je parvins enfin à l’autre rive, et, le cœur battant à tout rompre, je me glissai dans un enchevêtrement de lianes et de fougères, attendant l’issue de la poursuite. J’entendis le chien — il n’y en avait qu’un — s’approcher et aboyer quand il traversa les épines. Puis tout bruit cessa et je commençai à croire que j’avais échappé.

Les minutes passaient, le silence se prolongeait et enfin, au bout d’une heure de sécurité, mon courage me revint.

Je n’étais plus alors ni très terrifié, ni très misérable, car j’avais, pour ainsi dire, dépassé les bornes de la terreur et du désespoir. Je me rendais compte que ma vie était positivement perdue, et cette persuasion me rendait capable de tout oser. Même, j’avais un certain désir de rencontrer Moreau, de me trouver face à face avec lui. Et puisque j’avais traversé l’eau, je pensai que si j’étais serré de trop près, j’avais au moins un moyen d’échapper à mes tourments, puisqu’ils ne pouvaient guère m’empêcher de me noyer. J’eus presque l’idée de me noyer tout de suite, mais une bizarre curiosité de voir comment l’aventure finirait, un intérêt, un étrange et impersonnel besoin de me voir moi-même en spectacle me retint. J’étirai mes membres engourdis et endoloris par les déchirures des épines ; je regardai les arbres autour de moi, et, si soudainement qu’elle sembla se projeter hors de son cadre de verdure, mes yeux se posèrent sur une face noire qui m’épiait.

Je reconnus la créature simiesque qui était venue à la rencontre de la chaloupe, sur le rivage ; le monstre était suspendu au tronc oblique d’un palmier. Je serrai mon bâton dans ma main, et me levai, lui faisant face. Il se mit à baragouiner.

— Vou… vou… vou… fut d’abord tout ce que je pus distinguer.

Soudain, il sauta à terre et, écartant les branches, m’examina curieusement.

Je n’éprouvais pas pour cet être la même répugnance que j’avais ressentie lors de mes autres rencontres avec les hommes animalisés.

— Vous…, dit-il… dans le bateau…

Puisqu’il parlait, c’était un homme, — du moins autant que le domestique de Montgomery.

— Oui, répondis-je, je suis arrivé dans le bateau… débarqué du navire…

— Oh ! fit-il.

Le regard de ses yeux brillants et mobiles me parcourait des pieds à la tête, se fixant sur mes mains, sur le bâton que je tenais, sur mes pieds, sur les endroits de mon corps que laissaient voir les déchirures faites par les épines. Quelque chose semblait le rendre perplexe. Ses yeux revinrent à mes mains. Il étendit une des siennes et compta lentement ses doigts :

— Un, deux, trois, quatre, cinq, — eh ?

Je ne compris pas alors ce qu’il voulait dire. Plus tard je trouvai qu’un certain nombre de ces bipèdes avaient des mains mal formées, auxquelles, parfois il manquait jusqu’à trois doigts. Mais, m’imaginant que cela était un signe de bienvenue, je répondis par le même geste. Il grimaça avec la plus parfaite satisfaction. Alors son regard furtif et rapide m’examina de nouveau. Il eut un vif mouvement de recul et disparut ; les branches de fougères qu’il avait tenues écartées se rejoignirent.

Je fis quelques pas dans le fourré pour le suivre, et fus étonné de le voir se balancer joyeusement, suspendu par un long bras maigre à une poignée de lianes qui tombaient des branches plus élevées. Il me tournait le dos.

— Eh ! bien ? prononçai-je.

Il sauta à terre en tournant sur lui-même, et me fit face.

— Dites-moi, lui demandai-je, où je pourrais trouver quelque chose à manger.

— Manger ! fit-il. Manger de la nourriture des hommes, maintenant… Dans les huttes !

Ses yeux retournèrent aux lianes pendantes.

— Mais, où sont les huttes ?

— Ah !

— Je suis nouveau, vous comprenez.

Sur ce, il fit demi-tour et se mit à marcher d’une vive allure. Tous ses mouvements étaient curieusement rapides.

— Suivez-moi, commanda-t-il.

Je lui emboîtai le pas, décidé à pousser l’aventure jusqu’au bout. Je devinais que les huttes devaient être quelque grossier abri, où il habitait avec certains autres de ces bipèdes. Peut-être, les trouverais-je animés de bonnes dispositions à mon égard ; peut-être, aurais-je le moyen de m’emparer de leurs esprits. Je ne savais pas encore combien ils étaient éloignés de l’héritage humain que je leur attribuais.

Mon simiesque compagnon trottait à côté de moi, les bras ballants et la mâchoire inférieure protubérante. Je me demandais quelle faculté de se souvenir il pouvait posséder.

— Depuis combien de temps êtes-vous dans cette île ? demandai-je.

— Combien de temps… fit-il.

Après que je lui eus répété la question, il ouvrit doigts de sa main. Il valait donc un peu mieux qu’un idiot. J’essayai de lui faire préciser ce qu’il voulait dire par ce geste, mais cela parut l’ennuyer beaucoup. Après deux ou trois interrogations, il s’écarta soudain et sauta après quelque fruit qui pendait d’une branche d’arbre. Il arracha une poignée de gousses garnies de piquants et se mit à en manger le contenu. Je l’observai avec satisfaction, car, ici du moins, j’avais une indication pour trouver à me sustenter. J’essayai de lui poser d’autres questions, mais ses réponses, rapides et babillardes, étaient la plupart du temps intempestives et incohérentes : rarement elles se trouvaient appropriées, et le reste semblait des phrases de perroquet.

Mon attention était tellement absorbée par tous ces détails que je remarquai à peine le sentier que nous suivions. Bientôt nous passâmes auprès de troncs d’arbres entaillés et noirâtres, puis, dans un endroit à ciel ouvert, encombré d’incrustations d’un blanc jaunâtre, à travers lequel se répandait une âcre fumée qui vous prenait au nez et à la gorge. Sur la droite, par-dessus un fragment de roche nue, j’aperçus l’étendue bleue de la mer. Le sentier se repliait brusquement en un ravin étroit entre deux masses écroulées de scories noirâtres et noueuses. Nous y descendîmes.

Ce passage, après l’aveuglante clarté que reflétait le sol sulfureux, était extrêmement sombre. Ses murs se dressaient à pic et vers le haut se rapprochaient. Des lueurs écarlates et vertes dansaient devant mes yeux. Mon conducteur s’arrêta soudain.

— Chez moi, dit-il.

Je me trouvais au fond d’une fissure, qui, tout d’abord, me parut absolument obscure. J’entendis divers bruits étranges et je me frottai énergiquement les yeux avec le dos de ma main gauche. Une odeur désagréable monta, comme celle d’une cage de singe mal tenue. Au delà, le roc s’ouvrait de nouveau sur une pente régulière de verdures ensoleillées, et, de chaque côté, la lumière venait se heurter par un étroit écartement contre l’obscurité intérieure.