L’Épouvante/Chapitre II

Monde illustré (p. 49-67).


Onésime Coche jeta un long regard autour de lui, s’assura que les rideaux des fenêtres étaient bien fermés, prêta l’oreille afin d’être certain que nul ne viendrait le déranger dans sa besogne, puis, rassuré, il enleva son pardessus, le déposa sur une chaise avec sa canne et son chapeau, et réfléchit.

Il s’agissait maintenant de créer de toutes pièces la mise en scène du Crime d’Onésime Coche, et pour ce, tout d’abord, il fallait faire disparaître tout ce qui pouvait mettre sur la trace des vrais coupables.

Le cadavre découvert, ce qui, dans cette pièce, retenait d’abord l’attention, c’étaient les trois verres oubliés sur la table. En omettant de les faire disparaître, les assassins avaient commis une faute grave. Leur négligence suffisait à donner à la justice un renseignement précieux. Un homme seul passe inaperçu là où trois hommes se font arrêter. Il lava donc les trois verres, les essuya, et avisant un placard ouvert où d’autres verres étaient rangés, les remit à leur place. Ensuite il prit la bouteille entamée, éteignit l’électricité afin qu’aucun de ses gestes ne pût être vu du dehors, tira les rideaux, ouvrit la fenêtre, les volets, et la lança de toutes ses forces. Il la vit tournoyer en l’air et retomber de l’autre côté de la chaussée. Le bruit du verre brisé éveilla pendant une seconde le silence. Il se rejeta en arrière, et se mordit les lèvres :

— Si quelqu’un avait entendu ?… Si l’on venait ?… Si l’on me trouvait là, dans cette chambre ?…

La peur qu’il éprouva n’avait rien de comparable à toutes celles qu’il avait connues jusqu’alors. Rapide, incisive, elle le clouait sur place, arrêtant sa respiration. Il eut, en moins d’une seconde, très chaud et très froid… Il fouilla la nuit, guetta le silence… Rien. Alors, il referma les voleta, la fenêtre, tira les rideaux, revint à tâtons jusqu’au commutateur, et donna de la lumière.

Chose étrange ! L’obscurité seule l’effrayait. La lumière faisait s’enfuir toutes ses angoisses. Il connut à cela qu’il n’était pas un vrai criminel, car l’aspect de la victime, loin de grandir son effroi, l’apaisa. Dans le noir, il en arrivait presque à se sentir coupable ; bien éclairés, les objets, malgré l’horreur du lieu, n’avaient plus rien de terrible pour ses regards. Il réfléchit que, la peur, le remords, devaient être d’atroces choses, et qu’il allait lui falloir une rare force d’âme pour en grimacer les tourments.

« Je vais, pensa-t-il, être obligé de me combattre et de me vaincre pour ne pas laisser deviner mon innocence, autant qu’un coupable, pour cacher son crime. »

La table débarrassée, il se dirigea vers la toilette. Là, le désordre était si flagrant qu’il était impossible d’admettre qu’il fût l’œuvre d’un seul.

Les objets portent en eux le secret des doigts qui les ont maniés. Rien qu’à voir la position des serviettes, on sentait qu’elles avaient été jetées là par des mains différentes : un criminel ne déplace pas pour son seul usage tant d’objets. L’instinct, à défaut de tout autre raisonnement, l’oblige à faire vite. Par ailleurs — et puisqu’à l’occasion tout indice devait être interprété contre lui — il était nécessaire que l’homme d’ordre qu’il était reparût jusque dans le crime. Un être méticuleux comme lui n’aurait pas bousculé ainsi les serviettes. Un obscur besoin de rectitude, de netteté, demeure, même dans les folies passagères, chez ceux qu’une longue habitude des soins de chaque jour a faits soigneux et délicats : le crime d’un homme du monde ne saurait être semblable à celui d’un rôdeur. L’être bien né se retrouve en toutes choses à d’infimes détails. Il se souvint de l’aventure de ce Ci-devant, attablé, sous la Terreur, dans une auberge, au milieu de massacreurs, de tricoteuses, et trahissant son identité, malgré un déguisement savant, par la façon dont il tenait sa fourchette. On pense à tout… sauf à la petite chose indispensable. Le faussaire déguise son écriture, masque sa personnalité, mais un œil exercé retrouve parmi les lettres contournées, les lignes déviées, les barres volontairement changées, la « lettre type », la façon de placer une virgule, qui suffit à faire tomber le masque…

Méthodiquement, il mit de l’ordre dans le désordre, effaça la main sanglante étalée sur l’étoffe tendue le long du mur, gratta sur un tiroir la marque qu’avait gravée un coup de talon ferré, mais se garda bien de toucher aux éclaboussures de sang. Plus il y en aurait, plus la lutte semblerait avoir été longue. Rien ne subsista bientôt des traces laissées par « les autres ». Le crime, dans ce décor arrangé, était le meurtre anonyme, où ne subsiste pas le moindre indice, où rien ne peut servir la justice. Il s’agissait maintenant d’en faire le crime d’un individu déterminé, de lui donner une physionomie spéciale, en un mot d’oublier dans cette chambre un objet qui suffit à servir de base aux recherches. Là encore, là surtout, il importait d’agir avec prudence, de ne pas se livrer à un truquage grossier, facile à éventer : il fallait que l’objet ait pu être oublié… Coche prit son mouchoir et le jeta au pied du lit, puis, se ravisant, le ramassa, et en vérifia la marque : Dans un coin, un M et un L entrelacés. Il réfléchit : M.L ?… Ce n’est pas à moi, puis sourit, se souvenant que les mouchoirs sont des objets d’échange, et que l’on peut presque compter le nombre de ses relations, par celui des mouchoirs dépareillés que l’on possède dans son armoire… Sa canne, un jonc à pomme d’argent, cadeau d’un parent revenu du Tonkin, était trop spéciale, trop personnelle…

Il regarda autour de lui, sur lui. Il ne portait pas de bague ; les boutons de sa chemise étaient de porcelaine imitant la toile, de ces boutons que l’on trouve dans tous les bazars. Il y avait bien ses boutons de manchette, mais il y tenait, non pour leur valeur qui était minime, mais comme on tient à des bibelots portés depuis longtemps et qui deviennent de vieux amis. Et puis, on n’oublie pas des boutons de manchette… Il faut une secousse violente pour les arracher…

Il se frappa le front :

— Une secousse ! Parfait ! Qu’on ramasse l’un d’eux sur le tapis, on se dira : « Au cours de la lutte, la victime, accrochée aux bras de l’assassin, a déchiré les poignets de sa chemise, arraché la chaînette du bouton, et, dans sa fuite, le meurtrier ne s’est aperçu de rien. Il s’est sauvé, sans se douter qu’il laissait derrière lui cette pièce accusatrice. »

Ainsi tout est respecté, tout est vraisemblable !

Le poignet rabattu, il prit le bord intérieur de la manchette gauche entre ses doigts, saisit le bord extérieur de sa main droite restée libre, et d’un coup sec, fit sauter la chaînette qui tomba à terre avec une petite olive d’or portant en son centre une turquoise. L’autre moitié était restée engagée dans la boutonnière ; il la mit dans la poche de son gilet. Mais, dans sa hâte à accomplir ce geste, il ne remarqua point qu’il avait du sang aux doigts, qu’il salissait sa chemise et son gilet blanc de taches rouges. De la poche intérieure de son habit, il retira une enveloppe à son et la déchira en quatre morceaux inégaux.

L’un portait :

   Monsieur On
             22, R

L’autre :

Monsieur Onési
22, Rue de

Le troisième :

22, Rue de DouaiE. V.

La quatrième :

Monsieur Onési Coche
22, Rue de Douai


Ce dernier le désignant trop clairement, il le roula en une petite boulette qu’il avala. Avec les dents, il rogna, les deux premières lettres de son prénom inscrites sur le premier fragment : il restait trois petites coupures presque incompréhensibles, et qui, pourtant, reconstituées, complétées, pouvaient donner le nom du meurtrier supposé. Ce travail, si difficile qu’il fût, n’était pas impossible en somme. Sans livrer trop d’atouts à ses adversaires, beau joueur jusqu’au bout, il leur laissait la partie belle. Il jeta les trois petits papiers au hasard. L’un tomba sur la table, presque exactement au milieu. Les deux autres se collèrent au tapis. Pour être sûr qu’on ne les prendrait pas pour des débris de lettres appartenant à la victime, il ramassa les autres papiers épars, les plaça dans les tiroirs qu’il referma. Après quoi, ayant jeté un dernier coup d’œil circulaire autour de la pièce pour s’assurer qu’il n’oubliait rien, il enfila son pardessus, lissa son chapeau d’un revers de manche, étendit deux des serviettes de toilette maculées sur la face du mort, dont les yeux, à présent vitreux et un peu aplatis, n’avaient plus de regard, éteignit l’électricité, sortit de la pièce, traversa le corridor à pas de loup, descendit l’escalier, et gagna le jardin.

Il eut soin en traversant l’allée, d’effacer tout à fait les traces de pas déjà brouillées par le vent, étala sur elles le sable jaune, et, marchant avec précaution, un de ses pieds seulement portant sur le sable, et l’autre sur la terre durcie d’une plate-bande, parvint à la porte, l’ouvrit, la referma, et se trouva enfin sur le trottoir. Des ombres immobiles s’étalaient tout le long du chemin. La nuit immense, impénétrable et douce était sans un murmure, sans parfum. Loin, très loin, un chien se mit à hurler à la lune. Soudain le silence se remplit d’une tristesse infinie. Coche se souvint d’une vieille servante qui jadis lui disait, lorsque les chiens, dans la campagne, pleuraient ainsi :

« C’est pour prévenir saint Pierre que l’âme d’un trépassé va frapper à la porte du paradis. »

Magie des souvenirs ! Éternelle enfance des hommes. Il frissonna en évoquant le temps où tout petit, il cachait sa tête sous les draps pour ne pas entendre les grandes plaintes inconnues qui, la nuit, traversent les jardins, et retrouva pendant une seconde la douceur du baiser maternel tant de fois posé sur son front.

Puis tout se tut. Il consulta sa montre, elle marquait une heure du matin. Une dernière fois, il regarda la maison où il venait de vivre des minutes extraordinaires, revint jusqu’à la grille, écarta du bout de sa canne le lierre qui recouvrait le numéro et lut : 29.

Il répéta deux fois 2 ; 9 ! 2 ; 9, additionna les chiffres pour avoir un moyen mécanique de les retrouver, redit et , chercha dans sa mémoire si quelque chiffre bien connu ne coïncidait pas avec celui-là et, se souvenant qu’il était né un 29, sûr de ne pas se tromper et de ne pas oublier, partit. Il arriva à l’extrémité du boulevard sans rencontrer personne. Il marchait du reste sans regarder autour de lui, trop énervé pour penser librement, essayant de classer ses souvenirs. Tout se brouillait, se confondait, à ce point qu’il ne voyait plus d’une façon précise quelle allait être sa ligne de conduite. Son existence devenait double, ou tout au moins très différente de ce qu’elle était une heure auparavant. Une hésitation, une fausse manœuvre pouvait détruire ses projets. Innocent, et, volontairement suspect, les seules maladresses d’un coupable lui étaient permises.

Non loin du Trocadéro, il croisa un couple qui descendait l’avenue à pas lents. Quand il l’eut dépassé, il tourna la tête, et le regardant s’enfoncer dans la nuit, songea :

« Voilà des gens qui ne se doutent guère qu’un crime a été commis à quelques pas d’ici. En dehors des coupables, je suis le seul à le savoir.

Il ressentit une espèce d’orgueil d’être seul détenteur d’un pareil secret. Combien de temps le conserverait-il ? Quand s’apercevrait-on du meurtre ? Si la victime, ainsi que tout le laissait supposer, vivait seule et n’avait ni bonne, ni femme de ménage, plusieurs jours pouvaient s’écouler avant que l’on remarquât son absence. Un matin, un fournisseur sonnerait à sa porte : ne recevant pas de réponse, il insisterait, entrerait. Une odeur épouvantable le prendrait à la gorge. Il monterait l’escalier de bois, pénétrerait dans la chambre et là !…

Ensuite, ce serait la fuite éperdue, les appels : « Au secours ! À l’assassin ! », la police sur pied, toute la presse acharnée à découvrir le coupable, le public passionné pour la cause célèbre qui fait en un seul jour monter le tirage des journaux, car le mystère entourant ce crime ne saurait manquer de lui donner une importance inaccoutumée. Pendant tout ce temps-là, lui, Coche, continuerait sa vie, vaquant à ses occupations, promenant son secret de place en place, avec la joie de l’avare qui garde dans sa poche, et tâte à chaque pas, la clé du coffre où sont enfermées ses valeurs. Jamais l’homme ne possède à un degré aussi élevé la conscience de sa force morale, de sa valeur, que dès l’instant où il détient une parcelle du mystère qui l’entoure. Mais, quelle lourde charge aussi, qu’un secret ! De quel poids il pèse sur les épaules, et quelle tentation ne doit-on pas éprouver à tout instant de crier :

« Vous ignorez tous ! Moi je sais. »

Plus d’une fois, en plein jour, il traverserait le boulevard Lannes, et s’offrirait cette satisfaction, voyant des gens passer, devant la maison du crime, de lever les yeux et de se dire :

« Derrière ces volets clos, il y a un homme assassiné. »

Et il songeait encore :

« Je n’aurais, pour affoler de curiosité tous ces êtres qui vont et viennent autour de moi, qu’à dire un mot… Ce mot, je ne le dirai pas. Je dois m’en remettre au hasard. Il m’a fait sortir de chez mon ami à l’heure qu’il fallait pour que je pusse connaître ces choses : il fixera la seconde précise où tout se découvrira. »

Tout en réfléchissant, il arriva devant un café. À travers la glace embuée, il distingua des hommes en train de jouer aux cartes, et, assise au comptoir la caissière assoupie. Un chat, couché zn rond auprès du poêle, sommeillait. Un garçon, debout derrière les joueurs, suivait la partie, un autre dans un coin regardait un journal illustré.

Le vent piquait très fort. De ce café de petits bourgeois se dégageait une impression de calme tiède. Coche qui frissonnait un peu, de fatigue, d’émotion et de froid, entra et s’assit. Une sensation douce de chaleur le pénétra. Dans l’air où la fumée des pipes avait mis un nuage, une odeur de cuisine, de café et d’absinthe montait, accrue par la chaleur du poêle ; cette odeur, que d’habitude il détestait, lui parut infiniment douce. Il demanda un café cognac, se frotta les mains, prit distraitement un journal du soir qui traînait sur un coin de table, le reposa brusquement, se leva et dit sans s’en rendre compte presque haut :

— Sapristi !…

Un des joueurs tourna la tête ; le garçon arrêté devant la caisse, croyant qu’on l’appelait, s’empressa :

— Voilà, Monsieur.

Coche fit signe de la main :

— Non… Je ne vous appelais pas… Avez-vous le téléphone ici ?

— Parfaitement, Monsieur. La porte à droite, et au fond du couloir.

— Merci.

Il se glissa entre deux tables, traversa le couloir, referma la porte sur lui et actionna l’appel. Il s’énerva parce qu’on tardait à répondre. Enfin, une sonnerie retentit. Il décrocha le récepteur et demanda :

— Allô. Le 115-92, ou 96 ?…

Il écouta les appels de bureau à bureau, les sonneries qui tapaient dans ses oreilles comme des petites baguettes sur un tambourin trop tendu. Une voix dit enfin :

— Allô. Qu’est-ce que vous désirez ?

Il modifia sa voix :

— Je suis bien au 115–92 ?

— Oui, Monsieur. Vous désirez ?…

— Le journal Le Monde ?

— Oui, Monsieur…

— Je désirerais parler au secrétaire de la rédaction.

Une autre voix passa dans l’appareil, celle de l’employé du Central qui demandait un numéro.

— Allô ! Allô ! fit Coche… laissez-nous, Monsieur, retirez-vous… Je cause… Allô !Le Monde ?… Oui ? Je voudrais parler au secrétaire de la rédaction.

— Ce n’est pas possible, il est à la composition, et on ne peut pas le déranger.

— C’est tout à fait urgent.

— Je vais voir, mais de la part de qui ?…

— Diable, pensa Coche, je n’avais pas songé à cela. Mais il n’hésita pas :

— De la part du Directeur, Monsieur Chénard.

— C’est différent, Monsieur… Je vais prévenir. Ne quittez pas…

Par le téléphone arrivaient assourdis et mêlés, les bruits confus du journal : un vague ronflement, un froissement de papiers, tous les murmures que Coche connaissait bien pour les entendre depuis dix ans, toutes les nuits, à la même heure, lorsque, son service fini, il s’apprêtait à rentrer se coucher.

— Monsieur Chénard ? fit le secrétaire de la rédaction un peu essoufflé…

— Non Monsieur, répondit Coche, changeant toujours sa voix, pardonnez-moi, je ne suis pas le Directeur de votre journal. J’ai pris son nom pour être sûr de vous joindre, car ce que j’ai à vous annoncer est de la plus haute importance et ne souffre aucun retard…

— Qui êtes-vous alors ?

— Quand je vous aurai dit que je m’appelle Dupont ou Durand, cela ne vous apprendra rien, et n’aura servi qu’à vous faire perdre un temps précieux.

— Ça suffit comme plaisanterie…

— Pour Dieu, Monsieur, s’écria Coche en tapant du pied, ne raccrochez pas l’appareil ! Je vous apporte une nouvelle sensationnelle, une nouvelle qu’aucun journal ne possédera demain, ni après-demain, si je ne la lui donne pas. Un mot avant tout : Est-ce que votre journal roule ?

— Pas encore, mais il va rouler dans dix minutes. Vous voyez donc que je n’ai pas le temps…

— Il faut que vous ayez celui de faire sauter quelques lignes en Dernière heure et de les remplacer par celles que je vais vous dicter :

« Un crime effroyable vient d’être commis au numéro 29 du boulevard Lannes, dans une maison habitée par un vieillard d’une soixantaine d’années. La victime a été frappée d’un coup de couteau qui lui a sectionné la gorge de l’oreille au sternum. Le vol semble avoir été le mobile du crime. »

— Un instant, répétez l’adresse…

— 29, boulevard Lannes.

— Je vous remercie, mais qui me dit ?… qu’est-ce qui me prouve ?… Comment pouvez-vous savoir ? Je ne peux pas publier une information pareille sans preuve… Le temps matériel me manque pour contrôler… Dites-moi quelque chose qui m’indique à quelle source vous avez puisé ce renseignement… Allô ! Allô ! ne quittez pas… répondez, Monsieur…

— Eh bien, fit Coche, admettez si vous voulez, que je suis l’assassin !… Mais laissez-moi vous dire ceci : j’achèterai le premier numéro du Monde qui sortira de vos presses, et, si je n’y trouve pas l’information que je vous transmets, je la passe au Télégraphe, votre concurrent. Après ça, vous vous arrangerez avec M. Chénard. Faites sauter six lignes, croyez-moi, et remplacez-les par les miennes…

— Encore un mot, Monsieur, depuis quand savez-vous ?…

Coche raccrocha tout doucement le récepteur, quitta la cabine, rentra dans la salle, et se mit à boire son café à petites gorgées, en homme satisfait d’avoir mené à bonne fin une affaire. Après quoi, ayant payé avec un billet de banque, le seul qu’il possédât et qui figurait dans son portefeuille du 1er janvier au 31 décembre, pour « avoir l’air », il releva le col de son pardessus, et sortit. Seulement, sur le pas de la porte, il s’arrêta et se dit à lui-même :

« Coche, mon ami, tu es un grand journaliste ! »