L’Émigré/Lettre 169
LETTRE CLXIX.
à
Melle Émilie de Wergentheim.
Je ne suis pas sans espoir, Mademoiselle, sur l’état de notre amie. J’ai vu plusieurs femmes, par des accidens à peu près semblables, privées plusieurs mois de leur raison, et la retrouver avec la santé ; il est vrai que je n’en ai pas vu qui fussent affectées en même temps d’une si violente douleur ; l’horreur du genre de mort ajoute encore au regret infini de la perte, et le plus affreux spectacle se présente sans cesse à l’imagination. Je suis occupée à soigner ici, une de mes amies réduite à la plus affreuse misère, et qui périt d’une consomption causée par le chagrin. Elle n’a que moi pour la consoler et la secourir ; quand je m’absente une demi-journée, elle est dans la désolation. Cette malheureuse femme est mon amie dès l’enfance ; nous avons été inséparables jusqu’à cette affreuse Révolution, est-ce le moment de la quitter, Mademoiselle ? Je tâcherai cependant de lui faire entendre raison, et d’obtenir d’elle, sa permission de m’absenter pour aller voir notre amie. J’ai beaucoup d’espoir de vos soins pour notre chère Comtesse, et si quelqu’un peut parvenir à lui procurer quelque calme, c’est vous, Mademoiselle, qui connaissez si bien la route de son cœur et de son esprit. Daignez continuer de me donner de ses nouvelles, que je tremble et désire de savoir.