P. F. Fauche et compagnie (Tome IVp. 88-90).


LETTRE CXXXII.

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Melle Émilie
à
La Cesse de Loewenstein.


La Duchesse doit être à présent auprès de vous, ma chère Victorine, et vous sera au moins aussi utile que moi, pour dissiper ou consoler le Marquis ; mais vous n’avez besoin de personne, le seul plaisir de vous voir suspend sa douleur, et écarte de son esprit toute idée affligeante ; il me parlait il y a deux jours d’Esther, en me citant avec enthousiasme ces deux vers de cette pièce :

« Du chagrin le plus noir, elle éclaircit les ombres
« Et fait des jours sereins de mes jours les plus sombres.

Il vous regardait en les récitant d’une manière touchante, et il était aisé de voir avec quel plaisir il vous en faisait l’application ; tant qu’il sera dans la trille situation d’esprit où l’a mis son dernier malheur, il n’aura rien d’embarrassant pour vous, ma chère Victorine ; mais votre présence en chassant un mal en aggravera un autre, dont il sentira plus vivement un jour les atteintes ; et la sienne sera-t-elle sans inconvénient pour vous ? Cette habitude de voir un homme aimable que poursuit le malheur, l’intérêt qu’il excite, et dont on vous force en quelque forte de multiplier les témoignages, fournissent à la sensibilité de ma chère Victorine des alimens dangereux pour son repos. Ce n’est pas votre faute, qu’est-il possible de faire que vous n’ayez tenté ? Toutes les femmes doivent réciter avec bien de la ferveur cet article du pater : ne nous induisez pas en tentation.

Écrivez-moi, ma chère amie, tout ce que vous éprouvez. Je vous embrasse mille et mille fois de tout mon cœur.

P. S. Dites-moi donc si le Président arrive ; je vois le sort de la Duchesse assuré ; dites-lui mille choses tendres pour moi.

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