Augustin Côté & Cie (p. 64-70).

IX

Paroisse de Saint-François de Sales


Magnifiques points de vue — Les rivières — Chasse et Pêche — François Le Guerne — Incursions d’Iroquois — Enlèvement d’un crucifix.


Le charmant fief, ou plutôt arrière-fief d’Argentenay, l’un des plus considérables de l’île d’Orléans a été l’un des premiers établis. En 1704, ce fief était la propriété de M. Perrot ; mais l’établissement en était alors considérablement avancé, puisque, dès 1684, il y avait trente familles, formant alors une population de 165 âmes.

Déjà ces courageux et religieux colons avaient érigé une modeste chapelle en bois de trente pieds de longueur sur vingt de largeur. On n’avait pas encore songé de bâtir un presbytère, le prêtre qui visitait les familles de cette petite bourgade étant pourvu d’édifices un peu plus convenables à Sainte-Famille, y faisait ordinairement son séjour.

Plus tard, le fief fut érigé en paroisse, et l’humble chapelle se trouva placée au rang des églises paroissiales. « La paroisse de Saint-François de Sales, contenant trois lieues de long, dont une lieue et demie du côté du sud, depuis la maison de Louis Gaulin, en descendant au bas de l’Île, et une lieue et demie du côté du chenal du nord, en remontant le dit bout d’en bas, jusques et compris deux arpents de front de l’habitation de Charles Guérard, ensemble des profondeurs de la dite Île renfermées dans les dites bornes ; et la nouvelle église qu’il est nécessaire d’y construire, sera au même lieu où est l’ancienne. »

Telles sont les bornes assignées à la paroisse de Saint-François, par le règlement du 20 septembre, 1721, confirmé par un arrêt du conseil d’État, le 3 mars, 1722.

Les terres ont généralement deux ou trois arpents de front, sur cinquante-deux en profondeur. Elles sont en bon état de culture et très productives.

D’après le recensement de 1852, la population totale de la paroisse de Saint-François ne dépassait guères 520 âmes ; cependant, il s’y trouvait 72 propriétaires ; et des 9,197 arpents de terres qu’ils tenaient en concession, ils en avaient labouré plus de 4,800, et le reste avait été laissé en prairies, en jardins, forêts, etc. La récolte des grains avait donné 648 minots de blé, 422 minots d’orge, 3,472 minots de seigle, 2,622 minots de pois et 10,418 minots d’avoine. Les autres produits étaient dans la même proportion. On y avait fait 5,350 livres de sucre, 10,502 livres de beurre, et récolté 105,281 bottes de foin, outre 1,422 fromages qui vinrent cette année-là, comme d’ordinaire, provoquer, avec succès, le goût exquis de nos Lucullus québécois.

Le recensement de 1861 donne à la population de cette paroisse près de 600 âmes.

À Saint-François, se trouvent aussi d’excellentes places de chasse, sur les grèves surtout : la Pointe aux Oignons, la Pointe à la Caille, etc… mais pourquoi commettre des indiscrétions ?… tous les chasseurs ne connaissent-ils pas ces endroits renommés ? D’ailleurs, ils n’aiment pas qu’ils soient connus ! Il faut donc garder le silence.

Claudite jam rivos pueri.

Cette paroisse semble n’avoir eu de desserte régulière que depuis 1708. Au moins les plus anciens registres ne remontent pas au delà de cette époque, m’assure-t-on.

Parmi les bons curés qui en ont eu la direction, il en est un que jeunes et vieux aiment à mentionner. C’est M. Le Guerne, dont les anciens aimaient à fredonner les chansons, et dont les jeunes gens appréciaient mieux les faveurs.

M. François Le Guerne, breton, originaire du diocèse de Quimper, arriva à Québec, le 15 septembre 1751, et mourut le 6 décembre, 1789. Il fut longtemps professeur de littérature au petit séminaire de Québec, et rédigea plusieurs cours qui révèlent le connaisseur. Poète et bon poète, nous avons vu les productions de sa lyre enrichir quelques cartons. Ce qu’il y a de plus louable encore dans les œuvres de ce digne prêtre, c’est, me dit-on, qu’il établit, par son testament, les directeurs du Séminaire, ses légataires-universels, au profit de la jeunesse canadienne. Cependant, une autre version m’apprend qu’il abandonna son mobilier, ses livres et tout ce qu’il avait, aux élèves du Séminaire, et que le tout leur fut équitablement distribué. M. Le Guerne avait été employé, jusqu’en 1756, aux missions de l’Acadie. C’est à l’époque de la dispersion de ce peuple pieux et infortuné, qu’il fut rappelé dans l’intérieur, où il continua, de loin comme de près, ociùs, citiùs, à améliorer le sort de ces pauvres familles exilées de leurs foyers, et dispersées de loin en loin, sur un rivage étranger ; il eut plus d’une fois le bonheur de leur être utile, et d’intéresser à leurs misères les autorités de la colonie.

De Saint-François, l’œil embrasse un horizon étendu et magnifique, qui comprend, dans ses vastes proportions, une partie de la terre du sud, les îles Madame, Aux Reaux, &c., le Cap Tourmente et les belles fermes de Saint-Joachim. La rivière Dauphine, appelée longtemps rivière Delphine, et aujourd’hui parfois la Belle-fine, une des plus considérables de l’île, traverse la paroisse de Saint-François.

Ce serait bien ici le lieu de dire que toutes les rivières de l’île, la rivière Saint-Patrice, la rivière Lafleur, la rivière Maheu, la rivière Pot-au-Beurre portent assez improprement ce nom et qu’on s’éloignerait moins de la vérité, en les nommant tout simplement cours-d’eau, car un bon nombre ne sont pas suffisantes pour alimenter en tout temps les dalles des quelques scieries qu’on trouve sur leurs bords. Cependant, toutes ne sont pas exposées à subir au même degré les graves résultats de la sécheresse. La rivière Maheu tire son nom d’un habitant de l’endroit, autrefois établi sur les bords. Un pont relie les deux rives bordées d’arbres antiques et de jolis bosquets qui donnent à la campagne cet air de jeunesse et de fraîcheur qui réjouit l’œil et rassérène le cœur du voyageur.

En 1661, les Iroquois causèrent de grands ravages dans les cabanes que quelques Français avaient construites à Argentenay, plus tard, Saint-François. Voici comment le Journal des Supérieurs des RR. PP. Jésuites relate le fait : « 1661, le 18 juin, à 8 heures du matin, se commença le massacre ou la capture de plusieurs personnes à Beaupré et à l’isle d’Orléans, par les Iroquois venus de Tadoussac, après le coup qu’ils avaient fait. On parla ce jour-là de 8 à Beaupré et de 3 à l’isle d’Orléans, ce qui se trouva vrai. »

On lit encore à ce sujet le passage suivant dans la Relation de 1662, par le même R. P. Lalemant, au chap. vii :

« Je ne saurais mieux terminer que par une rencontre assez illustre, touchant un crucifix de deux pieds de haut ou environ, que les Iroquois Agnieronnons enlevèrent en l’an passé à Argentenay, dans l’île d’Orléans, quand ils y firent les dégâts que nous avons racontés. Je ne sais si ce fut par moquerie ou par estime qu’ils se saisirent de cette image ; quoy qu’il en soit, ils l’emportèrent jusques dans leur pays et la faisaient voir dans leurs cabanes, comme une des plus précieuses dépouilles des Français. Garakontié, protecteur des Français, étant allé à Aquié, la vit par hasard ; et comme il savait assez le respect que nous portions à de semblables images, il ne voulut pas laisser profaner celle-là. Il entreprend donc de la racheter, il fait un beau présent pour cela, et, pour n’avoir pas de refus, il fait un éloge de ce crucifix, plus digne de sortir de la bouche d’un prédicateur que d’un barbare : il l’obtient, et par la richesse de son présent et par l’éloquence de son discours. Retourné qu’il fut à Onontaghé, tout triomphant d’une si belle action, dont il ne connaissait pas tout le mérite, il place honorablement ce crucifix sur l’autel de la petite chapelle où tous les jours les Français, les Hurons et les Iroquois allaient lui rendre leurs hommages. Et ainsi Dieu s’est voulu servir de la main d’un barbare pour faire triompher sa croix, au milieu de la barbarie… »