L’Élu/Chapitre VII

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Chapitre VII

Dès que Pierre et Jean furent de retour chez M. Peterson celui-ci leur dit avec inquiétude :

Il n’est pas encore ici. Je crains bien que, pour aujourd’hui au moins, vous n’ayez la chance de le voir. Filippo est parti avec l’ordre de fouiller partout où il pourrait rencontrer le jeune garçon, et de me le ramener si, fine gazelle, il veut bien se laisser prendre car, ajoutait Peterson, M. Bérille a vu que l’enfant ne tient pas beaucoup plus à se laisser photographier qu’à se déshabiller… Voulez-vous sortir sur la terrasse ? Nous devons profiter du jour qui est encore excellent ; tout à l’heure le soleil en s’abaissant nous donnerait un mauvais éclairage.

Habitués à la demi-obscurité de l’atelier où doucement se fondaient les ors scintillants des cadres et des panoplies, le cristal lumineux des verreries sur les tonalités assourdies des étoffes damassées d’argent et de soie et le velours cramoisi des tapis – Pierre et Jean furent éblouis par le plein jour du dehors. Sur la terrasse, des toiles écrues avaient été disposées pour l’isoler des autres voisines et empêcher qu’on ne vît les modèles nus dans le soleil. Un soleil d’Afrique qui tombait droit, rasant les murs et mangeant leurs surfaces ocreuses ou blanches en donnant par transparence une diaphanéité ambrée aux toiles mobiles. Et toutes ces toitures de tuiles bises ignorant l’horreur de nos tuyaux de cheminées, toute cette avalanche agreste de toits et de terrasses cinglés de lumière sous le ciel bleu, c’était Rome… la même Rome apparue dans sa captivante et caduque splendeur devant les chênes-verts de la Villa Médicis. De la terrasse, où parut à nouveau, souriant et nu, le jeune Manlio, on voyait aussi, par delà l’enceinte d’Aurélien, les verdures de la Villa Borghèse et les coupoles rigides de ses pins parasols.

… Souriant et nu, chauffant sa peau sensible dans une flambée de soleil, beau comme une vision sublimée des palestres helléniques, Manlio parut… Il prit garde de piquer sa chair polie aux feuilles griffues des palmiers contenus dans des poteries énormes semblables à celles où s’épanouissent, à Séville, à Cordoue, ces larges fleurs de sang que sont les œillets embaumés d’Andalousie… Dans des poteries voisines il y avait encore des grenadiers aux fleurs écarlates et des lauriers constellés d’albes corolles. Et la chair transparente et brunie du lycéen recevait, de ce voisinage de floraisons luxurieuses elles aussi ivres de soleil, une patine vivifiante et précieuse qui caressait sa nudité troublante et l’enveloppait comme d’une atmosphère bleue venue des rives ioniennes…

… Et Pierre ne voyait rien des préparations nécessaires pour obtenir les épreuves désirées. Dans les illuminations féeriques du jour ses yeux ne sentaient que le charme exquis de ce jeune être nu offrant à l’azur serein, sans voiles, le don de sa jeunesse admirable. Pierre rêvait à l’idéal généreux de cette vie grecque dont il avait reconnu les palpitations, même parmi les temples déserts, sous le pentélique meurtri du Parthénon… Mais son rêve, ici, au milieu des lauriers éclaboussés de neige ou de pourpre dans l’or incendié des terrasses, son rêve atteignait la violence de la vie réelle et ressuscitait dans cette Rome, digne sœur d’Athènes, les souvenirs qui demeurent de la divine cité d’Hellas pour les joies éternelles de l’humanité…


… Comme Pierre dénouait la longue écharpe de soie verte lamée d’or qu’il avait enroulée en turban sur la nuque et le front de Manlio – cette écharpe qui avait fait du lycéen le plus mignon des petits esclaves élevés aux harems d’autrefois – le timbre de la porte grelotta clairement dans la moiteur de l’air… Filippo, selon son habitude, montra d’abord sa jolie tête fine d’une espiègle candeur rieuse et haletante… Pierre retint son souffle une minute, tant l’anxiété le bouleversait soudain !… Peterson interrogea l’enfant, bref :

— Tu le ramènes, Filippo ?

— Oui, monsieur ; mais il ne veut pas venir sur la terrasse ; il est entré dans l’atelier.

— Où l’as-tu retrouvé ?

— Oh ! loin, monsieur ; à la piscine qui est près de la Lungaretta, au Trastevere.

— Et il a accepté tout de suite de venir avec toi ?

— Oh ! mais non ; il m’a d’abord demandé qui l’attendait ici. Je lui ai dit que c’était le monsieur de l’Académie de France et un autre Français ; il m’a demandé comment était cet autre Français ; je le lui ai dit, alors il m’a suivi comme j’ai voulu.

Pierre était livide.

Le professeur regarda les deux amis avec un air étonné qui signifiait : je ne sais pas alors si le petit drôle va bien consentir cette fois à poser comme tous les autres !…

Peterson disparut un moment… et dans l’encadrement de la porte basse que drapaient des étoffes d’Orient aux belles couleurs sévères, Luigi parut, splendide, dans ses pauvres hardes.

Surpris, sauvage et craintif d’abord et tout doré de jeunesse avec ses paupières aux longs cils abaissés sur ses grands yeux bleus ; l’or du soleil se venait fondre en eux et les baisait amoureusement en se perdant aussi dans les ondes ébouriffées de sa chevelure. Il releva sa tête délicieuse, regarda Pierre, lui sourit en le reconnaissant ; ensuite il fixa Jean, puis examina Pierre à nouveau, comme s’il eût eu le désir de lui parler… Mais, dans les feuillages, Manlio dévoilait sa jeune image ; Luigi s’attarda, sur les reins cambrés du lycéen ; le galbe ferme et puissant de ses cuisses rondes et l’offrande audacieuse contenue dans son jeune ventre fleuri éveillèrent la curiosité du petit marchand de fleurs ; il sembla s’inquiéter – par une nuance de sa physionomie qui ne put échapper à Pierre – de posséder lui-même cette juvénilité certaine de sa force, et cette beauté ; il parut flatté qu’un jeune homme élégant, riche, et gentil comme Pierre, pût vouloir quelque chose de lui – et sa vanité de gamin fit, après avoir un instant réfléchi au charme personnel qu’il voulait opposer à la beauté de Manlio, le sacrifice de sa fierté. En présence d’un adolescent de son âge, une émulation bien curieuse, mais si naturelle, l’emporta chez Luigi, et le désir d’être agréable à Pierre acheva de vaincre ses scrupules charmants.

Peterson l’invita à se dévêtir sur la terrasse. Alors l’enfant, de sa voix musicale, répondit, comme au matin à Pierre, en un français souvent incorrect mais d’un gazouillis divin :

— Oui, je veux bien me déshabiller, mais devant un monsieur seulement…

Tous trois se regardèrent, étonnés de cette fantaisie.

— Et lequel ? interrogea Peterson.

— Celui-ci, fit Luigi en désignant et en regardant Pierre avec ses yeux d’eau bleue scintillant au soleil.

Pierre contint mal son trouble et se reprocha cette émotion qu’il jugeait ridicule, bien que ce petit être qui répondait sans savoir à toutes ses sympathies, fût un type émouvant de grâce et de perfection. En outre, la honte lui apparut de son désir ; il lui sembla sacrilège si cet enfant foulait aux pieds sa jeune pudeur pour le seul gain de quelques piécettes qui lui permissent de ne pas mourir de faim. Pierre allait s’opposer à ce que Luigi se déshabillât. Il ne l’aimait pas pour cette nudité qui ne pouvait rien ajouter à son amour. Mais Jean se consolait en riant du choix capricieux qui l’éliminait, et lançait au jeune garçon, en rentrant dans l’atelier, un : « Petit monstre ! » très moqueur et très amusé… Alors Pierre craignit de jeter un malaise sur cette action si simple, en vérité ; et, pour ne pas troubler l’adolescent de pensées étrangères à son acquiescement, il laissa Luigi se mettre nu au milieu de la terrasse, parmi les fleurs et le soleil qui se jouait dans les feuillages et sur les murs éclaboussés de sa lumière…

Le petit page florentin rejeta l’un après l’autre ses pauvres vêtements, sans parler… Une abeille d’or suspendit le silence qui fourrageait les corolles écarlates des lauriers et des grenadiers puis, saoule de miel, s’en fut au loin… Alors un violoncelle se mit à pleurer doucement… C’était Jean qui, dans le cabinet voisin, occupait sa solitude avec l’instrument sur lequel, aux heures de spleen, Peterson charmait ses rêveries d’homme du Nord… Et les mélopées savantes dont Saint-Saëns adorna Antigone furent un essaim d’abeilles dont les ailes chantantes et blondes venaient jusqu’au fond de son âme caresser en Pierre la fleur ultime de sa sensibilité.

Il aurait à son tour pleuré pour ce que cette musique contenait de délicatesse généreuse et de délicieux émois dans ce moment même où le petit De Simone, accélérant le proche dénouement qui allait livrer sa grâce intime au jour émerveillé, révélait peu à peu le charme hallucinant de sa chair… Il déboutonna ses petites bottines, si gentiment, et se déchaussa ; et l’étroitesse pâle de ses pieds menus était comme modelée dans le jade blond d’une idole précieuse… Sa chemise était un peu large ; les manches sans attaches s’ouvraient toutes grandes ; et Luigi montrant nus ses bras ronds d’une si ravissante tiédeur semblait découvrir comme à regret le trésor inviolé de son adorable juvénilité…

Quand ses jambes polies issirent, déliées et claires, du linge rude où leur douceur s’emprisonnait, l’enfant ouvrit son col et, d’une manière que d’ordinaire ignorent les garçons, fit glisser sa chemise le long de ses hanches, jusqu’à ses pieds, dans un geste dont la pudeur ne le déshabilla pas, mais abandonna sans honte aux attouchements peureux de l’air attiédi la nudité très pure d’un dieu ressuscité sous le soleil d’Attique… Et le récent baiser des bains satinait de moiteur vive les formes très belles et très blondes de l’adolescent qui daignait s’offrir tout nu.


Le violoncelle charmé se tut.


Le petit Sicilien joignit ses mains blanches sur sa tête et mêla ses doigts fuselés, de corail pâle, dans sa lourde chevelure. Puis, immobile, il sourit. De flaves coulées d’or se jouaient parmi les boucles châtain clair de son front, comme si l’empreinte demeurait sur sa tête fragile de quelque cimier d’or des ancêtres Normands. Dans le jour éblouissant, ses deux sourcils étaient d’ombre fière sur ses yeux bleu noir – deux yeux de nuit – qui perçaient, humides, à travers les violets mystiques d’un crépuscule épuisé. Et Pierre, que ces friselis mauves sur ces joues adolescentes troublait, buvait du regard, lentement, les eaux limpides de ces yeux charmeurs… Et les prunelles bleuies de Luigi répétaient en le multipliant le charme attendri de ses lèvres jolies… Il dénoua ses mains fines ; ses épaules alors, fuyantes un peu, tombèrent avec mollesse dans une harmonieuse flexibilité de courbes. Il s’étira lentement, doucement, poings fermés, jusqu’à exprimer par un léger spasme le bien-être de ses nerfs. Son petit corps fit chanter des sèves au repos dans l’effervescence de sa chair. Lors une jambe s’infléchit sur laquelle il se reposa, faisant saillir de l’autre sa hanche ronde que le soleil ourla d’or. De ce côté, tout son profil délicat, ses cheveux, son cou, son épaule, son bras poli, son ventre, sa cuisse aux muscles hardis et cette ligne affolante de la jambe qui, du genou ciselé, se tendait en arc voluptueux jusqu’au talon d’ambre, furent dessinés d’un seul trait lumineux. Ses bras se nouaient, sous l’attache fine des épaules, à la jeune poitrine incrustée de deux boutons érigés de nacre rose sertis dans le rayonnement d’or bruni de deux étoiles ; et son petit ventre très lisse, très plat, et blond dans le contour des hanches, retenait sur la fermeté de ses cuisses la pesante pâleur d’un beau fruit entr’ouvert que le printemps divin garde encore de l’immonde… Et le soleil heureux, dans son centre fleuri de corail et d’ivoire, se jouait, nonchalant, en un sillage d’or…

L’adolescent cueillit une branche de lauriers ; pour ce faire il se tourna légèrement, et Pierre admira la grâce incurvée des reins noblement appuyés, dans un mouvement tout à fait grec, sur les globes rigides que les cuisses soulèvent. Et tandis que ses jambes cambraient dans un effort aisé leurs courbes adorables, et que les pieds menus de l’enfant se pliaient avec la souplesse vivante de jeunes rameaux au printemps, sa nuque s’élevait d’entre ses épaules sous la retombée des feuillages et montrait – des bouclettes où se cachaient ses oreilles enfantines jusqu’au menton que venaient frôler les caresses unies du col et de sa jeune gorge virile – le plus pur et le plus rare profil qu’ait jamais inscrit dans son cycle d’or vierge la plus parfaite médaille Syracusaine…


Tandis que le mélancolique Manlio, un peu à l’écart, considérait Luigi avec attention et se sentait, belle image brune, vaincu dans sa beauté ardente par cette douce effigie d’or, Pierre s’approcha de l’adolescent dont le souffle effleura ses lèvres… Les yeux dans les yeux ils se sourirent, complices ; et Pierre, les doigts frissonnants, couvrit la tête blonde de Luigi avec l’écharpe, verte tissée de vermeil.

Petit favori musulman enturbanné, sur ses cheveux cuivrés, de brocart, de topaze et d’émeraude, avec ses larges yeux de lapis incrustés de corail dans l’angle où s’accumulait la poussière violette des orbes veloutés, avec le doux incarnat de sa peau marquée de grains rosissants sur la fermeté blanche de ses pectoraux, Luigi suscitait sous son turban, dans la polychromie caressante et pâle de sa chair, l’image d’un Alhambra peuplé d’adolescents nus. Et Pierre évoqua les féeries de cette Chapelle Palatine qui, à Palerme, s’était gravée dans son souvenir, capable elle seule de contenir, comme une relique vivante sous ses voûtes constellées de mosaïques, la beauté glorieuse de celui dont il voulait faire, dont il avait fait son ami !… Et Luigi était, dans cette merveille semi-arabe, semi-chrétienne, merveille lui-même, merveille d’invincible séduction, d’immarcescible pureté, petit sultan de chair divine et voluptueuse, perle exquise dans les orfèvreries incomparables de ce joyau comme lui sans second peut-être au monde, sanctuaire de Jésus ou mosquée de Mahom : la Chapelle Palatine…

Et les doigts de Pierre se caressaient à l’enfant en cachant sous les plis raides du turban les boucles fines de la chevelure de son petit ami… du petit ami dont les yeux las et épuisés, lui semblait-il, et n’en paraissant que plus beaux, s’avivaient sous ses regards, et dont le beau front très attristé retrouvait de la joie quand ses mains apeurées le frôlaient sans insister en repoussant les floraisons folles des cheveux presque blonds sous une large fleur du turban vert amande, raide de broderies d’or et de soie.

Avec un plaisir évident Luigi se laissait faire.


Quand Peterson eut pris tous les clichés des poses que Pierre détermina, celui-ci éprouva le besoin de se rapprocher du bel adolescent dont la sympathie singulière se manifestait si clairement :

— Luigi, dites-moi, comment nommeriez-vous un petit Luigi ?

— Piccolo Luigi, monsieur.

— Non. Je veux savoir le diminutif de Luigi.

— Ah !… Luigino, monsieur.

Et le petit drôle de seize ans souriait doucement à Pierre, moins sauvage et intimidé. Avant qu’il se rhabillât Pierre se grisait encore de ses formes décevantes :

— Eh bien ! Luigino, qu’est-ce que c’est que cette petite cicatrice que vous avez ici… là, sous l’épaule, dans votre petit dos tout doré ?

Luigino pâlit affreusement. Comme pour se cacher plus vite il prit ses maigres hardes indignes de couvrir la pureté splendide de son corps et commença de se vêtir. Pierre l’aida, instinctivement et s’affligea de manier ces pauvres loques, lui qui était l’élégance même. Il ne songea pas, au contact de cette chair savoureuse, à ce qu’avait de bizarre le soin d’habiller l’adolescent, avec douceur, avec de petits soins empressés comme si Luigino – qu’il appela « Gino » tout court en rejoignant presque de ses lèvres tremblantes l’oreille fragile du jeune modèle – comme si Gino était un petit enfant. Le petit enfant jusque-là s’était laissé faire et avait posé avec, cependant, une certaine inquiétude qui n’avait pas échappé à Pierre ; il ouvrit la bouche comme pour une prière. Mais Pierre le devança :

— Je vous serais obligé, monsieur Peterson, de me réserver exclusivement les clichés que vous avez bien voulu prendre de ce jeune homme. Il me serait agréable qu’aucun d’eux ne fût reproduit pour être mis en vente… C’est aussi, n’est-ce pas, Luigi, votre désir ? Je n’ai pas le moindre doute sur l’aimable concession que j’attends de vous.

Peterson acquiesça, désireux d’être agréable à l’ami que Jean Bérille venait de lui présenter.

Ce n’était pas seulement la pensée du beau garçon qui se manifestait dans ce désir. Maintenant que l’image de l’enfant demeurait pour jamais fixée dans le nu adorable de son adolescence, Pierre craignait qu’un étranger pût avoir, en dehors de lui, la vision charmante et fraîche de son petit ami…

… De son petit ami, puisque déjà des paroles amies s’échangeaient entre eux qui révélaient même à Pierre l’étrange distinction de celui qu’il avait pris d’abord pour un jeune drôle. Pour un jeune drôle, cette statuette de seize ans, robuste autant que délicate, sauvage autant que câlineuse, et qu’une visible sympathie en ce moment rapprochait de Pierre, de Pierre qui se navrait à considérer dans des vêtements lamentables l’adolescent dont la beauté simple et la grâce puérile comblaient les aspirations vives de son cœur…

Et comme cet autre bronze corinthien de Manlio s’était sauvé en classe avec des sous et des piécettes plein les petites poches de sa veste de collégien, Peterson demeurait aussi dans son laboratoire avec Jean. La terrasse inondée de soleil qui tombait dru sur les palmiers et les feuillages aux fleurs de rubis se prêtait complaisamment aux confidences du jeune homme et de l’enfant demeurés seuls. Les yeux un peu tristes et las de Luigi essayaient de sourire aux affectueuses paroles de Pierre. Pierre était très gentil et très bon, et son petit ami frémissait d’aise et se livrait au charme de s’entendre parler doucement avec des mots très jolis qui seyaient à ravir à ses yeux… Et les rayons proches de ces étoiles bleues dans l’ombre ravissante de ses sourcils feuille-morte étaient plus chauds et plus éclatants que ceux du soleil d’Italie. Pierre en était pénétré ; et sa chair illuminée de leur joie ne voulait plus vivre loin de leur lumière. Non, non, il ne voulait pas abandonner à nouveau aux rues dangereuses, ce petit vagabond ; non, non, il ne voulait pas rendre aux ruisseaux ce petit mendiant d’amour semblable, avec ses yeux de paradis, au page mignon de quelque Princesse Lointaine…

— … Donnez-moi vos mains, Luigino ?

Personne, jamais, n’avait demandé à Luigi les menottes pâles qu’il livra, tièdes et frêles, aux mains fraternelles de Pierre. Pierre les serra doucement :

— Voulez-vous me dire maintenant, Luigino, comment vous vous nommez ?

Personne, jamais, n’avait demandé à Luigi, avec une telle bonté, le nom qu’il ne se rappelait presque pas avoir entendu appliquer aucunes fois à ses parents. Pierre le savait ce nom, mais il désirait que l’enfant le lui confiât lui-même.

— … Je m’appelle Luigi De Simone, monsieur.

— Vos parents, Luigino, que font-ils ?

— Je n’en ai plus.

— Ni votre père ?…

— Ni mon père.

— Ni… Et Pierre se retint de prononcer le nom chéri dont la seule expression ravive toutes les douleurs, et, très court, dans sa brève syllabe contient la peine infinie de son irrémédiable inutilité dès qu’elle n’est plus là !

Luigi laissa tomber de sa bouche fraîche, comme un doux effeuillement de pétales épuisés où vacillent des pleurs de rosée :

— … Ni ma mère…

Pierre pensa tout haut, malgré lui en regardant le petit modèle si misérable et si beau :

— Pauvre mignon, tout de même !…

Et des larmes montèrent presque ensemble à leurs yeux qui tremblèrent une seconde au bord des cils et se dissolvèrent dans leur jeunesse.

Pierre songea ; et tout à coup une joie mal contenue pesa de ses flots étouffants sur son cœur. Il pâlit comme il lui arrivait constamment pour la moindre émotion. Mais cette fois la possibilité d’un bonheur trop grand, trop rapide, trop parfait refoulait dans sa poitrine tout le sang épars dans ses veines. Il pâlit… ferma ses beaux yeux recueillis… Et cette minute dans laquelle il s’isola hors de tout ce qui l’environnait lui parut d’une solennité effarante par la résolution que son recueillement – et son enthousiasme dans cette minute discuté avec force – venaient de lui inspirer :

— Vous avez d’autres parents, Luigi ?

— Non, monsieur.

— Aucun ?

— Seulement un oncle parti au loin avec toute la fortune de mes parents peu de temps après que je vins au monde.

— Est-il mort aussi ?

— Je ne le sais pas, monsieur, mais je le crois. Une seule fois après son départ – j’avais près de sept ans – nous avons eu de ses nouvelles. Depuis jamais je n’ai entendu parler de lui.

— Et d’où écrivait-il à vos parents ?

— Oh ! il n’écrivait pas à mes parents qui étaient morts de chagrin avant cela, parce que mon oncle les avait ruinés. Il a seulement écrit quand j’étais déjà dans un orphelinat de Palerme pour que l’on s’occupât de mon instruction et que l’on me mît au collège, à l’Institut Technique de Terni.

— Où vous avez été, Luigino ?

— Oui, monsieur. J’en suis sorti, il y a eu un an à Pâques, de ma propre volonté, parce que la petite somme que mon oncle avait envoyée était épuisée depuis longtemps… Je croyais qu’il m’aurait été possible de gagner ma vie… Je voulais gagner ma vie tout seul…

— Vous vouliez…

Luigi eut un geste de profond abattement. Il soupira bien fort en recherchant jusqu’au plus profond de lui-même tant de souvenirs cruels !… Il n’avait que ceux-ci ! Quels doux souvenirs, orphelin, eût-il rappelés ?

Pierre examinait et détaillait avec bonheur ce petit être qui lui parut de suite loyal et franc, en qui se débattait encore la foi contre la fatalité ; l’énergie contre la souffrance ; la fierté contre les hontes de la presque mendicité ; et surtout, oh ! surtout, avec ses yeux dilués de perles irisées fondues à la naissance des joues pâles, ses yeux pleins de nuits chaudes et voluptueuses, bien qu’ils parussent à Pierre préservés des atteintes de la luxure – surtout la poésie, la Poésie divine que l’on porte avec soi, en si misérable état que vous mettent les oublis de la Fortune ! – surtout la Poésie contre l’asservissement douloureux aux pires labeurs.

Pierre n’osait plus interroger. Il prévoyait un abîme de désolation et de désespérance creusé soudain sur la route facile qu’avait cru voir cet adolescent d’abord léger d’inquiétudes.

Qu’allait-il donc apprendre encore de Luigi quand il saurait ce que, depuis des mois, avait subi, accompli et voulu ce petit être fascinateur dans la solitude sans conseil ; dans le lâche abandon de tous et le mépris de la plupart ; incapable encore de résister aux lois odieuses de cette nature qui, le retrouvant seul, sans guide, sans appui, le martyrisait ? Cette nature si insensible et si marâtre aux êtres qu’elle a créés ou plutôt poussés dans l’existence et qui n’offre à l’enfant – comme à l’homme d’ailleurs – d’autre spectacle que la lutte féroce sinon l’écrasement impitoyable du faible par le fort !!! De quelle indulgence Pierre ne voulait-il pas endormir, soigner et guérir les plaies reçues dans ce combat d’autant plus meurtrier que moins résistant est le soldat, le frêle petit soldat de seize ans confiant et naïf et s’imaginant qu’il suffit d’aller droit, de bien faire et que les crapules embusquées vont lui faire grâce ; les crapules qui se réclament de la nature, de la veule nature qu’ils prostituent à leurs vices sournois lâchement abrités derrière elle !

On avait donc encore laissé, celui-là, se débattre jusqu’à l’enlisement où Pierre ne voulait pas qu’il disparût… On l’avait laissé, ce petit collégien très beau, en proie à cette société dont les atours fastueux mal dissimulent la pire vermine et qui, bégueule et dure aux malchanceux, fait des haut-le-cœur de parade quand on n’écrase pas selon sa norme, en paraissant les secourir, les êtres qui croient à la protection de sa tutelle – et en crèvent !!

— Qu’est-ce qu’ils vous ont fait, les méchants ! dites, Luigino ?

Pierre ne dit pas cela à Luigi, mais l’étreinte de ses mains sur les pattes gamines et jolies de Gino, tandis qu’il l’interroge et veut le mieux connaître encore, lient ensemble le jeune homme et l’adolescent. Le jeune homme, parce que semblable charme jamais devant lui ne se dégagea d’aucune créature humaine comme de Luigi. L’adolescent, parce que depuis sa toute petite enfance aucunes paroles secourables et compatissantes, comme celles de Pierre, ne vinrent, hors les brutalités ambiantes, frapper à sa jeune intelligence éveillée pour aller jusqu’à son cœur malléable avide d’aimer…

Luigi De Simone, donc, n’appartient à personne au monde. Luigi De Simone, Luigino, Gino – et Pierre attire le petit malheureux, dans une caresse fraternelle – Gino sera, est l’Élu. Et c’est là cette aube de bonheur, qui se lève sur son âme jusqu’ici plongée dans les ténèbres à peine semées de rares étoiles. Son affection – son amour ! oui, oui, son amour allait à la dérive sans trouver l’asile où se fixer pour toujours, où se reposer longuement au moins… Il trouvait où se reposer. Pierre caressait les cheveux du petit collégien qui se laissait faire avec bonheur et tendait au murmure des lèvres de son ami l’attention de ses lèvres exquises et de ses yeux charmés.

Et Pierre l’appelait Gino…

Prononcé à l’italienne : dGino, ce diminutif gracieux évoquait les apparitions blondes des légendes : les elfes, les farfadets et les troublants génies des Arabes mêlés au vieux sang de Sicile ; les djinns !… Cette aube de bonheur !… Mais dans quel crépuscule douloureux va-t-elle, l’ensorcelante évocation de beauté qui déchire l’âme de Pierre, disparaître soudain ?… Il semble au jeune homme que cet être élu, ce délicieux garçon est trop admirable dans la caresse virile de ses seize ans et que, ruisselant de charme lumineux à l’aube du jour, la nuit prochaine va le lui ravir, et va disparaître aux yeux angoissés de Pierre le djinn d’affolante beauté… Pourquoi ?

Et l’adolescent se vêt de ce nom magique : DJINO, comme d’un voile mystérieux et léger dans lequel se meut et vit la présence réelle d’un génie extra terrestre.

— … Djino !

— …

Pas de réponse. Seulement les regards attentifs de l’enfant qui révèlent ses forces tendues vers un espoir indécis que peut-être Pierre rend possible par la résolution soudaine de sa voix :

— … Voulez-vous venir à Paris, Djino ?

Et Djino ouvre tout grands ses yeux larges où, les unes après les autres, passent – sous le cristal vibrant dans quoi s’enferment, pareils à un peu de ciel, les abîmes de ses prunelles – de belles flammes bleues qui s’allument et crépitent comme le soufre en fusion des solfatares siciliennes.

Ses menottes de pensionnaire à peine libéré du collège tremblent dans les mains frémissantes de Pierre. Il interroge. Est-ce que ce jeune homme dans lequel Luigi a cru découvrir un ami veut, lui aussi, le tromper à son tour ? Est-ce que ce jeune Français, très charmant, qu’il a aimé tout de suite dans sa petite âme avide de s’attacher à qui lui ressemble – va lui faire du mal et se moquer ?

Et Pierre répète lentement, comprenant en effet la surprise extravagante de cette offre tombée comme d’un rêve…

Djino interroge, muet, bouche entr’ouverte, cloué dans l’extase qui le ravit et doublerait sa beauté si sa beauté n’avait atteint les extrêmes limites du Parfait. Et puis il rejoint ces lèvres mignonnes et puériles que l’émoi décolore. Et puis, peut-être, encore, n’est-ce pas tant Paris seul qui l’attire :

— … Avec vous, monsieur ?

— Sans doute, Djino.

— … Oh ! oui, monsieur !

Et Pierre songeant à son collège à lui, aux gamineries des petits garnements, aux jeunes amours des gamins, quand le Jean Bérille de dix-sept ans aimait le Pierre de quatorze ans :

— Vous pouvez dire : « monsieur Pierre », Djino !

L’adolescent intéressé à ce nom qui lui était inconnu, reprit avec une gentillesse très émue et très respectueuse où de l’affection débordait de ses lèvres mutines dans le rouge ardent qui avait blêmi un instant sous le choc brutal et doux de ce mirage auquel il veut croire enfin :

— Oui… monsieur Pierre !

Et ses yeux scintillaient, escarboucles phosphorescentes dans la nuit de son jeune visage constellé de bonheur ; ses prunelles de lapis-lazuli luisaient dans les regards de Pierre…

… Et les deux jeunes gens unissaient les pierreries splendides de leurs yeux dans le merci muet qui s’éleva de leur cœur et mit un ex-voto d’émeraudes et de saphirs au seuil enchanté de leur âme…


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— Eh bien ! les amoureux, avez-vous fini ?… Tiens, Pierre, celui-ci est épatant… et celui-là aussi !

C’est Jean qui, les mains trempées, apporte à son ami, en riant, les clichés ruisselants, déjà révélés grâce à l’aimable empressement de M. Peterson.

En silhouette noire le petit corps admirable de Djino paraît sur les plaques de verre avec, au centre, comme un givre subtil qui, dans l’épreuve, estompera d’une ombre douce la nacre blonde du jeune ventre glorieux. Pour cela un peu de rose monte aux joues satinées de Djino et se dissout en buée charmante sous la fierté pâle de son front… Et dans les orbes blanches du négatif, deux petites perles obscures seront les yeux bleus de l’enfant.

— Çà, poursuit Jean, on peut dire que c’est un beau petit gas ! Dommage qu’il n’y en ait guère comme ça à Paris ! Pas, mon Pierre ?…

— Mais, Jean, coupa Pierre confus et décidé à l’aveu immédiat – j’emmène Luigi avec moi, à Paris.

Le Prix de Rome en fut suffoqué.

— Tu… Eh bien ! à la bonne heure, Pierre. Avec toi les négociations ne traînent pas en longueur et j’admire la rapidité de tes décisions… Mais les parents de Luigi ?

— Il n’en a plus.

— Aucun ?

— Aucun.

— Oh ! le pauvre chérubin !… Alors c’est gentil ce que tu fais là, Pierre, et je t’offre mes excuses… C’est égal…

— Qu’est-ce qui est égal, Jean ?

— Ben, laisse-moi me remettre donc !… Il n’y a rien comme ces natures apparemment incapables de volonté pour vouloir avec tant de promptitude et d’énergie tout d’un coup !

— Ce n’est pas, autant que tu le crois, tout d’un coup. Depuis longtemps je désirais trouver un collaborateur qui m’aidât avec dévouement, avec intelligence, dans mes travaux de céramique et qui me fût assez attaché pour garder les menus secrets de mes émaux. J’ai trouvé cette intelligence dans le jeune De Simone ; il me permettra bien d’espérer le dévouement, n’est-ce pas, Djino ?… Quant à la science, Luigi vient de me laisser voir en quelques mots un ensemble de connaissances qui témoignent d’une attention particulière apportée à l’étude de la chimie à l’Institut Technique de Terni et qui nous seront pour le moins utiles.

Et M. Peterson qui a tout entendu approuve aussi, comme Jean :

— C’est noble cela, monsieur Pélissier, et c’est bien tout à fait pour ce jeune garçon… car, sans vous, le pauvre enfant !…

Peterson n’acheva pas ; mais son geste signifiait assez de quelles désespérances, de quelles inquiétudes, de quelles transes et de quelles ignominies peuvent être empoisonnés les débuts de petits êtres tout neufs comme Luigi, dans notre société où, du moins, le vice, lui, quelquefois aide à vivre, quand par surcroît il n’élève pas au pinacle – tandis que le pharisaïsme sermonneur des parvenus louches et des gavés vertueux laisse périr l’être isolé, confiant en leurs discours, qui veut rester honnête et marcher droit.


Pierre disait la vérité en affirmant son désir de s’attacher un aide qui pût le seconder ; mais il ne se l’était jamais imaginé aussi jeune vraiment, et, dans son offre, il suivait bien plutôt l’irrésistible impulsion qui le lançait vers le petit modèle sans lui permettre même de réfléchir sur les conséquences futures et peut-être sur l’imprudence immédiate de cet enthousiasme.

M. Peterson ne voulut pas garder entière la responsabilité d’une rencontre dans laquelle il était pour une part. Avec son habitude d’interroger les modèles reçus dans ses ateliers, il n’avait pas manqué d’éclaircir quelques-uns des mystères qui entouraient l’existence de Djino. Aussi voulut-il, avant le départ de Pierre Pélissier, mettre celui-ci à même de mieux étudier l’adolescent qu’il ne connaissait pas et dont l’étincelante beauté avait seule subjugué son esprit et déterminé l’adoption du petit marchand de fleurs :

— Puisque Luigi a la bonne fortune de vous plaire, monsieur, lui-même ne manquera pas de vous conduire aux Bene fate, fratelli de San-Bartolommeo, n’est-ce pas, Luigi ? Je pense que là, Frà Serafino, notamment, vous sera, entre les autres religieux, une garantie précieuse des faits que vous ne devez pas ignorer et desquels Luigi n’a pas à rougir, je dois le déclarer.

Et, ce disant, Peterson retenait un instant la main de l’adolescent et le regardait jusqu’au fond de ses beaux yeux clairs comme pour le mettre au défi de rien dissimuler à ce nouvel ami, à ce premier ami, plutôt, dont l’accueil gracieux et confiant le tenait encore sous un charme inconnu, surpris délicieusement par ce bonheur qui s’exaltait jusqu’à l’angoisse que trahissaient tout ensemble ses yeux ardents fixés sur Pierre, et ses lèvres frémissantes qui auraient voulu baiser les mains du jeune homme.

Ces deux êtres exquis et d’une si irritable nervosité étaient bien faits pour se comprendre. Pierre vit, sous l’insistance voulue de Peterson, le pâle visage de son robuste petit ami se parer d’une blancheur mêlée soudain de rose en nuances aussi fugitives que tout à l’heure lorsque, sur les plaques photographiques, le jouvenceau avait reconnu le dessin très exact de sa masculinité.

Mais, s’approchant de lui, Pierre passa son bras autour du cou souple et tiède de Djino. Il avait envie de lui dire ces mots dont il enveloppait en silence l’adolescent aimé : « N’ayez pas peur, Djino ; je vois bien que vous souffrez ; mais je souffre autant que vous, et chacune des pensées douloureuses qui font battre le floconnement d’or de vos boucles plus pâles, là, sur vos petites tempes bleues et blondes, se répercutent en moi et me pénètrent de vos angoisses… Ne craignez rien ; je sens trembler dans mon cœur le frissonnement de votre petite âme de gamin… Vos secrets seront les miens comme les miens seront les vôtres. Je serai votre frère très aimant, et le fruit mûr de votre bouche ne me sera pas défendu puisque vous m’aimez aussi, je le vois… N’ayez pas peur, tant que je serai là ; et je serai là tant que la magie de vos regards scintillera de votre front angélisé sur mes yeux meurtris de leur beauté… je serai là jusqu’à ce que tu me dises, petit gamin adorable comme un mystère d’amour : « Va-t’en ; je ne t’aime plus !… » Encore ne m’en irais-je pas, mais seulement effacerais-je de la terre, où ton image continuerait de resplendir, mon être assez misérable pour te déplaire…


Djino tourna ses yeux vers Pierre. Celui-ci vit s’appesantir les paupières de l’enfant et ses longs cils fauves descendre jusqu’au sillon où leurs striures d’or se baignèrent dans les opales mauves d’un fleuve de langueur :

— Je ferai ce que vous voudrez et j’irai avec vous voir Frà Serafino, quand il vous plaira, monsieur.

Pierre voulut dissiper l’inquiétude de son jeune ami et, très enjoué, en l’interrogeant :

— … Monsieur comment ?

— Monsieur Pierre…

Et le petit marchand de fleurs qui avait tenu un moment ses yeux cachés sous le recueillement ambré des cils leva sur « monsieur Pierre » les gemmes sereines de ses prunelles claires et presque noires cependant… Ils se sourirent ; et Pierre vit dans la commissure des lèvres rouges, dont l’haleine douce parvenait jusqu’à lui, une double rangée blanche, on eût dit de pétales détachés d’amandiers en fleurs… Et les lèvres de Djino sentaient le jeune printemps. Et sa chevelure pâlissait sur ses yeux bleus comme la voie lactée parmi les constellations d’or d’un ciel nocturne où veille un clair de lune…


Au moment où Jean, Pierre et Luigi descendaient ensemble et se trouvaient dans la rue, Virginia parut à l’angle d’une maison et se cacha soudain ; pas assez rapidement pour que Pierre ne la vît, sans en rien dire. Mais Jean proposa de laisser Pierre avec son petit protégé, sous un motif quelconque, et Pierre comprit que son ami avait aussi aperçu Virginia ; il lui rendit immédiatement sa liberté en le remerciant. Jean serra les mains de Pierre et de Luigi et les laissa cheminer seuls…

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