Traduction par Henry-D. Davray.
Mercure de France (p. 61-77).

V

dans la forêt


Je m’avançai à travers les broussailles qui revêtaient le talus, derrière la maison, ne me souciant guère de savoir où j’allais ; je continuai sous un épais et obscur taillis d’arbres aux troncs droits, et me trouvai bientôt à quelque distance sur l’autre pente, descendant vers un ruisseau qui courait dans une étroite vallée. Je m’arrêtai pour écouter. La distance à laquelle j’étais parvenu ou les masses intermédiaires de fourrés amortissaient tous les sons qui auraient pu venir de l’enclos. L’air était tranquille. Alors, avec un léger bruit, un lapin parut et décampa derrière la pente. J’hésitai et m’assis au bord de l’ombre.

L’endroit était ravissant. Le ruisseau était dissimulé par les luxuriantes végétations de ses rives, sauf en un point où je pouvais voir les reflets de ses eaux scintillantes. De l’autre côté, j’apercevais, à travers une brume bleuâtre, un enchevêtrement d’arbres et de lianes au-dessus duquel surplombait le bleu lumineux du ciel. Ici et là des éclaboussures de blanc et d’incarnat indiquaient des touffes fleuries d’épiphytes rampants. Je laissai mes yeux errer un instant sur ce paysage, puis mon esprit revint sur les étranges singularités de l’homme de Montgomery. Mais il faisait trop chaud pour qu’il fût possible de réfléchir longuement, et bientôt je tombai dans une sorte de torpeur, quelque chose entre l’assoupissement et la veille.

Je fus soudain réveillé, je ne sais au bout de combien de temps, par un bruissement dans la verdure de l’autre côté du cours d’eau. Pendant un instant, je ne pus voir autre chose que les sommets agités des fougères et des roseaux. Puis, tout à coup, sur le bord du ruisseau parut quelque chose — tout d’abord, je ne pus distinguer ce que c’était. Une tête se pencha vers l’eau et commença à boire. Alors je vis que c’était un homme qui marchait à quatre pattes comme une bête.

Il était revêtu d’étoffes bleuâtres. Sa peau était d’une nuance cuivrée et sa chevelure noire. Il semblait qu’une laideur grotesque fût la caractéristique invariable de ces insulaires. J’entendais le bruit qu’il faisait en aspirant l’eau.

Je m’inclinai en avant pour mieux le voir et un morceau de lave qui se détacha sous sa main descendit bruyamment la pente. L’être leva craintivement la tête et rencontra mon regard. Immédiatement, il se remit sur pied et, sans me quitter des yeux, se mit à s’essuyer la bouche d’un geste maladroit. Ses jambes avaient à peine la moitié de la longueur de son corps. Nous restâmes ainsi, peut-être l’espace d’une minute, à nous observer, aussi décontenancés l’un que l’autre ; puis il s’esquiva parmi les buissons, vers la droite, en s’arrêtant une fois ou deux pour regarder en arrière, et j’entendis le bruissement des branches s’affaiblir peu à peu dans la distance. Longtemps après qu’il eut disparu, je restai debout les yeux fixés dans la direction où il s’était enfui. Je ne pus retrouver mon calme assoupissement.

Un bruit derrière moi me fit tressaillir et, me tournant tout à coup, je vis la queue blanche d’un lapin qui disparaissait au sommet de la pente. Je me dressai d’un bond.

L’apparition de cette créature grotesque et à demi-bestiale avait soudain peuplé pour mon imagination la tranquillité de l’après-midi. Je regardai autour de moi tourmenté et regrettant d’être sans armes. Puis l’idée me vint que cet homme était vêtu de cotonnade bleue, alors qu’un sauvage eût été nu, et d’après ce fait j’essayai de me persuader qu’il était probablement d’un caractère très pacifique et que la morne férocité de son aspect le calomniait.

Pourtant cette apparition me tourmentait grandement.

Je m’avançai vers la gauche au long du talus, attentif et surveillant les alentours entre les troncs droits des arbres. Pourquoi un homme irait-il à quatre pattes et boirait-il à même le ruisseau ? Bientôt j’entendis de nouveaux gémissements et, pensant que ce devait être le puma, je tournai dans une direction diamétralement opposée. Cela me ramena au ruisseau, que je traversai, et je continuai à me frayer un chemin à travers les broussailles de l’autre rive.

Une grande tache d’un rouge vif, sur le sol, attira soudain mon attention, et, m’en approchant, je trouvai que c’était une sorte de fongosité à branches rugueuses comme un lichen foliacé, mais se changeant, si l’on y touchait, en une sorte de matière gluante. Plus loin, à l’ombre de quelques fougères géantes, je tombai sur un objet désagréable : le cadavre encore chaud d’un lapin, la tête arrachée et couvert de mouches luisantes. Je m’arrêtai stupéfait à la vue du sang répandu. L’île, ainsi, était déjà débarrassée d’au moins un de ses visiteurs.

Il n’y avait à l’entour aucune autre trace de violence. Il semblait que la bête eût été soudain saisie et tuée et, tandis que je considérais le petit cadavre, je me demandais comment la chose avait pu se faire. La vague crainte dont je n’avais pu me défendre, depuis que j’avais vu l’être à la face si peu humaine boire au ruisseau, se précisa peu à peu. Je commençai à me rendre compte de la témérité de mon expédition parmi ces gens inconnus. Mon imagination transforma les fourrés qui m’entouraient. Chaque ombre devint quelque chose de plus qu’une ombre, fut une embûche, chaque bruissement devint une menace. Je me figurais être épié par des choses invisibles.

Je résolus de retourner à l’enclos. Faisant soudain demi-tour, je pris ma course, une course forcenée à travers les buissons, anxieux de me retrouver dans un espace libre.

Je ralentis peu à peu mon allure et m’arrêtai juste au moment de déboucher dans une clairière. C’était une sorte de trouée faite dans la forêt par la chute d’un grand arbre ; les rejetons jaillissaient déjà de partout pour reconquérir l’espace vacant, et, au delà, se refermaient de nouveau les troncs denses, les lianes entrelacées et les touffes de plantes parasites et de fleurs. Devant moi, accroupis sur les débris fongueux de l’arbre et ignorant encore ma présence, se trouvaient trois créatures grotesquement humaines. Je pus voir que deux étaient des mâles et l’autre évidemment une femelle. À part quelques haillons d’étoffe écarlate autour des hanches, ils étaient nus et leur peau était d’un rose foncé et terne que je n’avais encore jamais remarqué chez aucun sauvage. Leurs figures grasses étaient lourdes et sans menton, avec le front fuyant et, sur la tête, une chevelure rare et hérissée. Je n’avais jamais vu de créatures à l’aspect aussi bestial.

Elles causaient ou du moins l’un des mâles parlait aux deux autres et tous trois semblaient être trop vivement intéressés pour avoir remarqué le bruit de mon approche. Ils balançaient de gauche à droite leur tête et leurs épaules. Les mots me parvenaient embarrassés et indistincts ; je pouvais les entendre nettement sans pouvoir en saisir le sens. Celui qui parlait me semblait réciter quelque baragouin inintelligible. Bientôt il articula d’une façon plus aiguë et, étendant les bras, il se leva.

Alors les autres se mirent à crier à l’unisson, se levant aussi, étendant les bras et balançant leur corps suivant la cadence de leur mélopée. Je remarquai la petitesse anormale de leurs jambes et leurs pieds longs et informes. Tous trois tournèrent lentement dans le même cercle, frappant du pied et agitant les bras ; une sorte de mélodie se mêlait à leur récitation rythmique, ainsi qu’un refrain qui devait être : Aloula ou Baloula. Bientôt leurs yeux étincelèrent et leurs vilaines faces s’animèrent d’une expression d’étrange plaisir. Au coin de leur bouche sans lèvres la salive découlait.

Soudain, tandis que j’observais leur mimique grotesque et inexplicable, je perçus clairement, pour la première fois, ce qui m’offensait dans leur contenance, ce qui m’avait donné ces deux impressions incompatibles et contradictoires de complète étrangeté et cependant de singulière familiarité. Les trois créatures qui accomplissaient ce rite mystérieux étaient de forme humaine, et cependant, ces êtres humains évoquaient dans toute leur personne une singulière ressemblance avec quelque animal familier. Chacun de ces monstres, malgré son aspect humain, ses lambeaux de vêtements et la grossière humanité de ses membres, portait avec lui, dans ses mouvements, dans l’expression de ses traits et de ses gestes, dans toute son allure, quelque irrésistible suggestion rappelant le porc, la marque évidente de l’animalité.

Je restai là, abasourdi par cette constatation, et alors les plus horribles interrogations se pressèrent en mon esprit. Les bizarres créatures se mirent alors à sauter l’une après l’autre, poussant des cris et des grognements. L’une d’elles trébucha et se trouva un instant à quatre pattes pour se relever d’ailleurs immédiatement. Mais cette révélation passagère du véritable animalisme de ces monstres me suffisait. En faisant le moins de bruit possible, je revins sur mes pas, m’arrêtant à chaque instant dans la crainte que le craquement d’une branche ou le bruissement d’une feuille ne vînt à me faire découvrir, et j’allai longtemps ainsi avant d’oser reprendre la liberté de mes mouvements.

Ma seule idée pour le moment était de m’éloigner de ces répugnantes créatures et je suivais sans m’en apercevoir un sentier à peine marqué parmi les arbres. En traversant une étroite clairière, j’entrevis, avec un frisson désagréable, au milieu du taillis, deux jambes bizarres, suivant à pas silencieux une direction parallèle à la mienne à trente mètres à peine de moi. La tête et le tronc étaient cachés par un fouillis de lianes. Je m’arrêtai brusquement, espérant que la créature ne m’aurait pas vu. Les jambes s’arrêtèrent aussitôt. J’avais les nerfs tellement irrités que je ne contins qu’avec la plus grande difficulté une impulsion subite de fuir à toute vitesse.

Je restai là un instant, le regard fixe et attentif, et je parvins à distinguer, dans l’entrelacement des branches, la tête et le corps de la brute que j’avais vue boire au ruisseau. Sa tête bougea. Quand son regard croisa le mien, il y eut dans ses yeux un éclat verdâtre, à demi lumineux, qui s’évanouit quand il eut remué de nouveau. Il resta immobile un instant, m’épiant dans la pénombre, puis, avec de silencieuses enjambées, il se mit à courir à travers la verdure des fourrés. L’instant d’après il avait disparu derrière les buissons. Je ne pouvais le voir, mais je sentais qu’il s’était arrêté et m’épiait encore.

Qui diable pouvait-il être ? Homme ou animal ? Que me voulait-il ? Je n’avais aucune arme, pas même un bâton : fuir eût été folie ; en tout cas, quel qu’il fût, il n’avait pas le courage de m’attaquer. Les dents serrées, je m’avançai droit sur lui. Je ne voulais à aucun prix laisser voir la crainte qui me glaçait. Je me frayai un passage à travers un enchevêtrement de grands buissons à fleurs blanches et aperçus le monstre à vingt pas plus loin, observant par-dessus son épaule, hésitant. Je fis deux ou trois pas en le regardant fixement dans les yeux.

— Qui êtes-vous ? criai-je.

Il essaya de soutenir mon regard.

— Non ! fit-il tout à coup et, tournant les talons, il s’enfuit en bondissant à travers le sous-bois. Puis, se retournant encore, il se mit à m’épier : ses yeux brillaient dans l’obscurité des branchages épais.

Je suffoquais, sentant bien que ma seule chance de salut était de faire face au danger, et résolument je me dirigeai vers lui. Faisant demi-tour, il disparut dans l’ombre. Je crus une fois de plus apercevoir le reflet de ses yeux et ce fut tout.

Alors seulement je me rendis compte que l’heure tardive pouvait avoir pour moi des conséquences fâcheuses. Le soleil, depuis quelques minutes, était tombé derrière l’horizon ; le bref crépuscule des tropiques fuyait déjà de l’orient ; une phalène, précédant les ténèbres, voltigeait silencieusement autour de ma tête. À moins de passer la nuit au milieu des dangers inconnus de la forêt mystérieuse, il fallait me hâter pour rentrer à l’enclos.

La pensée du retour à ce refuge de souffrance m’était extrêmement désagréable, mais l’idée d’être surpris par l’obscurité et tout ce qu’elle cachait l’était encore davantage. Donnant un dernier regard aux ombres bleues qui cachaient la bizarre créature, je me mis à descendre la pente vers le ruisseau, croyant suivre le chemin par lequel j’étais venu.

Je marchais précipitamment, fort troublé par tout ce que j’avais vu, et je me trouvai bientôt dans un endroit plat, encombré de troncs d’arbres abattus. L’incolore clarté qui persiste après les rougeurs du couchant s’assombrissait. L’azur du ciel devint de moment en moment plus profond et, une à une, les petites étoiles percèrent la lumière atténuée. Les intervalles des arbres, les trouées dans les végétations, qui de jour étaient d’un bleu brumeux, devenaient noirs et mystérieux.

Je poussai en avant. Le monde perdait toute couleur : les arbres dressaient leurs sombres silhouettes contre le ciel limpide et tout au bas les contours se mêlaient en d’informes ténèbres. Bientôt les arbres s’espacèrent et les broussailles devinrent plus abondantes. Ensuite, il y eut une étendue désolée couverte de sable blanc, puis une autre de taillis enchevêtrés.

Sur ma droite, un faible bruissement m’inquiétait. D’abord je crus à une fantaisie de mon imagination, car, chaque fois que je m’arrêtais, je ne percevais dans le silence que la brise du soir agitant la cime des arbres. Quand je me remettais en route, il y avait un écho persistant à mes pas.

Je m’éloignai des fourrés, suivant exclusivement les espaces découverts et m’efforçant, par de soudaines volte-face, de surprendre, si elle existait, la cause de ce bruit. Je ne vis rien et néanmoins la certitude d’une autre présence s’imposait de plus en plus. J’accélérai mon allure et, au bout de peu de temps, j’arrivai à un léger monticule ; je le franchis, et, me retournant brusquement, je regardai avec grande attention le chemin que je venais de parcourir. Tout se détachait noir et net contre le ciel obscur.

Bientôt une ombre informe parut momentanément contre la ligne d’horizon et s’évanouit. J’étais convaincu maintenant que mon fauve antagoniste me pourchassait encore, et à cela vint s’ajouter une autre constatation désagréable : j’avais perdu mon chemin.

Je continuai, désespérément perplexe, à fuir en hâte, persécuté par cette furtive poursuite. Quoi qu’il en soit, la créature n’avait pas le courage de m’attaquer ou bien elle attendait le moment de me prendre à mon désavantage. Tout en avançant, je restais soigneusement à découvert, me tournant parfois pour écouter, et, de nouveau, je finis par me persuader que mon ennemi avait abandonné la chasse ou qu’il n’était qu’une simple hallucination de mon esprit désordonné. J’entendis le bruit des vagues. Je hâtai le pas, courant presque, et immédiatement je perçus que, derrière moi, quelqu’un, trébuchait.

Je me retournai vivement, tâchant de discerner quelque chose entre les arbres indistincts. Une ombre noire parut bondir dans une autre direction. J’écoutai, immobile, sans rien entendre que l’afflux du sang dans mes oreilles. Je crus que mes nerfs étaient détraqués et que mon imagination me jouait des tours. Je me remis résolument en marche vers le bruit de la mer.

Les arbres s’espacèrent, et, deux ou trois minutes après, je débouchai sur un promontoire bas et dénudé qui s’avançait dans les eaux sombres. La nuit était calme et claire et les reflets de la multitude croissante des étoiles frissonnaient sur les ondulations tranquilles de la mer. Un peu au large, les vagues se brisaient sur une bande irrégulière de récifs et leur écume brillait d’une lumière pâle. Vers l’ouest je vis la lumière zodiacale se mêler à la jaune clarté de l’étoile du soir. La côte, à l’est, disparaissait brusquement, et, à l’ouest, elle était cachée par un épaulement du cap. Alors, je me souvins que l’enclos de Moreau se trouvait à l’ouest.

Une branche sèche cassa derrière moi et il y eut un bruissement. Je fis face aux arbres sombres — sans qu’il fût possible de rien voir — ou plutôt je voyais trop. Dans l’obscurité, chaque forme vague avait un aspect menaçant, suggérait une hostilité aux aguets. Je demeurai ainsi, l’espace d’une minute peut-être, puis, sans quitter les arbres des yeux, je me tournai vers l’ouest pour franchir le promontoire. Au moment même où je me tournai, une ombre, au milieu des ténèbres vigilantes, s’ébranla pour me suivre.

Mon cœur battait à coups précipités. Bientôt la courbe vaste d’une baie s’ouvrant vers l’ouest devint visible, et je fis halte. L’ombre silencieuse fit halte aussi à quinze pas. Un petit point de lumière brillait à l’autre extrémité de la courbe et la grise étendue de la plage sablonneuse se prolongeait faiblement sous la lueur des étoiles. Le point lumineux se trouvait peut-être à deux milles de distance. Pour gagner le rivage, il me fallait traverser le bois où les ombres me guettaient et descendre une pente couverte de buissons touffus.

Je pouvais maintenant apercevoir mon ennemi un peu plus distinctement. Ce n’était pas un animal, car il marchait debout. J’ouvris alors la bouche pour parler, mais un phlegme rauque me coupa la voix. J’essayai de nouveau :

— Qui va là ? criai-je.

Il n’y eut pas de réponse. Je fis un pas. La silhouette ne bougea pas et sembla seulement se ramasser sur elle-même ; mon pied heurta un caillou.

Cela me donna une idée. Sans quitter des yeux la forme noire, je me baissai pour ramasser le morceau de roc. Mais, à ce mouvement, l’ombre fit une soudaine volte-face, à la manière d’un chien, et s’enfonça obliquement dans les ténèbres. Je me souvins alors d’un moyen ingénieux dont les écoliers se servent contre les chiens : je nouai le caillou dans un coin de mon mouchoir, que j’enroulai solidement autour de mon poignet. Parmi les ombres éloignées j’entendis le bruit de mon ennemi en retraite, et soudain mon intense surexcitation m’abandonna. Je me mis à trembler et une sueur froide m’inonda, pendant qu’il fuyait et que je restais là avec mon arme inutile dans la main.

Un bon moment s’écoula avant que je pusse me résoudre à descendre, à travers le bois et les taillis, le flanc du promontoire jusqu’au rivage. Enfin, je les franchis en un seul élan et, comme je sortais du fourré et m’engageais sur la plage, j’entendis les craquements des pas de l’autre lancé à ma poursuite.

Alors la peur me fit complètement perdre la tête et je me mis à courir sur le sable. Immédiatement, je fus suivi par ce même bruit de pas légers et rapides. Je poussai un cri farouche et redoublai de vitesse. Sur mon passage, de vagues choses noires, ayant trois ou quatre fois la taille d’un lapin, remontèrent le talus en courant et en bondissant. Tant que je vivrai, je me rappellerai la terreur de cette poursuite. Je courais au bord des flots et j’entendais de temps en temps le clapotis des pas qui gagnaient sur moi. Au loin, désespérément loin, brillait faiblement la lueur jaune. La nuit, tout autour de nous, était noire et muette. Plaff ! Plaff ! faisaient continuellement les pieds de mon ennemi. Je me sentis à bout de souffle, car je n’étais nullement entraîné ; à chaque fois ma respiration sifflait et j’éprouvais à mon côté une douleur aiguë comme un coup de couteau.

Nous courions ainsi sous les étoiles tranquilles, vers le reflet jaune, vers la clarté désespérément lointaine de la maison. Et bientôt, avec un réel soulagement, j’entendis le pitoyable gémissement du puma, ce cri de souffrance qui avait été la cause de ma fuite et m’avait fait partir en exploration à travers l’île mystérieuse. Alors, malgré ma faiblesse et mon épuisement, je rassemblai mes forces et me remis à courir vers la lumière. Il me sembla qu’une voix m’appelait. Puis, soudain, les pas, derrière moi, se ralentirent, changèrent de direction et je les entendis se reculer dans la nuit.