L’Étourdi, 1784/Première partie/11

, ou attribué au chevalier de Neufville-Montador.
(p. 56-63).

LETTRE XI.

La toilette : Moine puni.


J’Étais encore trop jeune pour rendre juſtice aux femmes, & je n’avais ni aſſez d’expérience, ni aſſez de diſcernement pour démêler le faix des conſeils de Serfet. Auſſi me ſéduiſirent-ils, & m’engagerent à vérifier ſon aſſertion ſur le compte des femmes. Je diminuai dans mes lettres à Madame de Larba cette chaleur que le ſentiment du cœur peut ſeul inſpirer, à peine portaient-elles l’empreinte de l’amitié. Madame de Larba s’en plaignit. Au lieu de me juſtifier, je lui laiſſai entrevoir que d’autres charmes m’avaient fait impreſſion. Sa vanité n’en fut pas contente, & ſon ame qui, comme celle de toutes les femmes, eſt plus ſuperbe que tendre, & par conſéquent plus délicate que les intérêts de ſa vanité que ſur ceux de ſon cœur, en fut humiliée. Elle ne me répondit point. Son ſilence & les ſermons de Serfet me déſillerent les yeux. Je reconnus combien je m’étais abuſé ſur le compte des femmes, & ſur la nature de mes affections. Mon amour diſparut auſſi vîte que celui de la Comteſſe. Il finit au moment où elle ceſſa de m’écrire.

Dès lors je ne m’occupai qu’à porter partout l’enjouement & la volupté ; & je me promis bien de profiter des leçons du meilleur des parens poſſibles.

Madame Berle avait trop d’attraits pour que j’y fuſſe inſenſible. Je cherchai à plaire, j’y étais parvenu. Il ne me reſtait que d’en avoir des preuves. Je ne regardais pas comme telles quelques faveurs accordées ou dérobées ſur la petite oie, j’en voulais de plus grandes, & j’eus beſoin de toute la témérité & de toutes les notions que m’avoit donné le catéchiſme de Serfet pour les obtenir.

Elle m’avait permis d’aller à ſa toilette. J’y fus un jour en poliſſon, mais en poliſſon élégant. Sa femme de chambre avait achevé de la coiffer. Dans mes intérêts, Marton comprit, à un ſigne que je lui fis, que ſa préſence était de trop, & nous en délivra. Sa maîtreſſe qui ne s’était point apperçu qu’elle fut ſortie, tendit la main pour lui demander le couteau à ôter la poudre. Dans l’état le plus brillant, je m’avance vers cette main qui ne ſe ſerre que pour preſſer ce qu’elle cherchait le moins.

L’étonnement qu’une pareille impudence cauſa à Madame Berle, lui fit jeter un cri ; je ne m’en épouvante point, & plus entreprenant que jamais, ſourd à ſes reproches, je conſomme à la même place ce que je me ſerais cru honteux d’avoir manqué.

S’il y a au monde quelque choſe de bien prouvé, c’eſt qu’il y a des inſtans ou quelque peu diſpoſée que par la nature ou par ſes principes, une femme ſoit à ſe laiſſer ſubjuguer par la témérité, l’audace peut prendre beaucoup ſur elle. D’ailleurs une femme aimable regardera l’inſolence, moins comme une inſulte faite à ſa façon de penſer, que comme un hommage rendu à ſes charmes. Et les anciens qui connoiſſoient toute l’étendue du domaine de la vanité, ont eu raiſon de dire qu’il vaut toujours mieux mettre une femme dans le cas d’avoir à ſe plaindre hautement de trop de témérité, que d’avoir en ſecret à vous reprocher de l’avoir trop reſpectée.

Un hiſtorien exact fait d’abord connaître ſon héroïne. Je n’omettrai donc pas, mon cher Deſpras, de te dire que Madame Berle était une veuve de trente-deux ans, dont la taille, réguliérement bien priſe, répondait à un de ces minois mutins auxquels on ne peut réſiſter. Elle était ſage ſans contrainte & ſans vanité, ne croyait pas comme beaucoup d’autres, qu’on n’eſt jamais plus reſpectable que lorſqu’on eſt ennuyeux. Elle n’avait point plié ſon eſprit qui eſt naturellement gai à ne jamais ſe permettre de ces petites ſaillies qui font l’enjouement des femmes, & le charme des ſociétés.

Madame Berle n’était pas aſſez mépriſable pour affecter des vertus qu’elle n’avait pas ; mais elle était aſſez prudente pour obſerver le décorum, afin de faire taire les mauvaiſes langues. Les veuves qui ſont jeunes & jolies, ont en province beaucoup de ménagement à garder. Elles ne doivent pas recevoir chez elles les jeunes gens, & ſurtout les militaires : leur maiſon ne doit être ouverte que pour leurs parens, & pour certains hommes que leur âge & leur état met au deſſus du ſoupçon.

Nous prîmes donc des meſures pour nous voir. La nuit était pour l’ordinaire le temps conſacré à nos plaiſirs. J’entrais chez elle par un eſcalier dérobé qui donnait dans une rue peu fréquentée. J’avais une clef de la porte. — Un ſoir que je me rendis un peu tard auprès de ma maîtreſſe, j’entendis du bruit dans l’eſcalier qui n’était point éclairé. Mon premier mouvement fut de demander qui va là. On ne me répondis point ; mais à ma queſtion on ſe colle contre le mur pour me laiſſer le paſſage libre. Ne pouvant ni ne devant d’abord préſumer ce que ce pouvoit être ; mille idées vinrent aſſaillir mon imagination. Je crus que c’était quelque aſſaſſin, quelque rival qui m’attendait, & qui ne cherchait pour me poignarder que l’inſtant d’être derriere moi Je mis auſſitôt l’épée à la main, & je m’avançai en la frottant contre le mur, vers l’endroit où j’avais entendu du bruit ; celui que je faiſais avec mon épée, épouvanta le perſonnage, qui craignant d’être percé, chercha ſon ſalut dans la fuite. Je courus après lui, l’atteignis, & me ſaiſis d’un gras & gros Moine qui me dit avec cette effronterie qui n’eſt connue que d’eux, de lâcher le miniſtre de Dieu qui venait de confeſſer une femme prête de mourir.

Sa réponſe ne me ſatisfaiſant pas, & écoutant moins la prudence qu’enchanté de trouver une occaſion qui pût ſervir d’aliment à ma haine pour la race à froc ; je pris le Pater par la barbe, & lui fis pouſſer les hurlemens les plus forts. Ses cris pénétrerent juſques aux oreilles des voiſins, & les amena à ſon ſecours. Ils me trouverent aux priſes avec un Capucin, ſur la figure duquel mon épée avait été pluſieurs fois imprimée, Certainement ces ſtigmates valaient bien celles de St. François.

On me l’enleva pour le tranſporter à ſon couvent, où il fut mis dans ce lieu ſouterrain qui voit plus ſouvent gémir l’innocence que le crime ſe repentir ; il fut, dis-je, mis in pace par ordre du Gardien, qui apprit que le Pere Théophile avait profité du temps où ſes Freres étaient au chœur occupés à chanter matines pour donner à une dévote qui demeurait dans la même maiſon que Madame Berle, un avant goût des plaiſirs qu’il lui promettait dans le Ciel.