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À une idée très particulière du royaume des cieux doit correspondre une idée aussi particulière de la mission du Sauveur. Le Christ de M. Harnack [1] ne diffère pas seulement, en effet, du Christ de la tradition, mais de l’image que la seule critique des Evangiles pourrait fournir à l’historien de Jésus. Jésus, nous dit-on, est Fils de Dieu en tant que révélateur du Père, mais le Père seul appartient à l’Évangile ; Jésus s’est cru Messie, mais cette conception judaïque n’est pas autrement liée à celle de la filiation divine ; « c’était la condition nécessaire pour que celui qui avait été intérieurement appelé pût être reconnu dans l’histoire de la religion juive [2] » ; la mort expiatrice de Jésus l'a fait Seigneur, et, quoi que l'on pense des récits de la résurrection% c’est dans le tombeau du Christ qu’est née la foi indestructible en la victoire de l’homme sur la mort et en une vie éternelle.


I modifier

« Jésus nous a expliqué très nettement dans un de ses discours comment et pourquoi il s’est dit Fils de Dieu. C’est dans Matthieu, et non dans Jean, qu’est la parole : Nul ne connaît le Fils si ce n'est le Père, ni le Père si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils le révèle. La connaissance de Dieu est la sphère de la filiation divine. C’est dans cette connaissance de Dieu que Jésus a appris à regarder comme père, comme son père, l’Etre saint qui gouverne le ciel et la terre. C’est pourquoi la conscience qu’il avait d’être le Fils de Dieu n’est pas autre chose que la conséquence pratique de la connaissance qu’il avait de Dieu comme père et comme son père. Si on l’entend bien, la connaissance de Dieu est tout ce qu’implique le nom du Fils. Mais il faut ajouter deux choses : Jésus est convaincu qu’il connaît Dieu comme personne avant lui. et il sait qu’il a pour mission de communiquer à tous les autres, par ses paroles et ses actes, cette connaissance de Dieu et, parla même, la filiation divine [3]. »

Toute cette construction, dont il est superflu de marquer la liaison étroite avec l’idée que M. Harnack a voulu se faire du royaume. céleste, est fondée, en dernière analyse, sur un seul texte, dont on a soin de faire ressortir la provenance. C’est un passage des Synoptiques, non de Jean, et qui ne se lit- pas seulement dans Matthieu [4], mais aussi dans Luc [5]. Ce texte seul ne devrait pourtant pas servir de base à un examen historique de l’idée qu’on peut, d’après les Evangiles, se faire de la mission que Jésus s’est lui-même attribuée. Il ne se présente pas comme une explication de la filiation divine, mais comme l’expression d’un rapport permanent entre le Père et le Fils. Que ce rapport constitue, à proprement parler, la filiation divine de Jésus, c’est une déduction de théologien, non l’expression d’une doctrine ou d’un sentiment que Jésus lui-même aurait formulés.

L’on trouverait sans peine, dans les Évangiles, plus d’un passage d’où il résulte que le titre de Fils de Dieu était pour les Juifs, pour les disciples et pour le Sauveur même l’équivalent de Messie. Il suffit de rappeler les variantes de la confession de Pierre dans les Evangiles synoptiques, et l’interrogatoire de Jésus par le grand prêtre. Dans Marc [6], Pierre dit au Sauveur : « Tu es le Christ » ; dans Matthieu [7] : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » ; dans Luc [8] : « Tu es le Christ de Dieu ». Dans le second Évangile [9], Caïphe dit à Jésus : « Es-tu le Christ, le Fils du Béni ? » ; dans le premier [10] : « Je t’adjure par le Dieu vivant de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu » ; dans le troisième [11], les prêtres demandent d’abord à Jésus s il est le Christ, et, parce qu’il n’a pas répondu directement, ils reprennent la même question sous la forme : « Tu es donc le Fils de Dieu ? » A quoi Jésus répond affirmativement, comme dans les deux autres Synoptiques. Quel qu’ait pu être le travail intérieur qui a produit cette conscience de la filiation divine, il est sûr que tous ceux qui ont entendu Jésus, amis ou ennemis, l’ont identifiée à la conscience ou à la prétention messianique. Il est assez téméraire aujourd’hui de soutenir que la signification essentielle du titre de Fils de Dieu était autre pour le Christ lui-même, et que son objet propre était la connaissance de Dieu comme père.

Le texte cité, pris dans son sens naturel, prouverait tout autre chose que ce que l’on veut. Il vient à la suite d’une prière que Jésus adresse à Dieu, au « Père, Seigneur du ciel et de la terre » ; car, dans la pensée du Christ, l’idée du Dieu Père est liée nécessairement à celle du Maître souverain de l’univers. Le Sauveur ajoute que « tout lui a été confié par » son « Père ». Dans la rigueur des termes, ces paroles ne conviennent qu’au Christ glorieux, et le rédacteur du premier Évangile en attribuera de toutes semblables au Sauveur ressuscité [12]. Ce n’est pas sans les violenter qu’on en limite l’application aux choses que Jésus aurait apprises du Père, à la révélation qu’il serait chargé d’apporter aux hommes. On veut trouver le principal de cette révélation dans la connaissance que le Fils a du Dieu bon. Mais le texte n’a pas été conçu pour faire valoir une telle idée. Est-ce que le Père, qui seul connaît le Fils, comme le Fils seul connaît le Père, aurait aussi reçu du Fils une révélation dont il serait l’interprète, et ne serait-il Père que pour avoir connu le Fils ? Y aurait-il une religion du Fils que le Père devrait prêcher, comme le Fils doit prêcher celle du Père ? Il s’agit visiblement d’un rapport transcendant, d’où ressort la haute dignité du Christ, et non d’une réalité psychologique, dont on ne voit pas la possibilité par rapport à Dieu. Père et Fils ne sont pas ici des termes purement religieux, mais déjà des termes métaphysiques, théologiques, et la spéculation dogmatique a pu s’en emparer sans en modifier beaucoup le sens. Il n’y a qu’un Père et qu un Fils, constitués, en quelque façon, parla connaissance qu’ils ont l’un de l’autre, entités absolues dont le rapport aussi est absolu. L’intention du passage n’est pas tant d’expliquer comment Jésus est Fils de Dieu, que de relever la personne du Christ en l’identifiant, comme Fils, à la Sagesse éternelle, que Dieu seul connaît à fond, bien qu’elle se révèle aux hommes, et qui seule aussi possède et représente la pleine connaissance de Dieu, bien qu’elle le révèle à ses créatures. La parole évangélique a donc une tout autre portée qu’il ne faudrait pour la thèse de la filiation acquise à Jésus, dans le temps, par la connaissance du Père.

D’autre part, et pour l’historien, elle prouve beaucoup moins, parce qu’il est difficile d’y voir l’expression littéralement exacte d’une déclaration faite parle Christ devant ses disciples. Elle se trouve dans une sorte de psaume où l’influence de la prière qui termine le livre de l’Ecclésiastique [13] se reconnaît pour l’ensemble et en plusieurs détails. De part et d’autre on commence par la louange de Dieu, et l’on emploie, avec une préférence marquée, le nom de Père [14] ! à l'éloge de la Sagesse correspond la déclaration concernant la connaissance réciproque du Père et du Fils ; l’appel du Christ aux petits et à ceux qui peinent en ce monde semble s’inspirer de l’invitation que la Sagesse adresse aux ignorants, dans la dernière partie de la prière de Ben Sira. Ces affinités ne sont pas fortuites. Et comme il est malaisé d’admettre que Jésus, dans une oraison ou un discours tout spontanés, ait voulu imiter l’Ecclésiastique ; comme le passage principal est une profession de foi chrétienne et non une prière du Christ ; comme on trouve un autre endroit, en Matthieu, où le Sauveur paraît avoir été identifié à la Sagesse divine [15], il est très probable que, nonobstant sa présence dans deux Evangiles, le morceau où se trouve le texte allégué par M. Harnack est, au moins dans sa forme actuelle, un produit de la tradition chrétienne des premiers temps. C’est toujours un témoignage considérable en ce qui concerne l’évolution de la christologie au premier âge de l’Eglise ; mais un critique ne devrait l’utiliser qu’avec la plus grande réserve, quand il s’agit de fixer l’idée que le Christ enseignant a pu donner de sa personne, de sa filiation divine et de sa mission.

Ainsi donc le texte sur lequel M. Harnack a fondé sa théorie du Fils de Dieu n’est pas plus indiscutable et ne favorise pas plus sa thèse que celui où il trouve définie la notion du royaume de Dieu dans le cœur de l’homme. Pas plus que celle du royaume, l’idée évangélique du Fils de Dieu n’est une notion psychologique, signifiant un rapport de l’âme avec Dieu. Rien absolument ne prouve, et même le texte cité ne dit pas que Jésus soit devenu Fils parce qu’il aurait le premier connu Dieu comme père. Le rédacteur évangélique n’en tend nullement signifier que Dieu n’était pas connu comme père avant la venue de Jésus ; il veut dire, et il dit très clairement, que le Christ, le Fils, est seul à connaître parfaitement Dieu, le Père, et cela parce qu’il est Fils, tout comme le Père, Dieu, est seul à connaître parfaitement le Christ son Fils, et cela parce qu’il est le Père, parce qu’il est Dieu. Le fond de la pensée est le même que dans le passage de Jean [16] : « Nul n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, la révélé. » La connaissance propre du Fils a pour objet Dieu comme tel, et elle ne concerne pas uniquement la bonté de Dieu, comme si les auditeurs de Jésus avaient eu besoin qu’on leur apprît que Dieu était leur Père. Une pareille idée est aussi étrangère aux évangélistes qu’elle l’a été au Sauveur lui-même. C’est une explication artificielle et superficielle de la filiation divine de Jésus.

Le problème de la conscience messianique est à résoudre par d’autres moyens, et sans renvoyer à l'arrière-plan l’idée du Messie. Il est tout à fait curieux de voir comment certains théologiens protestants sont embarrassés de cette notion « juive », qu’ils élimineraient volontiers de l’Evangile de Jésus et attribueraient à la tradition apostolique, pour se faire un Christ selon leur cœur. Quelques-uns ont déjà soutenu que le Sauveur lui-même ne s’était pas cru Messie, et que la foi des disciples à la résurrection l’avait rendu tel dans leur esprit et pour la tradition ultérieure. M. Harnack ne va pas si loin. Son Christ, le Fils révélateur de la bonté divine, a l’air de prendre la qualité de Messie comme une sorte de costume ou de déguisement dont il a besoin pour traiter avec les Juifs ; mais la conscience d’être Fils de Dieu aurait précédé en lui la conscience d’être le Messie.

Il faudrait voir sur quelle base historique repose ce dédoublement, et si ce ne serait pas une pure hypothèse. Deux questions inégalement claires, ou inégalement obscures, sont ici à distinguer : celle de ce que Jésus croyait être et a déclaré qu’il était ; celle du travail intérieur qui l’avait amené à cette conclusion. Sur le premier point, la discussion critique des sources évangéliques peut fournir des indications suffisamment certaines. Sur le second, on ne peut faire que des conjectures, d’après ce que Ion sait du premier.

Ce n’est pas sans quelque apparence de raison que l'on a pu contester que Jésus se soit lui-même regardé comme Messie. Avec l’idée confuse que l’on avait et que l’on a souvent encore du royaume céleste, on n’avait et l’on n’a qu’une idée aussi vague du Messie ; et comme on a cru sortir des contradictions que l’on trouvait à l'idée du royaume, en niant ce qu’elle a de moins satisfaisant pour l’esprit moderne, à savoir son caractère eschatologique, on a pensé également échapper aux difficultés que présente l'idée messianique, en la supprimant ou en la subordonnant entièrement à l’idée que l'on se faisait du Fils de Dieu.

Le témoignage évangélique paraît, en effet, assez déconcertant. La préoccupation qu’ont les narrateurs, de prouver que Jésus était le Messie, invite tout d’abord le critique à chercher si le point de vue des évangélistes est entièrement conforme à la réalité. En beaucoup de détails, l’intérêt apologétique ou simplement didactique a influencé la rédaction des discours et des faits. Mais cette tendance toute naturelle ne serait pas suspecte si l’attitude même que les récits prêtent au Sauveur ne semblait d’abord inexplicable, Jésus ne s’avouait pas Messie dans sa prédication ; il faisait taire les possédés qui le proclamaient Fils de Dieu ; aussi bien le peuple ne s’avisait-il pas qu’il pût avoir cette mission ; l'on faisait à son sujet les hypothèses les plus extravagantes [17], sans soupçonner la vérité ; les disciples seuls pensèrent qu’il était le Christ et finirent par le déclarer, dans une circonstance particulière, par la bouche de Simon ; le Maître leur défendit d’en parler à d’autres, si bien qu’il faut aller jusqu’à la fin de sa carrière, et l’on peut dire à son dernier jour, pour trouver l’aveu public de sa dignité ; il est vrai que, depuis la confession de Simon-Pierre, Jésus est censé avoir entretenu plusieurs fois ses disciples du sort qui l’attendait en tant que Messie ; mais l’énoncé général de ses discours, où n’apparaît aucune sentence formellement retenue comme parole du Seigneur, étant calqué sur les faits accomplis et sur le thème de la prédication chrétienne primitive, une telle assertion complique la difficulté plutôt qu’elle ne l’éclaircit. Tout ce qui regarde la messianité de Jésus n’appartiendrait-il pas à la tradition, et la prétendue réserve du Sauveur n’aurait-elle pas été un silence absolu, beaucoup plus facile à concevoir que la situation équivoque décrite par les évangélistes ?

L’équivoque n’existe pas réellement, si Ton entend bien ce que le nom de Messie a signifié pour Jésus, comme pour ses contemporains. Il paraît indubitable que le Sauveur a été condamné à mort pour avoir affecté des prétentions à la royauté d’Israël, c’est-à-dire au rôle de Messie, puisque son action n’avait rien de politique. Mais, autant qu’on en peut juger d’après les souvenirs traditionnels, ce point même ne put être établi que par son aveu devant le grand prêtre d’abord, puis devant Pilate. Pas plus à Jérusalem qu’en Galilée, Jésus n’avait dit ouvertement qu’il était le Christ Fils de Dieu. Seulement, à Jérusalem, il avait laissé voir où tendait sa prédication, et quelle place il revendiquait pour lui-même dans le royaume annoncé. Il avait donc conscience d’être le Messie, quand il quitta la Galilée, et la confession de Pierre, dont on n’a, par ailleurs, aucun motif de suspecter l’historicité, vient éclairer la situation. La conviction des disciples n'était sans doute pas ancienne quand elle s’est exprimée par la bouche de Simon ; mais rien n’empêche d’admettre que Jésus lui-même, lorsqu’il a commencé à prêcher l’Évangile, ne se considérait pas simplement comme le messager ou le prophète du royaume ; il pensait en être l’agent principal et le chef prédestiné,

Là est la clef de la singularité qui se remarque dans son attitude. Comme le royaume est essentiellement à venir, le rôle du Messie est essentiellement eschatologique. Le Christ est le président de la société des élus. Le ministère de Jésus n’était que préliminaire au royaume des cieux et au rôle propre du Messie. En un sens, Jésus était le Messie, et, en un autre sens, il ne l'était pas encore. Il l'était, en tant qu’appelé personnellement à régir la nouvelle Jérusalem. Il ne l'était pas encore, puisque la nouvelle Jérusalem n’existait pas, et que le pouvoir messianique n’avait pas lieu de s’exercer. Jésus avait donc devant lui la perspective de son propre avènement. La question de Jean-Baptiste [18] : « Es-tu celui qui vient ?. » est ainsi facile à entendre, et pareillement la réponse de Jésus, dont le caractère indirect et la réserve calculée ne sont point dus à la modestie du Sauveur, mais imposés par la condition actuelle du royaume. Jean ne dit pas : « Es-tu le Christ ?» parce que le royaume n’est pas réalisé, et que Jésus n’est pas dans le rôle du Messie. Il demande plutôt si Jésus ne va pas être le Christ ; et Jésus lui répond de façon à lui faire entendre que celui qui prépare effectivement la venue du royaume est celui qui doit venir avec le royaume. Quand Pierre dit : « Tu es le Christ », il ne signifie pas que le Sauveur soit déjà dans l’exercice de la fonction messianique, mais qu’il est la personne désignée pour cette fonction. Ainsi l’entend Caïphe, et le discours que Jésus lui adresse n’est vraiment intelligible que dans cette hypothèse. Le Sauveur avoue qu’il est le Christ ; mais, pour expliquer son assertion, il ajoute aussitôt : « Et vous verrez le Fils de l’homme, assis à la droite de la Puissance », c’est-à-dire de Dieu, « et venant sur les nuées du ciel [19] ». Cette place d’honneur et cet avènement glorieux caractérisent le rôle du Messie. Jésus déclare qu’il est le Fils de l’homme qui doit venir.

On comprend aisément pourquoi il n’a voulu avouer sa qualité que le jour de sa mort, et l’on voit en quel sens il l’avoue. Il n’avait pas lieu d’en faire profession auparavant, non seulement parce qu’on ne l’aurait pas cru, ou qu’il se serait exposé immédiatement à la vindicte des pouvoirs publics, mais parce qu’il ne le pouvait pas, sa prédication n’étant pas la fonction du Messie, et son avènement comme Christ ne devant se produire que plus tard, au moment fixé par la Providence.

On comprend de même que l’Église apostolique ait enseigné que Jésus était devenu Christ et Seigneur par la résurrection, c’est-à-dire par son entrée dans la gloire céleste, et qu’elle ait en même temps attendu sa venue, c’est-à-dire son avènement comme Christ, et non son retour, son ministère terrestre n’étant pas encore envisagé comme un avènement messianique.

Quant à l’origine de la conscience messianique dans l’âme de Jésus, on ne peut la déduire sûrement des textes. La tradition la plus ancienne paraît l’avoir expliquée ou figurée au moyen d’une révélation qui se serait produite à l’occasion du baptême dans le Jourdain. Il peut y avoir là un effet de perspective, bien que cette circonstance du baptême soit comme un point de départ dans le ministère du Sauveur. En tous cas, la distinction que l'on voudrait introduire entre la conscience filiale et la conscience messianique est absolument gratuite. La tradition primitive ne l'a pas soupçonnée ; et la critique moderne, si un intérêt théologique n’avait été en jeu, ne l’aurait peut-être pas soupçonnée davantage. Autre chose, en effet, est le sentiment filial qui inspire la vie intérieure de Jésus, et autre chose la conscience réfléchie de son rôle providentiel. Ce n’est pas le sentiment qui fait de Jésus le Fils de Dieu en un sens qui n’appartient qu’à lui. Tous les hommes qui disent à Dieu : « Notre père », sont fils de Dieu au même titre, et Jésus ne serait que l’un d’entre eux, s’il ne s’agissait que de connaître la bonté divine et de s’y confier. Le critique peut conjecturer que le sentiment filial a précédé et préparé la conscience messianique, l’âme de Jésus s’étant élevée par la prière, la confiance et l’amour, au plus haut degré d’union avec Dieu, en sorte que l'idée de la vocation messianique a couronné comme naturellement ce travail intérieur ; mais en tant que le titre de Fils de Dieu appartient exclusivement au Sauveur, il équivaut à celui de Messie, et il se fonde sur la qualité de Messie ; il appartient à Jésus, non à raison de ses dispositions intimes et de ses expériences religieuses, mais à raison de sa fonction providentielle, et comme à l'unique agent du royaume céleste.

Il faut reconnaître, d’ailleurs, que les textes ne permettent pas d’analyser psychologiquement la notion du Fils de Dieu. Jésus se dit Fils unique de Dieu dans la mesure où il s’avoue Messie. L’historien en conclura, hypothétiquement, qu’il se croyait Fils de Dieu depuis qu’il se croyait Messie. L’idée de la filiation divine était liée à celle du royaume ; elle n’a de signification propre, en ce qui regarde Jésus, que par rapport au royaume à instituer. Même pour ceux qui croient à l’Evangile, la qualité d’enfants de Dieu n’est pas sans rapport avec l’espérance du royaume que le Père leur a destiné. A plus forte raison quand il s’agit de l’unique ordonnateur du royaume. Celui-là est le Fils par excellence, non parce qu’il a appris à connaître et qu’il a révélé la bonté du Père, mais parce qu’il est l'unique vicaire de Dieu pour le royaume des cieux.

II modifier

Dire que le Père seul, et non le Fils, appartient à l’Evangile de Jésus [20] est donc définir inexactement renseignement du Sauveur et le rapport de l’idée de la filiation avec celle du royaume. Si l’Evangile n est que la révélation de la bonté divine, on conçoit que la qualité du révélateur ne soit pas formellement comprise dans l’Evangile. Mais comme « la bonne nouvelle », ainsi que le nom même l’indique et que renseignement de Jésus le prouve, est proprement l’annonce du grand avènement, le message du royaume céleste, le Fils de Dieu est objet d’Evangile en tant que le Christ importe au royaume ; et l’on ne peut pas soutenir que la notion évangélique du royaume se constitue tout entière sans le Christ.

La personne de Jean-Baptiste restait en dehors du royaume qu’il prêchait, parce que Jean-Baptiste n’en était que le prophète. Tout autre est la situation de Jésus. S’il parle peu de luimême dans sa prédication, c’est que son enseignement n’a pour objet direct que la préparation morale de ceux qui voudront accepter la promesse divine, et qu’il ne fait jamais la description du bonheur à venir. Il ne s’en réserve pas moins un rôle essentiel et une place unique dans l’avènement et l’institution du royaume. Qu’est-ce que l’avènement du règne de Dieu ? Le Fils de l’homme apparaissant sur les nuées du ciel. Quelle place revient à Jésus dans le règne de Dieu ? La première, et les disciples se disputent même l’honneur d’occuper les sièges qui seront à sa droite et à sa gauche [21]. Il n’est pas question d’une doctrine à professer touchant sa personne et son rôle. Jésus, qui n’a énoncé aucune formule dogmatique sur le royaume, n’en a pas énoncé non plus sur lui-même. Il n’en prêche pas moins le royaume, et le Messie avec le royaume. Ceux qui croyaient à son message croyaient aussi à sa mission, et sa grandeur devait leur être manifestée avec le royaume promis. Il était bien superflu d’en étaler par avance la définition théorique. On ne se douterait jamais, en lisant l’Évangile, que Jésus demande que l'on croie seulement à la bonté de Dieu, sans s’inquiéter autrement de l’avenir ni de lui-même. Au lieu d’avancer un paradoxe en affirmant que celui qui tient Jésus pour Fils de Dieu ajoute quelque chose à l’Évangile [22], on risque seulement de commettre un contresens d’ensemble sur la prédication du Christ.

C’est sa propre religion, non celle de l’Évangile, que M. Harnack expose et défend quand il proclame que « Dieu et lame, l’âme et son Dieu sont tout le contenu de l’Évangile [23] ». L’Évangile historique n’a pas cette couleur mystique et individualiste. Pour le contraindre à prendre cette forme, le théologien protestant peut avoir ses motifs, ou plutôt il a sa foi, plus puissante que tout motif, et qui le dispense d’en chercher. L’historien ne voit pas la raison de cette violence.

Il ne comprend pas davantage où va l’argument déduit de ce que l’on ferait une hypothèse désespérée en supposant que, dans la pensée de Jésus, sa prédication serait quelque chose de provisoire, où tout devrait changer de sens, après sa mort et sa résurrection, et dont une partie même serait à négliger un jour comme n’ayant plus de valeur.

L’hypothèse, en effet, serait sans signification pour l'historien ; mais ce n’est pas l’historien qui en a besoin. C’est le théologien qui peut être tenté de s’en servir, et M. Harnack n’échappe à la nécessité de cette conjecture qu’en usant d’un moyen moins acceptable encore. Le Christ évangélique n’a pas fait deux parts dans son enseignement, l’une comprenant ce qui aurait une valeur absolue, et l’autre ce qui aurait une valeur relative, pour l’adaptation au présent. Jésus parlait pour dire ce qu’il pensait vrai, sans le moindre égard à nos catégories d’absolu et de relatif. Mais qui donc a distingué, dans la notion du royaume, l’idée du royaume intérieur, qui aurait une valeur absolue, et l’idée du royaume à venir, qui n’aurait eu qu’une valeur relative ? Qui donc a trouvé, dans la conscience filiale du Christ, un élément de portée universelle, la connaissance du Dieu Père, et un élément juif, dont l’unique avantage était de situer Jésus dans l'histoire, et qui était l’idée du Messie ? Ce peut être une hypothèse gratuite, au point de vue historique, d’attribuer à Jésus la prévision des modifications que sa doctrine devait subir au cours des siècles, et dès l’âge apostolique ; mais il est bien plus arbitraire de limiter, malgré l’Evangile, cet enseignement à un seul point qui n’y est pas spécialement enseigné, qui n’est pas l’Evangile, comme si ce point unique représentait tout ce que Jésus a pensé, tout ce qu’il a voulu, tout ce qu’il a fait.

En disant que les individus entendront la bonne nouvelle de la miséricorde et de la paternité divines, et décideront s’ils veulent mettre du côté de Dieu ou du côté du monde, on ne résume pas l’Evangile, on en change tout simplement l’objet, attendu que Jésus, en réalité, promettait le royaume céleste au pécheur repentant, et qu’il s’agissait pour ses auditeurs de recevoir ou de rejeter cette espérance. Celui qui veut déterminer historiquement la pensée du Sauveur n’a pas à y chercher d’abord ce qui peut agréer à l’homme de nos jours et ce qui serait censé n’avoir pas changé, mais il n’a qu’à prendre les textes, pour les interpréter selon leur sens naturel et les garanties d’authenticité qu’ils présentent.

On fait, d’ailleurs, illusion au lecteur en laissant entendre que l’idée du Dieu Père est, pour le théologien moderne, entièrement identique à celle de l’Évangile, et qu’il ne peut y avoir de vrai dans l’enseignement de Jésus que ce qui n’a pas changé. Tout l’ensemble des conceptions chrétiennes ayant été en perpétuel mouvement depuis l’origine, il n’est pas possible et il n’est pas vrai que celle-là soit restée immuable et constitue le noyau absolu de la prédication évangélique. Tout développement de l’idée de Dieu a exercé et exercera une influence sur la façon de se représenter sa paternité.

Rien ne sert d’employer les formules traditionnelles : « chemin qui conduit au Père, juge établi par le Père [24] », si on les vide de leur sens. Si l’on veut que Jésus soit la voie parce qu’il apporte aux hommes la connaissance de Dieu et les aide à trouver le Père, il faut bien dire que tel n’est pas le trait caractéristique de la mission du Sauveur, qui peut bien être, dans le présent, une mission d’enseignement, mais qui est autre dans l’avenir, et qui, au fond, dans son unité providentielle et logique, est celle d’agent introducteur et chef du royaume. Et si l'on entend le rôle du Christ juge en ce sens que sa prédication est le « signe critique », parce qu’elle « rend heureux et elle juge en même temps [25] », on ramène à une conception purement morale et abstraite ce qui était dans l’Evangile une espérance concrète et objective. Il peut être beau de dire que Jésus a été « la réalisation personnelle de l’Evangile [26] » ; mais si l’on entend par là. que Jésus a réalisé la connaissance parfaite du Dieu bon, l’on définit arbitrairement sa mission, et Ton ne sort pas du même cercle de théologie systématique. On a l’air de vouloir à tout prix restreindre le rôle du Christ, qui est universel par l’action et non seulement par l’idée, objectif et eschatologique, à la mesure d’une initiative individuelle, pour la communication d’une vérité sentie intérieurement et qui produit dès maintenant tout son effet bienfaisant.

Il est parfaitement vrai que l’Evangile ne contient aucun enseignement théorique, mais on ne peut pas dire qu’il ait pour seul dogme la vérité du Dieu Père [27]. Bien d’autres choses sont enseignées dans l'Évangile aussi explicitement et avec autant d’assurance que la paternité de Dieu : et d’abord la réalité du royaume à venir, la certitude du message évangélique concernant le royaume, et la mission de celui qui l’annonce. La foi à la bonté de Dieu n’est pas conçue indépendamment de la foi à sa promesse, au royaume et au Christ, agent du royaume. La question de la christologie ne se confond nullement avec la foi au Christ. Si Jésus n’a pas enseigné de doctrine christologique, il ne s’ensuit pas que sa prédication et la foi qu’on y pouvait avoir n’eussent aucun rapport avec la foi à sa personne. N’ayant pas à se dire Messie et n’annonçant que le royaume prochain, Jésus ne demandait la foi à sa mission que dans la foi à son message, à la promesse du royaume. Mais il allait de soi que, lors du grand avènement, tous les élus devraient saluer le Sauveur par le cri messianique : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur [28]. »

L’Évangile tout entier était lié à une conception du monde et de l’histoire qui n’est plus la nôtre, et c’est l’Evangile tout entier, non seulement sa prétendue essence, qui n’y était pas lié « inséparablement [29] ». La preuve de cette assertion n’est pas à chercher dans une possibilité abstraite, mais dans les faits : puisque l’Evangile s’est détaché peu à peu de ses formes originelles, il est permis d’affirmer que celles-ci étaient passagères, et que l’Evangile n’était pas inséparablement associé aux conceptions dont ces formes portaient la marque. Du reste, on ne peut pas dire de la foi au Dieu Père, plus que de l’espérance du règne de justice, quelle est « sans époque, comme l’homme [30] ». L’homme n’est pas sans époque ; il est de toutes les époques, et il change plus ou moins avec elles. L’Evangile n’a pas été adressé à l’homme abstrait, sans époque, immuable, et qui n’a jamais existé que dans l’esprit des théoriciens, mais à des hommes réels, qui se sont succédé dans le temps et auxquels il ne pouvait manquer de s’accommoder. La parole sur la bonté de Dieu, qui est disposé à nourrir les hommes comme il nourrit les passereaux, n’est guère plus susceptible aujourd’hui d’interprétation littérale que celle qui promet à la génération contemporaine de Jésus le spectacle du grand avènement. Est-il même si facile de se représenter Dieu pardonnant, d’après l’attitude du père qui célèbre le retour de son enfant égaré ? N’avons-nous pas, avec le même esprit de confiance, une idée assez différente de la Providence, de ses moyens d’action et de sa bonté ?

C’est une philosophie bien chétive que celle qui prétend fixer l’absolu dans un morceau d’activité humaine, intellectuelle ou morale. La pleine vie de l’Evangile n’est pas dans un seul élément de la doctrine de Jésus, mais elle réside dans la totalité de sa manifestation, qui a son point de départ dans le ministère personnel du Christ, et son développement dans l’histoire du christianisme. Tout ce qui est entré dans l’Évangile de Jésus est entré dans la tradition chrétienne. Ce qui est vraiment évangélique dans le christianisme d’aujourd’hui n’est pas ce qui n’a jamais changé, car, en un sens, tout a changé et n’a jamais cessé de changer, mais ce qui, nonobstant tous les changements extérieurs, procède de l’impulsion donnée par le Christ, s’inspire de son esprit, sert le même idéal et la même espérance.


III modifier

Si l'on met l’essentiel de l’Évangile et la conscience de la filiation divine dans la connaissance du Dieu Père, l’idée du royaume et la conscience messianique de Jésus n’apparaissent pas seulement comme des accessoires dune utilité toute relative, mais comme de pures illusions, comme une dette payée par le Sauveur aux préjugés de son temps. Ainsi comprise, l’œuvre personnelle du Christ se présente comme un beau transport d’enthousiasme irréfléchi, qu’un élément de religion pure a empêché de verser dans le fanatisme, sans lui rien enlever de son caractère chimérique.

En vain M. Harnack a-t-il commencé par placer Jésus au-dessus de Socrate [31]. Si l’espérance messianique a été inconsistante et fausse, le philosophe mourant pour la cause de la raison fut plus sage que le Christ mourant pour la cause de la foi ; car il accepta simplement sa destinée, sans se promettre dans l’avenir une compensation qui lui aurait échappé. C est ainsi que le rationalisme théologique, au lieu d’expliquer l’Evangile, en vient à le mutiler, et, sous prétexte de sauvegarder la grandeur de Jésus, le ravale au-dessous, non seulement de Socrate, mais de tout homme doué de sens commun. L’Évangile et le Christ sont comme décomposés en deux éléments : un sentiment moral que l’on veut bien trouver admirable, et un rêve que l’on n’ose pas trouver ridicule. Avec une critique plus pénétrante et une philosophie plus large, on s’apercevrait que ces deux éléments ne sont nullement hétérogènes ; que, si la tradition ne les a jamais séparés, c’est qu’ils ne sont point séparables ; que la religion du cœur et l’espérance du royaume éternel ne sont pas respectivement la réalité et la fantaisie du christianisme, mais constituent ensemble la religion de Jésus.

Selon la logique de la foi, si l’idée du royaume céleste est réelle, l’Evangile est divin, et Dieu lui-même se révèle dans le Christ. Selon la logique de la raison, si l’idée du royaume est inconsistante, l’Évangile tombe en tant que révélation divine, Jésus n’est qu’un homme pieux qui n’aura pas su dégager sa piété de ses rêves, et qui sera mort en victime de l’erreur, bien plutôt qu’en serviteur de la vérité qui était en lui. Car c’est pour s être avoué Messie, et parce qu’il se croyait tel, que Jésus est mort sur la croix ; ce n’est point pour avoir connu la bonté du Père céleste, ni parce qu’il aurait voulu la démontrer par sa mort. Il est mort parce que telle était la volonté du Père, et parce que sa mort s’est trouvée comme la condition providentielle de la venue définitive de ce royaume qu’il avait prêché. Il s’est appliqué à lui-même la leçon qu’il donnait à ses disciples : Quiconque cherche sa vie en ce monde la perd pour l’éternité ; quiconque perd sa vie maintenant pour l’Evangile la gagne pour le royaume des cieux [32]. La veille de la passion, il présentait à ses disciples le pain et le vin eucharistiques en symbole de la fin qu’il allait subir, et, en même temps, comme un gage de la communion qui le réunirait avec les siens dans le royaume à venir. Il est donc mort comme Messie, tout plein de l’idée de ce royaume dont il pensait amener l’accomplissement et où il comptait revivre dans la gloire messianique. Tel est le Christ de l’histoire : la mesure véritable de sa grandeur n’est pas à chercher ailleurs qu’en ce qu’il a cru et voulu être.

Jésus a été, sur la terre, le grand représentant de la foi. Or la foi religieuse de l’humanité ne s’appuie jamais et ne peut s’appuyer que sur des symboles plus ou moins imparfaits ; ses aspirations, qui ont pour objet l’infini, ne sauraient être déterminées dans la pensée humaine que sous une forme finie. Le symbole concret, l’image vivante, non l’idée pure, est l’expression normale de la foi, la condition de son efficacité morale dans l’homme et dans le monde. Le choix et la qualité des symboles sont nécessairement en rapport avec l’évolution même de la foi et de la religion. Non seulement l’idée du royaume et celle du Messie ont été les points d’attache qui ont permis au christianisme de se produire à côté du judaïsme, ils sont la forme indispensable sous laquelle le christianisme a dû naître dans le judaïsme, avant de se répandre dans le monde.

Rien ne pouvait faire que Jésus ne fût pas juif ; il n’était homme qu’à la condition d’appartenir à une branche de l’humanité. Dans celle où il naquit, et dont on peut bien dire qu’elle portait l’avenir religieux du monde, cet avenir était comme défini dans l’espérance du règne de Dieu, dans le symbole du messianisme. Celui qui devait être le Sauveur du monde ne pouvait entrer dans cette fonction qu’en assumant le rôle de Messie, en se présentant comme l’agent du royaume, venu pour accomplir l’espérance d’Israël. L’Evangile, paraissant en Judée, et ne pouvant même paraître ailleurs, devait être conditionné judaïquement. Son extérieur juif est le corps humain dont l’esprit de Jésus a été l’âme divine. Mais ôtez le corps, et l’âme s’évanouira dans l’air comme un souffle léger. Sans le messianisme, l'Evangile n’aurait été qu’une possibilité métaphysique, une essence invisible, intangible, même inintelligible, faute de définition appropriée à nos moyens de connaissance, et non une réalité vivante et conquérante. Il faudra toujours un corps à l'Evangile pour qu’il soit humain. Devenu l’espérance du peuple chrétien, il a corrigé par voie d’interprétation certaines parties de son symbolisme israélite. Il n’en reste pas moins la représentation lointaine et toujours perfectible, parce qu’elle, est toujours inadéquate et insuffisante, du grand mystère, Dieu et la destinée providentielle de l’homme et l’humanité.

C’est ce mystère que Jésus a révélé, dans la mesure où il pouvait être révélé, et dans les conditions où il devait l’être. On peut dire que le Christ l'a vécu autant qu’il l’a manifesté. S’il n’avait eu en vue que la propagation d’une doctrine, l’organisation d’une société terrestre, où même la fondation d’une religion particulière, le Christ n’aurait pas été seulement moins sage que Socrate, il eût été moins habile que Mahomet. Il ne poursuivait pas un tel projet, et ce n’est pas un rêve décevant qui l’en a détourné. Son rêve était son projet même, la réalisation du bonheur parfait dans la parfaite justice, de l’immortalité dans la sainteté. Et cette réalisation était déjà opérée en lui par l’union à Dieu, la confiance au Père céleste, la certitude intime de l’avenir éternel garanti à l’humanité en sa personne et par lui-même. L’historien, comme tel, ne peut apprécier la valeur objective de cette persuasion ; le chrétien n’en doutera pas, et même on n’est chrétien que si on l’admet.

Il peut sembler à certains esprits, en qui l’habitude de l’abstraction et du raisonnement a émoussé le sens des choses et de la vie, que l’espérance du royaume était trop commune, trop imaginative, trop peu conforme à ce qui est arrivé, pour être digne du Sauveur. N’a-t-on pas déjà vu des savants catholiques insinuer, sinon professer ouvertement, que les premiers chrétiens pourraient avoir prêté au divin Maître leur illusion apocalyptique, comme si la parousie, l’avènement du Christ dans la gloire, n’était pas l’élément essentiel du messianisme, et comme si le messianisme n’était pas la seule définition historique du rôle de Jésus ? On ne saurait apprécier plus mesquinement un fait qui se présente à l’historien comme la plus grande manifestation de foi qui se soit jamais produite sur la terre.

Jésus est mort confiant dans l’avenir de son œuvre et dans son prochain triomphe. Sa confiance ne provenait pas d’un effort pour se dissimuler l’insuccès présent, pour surmonter les terreurs de la mort, mais du même sentiment qui ne lui permettait pas de supposer que la vie divine qui était en lui dût s’évanouir avec son dernier souffle, ni que le royaume fût perdu avec lui, ou qu’il fût lui-même perdu pour le royaume, parce qu’il succombait à la haine de ses ennemis. Non ! le Messie vivrait et le royaume viendrait ! C’est en vertu de préoccupations étrangères à la saine philosophie, à la connaissance de l’homme et à celle de l’histoire, que l'on cherche dans l’Evangile et dans la pensée du Christ la définition abstraite que l’on juge la meilleure pour caractériser sa personne ou sa mission, ou qu’on se scandalise de ne pas trouver dans ses discours la prévision exacte de la fortune qui était réservée au christianisme. Jésus n’a pas considéré ni présenté son avenir sous des traits qui, selon la loi de l’humanité, n’appartiennent qu’à la connaissance du passé. Autant que le critique peut en juger d’après les documents les plus certains et les plus clairs de l’histoire évangélique, le Christ a contemplé et annoncé cet avenir sous les espèces delà foi, les seules convenables pour un tel objet ; il l’a vu et décrit sous le symbole traditionnel de l’espérance israélite, qu’il s’était approprié ; il l'a perçu, comme une ligne lumineuse, dans une seule idée infiniment compréhensive, l’avènement complet et définitif du règne de Dieu. Au point de vue d’une logique réelle, on ne conçoit même pas qu’il ait pu choisir un symbole mieux adapté aux conditions de son ministère et au succès de son message. L’idée messianique du royaume était la seule forme vivante sous laquelle il pût envisager, faire pressentir aux autres et assurer lui-même l’avenir de l’humanité croyante, en prenant racine dans le présent.

L’espérance du royaume était donc, dans l’Evangile, une idée simple, ou pour mieux dire, eu égard à la foi, une réalité simple. Elle apparaît maintenant, à l’historien croyant, comme le symbole concret, rudimentaire et indistinct, de ce qui advint ensuite : la foi à la résurrection du Christ, à sa présence invisible et permanente au milieu des siens, à sa glorification éternelle ; le progrès indéfini de l’Evangile dans le monde ; la régénération de l’humanité par le christianisme ; l’anticipation du royaume des cieux dans l’Eglise. Au point de vue de la foi, c’était le pressentiment certain de ce que l’on voit aujourd’ hui, et aussi de ce que l'on ne voit pas, puisque l’aspect que présente le règne de Dieu, contemplé de l’éternité, la façon dont se règle, derrière le rideau de ce monde, le compte de la justice et de la bonté divines, échappent à l’expérience.

Qu’on ne dise pas que Jésus a touché seulement la monnaie de son espoir et que la somme totale ne lui a pas été versée ! Pour la foi il est roi et Dieu dans l’éternité. Autant qu’il nous est donné de pénétrer l’économie des choses de ce monde, Jésus vit, dans l’humanité, d’une manière et à un degré qui n’ont été vérifiés pour aucun être humain. Libérateur divin, il est allé lui-même à Dieu par la voie de la douleur et de la mort, sûr de n’être pas trompé, quelles que fussent les conditions où il plairait au Père d’accomplir l’œuvre pour laquelle sa vie terrestre avait été sacrifiée. Si son attente n’est réalisée avec certitude que pour la foi, l’historien philosophe n’hésitera pas cependant à la trouver étonnamment vraie, en en constatant les effets acquis et l’inépuisable fécondité.

IV modifier

On sait la place que la mort et la résurrection du Christ tiennent dans renseignement de saint Paul : elles constituent pour l’Apôtre le véritable Evangile du salut, parce qu’elles ont amené le royaume de Dieu, en procurant à Jésus la gloire messianique et, par Jésus, à ses fidèles, l’esprit de Dieu dans la communion au Christ glorifié. M. Harnack écrit [33] : « On doit tenir pour certain que l’apôtre Paul n a pas été le premier à mettre en relief l’idée de la mort du Christ et celle de sa résurrection, mais que, en faisant valoir l'une et l’autre, il se plaçait sur le même terrain que la communauté primitive. »

Peut-être y a-t-il une équivoque dans cette affirmation. La première communauté n’ignorait pas que le Christ était mort sur la croix, et elle a cru, avant Paul, qu’il était ressuscité ; mais cette mort et cette résurrection pouvaient donner lieu à des considérations différentes, qu’il ne faut pas attribuer indistinctement aux premiers croyants, ou à Jésus lui-même, et à l’Apôtre des gentils. Le passage de l’Épître aux Corinthiens [34] : « Je vous ai transmis ce que j’ai reçu moi-même, à savoir que le Christ est mort pour nos péchés [35]..., et qu’il est ressuscité le troisième jour », ne garantit aucunement que l’idée de la mort expiatrice ait existé, dès l’origine, avec la netteté que lui donne renseignement de Paul, et qu’elle ait contribué, au même degré que celle de la résurrection, à fonder la christologie. Autant qu’on peut en juger d’après des témoignages qui ont subi plus ou moins l’influence de la théologie paulinienne, ce fut la résurrection seule qui fit le Christ et l’établit sur son trône de gloire ; la mort n’était que la condition providentielle de la résurrection, condition voulue de Dieu, acceptée par Jésus. Il ne faut pas trop insister sur ce que la mort du Christ a mis fin aux sacrifices sanglants [36] ; car l’idée de la mort expiatrice n’a pas contribué seule ni principalement à ce résultat. Les Juifs n’offraient de sacrifices qu’à Jérusalem, et les disciples de l’Évangile n’auraient pu songer à en offrir ailleurs ; leur séparation d’avec les Juifs, et la destruction du temple ont eu pour eux une conséquence qui est acquise aussi bien pour les Israélites. On peut penser que l’idée morale du sacrifice devait en éliminer finalement la réalité physique ; mais les faits y ont contribué d’abord plus que l’idée ; et il n’est pas rigoureusement vrai de dire que l'une a remplacé l'autre. C’est aussi en jouant quelque peu sur le double sens du mot « sacrifice » que l'on parle, à ce propos, de la loi qui veut que le progrès, dans l’humanité, s’achète par la souffrance et souvent par la mort de ceux qui y contribuent le plus efficacement [37]. Entre l’homme qui meurt victime de sa destinée, ou plutôt de la résistance que la force d’inertie oppose à la force de mouvement, et l’agneau, le bouc, ou même l’être humain, victimes immolées à une divinité pour mériter sa faveur, il n’y a qu’une analogie qui explique l’emploi du même vocabulaire, mais dont l’historien ne doit pas être dupe.

Quant à l’idée que, le mal et le péché réclamant un châtiment, il y a dans la souffrance du juste une expiation qui purifie [38], elle est comme intermédiaire entre la notion matérielle du sacrifice et sa notion purement spirituelle, conforme à la première par l’idée de satisfaction expiatoire, touchant à la seconde par l’élément moral qu’elle contient ; c’est une conception symbolique où l’on ne doit pas se presser de voir l’expression d’une vérité absolue, indestructible, sous cette forme particulière, dans la conscience des hommes. Cette conception mixte est dans le second Isaïe ; il n’est pas autrement prouvé qu’elle appartienne à l’enseignement de Jésus et à la foi de la première communauté. Le passage de Marc [39] où on lit que le Christ est venu « donner sa vie en rançon pour beaucoup » a toute chance d’avoir été influencé par la théologie de Paul, et l’on peut en dire autant des récits de la dernière scène.

Il semble que, selon le texte primitif de saint Luc [40], Jésus présente le calice et le pain à ses disciples, en envisageant la perspective de sa fin imminente et de sa réunion future avec les siens dans le royaume de Dieu, mais sans faire ressortir le caractère expiatoire et l’intention rédemptrice de sa mort. Le récit de Marc paraît fondé sur une relation toute semblable à celle de Luc, où ce qui est dit du « sang de l’alliance » aurait été ajouté d’après l’enseignement de Paul : « Et prenant le calice, après avoir rendu grâces, il le leur donna, et ils en burent tous. Et il leur dit : Ceci est mon sang de l'alliance, répandu pour plusieurs. En vérité je vous dis que je ne boirai plus du produit de la vigne, avant le jour où je le boirai nouveau dans le royaume de Dieu [41]. » Il n’était plus temps de dire : « Ceci est mon sang », après que les disciples avaient bu ; et Matthieu [42] l’a bien senti, car il rattache ces paroles à la présentation de la coupe. Mais le rédacteur du second Évangile n’avait pas voulu déranger l’économie du récit primitif, et il s’était contenté d associer aux paroles dites après la distribution du calice celles qu’on lisait, dans saint Paul [43], du calice à distribuer.

Les premiers croyants corrigeaient le fait brutal de la mort par la gloire de la résurrection. Paul découvre à la mort un sens et une efficacité qui peuvent compter indépendamment de la résurrection, tout en lui étant coordonnés. Mais si Jésus a été proclamé Christ et Seigneur par les premiers disciples, ce n’est point à cause de sa mort, c’est à cause de la résurrection qui l'a introduit dans la gloire de sa vocation messianique [44].

Que « le message de Pâques » et « la foi de Pâques » soient choses distinctes [45], on doit l’accorder à M. Harnack, bien qu’il soit malaisé de retrouver avec lui cette distinction dans les Évangiles. Le message de Pâques, c’est-à-dire la découverte du tombeau vide et les apparitions de Jésus à ses disciples, en tant que l'on tient ces faits pour des preuves physiques de la résurrection, n’est pas un argument indiscutable et d’où il résulte avec une entière certitude, pour l'historien, que le Sauveur est corporellement ressuscité. Le cas donné ne comportait pas de preuve complète. Le Christ ressuscité n’appartient plus à l'ordre de la vie présente, qui est celui de l’expérience sensible, et par conséquent la résurrection n’est pas un fait qui ait pu être constaté directement et formellement. On peut vérifier la guérison d’un malade, et l’on pourrait, le cas échéant, contrôler le retour d’un mort à la vie naturelle ; mais l’entrée d’un mort dans la vie immortelle se dérobe à l’observation. Le tombeau vide n’est qu’un argument indirect, et non décisif, puisque la disparition du corps, seul fait constaté, admet d’autres explications possibles que la résurrection. Les apparitions sont un argument direct, mais que Ion peut dire incertain dans sa signification. Avant tout examen des récits, il est permis de penser que des impressions sensibles ne sont pas le témoignage adéquat d’une réalité purement surnaturelle. Jésus ressuscité apparaissait et disparaissait à la manière des esprits ; pendant l'apparition, il était visible, palpable, et on pouvait l’entendre comme un homme à l’état naturel. Ce mélange de qualités peut-il inspirer une confiance entière à l’historien qui aborde la question sans foi préalable ? Évidemment non. L’historien réservera son adhésion, parce que la réalité objective des apparitions ne se définit pas pour lui avec une précision suffisante. L’examen critique des récits le confirmera dans son doute, parce qu’il lui sera impossible de reconstituer assez sûrement, d’après les Evangiles et saint Paul, la série des apparitions, selon leur date, avec les circonstances où elles se sont produites. Le fait des apparitions lui semblera incontestable, mais il ne pourra en préciser exactement la nature et la portée. Si on le regarde indépendamment de la foi des apôtres, le témoignage du Nouveau Testament ne fournit qu’une probabilité limitée, qui ne semblera pas proportionnée à l’importance extraordinaire de l’objet attesté. Mais n’est-il pas inévitable que toute preuve naturelle d’un fait surnaturel soit incomplète et défaillante ? La foi des apôtres n’est pas le message ; elle va droit au Christ toujours vivant et l'embrasse comme tel. Par rapport à cette foi, la représentation imaginative ou la conception théorique de la résurrection et le caractère des apparitions sont chose secondaire. Cependant la foi n’est pas indépendante du message. Quoique la critique puisse penser des difficultés et des divergences que présentent les récits concernant la résurrection du Sauveur, il est incontestable que la foi des apôtres a été excitée par les apparitions qui ont suivi la mort de Jésus, et que les apôtres, même saint Paul, n’ont pas eu l’idée d’une immortalité distincte de la résurrection corporelle. Message de Pâques et foi de Pâques ont pour eux le même objet et la même signification. « L’histoire de Thomas est racontée uniquement pour montrer que l’on doit avoir la foi de Pâques, même sans le message de Pâques [46] » ; mais ce qui est la foi de Pâques, dans cette histoire, est précisément l’objet du message ; on doit croire que le Christ est ressuscité, au sens que dit le message, sans avoir vu d’apparition. La même remarque s’applique aux disciples d’Emmaüs : « ils furent blâmés de ce que la foi à la résurrection leur manquait, bien qu’ils n’eussent pas reçu encore le message de Pâques [47] » ; mais il est simplement sous-entendu que, s’ils avaient été intelligents, les Ecritures auraient dû leur apprendre ce qui était annoncé dans le message, à savoir que le Christ devait ressusciter le troisième jour après sa mort.

La distinction du message et de la foi peut donc être fondée en raison sans être fondée en Evangile. On peut discerner dans la foi un élément fondamental, la croyance au Christ vivant, qui est la substance même de la foi, et sa forme, qui se confond avec l’objet du message. De savoir si la forme importe à la conservation du fond, c’est un point qu’il n’y a pas lieu d’examiner ici. M. Harnack voudrait garder le fond sans la forme, la foi sans sa preuve, qu’il juge caduque. Peut-être a-t-il eu tort de prendre uniquement pour une preuve ce qui, dans les écrits apostoliques, est, avant tout, une expression de la foi. Si on l’entend de la sorte, le message de Pâques reste le grand témoignage de la foi, et la distinction de la foi et du message n’a plus qu’une signification théorique, sans grande portée religieuse. On ne doit pas opposer la foi, comme un absolu, au message, qui serait relatif ; la foi a vécu et vit encore dans le message, qui est la réalité même de la foi, en tant que celle-ci cherche à se communiquer.

Il y a quelque exagération à congédier Platon, la religion des Perses et les croyances du judaïsme postexilien, comme s’ils n avaient aidé en rien à créer la certitude de la vie éternelle, et que cette certitude fût uniquement venue de la foi au Christ ressuscité [48]. L’évolution religieuse du judaïsme, dans les temps qui ont précédé immédiatement l’ère chrétienne, n’a pas peu contribué à préparer le terrain où une telle croyance pouvait naître. Jésus lui-même a trouvé chez les Juifs la foi à la résurrection des morts, et il a parlé conformément à cette foi. L’idée de sa résurrection personnelle suppose acquise l’idée de la résurrection commune. Que la foi à la résurrection du Christ ait donné une impulsion décisive à la croyance ultérieure, on n’en peut disconvenir ; mais l’historien ne doit pas contester le lien de cette foi avec ce qui l’a précédé.

On ne peut pas dire non plus que la foi au Christ toujours vivant supporte seule aujourd’hui la foi à l’immortalité. Autre chose est que l’humanité n’ait pas acquis cette foi par des spéculations philosophiques, et autre chose est qu’elle la puisé uniquement dans la vie et la mort du Christ à jamais uni à Dieu. L’impression de la vie et de la mort de Jésus serait nulle sur une humanité qui n’aurait pas en elle le désir plus ou moins conscient de tout ce que Jésus lui apporte, et qui n’attendrait pas déjà ce qu’il lui promet. Il est trop facile d’affirmer que les disciples, ayant conversé avec le Sauveur, avaient bien vu qu’il communiquait une vie intense, et ne pouvaient être ébranlés que passagèrement par sa mort. Même cette hypothèse admise, des hommes qui n’auraient pas été familiarisés avec l’idée delà vie éternelle, comme elle se présentait dans la prédication du royaume des cieux, auraient été fort mal préparés à croire que leur Maître était ressuscité. Ajoutons que la vie morale qui émanait de Jésus, et l’immortalité sont deux vies très distinctes, quoique connexes, et que les pêcheurs galiléens auraient malaisément conclu de Tune à l’autre, s’ils n’y avaient été aidés de toute manière.

Dans cette thèse absolue de M. Harnack, comme dans sa conception du royaume des cieux, on reconnaît sa tendance à concentrer la religion en un seul point où l'on devrait voir la réalisation du parfait : ce point unique serait la vie éternelle acquise présentement dans l’union avec le Dieu bon. Jésus serait le héraut unique de cette unique révélation, qui reste immuable dans cette forme pure, sans que rien la prépare, et sans qu’elle marche elle-même avec les siècles qui la suivent. A la place du surnaturel qu’il abandonne, et au lieu d’en éclairer la notion, le savant théologien introduit quelque chose d’assez inconsistant, une sorte de révélation humaine et absolue, subite et immuable, qui se serait produite dans la conscience de Jésus et que l’Evangile ne connaît pas.

Le christianisme n’a pas fait ainsi son entrée dans le monde. S’il n’est pas, et tant s’en faut, le produit fatal d’une combinaison de croyances hétérogènes venue de la Chaldée, de l’Egypte, de l'Inde, de la Perse et de la Grèce ; s’il est né de la parole et de l’action incomparables de Jésus, il n’en est pas moins vrai que Jésus a recueilli et vivifié le meilleur du capital religieux amassé avant lui par Israël, et qu’il n’a pas transmis ce capital comme un simple dépôt que les croyants de tous les âges n’auraient qu’à surveiller, mais comme une foi vivante, sous un ensemble de croyances qui, ayant vécu et grandi avant lui, devaient vivre et croître après lui par l’influence prépondérante de l’esprit dont il les avait animées. Pour être isolé dans l’histoire, le Christ de M. Harnack n’en est pas plus grand ; il est seulement moins intelligible et moins réel [49] .




Notes modifier

  1. P. 79-103.
  2. P. 89
  3. P. 81.
  4. XI, 25-30.
  5. X, 21-24.
  6. VIII, 29.
  7. XVI, 16.
  8. IX, 20.
  9. XIV, 61.
  10. XXVI, 63.
  11. XXII, 67-70.
  12. Cf. MATTH. XXVIII, 18.
  13. LI.
  14. Cf. ECCLI. LI, 10 (en lisant : « le Seigneur mon Père », et non « le Seigneur, père de mon Seigneur»).
  15. Cf. MATTH. XXIII, 34-36 (passage attribué à la Sagesse dans Luc, xi, 49-51).
  16. I,18.
  17. MARC, VIII, 28.
  18. MATTH. XI, 3.
  19. MARC, XIV, 62.
  20. P. 91.
  21. Cf. MARC, X, 35-40 ; Luc, XXII, 24.
  22. P. 92.
  23. P. 90.
  24. P. 91.
  25. P. 92.
  26. P. 91.
  27. P. 92.
  28. Cf. MATTH. XXIII, 39.
  29. P. 94
  30. Ibid.
  31. P. 1.
  32. MARC, VIII, 35.
  33. P. 97.
  34. I COR. xv, 3-4.
  35. Saint Paul dit : « selon les Écritures », ce qui montre bien qu’il ne faut pas exagérer le caractère historique de la tradition dont il parie.
  36. P. 99.
  37. P. 100.
  38. P. 100.
  39. X, 45.
  40. XXII, 18-19, jusqu’aux mots : « Ceci est mon corps » ; la suite du v. 19 et le v. 20 ont été pris de la première Epître aux Corinthiens (XI, 24-25) et semblent avoir été ajoutés après coup.
  41. MARC, XIV, 23-25.
  42. XXVI, 28-29.
  43. I COR. XI, 25.
  44. Cf. ACT. II, 23-24.
  45. P. 101.
  46. Loc. cit.
  47. Loc. cit.
  48. P. 102.
  49. « Ce que l’on peut imaginer de plus incomparablement unique dans l’ordre spirituel et moral, et au point de vue d’une conception rationnelle du développement humain, ne peut être que le cas de celui en qui les différents éléments qui ont existé auparavant dans l’expérience religieuse des hommes ont été conciliés et amenés à l’unité. Mais celui-là n’est pas, pour autant, placé en dehors du développement ; car une telle concentration dévie et de pensée, si elle est, d’une part, la solution des problèmes de l’humanité, équivaut, d’autre part, ou conduit directement à une façon nouvelle et plus profonde, sinon plus difficile, de les poser. Quand même nous dirions qu’elle contient le principe de solution de toutes ces difficultés, ce ne peut être qu en germe, comme par un sentiment vague et rudimentaire, exprimé dans des paroles qui peuvent encore être interprétées fort diversement. Bref, cette action unique... doit avoir consisté à offrir précisément ce qui était requis dans une crise importante, si vous voulez, dans la crise la plus importante du développement humain. Et nous devons repousser toute autre idée comme dénuée de sens et immorale. Car à supposer qu’une nourriture spirituelle eût été introduite dans l’esprit de l’humanité incapable de se l’assimiler, elle n’aurait pas été seulement inutile mais fatale à sa croissance. » E. CAIRD, art. cit., p. 6.


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