L’Émigré/Lettre 007
LETTRE VII.
à
Melle Émilie de Wergentheim.
Lorsque j’ai écrit hier une si longue
lettre à mon Émilie, je ne croyais pas
l’embrasser sitôt ; mais le soir, il a pris
tout d’un coup à mon oncle un accès
de tendresse pour vous : je parlais de
votre santé ; il m’en demanda, avec
beaucoup d’intérêt, des détails, parut
craindre pour votre personne, et après
un éloge fait avec brusquerie et sincérité : mais pourquoi, ma nièce,
ne pas aller la voir ? — Quand vous
êtes ici !… — Oh ! cela est bon
quand je fais un petit voyage de deux
jours ; mais il ne faut pas se gêner
lorsque je reste ici quelque temps, et
ce brave homme qui est malade m’intéresse,
je ne puis le quitter ; il ne
faut pas tarder plus long-temps à
aller voir votre aimable Émilie ; nous
avons tremblé pour elle pendant le
siège, et si je ne vous en ai pas parlé
souvent, c’est que je craignais de faire
connaître mes inquiétudes ; ne tardez
pas davantage ; demain, ma nièce,
c’est moi qui vous en prie ; dites-lui
combien nous l’aimons tous, et combien
nous aurons de plaisir à la revoir :
À de si douces paroles, j’ai embrassé
mon oncle bien tendrement ; je l’ai
assuré que je reviendrais après-demain
au soir pour faire le thé, et que j’aurais soin de rassembler toutes les
nouvelles. Le frere de Jenny qui
part à l’instant pour Mayence vous
rendra cette lettre. Adieu, ma chère
Émilie, le plaisir m’empêchera de
dormir cette nuit, il est bien juste
qu’il domine à son tour ; le chagrin
et la crainte n’ont régné que trop
long-temps.