P. F. Fauche et compagnie (Tome IVp. 229-231).


LETTRE CLXVII.

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Melle Émilie
à la
Comtesse de Longueil.


Qu’ai-je à vous apprendre ? hélas ! madame la Comtesse, la raison de notre amie est absolument égarée. Elle a voulu rester seule, pendant un jour et demi, et n’a pas mangé, quelque instance qu’on lui ait faite. Comme la contradiction est funeste dans l’état où elle est, on s’est conformé à ses idées, et on l’a laissée seule ; tel a été l’avis du médecin qui nous a fort engagés à éviter la plus légère irritation, et à entrer même dans son sens. Nos précautions ne paraissent pas avoir eu grand succès, et ce matin son esprit était absolument aliéné. Quand je suis entrée dans sa chambre : « j’entends, a-t-elle dit ; j’y vais, le tombereau est-il là ?… c’est celui de la reine… je ne suis pas si grande dame qu’elle, pourquoi n’irais-je pas ? » Le médecin avait un habit noir ; elle l’a pris pour un prêtre : « je meurs innocente, Monsieur, donnez-moi l’absolution. » Elle a voulu couper ses cheveux ; nous nous y sommes fortement opposés, et elle les a relevés, ensuite prenant le portrait du Marquis : « vous m’appelez, vous êtes là haut mon cher, j’y vais, qu’attend-on ? » Elle est tombée sur son lit comme épuisée. Une demi-heure après, elle s’est relevée, et avec un rire forcé, que je ne puis vous rendre, elle a dit : « il fait bien beau aujourd’hui ; mais je vais dans un monde où il fera bien plus beau : n’est-ce pas Monsieur ? » s’adressant au médecin. Cette scène a fini par un long assoupissement, et à son réveil elle a été encore plus agitée ; toujours parlant de bourreaux et de guillotine, comme s’ils étaient sous ses yeux. Elle continue à ne rien prendre, elle est insensible aux pleurs de sa mère, et à ceux de son oncle, ainsi qu’aux miens. Je ne sais comment je puis soutenir ces déchirantes scènes ; ma mère veut que je revienne chez elle ; mais je la conjure de me laisser ici jusqu’à votre arrivée. Adieu, madame la Comtesse, combien votre ame doit souffrir au milieu de tant d’infortunes, qui se succèdent pour la déchirer ! heureusement votre courage égale votre sensibilité.

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