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VII


Dans ces moments si durs pour les Migourski arriva à Oural le Polonais Rossolowski, compromis dans un si immense plan d’émeute et d’évasion que le prêtre polonais Sirotzinski, exilé, avait fomenté en Sibérie.

Ainsi que Migourski et des milliers d’hommes punis pour cet unique désir d’avoir voulu rester Polonais, Rossolowski était mêlé à cette affaire, bâtonné et incorporé comme simple soldat dans le même bataillon que Migourski. Ancien professeur de mathématiques, c’était un homme long, voûté, au front plissé.

À sa première visite chez les Migourski, le soir près de la table de thé, de sa voix lente et tranquille, il conta les péripéties atroces de l’affaire dans laquelle il avait si cruellement souffert.

Une société secrète avait été organisée en Sibérie. Le but était de réunir tous les Polonais exilés et incorporés dans les régiments de ligne et de cosaques et, par leur action, de semer la révolte parmi les soldats et les forçats, de soulever les relégués, et, s’étant emparés de l’artillerie à Omsk, de libérer tout le monde.

— Mais était-ce possible ? demanda Migourski.

— Très possible et tout était prêt, dit Rossolowski s’assombrissant.

Lentement, il exposa le plan général et les mesures prises pour sa réussite ; et en cas d’échec les mesures de salut pour les conjurés. Tout était prévu, tout était assuré et tout aurait réussi si deux traîtres ne s’étaient glissés dans leurs rangs.

— Sirotzinski, disait-il, était un homme de génie et d’une grande force morale. Il est mort en héros et en martyr.

Et de sa voix profonde et calme, il conta le martyre des chefs de la conjuration auquel il avait dû assister, par ordre des autorités, ainsi que tous ceux impliqués dans cette affaire.

Le premier qui passa entre les bâtons fut le Dr Chokalski. Il tomba inanimé. Puis ce fut un second, un troisième, un quatrième, les uns morts, les autres vivants à peine. L’exécution avait duré du matin à 2 heures après-midi. Et le dernier qui passa fut le prêtre Sirotzinski.

Il était méconnaissable. Il avait vieilli. Sa figure rasée avait pris une teinte verdâtre, son corps dénudé semblait jaune et ses côtes ressortaient au-dessus de l’abdomen. Il passa comme tous, tremblant à chaque coup, sans râle, mais disant à haute voix sa prière : Misere mei Domine secundum magnum misericordiam tuam.

— Je l’ai entendu moi-même, balbutia très vite Rossolowski en terminant.

Assise à sa fenêtre, Louise sanglota le mouchoir au visage.

— Pourquoi décrire tout cela. Ce sont des bêtes féroces, cria Migourski et lançant sa pipe dans un coin entra précipitamment dans la chambre à coucher.

Albine restait assise comme pétrifiée, les yeux fixés dans un coin obscur.