P. F. Fauche et compagnie (Tome IIp. 242-244).


LETTRE LXVII.

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la Duchesse de Montjustin
au
Marquis de St. Alban.


Il y a un démon qui se mêle de l’amour, de vos amours sur-tout mon cousin, et qui confond la prudence humaine. Le courage que vous avez eu d’être huit jours sans aller chez la Comtesse, mérite des éloges, et le Commandeur est venu bien à propos pour votre cœur, mais bien mal à propos pour la raison, vous enlever à votre sage retraite. On est tenté de tout abandonner, de se laisser aller au courant de ses passions, quand on voit le hasard détruire en un moment l’édifice péniblement élevé par la sagesse ; mais n’importe, mon cousin, il faut toujours combattre, sans quoi chacun se laissant aller à toutes ses faiblesses, toute vertu serait exilée de la terre ; je me souviens qu’un maréchal de Raiz, qui avait commis des crimes affreux, répondit à ses juges : j’étais né sous l’étoile qui fait faire ces choses-là. Croyez, mon cousin, que vous êtes né sous l’étoile qui donne le courage de triompher de ses passions, et porte aux actions les plus généreuses ; croyez que vous avez la force d’arrêter les transports d’une passion, qui pourrait causer des désagrémens à celle qui en est l’objet. Eh ! quel plaisir n’aurez-vous pas, lorsque votre amour affaibli par le temps, et changé en tendre amitié, vous permettra de goûter sans trouble les charmes de la société de la Comtesse ; qu’elle ne craindra point de se livrer avec vous aux mouvemens d’une tendre affection. Mandez-moi tout ce qui se sera passé à vos séances, et si l’on est content de votre ouvrage.

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