P. F. Fauche et compagnie (Tome Ip. 154-156).
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LETTRE XVI.

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Melle Émilie
à
la Cesse de Loewenstein.


Je suis bien plus touchée, ma chère Victorine, de tout ce que vous me dites de sensible sur mon portrait que de l’ouvrage même. Votre amitié se peint dans l’occupation où vous êtes de moi, et elle vous inspire un aveuglement qui me flatte davantage par son principe, que par l’aspect séduisant sous lequel il m’invite à me voir. J’ai quelquefois fait des portraits, et il m’a paru que lorsque le peintre est agréablement prévenu, et qu’il cherche néanmoins à peindre avec vérité, il ne fait que renforcer certains traits, et en diminuer d’autres ; et avec du jugement et de l’impartialité on pourrait, à l’aide de son ouvrage flatteur, en faire un plus ressemblant et bien moins favorable. Pour mieux développer ma pensée je vais faire mon portrait, au vrai, d’après celui du Marquis. « Émilie au premier abord se livre aisément, et il est aisé par conséquent de la peindre ; ses yeux sont vifs sans aucune expression de sensibilité, ils semblent joindre la réflexion à la vivacité, mais la plupart de ses idées sont soudaines et n’ont point de suite ; la familiarité de ses manières n’a pour limite que l’indécence ; elle ne s’embarrasse pas de choquer les personnes, pourvu que ce qu’elle dit soit une preuve de sa pénétration ; on est peu curieux de lui plaire, mais on craint sa malignité, on est sur ses gardes en causant avec elle, et il paraît plus sûr de l’écouter ; elle offre d’abord l’image de l’étourderie, et cependant elle donne par fois l’idée d’une personne qui a réfléchi. »

Que dites-vous de ce portrait, ma chère Victorine, un excellent peintre les combinerait tous les deux et peut-être sortirait-il de là un portrait ressemblant. Adieu, ma chère amie, je m’en rapporte à celui que l’amitié a gravé dans votre cœur ; tant mieux, s’il est flatté, car ce sera l’illusion de l’amitié, tant mieux pour moi s’il ne l’est pas, car je vaudrai mieux que je ne crois. Dans tous les cas, j’ai quelque prix, soit par moi soit par l’amitié.

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