P. F. Fauche et compagnie (Tome IVp. 193-196).


LETTRE CLIX.

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Bertrand
à Madame
La Cesse de Loewenstein.


Je remplis les ordres de madame la Comtesse, en lui donnant des nouvelles de mon cher maître ; il se porte comme un charme, et il est toujours à cheval : il m’est avis que cela lui est bon ; car lorsqu’il est seul chez lui, il va et vient sans cesse. Il veut lire et bientôt voilà qu’il jette là son livre ; il écrit, déchire, et il est, pardonnez-moi le mot, tout ahuri. Monsieur le Prince est venu deux fois le voir, et je crois qu’ils en ont dit de bonnes sur nos malheureuses affaires ; car on dit que monsieur le Marquis est encore un grand politique, outre qu’il est un si brave homme. J’ai quelquefois entendu monsieur le Président, qui est un grand esprit, c’était son terme, en montrant la tête de mon maître : il y a du monde au logis. Nous avons frotté par deux fois ces enragés de Patriotes ; il y en a beaucoup parmi eux qui n’ont tant seulement pas de souliers ; ils se sont tuer comme des mouches, et pour un bon Français de tué ou de blessé, il y a cinquante Patriotes à bas, mais c’est leur canon qui les rend forts, ils en ont autant que de fusils, c’est une manière de parler. Je quitte monsieur le Marquis le moins que je puis, et lorsque je crois qu’il y a quelque échaffourée, je suis le plus près possible, avec un bon sabre et des pistolets, comme je l’ai promis à madame la Comtesse. De grandes batailles, il n’y en a pas ; mais ce qu’ils appellent des affaires de poste. Ce n’est pas qu’il n’y fasse chaud aussi ; mais tout le monde n’en est pas, et en voilà plusieurs où monsieur le Marquis n’était pas, parce qu’il était resté dans les lignes. Madame la Comtesse peut se faire expliquer tout cela ; mais je crois qu’elle le sait, parce que tous les seigneurs de sa famille ont toujours été à la guerre, et on les entend parler. J’ai l’honneur de la prier de recevoir le respect de son

très-humble serviteur
Bertrand.

P. S. Si je manquera quelque chose, madame la Comtesse voudra bien m’excuser, parce que je ne suis pas accoutumé à écrire à des dames comme elle.

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