P. F. Fauche et compagnie (Tome IIIp. 44-48).


LETTRE LXXXIX.

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La Vicomtesse de Vassy
à
Melle Émilie de Wergentheim.


Il y a bien long-temps, Mademoiselle, que je n’ai reçu de vos nouvelles ; mais j’ai appris que vous vous portiez bien, j’ai su aussi que le cher Baron s’était distingué dans plusieurs occasions, et qu’on lui avait envoyé la croix de Marie Thérèse. Ces bonnes nouvelles ont pour quelque temps suspendu mes chagrins et le sentiment de mes maux ; mais hélas ! ce ne sont que des éclairs, qui brillent quelques instans au milieu d’un ciel couvert des plus sombres nuages. Je suis toujours bien souffrante, il paraît que les eaux de Carlsbath ne me conviennent point, et que c’est ma poitrine qui est affectée. Je ne reçois pas de nouvelles du Vicomte, jugez, Mademoiselle, de mes inquiétudes ! Je suis cependant un peu rassurée quelquefois, en songeant qu’il n’est point au nombre des Émigrés et qu’il était sorti de France avec un passeport. Sa tendresse pour sa mère, et le désir d’écarter de moi la misère, l’ont fait rentrer dans ce repaire de brigands et d’assassins. Il se reprochait d’être la cause de ma ruine, parce que c’est son valet de chambre qui m’a emporté presque tout ce que je possédais, et je crains souvent que sa mère n’ait servi que de prétexte à son voyage ; il m’a montré quelques lettres déjà anciennes, où elle lui témoignait du regret de ne l’avoir pas auprès d’elle ; mais c’était dans un temps où il y avait bien moins de danger à habiter la France. De quel recours peut-il être à une femme qui a des amis zélés et des gens d’affaires fidelles ? Quel besoin pouvait avoir de lui une femme infirme, qui a dû échapper à l’œil des tyrans, par la retraite où elle vit, et par son extrême circonspection ; mais que pouvais-je dire lorsqu’il s’agissait de remplir un devoir sacré, comment s’opposer au vœu même indiscret de l’amour maternel, au désir de la tendresse filiale ? Il m’est resté quelques fonds ; et satisfaite de vivre avec un homme pour qui seul je tiens à la vie, je me serais réduite sans peine au plus strict nécessaire ; j’aurais supporté gaiement la misère. Vous m’avez quelquefois entendue parler de mes malheurs ; mais vous ignorez par quels affreux chemins j’étais parvenue à une félicité qui n’a duré que peu d’instans. L’intérêt que j’ai eu le bonheur de vous inspirer et à votre aimable amie, m’a fait naître l’idée de mettre par écrit les événemens extraordinaires de ma vie ; je vous en avais promis le récit ; j’ai profité de mon loisir pour les adresser à mes deux amies, à qui je demande le secret pour ma vie, elle ne sera pas longue, je crois ; mon corps épuisé par des secousses trop vives, ne fait plus que languir, et mon ame seule semble le soutenir. Je quitterai incessamment Carlsbath qui ne convient pas à ma santé, et j’aurai bien du plaisir à vous revoir dans mon petit hermitage du Rhingau. Adieu, ma chère amie, adieu, mes chères amies, je vous embrasse mille et mille fois de tout mon cœur.

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