L’Étalon (Verhaeren)

Œuvres de Émile VerhaerenMercure de FranceIX. Toute la Flandre, II. Les Villes à pignons. Les Plaines (p. 205-206).


L’ÉTALON


L’ombre d’un grand nuage blanc

Circule au loin, de plaine en plaine ;
Un vent du sud, torpide et lent,
Remue à peine
Les barbes des épis et les feuilles des frênes ;
Lorsque, soudain, rompant d’un bond
Sa chaîne,
S’enfuit, de la ferme prochaine,
Un étalon.

Ses sabots noirs cassent les pierres
Et les cailloux des chemins clairs ;
On voit luire les quatre fers

De son galop dans la lumière.


Son corps torride de soleil

Tangue et tangue parmi la masse
Des avoines et des méteils ;
Son souffle ardent brûle l’espace.

Les cavales le voient venir
À travers champs, taillis, venelles,
Et l’écoutent de loin hennir,
Crier et haleter vers elles.

Le rut en feu court sur leur peau.
Leur cou se tend le long des haies ;
Tandis que lui, le corps en plaies,
Franchit fossés, barrière, enclos,

Et longuement promène au centre
Du troupeau moite et pantelant,
Tel un roi rouge et violent,

L’orage énorme de son ventre.