L’Éducation en Angleterre/Chapitre XI

Librairie Hachette (p. 138-140).

CHRIST’S HOSPITAL



C’est encore une transplantation à opérer, celle des blue-coat boys. Assurément on regrettera leur absence, à ces petits arlequins si bizarrement accoutrés. Mais si le pittoresque y perd, le bon sens y gagnera. Outre qu’il est ridicule, leur costume doit être bien incommode ; ils ont des bas jaune serin qu’ils doivent prendre soin de tacher le moins possible !… et par là-dessus une espèce de grande redingote lévite en drap bleu, qui leur descend volontiers jusqu’au talon ; pour jouer plus à l’aise, ils ont coutume d’en nouer les pans derrière leur… dos, et ce paquet qui ballotte au moindre mouvement ressemble aux tournures plates-formes que les Parisiennes ont adoptées depuis deux ans.

La seule chose que les blue-coat boys apprécient dans leur costume, c’est l’absence complète de chapeau ; mais on pourra leur concéder cet avantage quand ils seront en bon air loin de Londres et qu’ils auront quitté leur tenue de carnaval pour quelque chose de plus moderne. Là aussi il existe des privilèges auxquels il faudra renoncer. Un jour par an les King’s boys, élèves d’une classe de mathématiques fondée par Charles ii, sont reçus à la cour ; une autre fois ils vont en procession trouver le Lord Maire, qui leur donne à chacun une pièce de monnaie nouvellement frappée. Christ’s Hospital date du règne d’Édouard vi ; on évalue assez approximativement, je crois, ses revenus à £ 70 000 (1 750 000 francs). En tout cas, ils doivent être considérables, car les enfants admis entre 7 et 9 ans sont, si je ne me trompe, élevés gratuitement et il y en a près de 1 200 ; ils vont d’abord dans une école préparatoire à Hertford. On les destine surtout au commerce, mais ils reçoivent une instruction très complète et les plus capables sont dirigés vers l’Université. Christ’s Hospital est, on le voit, un public school d’un genre très spécial ; le grand nombre de ses élèves lui donne de l’importance, mais il est indispensable qu’on ne laisse pas ceux-ci respirer plus longtemps les âcres brumes de la cité et qu’on ne leur impose plus un accoutrement réellement indigne d’une nation civilisée. J’ajouterai pour finir que l’organisation intérieure de l’école n’est pas bien luxueuse, ce qui se comprend : des cours de récréation entre quatre murs et des dortoirs comme en France ; il y a cependant une très belle piscine, un atelier de menuiserie et un champ de cricket hors de la ville, ce qui empêche d’y aller très fréquemment. « C’est tout ce que nous pouvons leur donner, dit M. X… en soupirant : ce sont là des choses de première nécessité. » Ce n’est pas moi qui le contredirai ; mais combien de mes compatriotes qui hausseraient les épaules au seul énoncé de ces « choses de première nécessité » !