P. F. Fauche et compagnie (Tome IVp. 189-192).


LETTRE CLVIII.

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Le Marquis de St. Alban
à la
Cesse de Loewenstein.


Qui m’eût dit, il y a six mois, ma chère Comtesse, qu’un jour, mon premier devoir après un combat, serait de vous rassurer ! c’est pour moi un très-grand plaisir de reconnaître vos droits, votre empire, dirai-je votre propriété, en vous rendant compte de tout ce qui me concerne. Nous avons livré hier aux Patriotes un combat, qui a duré six heures. Ils ont d’abord été enfoncés et fait une perte considérable ; mais ensuite ils sont revenus à la charge avec des troupes fraîches, et ils ont été au moment de l’emporter par le nombre d’hommes renaissant, et à force de canons ; nous sommes cependant restés maîtres du terrein, et ils ont été obligés de se retirer à une lieue fort en désordre. On estime à deux mille hommes leur perte, et la nôtre est de trois cents. Je ne vous ferai point de détails militaires ; mais je vous dirai que d’ici à huit ou dix jours, il n’y aura pas d’affaires importantes, et seulement quelques affaires de poste, qui n’engagent qu’une petite partie de notre armée. N’ayez point d’inquiétude sur mon compte, mon adorable amie, le destin n’a pas tant fait pour moi, pour en rester là. On est souvent et long-temps de suite aussi peu exposé à l’armée que dans une ville éloignée de l’ennemi. Je n’ai jamais songé à ma conservation ; mais chaque jour à présent je m’applaudis d’exister, d’avoir un jour de plus. Il arrivera, celui où jetant les yeux sur l’univers entier, je ne verrai personne à qui je puisse envier quelque chose ; je ne verrai rien qui soit l’objet d’un désir pour moi. Les plus grands empereurs avaient encore des souhaits à faire, pour la gloire ou la puissance ; mais moi, et permettez que je dise vous, nous n’aurons de vœux à former que pour la durée de notre bonheur. Je suis tout entier à l’espoir, aucune crainte ne me trouble, et ces heureux pressentimens ne seront point trompés. Je n’éprouve de désirs que de voir aller le temps plus vite. Encore six semaines !… elles s’écouleront, ma chère amie, toutes lentes qu’elles paraissent. Ménagez votre santé, calmez votre ame vive et sensible, dissipez-vous par quelque voyage. Je pratique ce que je vous recommande ; mais j’en ai plus de moyens et d’occasions. On vient m’avertir pour aller à un conseil. Adieu, mon adorable amie, mon univers. Je baise mille et mille fois vos belles mains, la main dont le don est à envier par tout ce qui respire.

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