P. F. Fauche et compagnie (Tome IIIp. 211-213).
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LETTRE CX.

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La Cesse de Loewenstein
à
Melle Émilie de Wergentheim.


Je vous envoie, ma chère amie, une lettre que j’ai reçue du Marquis, qui m’a causé le plus grand trouble, et j’imagine que c’est vous qui avez engagé la Duchesse à lui donner le conseil de partir ; je ne puis blâmer… mais j’aurais voulu qu’elle eût plutôt insinué que conseillé. Il veut que je lui ordonné de partir, et la passion qui cherche des alimens pour les espérances, lui inspire l’idée que la présomption suggérerait à un autre. Oui, ma chère amie, il croit être dangereux, il croit faire un sacrifice à mon propre repos, celui de mon cœur, troublé par sa présence ; il croit, ce qui n’est malheureusement que trop vrai !… Je lui ai répondu, j’ai mal fait ; je me le suis reproché un quart d’heure après ; mais non, je n’en dois pas être fâchée, j’aime mieux avoir un peu aggravé le mal pour le rendre plus sensible, et faire naître de l’augmentation du danger, la nécessité du remède. Je partirai donc, j’irai en Westphalie ; que le Marquis parte ou reste, ne m’arrêtez plus, mon Émilie ; croyez que mon bonheur y est intéressé, et si ce n’était que mon bonheur je le sacrifierais à mon Émilie. Je vous attends demain au soir ; réfléchissez d’ici à ce temps sur la lettre du Marquis, sur ma réponse et ma position ; l’amitié doit employer l’indulgence pour adoucir la mémoire des fautes passées, elle doit s’armer de sévérité pour les fautes à venir ; aidez-moi à manœuvrer au fort de la tempête ; j’entrevois la bonne route et c’est à vous à m’y faire entrer à pleines voiles. Encouragez-moi donc à partir au lieu de m’en empêcher, et si votre confiance en moi vous fait justement, je crois, penser que je ne risque pas de succomber… épargnez-moi le trouble, et peut-être des combats. Adieu, à demain, j’embrasse tendrement mon Émilie.

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