P. F. Fauche et compagnie (Tome IIp. 78-80).


LETTRE XLIV.

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le Comte de *** Lieutenant-Général des armées du roi de France
au
Marquis de St. Alban.


J’apprends, monsieur le Marquis, par le plus grand hasard, que vous êtes ici, et ne pouvant me rendre chez vous dans le triste état où je suis, j’ose vous prier de me faire l’honneur de passer chez moi. Je n’ai d’autre titre pour attendre cette grâce de vous, que l’infortune ; mais, Monsieur, elle ne me réduira jamais à faire des demandes indiscrettes ; un intérêt plus puissant m’anime, et ce sont vos bons offices, et non des secours que j’invoque pour une malheureuse orpheline digne d’un meilleur sort : je dis orpheline, car il ne s’en faut que de peu de jours qu’elle soit privée de mon faible appui. Si vous daignez lui accorder le vôtre, je me croirai heureux en quittant cette vie, et je bénirai le ciel de n’avoir pas permis qu’elle soit tranchée par le fer des bourreaux, et de m’avoir préservé d’une résolution désespérée, que la religion m’interdit. Je n’oublierai jamais d’avoir vu quatre malheureux Émigrés s’avancer vers la Meuse, se tenant par la main, et s’y précipiter après s’être dit un déplorable adieu. Combien d’autres errent dans divers lieux, poursuivis par le besoin ? Combien sont forcés de travailler de leurs mains ? Il est des hommes qui doivent désirer de vivre, ce sont ceux qui peuvent encore espérer de venger leur malheureux maître ; pour moi, qui ne suis plus qu’un inutile fardeau sur la terre, il ne me reste plus qu’à mourir. J’ai l’honneur d’être Monsieur etc.

Le comte de ***

P. S. La personne qui veut bien se charger de ma lettre vous indiquera ma triste demeure.

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