L’Énigme de Givreuse
La Revue de Paris23e année, Tome 6, Nov-Dec 1916 (p. 761-763).


VI


Quand madame de Givreuse eut entendu le récit que venait de lui faire Augustin, elle demeura éperdue. Puis, elle demanda :

— Et vraiment, la ressemblance vous paraît absolue ?

— Peut-être existe-t-il quelques faibles, très faibles différences. J’étais trop ému pour les discerner… Mais il semble impossible de soutenir que l’un ressemble plus à Pierre que l’autre !

— Je crois que je ne m’y tromperai point ! — fit rêveusement madame de Givreuse. — Les mères ont un sens de plus, Augustin.

Elle souriait maintenant. Un univers montait en elle, innombrable, qui semblait se perdre dans l’éternité.

Elle cria avec passion :

— Pourquoi n’est-il pas encore auprès de moi ? Comment a-t-il pu me faire attendre ?

— À cause de sa tendresse même… Il a craint…

Elle interrompit fougueusement :

— On m’a caché quelque chose ?… Ses blessures ?…

— Elles n’ont aucune gravité… Mais il est encore maigre et pâle. Sans doute, il aurait pu t’annoncer son retour ; il a craint l’incertitude de la poste et du télégraphe.

Déjà, elle s’était calmée. Une douceur ardente s’exhalait de son visage clair que l’âge n’avait pu ternir, et qu’à peine parcouraient quelques rides fines comme des fils de la vierge. Elle avait les mêmes yeux que Pierre de Givreuse et de grands cheveux à la Montespan où la soie d’or se mêlait d’écheveaux argentés.

— Ah ! qu’il vienne vite ! — chuchota-t-elle.


Elle était debout quand ils entrèrent ; elle s’élança à leur rencontre, mais son élan se brisa, tant la surprise fut profonde.

Et elle demeurait ensemble consternée et ravie, s’efforçant de distinguer entre son fils et l’étranger. De fines dissemblances se décelaient à son regard aigu. La face de l’un semblait légèrement plus large que celle de l’autre ; le grain de leurs peaux n’apparaissait pas identique ; elle n’eût su dire lequel ressemblait davantage à Pierre.

— Mon fils ! — cria-t-elle, avec l’espoir sourd que cet appel ferait naître une émotion révélatrice.

Les deux visages exprimèrent le même trouble. Enfin, une voix voilée et hésitante répondit :

— Ma mère !

Déjà elle étreignait celui qui venait de répondre.

Mais elle surprit dans le regard de l’autre une tendresse tremblante qui la bouleversa :

— Soyez le bienvenu, — dit-elle, en lui tendant la main…

» On m’a dit que votre amitié est parfaite.

Elle soupira, elle ajouta involontairement :

— Et comme je le comprends !

Elle embrassa encore celui qui avait répondu à son cri… puis, mue par une impulsion irrésistible, elle mit ses deux mains sur les épaules de l’autre.

Tout de suite, elle les retira. Une foule de contradictions la tourmentait, où la contrainte se mêlait à la joie, où des soucis obscurs entravaient l’espérance.

On entendit un pas léger et, dans l’embrasure de la porte, parut une étincelante fille des hommes.

Elle s’avançait avec le rythme d’une pêcheuse des Cyclades, mais grande, un visage du Nord, les joues fines et fluides, les yeux variables comme les vagues, la chevelure en crinière, noire et moirée de cuivre.

En voyant les deux hommes, elle poussa un cri qui était presque une plainte.

Puis, elle s’immobilisa, les pupilles élargies, tandis qu’ils la contemplaient, tout pâles.

— Seras-tu plus clairvoyante que moi, Valentine ? — murmura madame de Givreuse… — Je n’ai pu reconnaître Pierre.

La jeune fille les observait, concentrant son attention et faisant appel à cette mémoire des formes et des couleurs, si vive à son âge.

Enfin, découragée :

— Je ne sais pas !