P. F. Fauche et compagnie (Tome IIp. 322-328).


LETTRE LXXXIII.

Séparateur


Le Président de Longueil
au
Marquis de St. Alban.


Votre société, mon cher et jeune ami, met trop de prix à mon faible jugement. J’ai été frappé comme elle du courage qui fait, je ne dirai pas affronter la mort, car cela suppose une action qui anime et soutient, mais qui la fait supporter froidement, et comme cela me donne lieu d’y réfléchir, je consens à faire part de mes idées à madame de Loewenstein, et à sa société. Je ne m’étendrai pas sur la question s’il y a du courage à se tuer ; la nature a donné à l’homme une horreur de sa destruction, qui ne peut être surmontée que par le courage, par un désespoir qui en tient lieu, ou par une noire mélancolie qui inspire le dégoût de la vie. Madame de *** était, dites-vous, faible et timide ; mais l’histoire nous apprend que les femmes ont souvent montré un courage qu’on n’attendait pas d’elles, et il ne faut pas juger de notre caractère par de certaines habitudes. Les courtisans passent des délices de la cour, du sein de la mollesse et du luxe au champ de mars, et les mêmes hommes qui couchaient sur le duvet, couchent gaiement la nuit au bivouac exposés à toutes les injures de l’air. Beaucoup de gens ressemblent pour le courage, à ces avares qui gémissent à chaque petite somme qu’ils sont forcés de dépenser, et qui sont capables d’en donner une très-grosse sans en être affectés. Madame de **** avait un courage qu’elle ne se connaissait pas elle-même, et que les circonstances ont développé ; la vie lui était devenue à charge, parce qu’elle était plus attachée à une certaine manière de vivre qu’à la vie. Plus l’habitude d’une foule de commodités était forte dans elle, et plus elle a ressenti vivement leur perte ; l’horreur des privations l’a emporté sur celle de la mort. Voilà, ce que je conclus de sa résolution. Le courage des victimes de la Révolution exige un examen plus attentif. L’histoire offre de nombreux exemples de gens qui ont souffert la mort avec fermeté, animés par l’intérêt de la religion ou le patriotisme ; mais le courage des victimes de la Révolution a quelque chose de particulier et de caractéristique ; je ne parlerai pas des prêtres et des religieux, leur résignation quoique digne d’admiration, n’a rien d’étonnant : la religion est un des plus profonds sentimens qui puisse remplir le cœur de l’homme, et l’espoir d’un bonheur prochain et éternel, fait disparaître les horreurs de la mort. Ce qui doit surprendre toutes les nations, et ce que je vais tâcher d’expliquer, c’est comme vous le demandez, la fermeté héroïque d’hommes de tout état ; de jeunes gens, de femmes faibles et timides, qui devenus supérieurs à toute crainte, contemplent tous d’un œil serein, le fer levé sur leur tête. C’est ainsi qu’on a vu quatorze jeunes filles de Verdun vêtues de blanc, chanter et rire en allant au supplice.

L’espoir ne sort du cœur de l’homme qu’à la dernière extrémité, et tant qu’il subsiste, ce bienfaisant imposteur exagère à ses yeux les plus faibles moyens de salut, et présente à son esprit toutes les chances qui peuvent être en sa faveur. Son courage alors est plus actif et moins ferme, et il cherche à s’appuyer sur tout ce qui l’environne ; telle était la situation d’un homme de quelque distinction dans les temps ordinaires. Il sentait qu’il était pour la multitude un spectacle touchant ; il était seul, et fixait tous les regards attendris ; son émotion redoublait à l’aspect de celle des autres ; il s’exagérait souvent l’importance de sa personne, le crédit de ses amis, la clémence du souverain : enfin s’il obtenait sa grâce, il pouvait jouir encore au sein de sa patrie d’un sort heureux, retrouver une famille et des amis qui lui étaient chers. Mais aucun rayon d’espoir, dans l’époque actuelle, ne se répand dans l’ame de celui qui est condamné, il est au comble du malheur, et ce malheur lui est commun, au moment même, avec trente victimes dont il fait nombre, et cent personnes distinguées par la naissance, les emplois, la fortune, ont été immolées les jours précédens, sans produire aucune sensation. Chacun de ses compagnons d’infortune est trop occupé de lui-même pour partager les angoisses d’un autre. Les spectateurs habitués à de sanglans spectacles, voient passer d’un œil sec le char funèbre où il est assis, et ne distinguent aucune victime, si ce n’est quelquefois pour l’insulter. Le malheureux ainsi conduit à l’échafaud est obligé de renfoncer ses larmes qui ne toucheraient personne ; il rentre en lui-même et s’absorbe dans la résignation, et une sorte de honte l’empêche aussi de montrer de la lâcheté devant des compagnons, qui, retenus par le même sentiment ne témoignent que de l’insensibilité ; enfin la plupart ont perdu ce qu’ils avaient de plus cher ; dépouillés de leurs biens, de leur rang, le désir de vivre est éteint par l’excès des maux, et la vie est devenue un fardeau pour eux ; les terreurs qu’ils ont éprouvées, l’horreur du temps présent, les malheurs qu’ils prévoient, leur font regarder la tombe comme un asile, et loin d’envier le sort de ceux qui vivent, ils les plaignent d’avoir encore tant à souffrir. Vale et ama.

Séparateur