L’ÉCONOMIE RURALE
EN NÉERLANDE
SCÈNES ET SOUVENIRS D’UN VOYAGE AGRICOLE.

IV.

LES CULTURES ET LA PRODUCTION HOLLANDAISES.


La Hollande était autrefois, avec Venise, l’état européen qui devait la plus grande part de sa richesse au commerce et la moindre à l’agriculture. Ce qui permettait au pays de subsister, ce n’était pas la charrue ouvrant à grand effort le sein d’une terre trop humide et sans cesse menacée par les eaux, c’était le navire sillonnant librement les flots de toutes les mers. Un ancien écrivain hollandais, pour dissimuler l’infériorité de sa patrie au point de vue agricole, disait dans ce latin relevé d’antithèses qu’on aimait alors : « Hollandia non floret agricultura, sed agricultura floret in Hollandia (la Hollande ne prospère pas par l’agriculture, mais l’agriculture prospère en Hollande). » Un de ses compatriotes, esprit éminent et trop peu connu, un des précurseurs de l’économie politique au XVIIe siècle, l’ami et le collaborateur de Jean de Witt, Pieter de La Court, avoue, lui, franchement, que, sans le commerce, le sol de son pays ne vaudrait pas la peine d’être mis en culture, et cette idée revient sans cesse dans les publications du temps. Ni l’état ni les particuliers ne songent à encourager ou à protéger cette branche de la production nationale, complètement abandonnée aux mains des paysans. Il faut arriver à une époque récente pour voir la disposition des esprits changer à ce sujet : cette époque est celle du déclin, de la chute même de la république des Provinces-Unies. Elle qui avait vaincu l’Espagne, glorieusement résisté à la France et à l’Angleterre coalisées, succomba lentement, on le sait, sous les mortelles atteintes d’une guerre de tarifs. Les droits différentiels et l’acte de navigation repoussèrent ses navires de tous les ports; son commerce fut anéanti, sa marine détruite. A la fin du XVIIIe siècle, la Hollande était arrivée au plus affligeant degré de faiblesse, et la conquête française. Sous l’empire, acheva de la ruiner en livrant ses colonies à l’Angleterre. C’est précisément alors cependant que l’agriculture, autrefois si dédaignée, vint lui ouvrir de nouvelles sources de prospérité et de richesse. On a vu souvent des hommes politiques, ministres ou même souverains, trouver dans la vie rurale une nouvelle jeunesse et cette pensée consolatrice, que, pour son humble part, on contribue à fertiliser le sol de la patrie et à augmenter le bien-être de ses semblables. Il en est des nations comme des hommes. Le sort leur a-t-il été contraire, ont-elles succombé dans une lutte inégale, leur commerce, leur industrie, ont-ils décliné sous l’empire de circonstances adverses, il est encore à leur disposition une source inépuisable de profits et de bien-être qui compensera toutes leurs pertes, qui guérira leurs blessures, et que ne pourront jamais tarir les hasards de la guerre ou les vicissitudes des traités : c’est la terre mise en valeur et toujours prête à récompenser au décuple tous les sacrifices intelligens qu’on consent à lui faire; en un mot, c’est l’agriculture. C’est elle en effet qui a soutenu autrefois la Lombardie et la Belgique, asservies à l’étranger et privées de leurs anciennes industries, et c’est elle aussi qui, plus récemment, a relevé la Hollande déchue de son antique grandeur commerciale. Peu à peu, à l’insu de l’étranger et du pays lui-même, sans bruit, sans éclat, mais par des améliorations poursuivies de tous les côtés à la fois, la Néerlande, qui ne vivait jadis que par le trafic, est devenue une des nations agricoles les plus avancées de l’Europe, et celle qui relativement exporte le plus de produits de son sol. Le café et le sucre de ses belles colonies, le beurre, le fromage et le bétail de ses gras pâturages, voilà maintenant les élémens solides de sa prospérité. Déjà[1], en parcourant le pays, en décrivant ses différentes régions, la région verte de la Frise et de la Hollande, les riches cultures de la Zélande et de la Groningue, en constatant le bien-être répandu dans beaucoup de fermes, nous avons signalé les symptômes de cette grande révolution économique. Nous voudrions en chercher les preuves directes et irréfutables dans les chiffres et dans les faits qu’ont pu recueillir les statistiques officielles. Au retour d’un voyage entrepris pour étudier l’économie rurale d’un état étranger, on aime à contrôler ses observations personnelles en les comparant aux données les plus exactes émanées du pays même qu’il s’agit de faire connaître. C’est le meilleur moyen de se rapprocher de la vérité et de présenter au lecteur un tableau fidèle, dont il peut lui-même apprécier les élémens.


I.

Quelle est d’abord l’étendue du domaine agricole de la Néerlande, et quelle place y occupe chaque genre de culture? Le territoire du royaume des Pays-Bas mesurait 3,275,533 hectares en 1858; mais il faut remarquer que ce chiffre change d’année en année : il s’accroît en moyenne de 1,000 hectares par an, grâce aux conquêtes faites sur les eaux. La terre, on le sait, est encore ici en voie de formation, et les fleuves travaillent de concert avec l’homme à étendre le fonds productif dont celui-ci peut disposer. Les chemins, les lacs, les canaux, les maisons, prennent 169,000 hectares; reste donc pour la superficie susceptible de livrer quelque produit à l’agriculture un peu plus de 3 millions d’hectares, ce qui fait dix-sept fois moins que la France, qui compte environ 50 millions d’hectares imposables, et 400,000 hectares de plus que la Belgique, qui n’en a que 2,600,000. D’après un document dont les données restent encore aujourd’hui opportunes et significatives, le domaine agricole de la Néerlande en 1859 se partageait ainsi :


Froment 85,000 hectares
Seigle et sarrasin 255,000 —
Avoine et orge 129,000 —
Légumineuses, panais, racines 80,000 —
Pommes de terre 100,000 —
Plantes industrielles 60,000 —
Jachère 21,000 —
Prairies permanentes 1,352,000 —
Bois 225,000 —
Terres vagues 702,000 —

Ce tableau montre qu’avec la Suisse, la Néerlande est le pays où les herbages occupent le plus de place. En y ajoutant les racines fourragères et les prairies artificielles, on trouve que la superficie consacrée à nourrir les animaux domestiques est de l,400,000 hectares, c’est-à-dire deux fois aussi grande que celle destinée à des produits servant immédiatement à satisfaire les besoins des populations. La terre arable est très peu étendue, puisqu’elle ne comprend que 700,000 hectares environ, soit moins du quart de la superficie totale susceptible d’être mise en valeur. Sauf les contrées couvertes de hautes montagnes, on ne rencontre guère en Europe de pays où la charrue joue un rôle aussi secondaire.

Les bois occupent également une place très restreinte : tandis qu’en France et en Belgique ils s’étendent sur le sixième du territoire, ici ils n’en prennent que la quatorzième partie. C’est très peu à coup sûr. A l’époque anté-historique, la plus grande partie de la contrée semble avoir été couverte d’épaisses forêts de chênes, de plus et d’aunes, car au fond des tourbières on trouve une couche pour ainsi dire continue de gros troncs d’arbres étendus presque tous dans le même sens. On suppose que ces arbres poussaient sur un terrain peu consistant, et que les tempêtes les auront renversés dans les eaux des marais, qui les auront conservés et où ils se seront ensevelis peu à peu sous les détritus accumulés. C’est un phénomène naturel dont on peut suivre encore la marche dans les grandes forêts marécageuses de la Louisiane et dans le dismal swamp de la Virginie, où les ouragans abattent parfois par milliers les gigantesques taxodiums aux fûts élancés comme des mâts de navire et aux racines en forme d’arcs-boutans. Même jusqu’au commencement du moyen âge, la plus grande partie de la région sablonneuse, maintenant presque tout à fait dépouillée et transformée en landes nues ou en sables mouvans, était occupée par de grands bois dont il ne reste plus que quelques lambeaux. Les hagiographes et les anciennes chroniques nous représentent les apôtres de l’Évangile et les chasseurs égarés à la poursuite du gros gibier marchant des journées entières en de vastes forêts qui ont disparu sans laisser de traces. Aujourd’hui il y a des provinces où les bois font complètement défaut. Ainsi la Drenthe n’en possède que 5,000 hectares, et la Groningue qu’un millier d’hectares seulement. Cela est d’autant plus regrettable que la Hollande a besoin de beaucoup de bois, d’abord pour ses constructions navales, ensuite pour tous ses travaux de défense contre la mer et les fleuves, enfin pour ses bâtimens de tout genre où le bois entre dans une grande proportion, à cause de la difficulté de se procurer d’autres matériaux et aussi de la mobilité du terrain, qui, en beaucoup de localités, ne supporterait pas des murs trop pesans. L’importation du bois, qui vient principalement du Nord, s’élève, année moyenne, à 15 ou 20 millions de francs, somme énorme pour un si petit pays.

En examinant encore le tableau de la répartition des cultures, on peut remarquer que les pommes de terre entrent pour une large part dans l’alimentation des classes les plus nombreuses, car on leur destine autant de terrain qu’au froment. Prise dans son ensemble, cette répartition des cultures est extrêmement favorable. Comme en Angleterre, et par suite aussi de la prédominance des herbages, elle assure aux cultivateurs de riches produits sans exiger beaucoup de travail, car dans les prairies c’est la fertilité du sol et l’humidité du climat qui font naître spontanément les plantes dont les animaux se nourrissent, et qui produisent ainsi le lait et la viande, dont les prix augmentent bien plus rapidement que ceux des céréales. En effet, les régions les plus lointaines, les fertiles plaines de l’ouest des États-Unis ou du sud de la Russie peuvent envoyer des blés sur les marchés de l’Europe occidentale, et empêcher en conséquence les prix de cette denrée de s’élever en raison de l’accroissement rapide de la population; mais il n’en est pas de même pour le beurre et la viande fraîche, qui ne supportent pas d’aussi longs trajets. Le cercle des pays producteurs est beaucoup plus limité, et l’offre ne peut s’accroître aussi rapidement que la demande, qui va sans cesse s’étendant à mesure que l’augmentation si rapide des capitaux crée de nouveaux consommateurs. Les contrées où les pâturages dominent profitent donc plus largement que les autres des progrès économiques des sociétés modernes.

Si l’agriculture néerlandaise jouit ainsi d’incontestables avantages, on regrette d’autant plus de rencontrer de si vastes étendues de landes qui ne lui livrent pour tout produit que quelques mottes de bruyère employées à former des fumiers de composts. Les terres vagues prennent encore le quart du domaine agricole, tandis qu’en France elles n’en occupent que la sixième partie, et en Belgique la neuvième seulement. Ces lacunes, ces taches de terrains improductifs qui frappent désagréablement quand on étudie la belle carte rurale du pays dressée par M. Staring, s’expliquent par l’action de deux causes qui, réunies, ont dû arrêter ou au moins retarder singulièrement toute nouvelle conquête de la culture. La première de ces causes est la qualité détestable du sol : ainsi qu’on l’a vu, il est en général formé d’un sable aride qui, abandonné à lui-même, se couvre à peine d’une maigre végétation, et qu’on ne parvient à mettre en valeur qu’au prix de beaucoup de sacrifices et des plus persévérans efforts. La seconde de ces causes, nous la trouvons dans l’ancienne constitution de la propriété. — Aussi longtemps que la lande demeurait le bien commun et indivis des cohéritiers de la marke, aucun de ceux-ci, et nul autre à plus forte raison, ne pouvait songer à employer à cette terre rebelle le capital considérable nécessaire pour la défricher. Comme la stérilité naturelle ne peut être vaincue que peu à peu, à force d’engrais et de travail, il faut que l’énergique stimulant de la propriété privée intervienne. Maintenant du moins l’obstacle qui résultait des institutions locales a disparu en grande partie, et déjà l’étendue des terrains improductifs diminue chaque année.

L’examen de la répartition des cultures suffit pour faire deviner que les produits végétaux entrent dans le chiffre total de la production agricole pour une moins forte part que les produits animaux, et en effet les statistiques montrent que la Hollande récolte peu de céréales, surtout extrêmement peu de froment. Comme le froment n’est cultivé que dans la région fertile, le produit moyen est élevé : il monte à 22 hectolitres par hectare; mais dans la région basse il est peu de terres qui conviennent à cette céréale : les terres légères sont trop maigres et les terres grasses des polders sont trop fortes, surtout quand elles sont nouvellement endiguées. Il y a même des provinces entières qui n’en cultivent pour ainsi dire point du tout, comme la Drenthe et l’Over-Yssel. La récolte totale du froment ne dépasse pas 1,800,000 hectolitres, ce qui fait à peine un demi-hectolitre par habitant. C’est moitié moins qu’en Belgique, et seulement le quart de la proportion qu’on a constatée en France. Il est vrai que le pain de froment est un aliment de luxe qu’on ne rencontre que dans les maisons riches, et encore en très petite quantité. On consomme généralement du pain de seigle, non-seulement dans les campagnes, mais encore dans les villes. Aussi la récolte de cette céréale est-elle deux fois plus considérable que celle du froment : elle dépasse 3 millions 1/2 d’hectolitres, soit environ 1 hectolitre par habitant. Quoique en Hollande on mange relativement peu de pain, et qu’il faille encore tenir compte d’environ 1 million 1/2 d’hectolitres de sarrasin, dont une grande partie sert à l’alimentation des populations rurales, la récolte totale des céréales est insuffisante pour faire face aux besoins de la consommation. Cette insuffisance de la production nationale date de l’affranchissement des Provinces-Unies, et du prodigieux développement de population et de richesse qui en fut la suite. Les grandes villes commerciales étaient toutes placées le long des côtes, dans la région des pâturages, qui ne produisaient guère de céréales; les communications avec l’intérieur du pays étaient rares, difficiles, et il était bien plus aisé aux marchands d’Amsterdam de tirer les approvisionnemens de la Baltique et même de la Mer-Blanche que de la région haute, qui d’ailleurs avait peine à suffire à ses propres besoins. Les navires hollandais transportaient les grains de la Russie en Flandre, en France, jusque dans la Méditerranée, et pendant le XVIe et le XVIIe siècle on put dire sans exagération que la Hollande, qui ne cultivait pas de blé, n’en était pas moins le grenier d’abondance de toute l’Europe. L’ambassadeur d’Angleterre, le chevalier Temple, cet excellent et profond observateur, croyait même que la Hollande de son temps ne produisait pas assez de grain pour nourrir les ouvriers employés à la conservation de ses digues. D’autres affirmaient que la production agricole répondait environ au cinquième des besoins de la consommation. Les opulentes cités de la région basse et même les campagnes, dont le beurre et le fromage constituaient les seuls produits, s’habituèrent ainsi à puiser dans les vastes approvisionnemens que le commerce de transit mettait à leur disposition, et elles pouvaient se vanter avec raison de manger du pain à meilleur compte que les autres nations, surtout à un prix moins variable, elles qui n’en récoltaient pas elles-mêmes. Depuis le XVIIIe siècle heureusement, la production des céréales a beaucoup augmenté dans les Pays-Bas: des terres nouvelles, propres à cette culture, ont été conquises sur les eaux ; on a ouvert de bonnes routes, reliant l’intérieur du pays aux marchés de la côte, et l’on peut prévoir le temps où la Néerlande se suffira sous ce rapport à elle-même. Déjà elle ne demande plus à l’étranger, année moyenne, que de 800 à 900,000 hectolitres de céréales. C’est à peu près la même proportion qu’en Angleterre; mais c’est quatre fois moins qu’en Suisse, où l’importation, s’élève à 1 hectolitre par tête.

La pomme de terre, avons-nous vu, entre pour une grande part dans l’alimentation publique; aux repas de midi et du soir, elle tient lieu de pain. Dans les dîners mêmes qui se composent de plusieurs plats, elle sert d’accompagnement obligé à chaque mets. Aussi le chiffre de la récolte totale est-il très élevé; il monte à plus de douze millions d’hectolitres, ce qui fait environ quatre hectolitres par tête. On cultive encore beaucoup d’avoine et d’orge. Le produit de la première de ces céréales est de trois millions et demi d’hectolitres, et celui de la seconde d’un million et demi. Parmi les plantes industrielles, les plus importantes sont le colza, le lin, la garance et le tabac, qui donnent une valeur annuelle de trente à quarante millions de francs; mais il est d’autres produits dont s’enorgueillit avec non moins de raison l’agriculture néerlandaise et qui donnent lieu à un immense commerce d’exportation : ce sont ceux des innombrables et magnifiques troupeaux répandus dans ses vastes et riches pâturages. Je n’ai trouvé nulle part une estimation satisfaisante de la valeur de ces produits ; il faut donc se résoudre à la fixer approximativement et par voie de comparaison. Je crois qu’on peut porter la quantité de lait que donne une vache en Hollande à environ 2,000 litres par an[2], ce qui, au prix de 10 centimes, ferait un total annuel de 200 francs : comme on comptait dans le pays, en 1860, 856,000 vaches, on arriverait de cette façon à un produit de 170 millions. On peut contrôler ce résultat en le comparant à celui qu’on a constaté dans les autres pays pour lesquels le laitage est aussi le principal produit de l’espèce bovine. En Lombardie, on a estimé que les vaches, au nombre de 256,000, livraient en 1854 une valeur annuelle de 80 millions de francs, ce qui ferait 350 fr. par tête. Sans doute les animaux qui paissent dans les gras pâturages des bords du Pô sont d’origine suisse et de première qualité, les herbages sont excellens et en grande partie arrosés, et le fromage de Parmesan se vend très cher; mais néanmoins le chiffre de 350 fr. paraît trop élevé. En Belgique, on a porté le produit de 680,000 vaches à 90 millions, soit 132 fr. par tête, et en Suisse on a inscrit 100 millions pour 525,000 vaches, ce qui fait 190 fr. par tête. Le chiffre adopté pour la Hollande se rapprocherait donc beaucoup de celui qu’on a cru pouvoir constater en Suisse; il le dépasserait même un peu, parce que si la nourriture est de moins bonne qualité que celle des pâturages alpestres, elle est beaucoup plus abondante. Il serait notablement supérieur à celui de la Belgique, parce que, sauf en Flandre et dans la Campine, les vaches y sont mal nourries l’hiver et donnent ainsi peu de lait pendant le tiers de l’année.

Si l’on veut maintenant se faire une idée suffisamment exacte du produit brut de la Néerlande considérée comme territoire agricole, il ne reste plus qu’à former un tableau dont les détails qui viennent d’être exposés ont fourni la base.


Produits végétaux.


Céréales (semence déduite) 90,000,000 fr.
Plantes industrielles, fruits, etc 50,000,000
Pommes de terre, légumes 70,000,000
Bois 10,000,000
Produits animaux.


Lait, beurre, fromage 170,000,000
Viande 60,000,000
Laines, volailles, peaux, etc 18,00,000
Jeunes chevaux 13,000,000
Total 481,000,000 fr.

Ces résultats méritent, à plus d’un égard, de fixer l’attention. Ils montrent que l’agriculture de la Néerlande, si peu connue de l’étranger, la classe dès aujourd’hui parmi les nations les plus avancées sous ce rapport, car le produit brut s’élève à 150 francs par hectare de la superficie totale, tandis que dans les îles britanniques il ne va qu’à 135 francs, et en France à 100 francs. Les Pays-Bas ne le céderaient donc qu’à l’Angleterre proprement dite, prise indépendamment de l’Ecosse et de l’Irlande, à la Belgique et à la Lombardie. Si l’on ne considérait que la superficie productive, déduction faite des terrains vagues, on arriverait au magnifique résultat de 240 francs par hectare. Ce sont les belles prairies de la Hollande et de la Frise, les riches terres d’alluvion de la Zélande et de la Groningue, qui compensent la stérilité naturelle de la région sablonneuse et qui contribuent principalement à élever la moyenne aussi haut. Il est encore un fait qui vient confirmer les données précédentes, et qui étonnera ceux qui sont habitués à considérer la Néerlande comme un pays qui tire sa principale richesse du commerce : c’est que nul autre état en Europe n’exporte relativement une égale quantité de produits agricoles. Le chiffre de ces exportations s’est élevé en 1860 à plus de 100 millions de francs. Dans ce total, le fromage entrait pour 18 millions, le beurre pour 21, la garance pour 13, le lin pour 13, l’avoine pour 5, et le bétail pour 21 millions.

L’accroissement de la population est encore un indice qui permet de mesurer les progrès de l’agriculture, principalement quand l’importation des denrées alimentaires a diminué sans que la condition des classes inférieures ait empiré. Or les Pays-Bas présentent sous ce rapport des faits extrêmement remarquables : il y a telles provinces qui ont été pour ainsi dire créées par le travail agricole, la Groningue et l’Over-Yssel par exemple. Il ne faut pas oublier que tout le poids des formidables luttes contre l’Espagne d’abord, puis contre l’Angleterre et la France, a été supporté presque en totalité par trois provinces, la Hollande, la Zélande et la Frise. Dans les dépenses de la fédération, sur 100 florins, la Hollande seule en payait 58, et la Gueldre, la Groningue, l’Over-Yssel ensemble, à peine 18, c’est-à-dire moins du tiers. Ces quatre provinces formaient en grande partie de vastes déserts, des landes à moitié recouvertes de tourbières, de marais et de dunes de sables mouvans. On rencontrait de distance en distance, au milieu de la marke, une oasis, un village qui se suffisait à lui-même, mais qui n’avait rien à exporter, et qui manquait par conséquent de capital disponible et de numéraire. Même vers la fin du siècle dernier, la province de Groningue ne comptait que 110,000 habitans, et celle d’Over-Yssel 120,000; la Drenthe n’en avait pas 40,000, dont 6,000 seulement dans les villes. Dans cette dernière région, la population a plus que doublé en un demi-siècle, tandis qu’en même temps la condition des habitans s’améliorait beaucoup, et cet accroissement s’est produit, non comme dans d’autres pays par le développement de l’industrie et du commerce, mais uniquement par les progrès de l’agriculture. On sait comment le sol arable de certaines régions de la Néerlande a été conquis pas à pas sur la mer, sur les sables et sur les tourbières, offrant au cultivateur ici une argile d’une merveilleuse fécondité, là un terrain tout à fait artificiel, mais composé avec tant d’art et si convenablement fumé que ses produits égalent ceux de la région la plus favorisée. La population ne s’est donc pas accumulée sur une superficie immuable en s’avançant ainsi, comme le prophétisent les économistes, vers une gêne croissante : elle s’est répandue sur des espaces nouveaux tirés du néant, pour ainsi dire, par son propre labeur, elle a colonisé le territoire même du pays. L’étendue de la surface productive s’est accrue plus rapidement encore que le chiffre de la population, circonstance qui ne peut manquer de favoriser le bien-être de la nation tout entière[3]. Maintenant les Pays-Bas figurant parmi les états les plus peuplés relativement à l’étendue du territoire. Au 30 décembre 1860, la Néerlande comptait 3,336,000 habitans, ce qui fait exactement un habitant par hectare. C’est la même proportion qu’en Angleterre, soit environ un tiers de plus qu’en France et un tiers de moins qu’en Belgique. La population des villes forme le tiers du chiffre total, les deux autres tiers appartiennent aux classes rurales, de sorte qu’on trouve à la campagne précisément un habitant par hectare de terrain productif, ce qui ferait une moyenne de 4 hectares l/2 par famille. Si l’on tient compte de la fertilité exceptionnelle d’une partie du royaume, cette proportion prise comme moyenne paraît suffisante. Aussi la condition des populations rurales est-elle en général assez heureuse : elles consomment une grande quantité de produits animaux sous forme de lard, de poisson, de lait et de fromage. Les boissons seulement laissent beaucoup à désirer. Les habitans des campagnes néerlandaises n’en ont point de généreuses ou de fortifiantes comme le vin ou la bière; ils boivent du café et du thé très faibles et du genièvre, dont souvent ils abusent. Les petits tableaux de l’école hollandaise, les Ostade, les Téniers, les Wouvermans, m’avaient fait croire, comme à tout le monde, que les compatriotes de ces peintres si exacts, si minutieux dans tous les détails, devaient être grands buveurs de bière. En réalité, soit que les habitudes aient changé, soit que les peintres qu’on appelle flamands s’inspirassent plutôt de la Flandre, il est certain que la bière est en Hollande une boisson de luxe qui se vend relativement cher, et il m’est arrivé souvent de n’en point trouver d’aucune sorte dans les villages de la Groningue et de la Frise[4].

Ce qui frappe l’étranger, c’est la part relativement très forte que chaque famille, même parmi les moins aisées et dans les campagnes les plus reculées, consacre à l’entretien de son habitation et de tout ce qui la garnit. Tandis que souvent ailleurs les demeures des ouvriers, et même celles des fermiers ou des métayers, ne présentent que quelques meubles grossiers et sales et des ustensiles ébréchés, ici on trouve jusque dans les plus humbles chaumières tous les bois parfaitement peints, frottés, lustrés, époussetés, les ustensiles de cuivre et d’étain brillans comme de l’or ou de l’argent. Il est peu de ménages qui ne conservent quelque ancien bahut datant de l’époque de la splendeur de la république, c’est-à-dire .du XVIIe siècle, et des porcelaines de Chine du même temps. Ce trait de mœurs date de loin, car l’excellent observateur qu’il faut toujours citer quand il s’agit de l’ancienne Hollande, le chevalier Temple, l’a déjà noté. « De ce qu’ils peuvent épargner, dit-il, après la dépense nécessaire de la maison, ils emploient une partie à augmenter leurs fonds et revenus, et l’autre à embellir et meubler leurs demeures, et de cette façon non-seulement ils accroissent la fortune de leur famille, mais ils contribuent aussi à la beauté et à l’ornement du pays. » Tous les économistes sont d’accord pour donner la préférence à ce genre de dépenses, qu’ils appellent des consommations lentes, par opposition aux consommations rapides, qui sont celles qu’exige la satisfaction des besoins journaliers. Dans le nord, et surtout dans un climat humide comme celui des Pays-Bas, la demeure, le home, a une bien autre importance que dans le midi, où l’on vit en plein air, et déjà les anciennes lois frisonnes parlent avec amour et respect de la chaude habitation où l’on se réfugie quant au dehors tombe la neige et souffle la tempête. Si l’on consulte les données fournies par la statistique, on voit qu’elles viennent confirmer ce que nous avait révélé l’observation directe, c’est-à-dire que la population en Hollande est en moyenne un peu mieux pourvue que celle des autres états européens, l’Angleterre exceptée. En effet, le chiffre du produit brut, divisé par celui qui représente le nombre des habitans, donne pour résultat 150 francs par tête. C’est plus qu’en France, où la répartition par tête ne donne que 140 francs, et bien plus aussi qu’en Belgique, où l’on n’arrive qu’à 110 francs. Toutefois il ne faut pas oublier que la Néerlande exporte en Angleterre une notable partie de ses produits agricoles, en échange desquels elle reçoit, il est vrai, du numéraire ou des marchandises, mais qui sont néanmoins enlevés à la masse des denrées alimentaires que le pays consomme. On peut donc conclure de ces faits que si l’abondance et le haut prix de ses produits agricoles permettent à la Néerlande d’augmenter son capital, néanmoins, sous le rapport de l’alimentation publique, elle ne s’élève qu’un peu au-dessus de la moyenne des états de l’Europe occidentale.


II.

On vient de voir toute l’importance de la production agricole de la Néerlande; un seul fait suffit pour expliquer cette prospérité : c’est le nombre considérable d’animaux domestiques qu’on trouve dans les Pays-Bas, et qui, relativement à la superficie, surpasse celui qu’on rencontre dans les autres pays, sauf en Belgique. En 1859, on comptait dans les onze provinces néerlandaises 239,000 chevaux, soit 7 par 100 hectares de superficie totale. C’est encore un de plus que dans les îles britanniques, où l’on n’en a que 6 sur la même étendue. Si l’on se rappelle que la moitié du territoire est en prairies permanentes, on sera fondé à conclure que le chiffre de 7 chevaux par 100 hectares est très élevé. Plusieurs causes tendent à produire ce résultat. D’abord, sauf en Zélande, les chevaux ne sont pas très forts; ce ne sont pas de ces puissans animaux de trait comme en produisent le Boulonnais et la Flandre : il faut donc en atteler davantage pour disposer de la même force. Ensuite, comme on l’a vu, les cultivateurs entretiennent beaucoup de chevaux pour leur usage personnel, et enfin, dans plusieurs provinces, on élève des poulains pour l’exportation. Parmi les races de chevaux hollandais, celle qui présente les caractères distinctifs les plus marqués est la race frisonne. Elle a la robe noire, luisante comme l’aile du corbeau, et le col de cygne toujours gracieusement recourbé. Quoique les chevaux de cette race aient les pieds trop plats, ils sont excellens trotteurs, et les plus rapides forment ces fameux hard dravers si recherchés dans tout le nord du pays. La conformation de la race indique qu’elle s’est perpétuée depuis longtemps dans une région marécageuse, et qu’elle doit fournir d’excellens nageurs; elle descend probablement de ces coursiers bataves qui, sous les ordres de Cariovalda, traversaient le Rhin à la vue des légions romaines étonnées. Le bœuf n’est employé au labour que dans le Brabant septentrional, le Limbourg, la Gueldre et l’Over-Yssel, et encore en très petit nombre : on n’en trouve en tout dans le royaume que 11,000 employés comme bêtes de trait; mais l’orgueil, la richesse de l’agriculture néerlandaise, ce sont ses vaches, de cette race renommée à juste titre pour la quantité de lait qu’elle produit : lourdes, flegmatiques, la tête petite et les cornes fines, la panse rebondie, ces bêtes paisibles sont de véritables machines lactifères. Elles engloutissent des quantités incroyables de fourrages qui se transforment aussitôt en lait et en crème. Le chiffre total des vaches est de 856,000. Malheureusement toutes ne valent pas les magnifiques animaux de la Hollande ou de la Frise : la petite vache de la région sablonneuse, zandkoetye, donne moitié moins de profit; elle se contente aussi, il est vrai, de moitié moins de nourriture. On essaie depuis quelques années de communiquer à la race hollandaise, au moyen de croisemens avec les durham, plus d’aptitude à l’engraissement. On comprend que les éleveurs s’efforcent d’obtenir un pareil résultat, car presque tous les pâturages de la zone basse sont assez nourrissans pour engraisser des animaux de boucherie, et plus vite on arrive à leur faire acquérir le poids voulu, plus le profit est grand et peut se renouveler souvent.

Le chiffre total de l’espèce bovine monte à 1,220,000 têtes, ce qui fait 37 têtes par 100 hectares de superficie totale et 53 têtes par 100 hectares de superficie productive. Les provinces néerlandaises entretiennent en outre environ un million de moutons et de chèvres et 300,000 porcs. En réduisant les têtes du jeune et du petit bétail au type commun d’une bête adulte de l’espèce bovine, on arrive encore à un total de 1,361,000, ce qui fait 41 têtes par 100 hectares de surface totale et 59 par 100 hectares de superficie productive. Ce sont là des proportions très élevées et qu’on ne rencontre nulle part ailleurs, sauf en Belgique. D’après ces chiffres, on serait disposé à placer la Néerlande au tout premier rang des nations agricoles, puisqu’on mesure généralement l’intensité de la culture sur la quantité du bétail; mais il ne faut pas oublier que la prédominance des herbages place les Pays-Bas dans des conditions exceptionnelles sous ce rapport, et que dans les régions où domine la terre labourée on a trop souvent lieu de regretter que les étables ne soient pas plus garnies. Le prix des terres est encore un indice assez exact de l’avancement de l’agriculture, aujourd’hui que, grâce à la facilité des communications et à la mobilité des capitaux, une moyenne générale tend à s’établir en Europe. Malheureusement les publications hollandaises contiennent bien peu de renseignemens à ce sujet. Il faut donc nous contenter d’une estimation approximative et appliquée à de grandes divisions du territoire. La zone argileuse, formée par les alluvions de la mer et des fleuves, est à peu près partout d’une très grande fertilité; elle se vend de 3,000 à 5,000 fr. l’hectare, ce qui donnerait une moyenne de 4,000 fr. pour les 1,500,000 hectares de la région basse. Les 1,500,000 hectares qui forment la zone sablonneuse sont loin cependant d’atteindre à une telle valeur, d’autant plus que la moitié à peu près en est encore inculte. Comme une partie de ces landes contient de la tourbe, on ne pourrait cependant les porter au-dessous de 300 fr. l’hectare. En attribuant aux terres cultivées une valeur de 1,600 francs, on arriverait pour la superficie totale du domaine agricole à une valeur d’environ 9 milliards, chiffre énorme relativement à l’étendue du territoire, et qu’on ne rencontre guère ailleurs. Ce qui explique ce total si considérable, c’est la merveilleuse fécondité du limon que les fleuves ont apporté ici, et qui est formé de la fine fleur de la terre d’une partie de l’Europe. L’Escaut, la Meuse et le Rhin, semblables à trois divinités bienfaisantes, enlèvent aux contrées plus élevées les élémens les plus précieux de leur fertilité, et viennent les déposer aux pieds de la Hollande, qui hérite par là des dépouilles des nations voisines. Ainsi procède la nature, fée toute-puissante et toujours active, qui, par d’invisibles opérations, ravit aux uns ce qu’elle donne aux autres.

Il n’est point de pays où le prix de la terre ait plus augmenté qu’en Néerlande, et la raison n’en est pas difficile à découvrir. Outre les causes générales, conséquences de la paix et du progrès de l’industrie, qui ont agi partout en Europe, telles que l’accroissement de la population, l’avilissement du numéraire, l’augmentation des produits, l’amélioration des moyens de communication, il est des circonstances particulières aux Pays-Bas, et qui les ont singulièrement favorisés. D’abord, tandis que le prix des céréales augmentait très peu, celui de la viande, du beurre et du fromage doublait, et au-delà. Or, comme la plus grande partie du territoire néerlandais est consacrée à la production de ces denrées si recherchées, il a dû participer plus que tout autre à la hausse générale du prix des terres. Ensuite, jusqu’à présent, le capitaliste hollandais n’achetait la terre que quand elle lui rapportait li pour 100, tandis qu’ailleurs on se contentait de 3 et de 2 1/2. A un placement qui le soumettait au paiement de l’impôt foncier, des droits de succession et des frais d’entretien de tout genre, il préférait les rentes sur l’état, ne lui produisant que 3 pour 100, ou des fonds étrangers, qui donnaient un plus fort intérêt. Il n’était habitué à porter en compte ni la dépréciation certaine et continue du numéraire, ni la hausse rapide des fonds de terre. Il s’en est suivi que tous ceux qui, il y a quelques années, ont acheté des biens ruraux touchent aujourd’hui 6 et 7 pour 100 de leur capital; mais déjà il n’en est plus ainsi : l’attention s’est portée de ce côté, et la concurrence des pères de famille économes, en quête d’un bon placement pour leurs épargnes, continuera à faire monter le prix des terres. Remarquons toutefois que cette hausse ne sera féconde en bons résultats que si elle est accompagnée de travaux d’amélioration ayant pour but d’augmenter en même temps la production agricole.

Il est à peine nécessaire de rappeler ici l’influence vraiment merveilleuse que de bonnes routes exercent sur l’agriculture. On sait aujourd’hui à quel point elles favorisent ses progrès en ouvrant de nouveaux débouchés à ses produits; mais comment améliorer les routes dans un pays où les matériaux nécessaires manquent complètement, et où la terre n’est qu’une boue figée, encore noyée pendant une partie de l’armée ? C’est cette boue même qui en a fourni les moyens : cuite dans des fours fermés avec un feu de tourbe, elle donne des briques excellentes et si dures qu’elles résonnent comme du métal, d’où leur vient le nom de klinkers. On a exhaussé les routes au-dessus du niveau des eaux en creusant un canal à côté, et on les a pavées de ces klinkers, ce qui fait des voies admirables. Un gazon fin, uni et très productif, parce qu’il est toujours arrosé d’engrais, encadre ce pavé de briquettes, sur lequel on roule aussi doucement que sur les dalles de Naples et de Florence. On n’est jamais incommodé par la boue ou par la poussière, et le chemin lui-même n’est point perdu pour la nourriture du bétail, car le foin qu’il produit, et qu’on fauche deux fois, est loué à un très haut prix. Impossible, on le voit, de mieux joindre en ce genre l’utile à l’agréable, car il n’est pas de chemins, même dans un parc anglais, qui pour l’état d’entretien valent ces routes de la Néerlande. Les côtés en sont partout plantés d’arbres et souvent aussi d’un taillis qui, scrupuleusement respecté par le passant, est coupé tous les huit ou neuf ans. Dans mes courses à pied jusque dans les provinces du nord, en Frise, en Drenthe ou dans les îles de la Zélande, je ne pouvais me lasser d’admirer ces voies charmantes, fraîches et ombragées, qui forment un si frappant contraste avec les routes tour à tour poudreuses ou boueuses de la plupart des autres pays; mais ces chemins ne servent qu’aux voitures légères, les seules qui, à vrai dire, existent en Hollande. Les gros transports se font tous par eau, et dans toute la région basse il n’est pas une ferme qui n’ait creusé son bout de fossé, afin de se mettre en communication avec le canal le plus rapproché. Comme les statistiques ne tiennent pas compte de ces innombrables fossés navigables, on ne peut, d’après les chiffres qu’elles donnent, se faire une idée des facilités de transport dont jouit l’agriculture dans cette contrée. Au XVIe et au XVIIe siècle, quand ailleurs les charrois ne se faisaient qu’à grand renfort de chevaux, et que les marquises en voyage devaient en atteler huit à leur carrosse, qui ne s’en embourbait pas moins, alors déjà les étrangers s’étonnaient de voir ces routes si admirablement entretenues, ces canaux sans cesse animés d’une foule innombrable de bateaux, et très semblables pour le mouvement aux rues d’une grande ville.

Malheureusement la région haute était restée dans son isolement, et, faute de matériaux, ses seules voies de communication étaient l’ancien chemin de sable serpentant à travers la bruyère; mais récemment on a songé à tirer parti des pierres et du gravier que le diluvium du Rhin, de la Meuse et de l’Escaut avait enfouis dans le sol, et avec ces petits fragmens roulés de silex, de granit et de basalte, on fait d’excellentes routes macadamisées (grindwegen). Partout ailleurs c’est dans les régions argileuses qu’on trouve les chemins de terre les plus défoncés, les plus coupés d’ornières et les plus impraticables. Ici on a trouvé moyen de les rendre aussi durs, aussi unis, aussi bons qu’un dallage d’asphalte, grâce à la bonne entente des cultivateurs et à leur esprit de prévoyance. De temps en temps, dès que de petites ornières se forment, et surtout au printemps, on donne aux chemins un léger labour avec une forte herse de fer, on les dispose en des d’âne, puis on les foule avec de grands, rouleaux de bois ou de pierre; l’eau s’écoule, le soleil durcit l’argile et la transforme en une sorte de ciment, sur lequel on roule comme sur le meilleur macadam. Pour obtenir cet excellent résultat, auquel on pourrait arriver dans toutes les régions de terre forte, le travail à exécuter est, on le voit, extrêmement facile et peu dispendieux; mais il doit être fait à temps. On comptait dans les Pays-Bas, à la fin de 1861, 8,716 kilomètres de routes pavées ou empierrées, 362 de chemins de fer et 2,916 de canaux, sans compter les innombrables fossés navigables de la région basse. Ce grand golfe intérieur, le Zuyderzée, et les grands estuaires des fleuves offrent aussi à l’agriculture des facilités extrêmes. Les rivières ne sont pas seulement ici, comme dit Pascal, des chemins qui marchent; ce sont des chemins qui, grâce à la marée, vont et viennent dans les deux sens, de sorte qu’on peut toujours partir avec le flux et rêvenir avec le reflux. Jusqu’à présent, les chemins de fer ont fait défaut dans la plus grande partie du pays; mais, quand le réseau sera terminé, l’agriculture néerlandaise se trouvera, sous le rapport des voies de communication, dans les meilleures conditions.

Ce qui fait encore bien présumer de l’avenir, c’est le nombre vraiment étonnant des membres que comptent les différentes associations agricoles qui existent en Néerlande; ce nombre dépasse 20,000. La Société d’agriculture des deux provinces de Hollande, de Hollandsche Maatschappy van landbouw, avait à elle seule en 1860 plus de 7,000 associés sur une population de 1,141,000 âmes, tandis que la Société royale, d’agriculture d’Angleterre n’en avait que 5,000, et tous les comices et sociétés belges réunis que 6,000. Chaque province de la Néerlande possède au moins une société, ordinairement divisée en autant de sections qu’il y a de régions distinctes. Ces sections se réunissent plusieurs fois dans l’année, pour examiner les questions à l’ordre du jour. S’agit-il d’une amélioration nouvelle, chacun apporte le tribut de ses lumières, expose les résultats de ses expériences, et s’instruit en prenant connaissance de ceux qu’on a obtenus ailleurs. Petits et grands cultivateurs, fermiers et propriétaires se rencontrent; la fusion des classes tend à s’établir; des notions pratiques appuyées d’exemples et présentées sous une forme vivante pénètrent peu à peu dans les campagnes; tous les griefs peuvent se produire, se discuter librement; une opinion publique éclairée se forme parmi l’élite des populations rurales. L’esprit de routine est attaqué sur son propre terrain, et ne tarde pas à perdre son empire; les bons effets de ces modestes institutions sont donc incalculables, et on ne saurait trop en encourager la multiplication. Une ou deux fois par an, l’association centrale réunit les membres des sections en une assemblée générale ordinairement suivie d’une exposition de produits agricoles ou d’animaux domestiques, d’un concours ou d’essais d’instrumens aratoires. Ce sont là les fêtes utiles et instructives de l’agriculture moderne. On parle maintenant dans les Pays-Bas de réunir en une puissante fédération les 20,000 membres des associations provinciales, dont le nombre s’élèverait bientôt, espère-t-on, à 40,000, si la cotisation annuelle n’était que de 1 florin. On arriverait ainsi, sans l’intervention de l’état, à disposer d’une somme importante qu’on pourrait consacrer à distribuer des primes, à récompenser des inventions nouvelles ou des livres utiles à l’agriculture, et à organiser de magnifiques expositions. Dès ce moment, le congrès agricole néerlandais, qui tient ses séances une fois par an, tour à tour dans chaque province, répond au but qu’on a en vue; mais ce serait un moyen de lui donner plus d’éclat, de ressources et d’action.

Parmi les influences qui tendent à favoriser les progrès de la culture, il ne faut pas oublier non plus celle des publications agricoles. On compte beaucoup de ces publications en Néerlande, et cela ne doit point surprendre, car chacun sait combien le goût de la lecture est répandu dans ce pays. Beaucoup d’associations agricoles font paraître un bulletin de leurs travaux. Toutes les questions qui se rattachent à l’économie rurale sont traitées dans une quantité de brochures et de livres hollandais, et les ouvrages importans de l’étranger sont traduits. On publie aussi plusieurs recueils et journaux d’agriculture, parmi lesquels il faut citer en première ligne : de Vriend van den Landman de M. Enkelaar, le Landbouw-Courant et le Boeren-Goudmyn de M. L. Mulder, professeur de botanique à Deventer et directeur du jardin d’essais (Proeftuin), qui rend de si grands services en étudiant les plantes et les variétés nouvelles et en multipliant les graines de toutes les espèces reconnues réellement utiles, — enfin le Magazyn voor landbouw en kruidkunde de M. J.-C. Ballot, qui paraît à Utrecht. Le nombre croissant des lecteurs que comptent la plupart de ces publications périodiques prouve bien que les cultivateurs comprennent de plus en plus la nécessité de suivre attentivement ce qui se fait ailleurs et de modifier les pratiques vicieuses ou arriérées, en adoptant les réformes qui ont déjà donné de bons résultats.

J’ai essayé de montrer, en m’appuyant sur des chiffres, la transformation économique qui a fait de la Néerlande un des pays agricoles les plus productifs de l’Europe. J’ai indiqué les progrès accomplis et les facilités qui existent pour en réaliser de nouveaux. Maintenant il faudrait en terminant porter un jugement d’ensemble sur l’agriculture néerlandaise au point où elle s’est élevée; mais elle s’exerce sur un sol d’une nature si spéciale et dans des conditions si exceptionnelles qu’il est presque impossible de la comparer à celle des autres pays. La région verte, la zone des herbages, est d’une extrême fécondité : seulement cet avantage est dû tout entier à la nature. L’exploitation pastorale est simple et ne comporte pas de grands perfectionnemens. Le point principal est le choix du bétail; or ici la race qui s’est développée dans la contrée, sous l’action des influences locales, est parfaitement adaptée au climat et à la qualité de la nourriture, et elle répond complètement au but qu’on s’est surtout proposé, la fabrication du beurre et du fromage. Ce qu’on peut reprocher aux cultivateurs de toute la région basse, c’est leur négligence à recueillir les engrais. Je sais qu’il ne peut être question de fumier proprement dit, puisque l’on n’a pas de paille pour donner une litière au bétail, lequel, étant d’ailleurs nuit et jour au pâturage, depuis mai jusqu’en novembre, engraisse naturellement les prés qu’il pâture; mais il faudrait des fosses maçonnées pour recueillir le purin l’hiver, quand les animaux restent à l’étable. Que de fois j’ai vu ainsi de précieux élémens de fertilité s’écouler dans le fossé voisin, dont ils gâtaient les eaux ! On cite dans le pays le mot d’un agronome hollandais à une fermière trop avare de son beurre : « Ne voyez-vous pas, lui disait-il, que votre mari laisse se perdre beaucoup plus de crème qu’il n’en faudrait pour la consommation de toute la famille? » Le conseil de mieux recueillir les engrais liquides a été répété si souvent dans les publications agronomiques et au sein des associations et des congrès agricoles qu’il commence à être écouté et suivi. —-Dans la région haute, l’engrais est beaucoup mieux soigné, et on l’augmente en préparant des composts avec toute sorte de détritus végétaux ; mais dans cette zone si rebelle et si maigre, ce qui est vicieux, c’est l’assolement, qui tend à lui enlever toujours le peu de fertilité qu’on lui communique à grand’peine. Les céréales reviennent trop souvent sur la même terre, les prairies artificielles sont à peu près inconnues, et ainsi l’hiver on n’a pas assez de nourriture pour augmenter le chiffre du bétail, ce qui serait le premier pas à faire, si l’on veut marcher décidément en avant. La culture du trèfle semble tout à fait ignorée; on croit généralement que ce précieux fourrage ne peut prospérer sur les terres légères du diluvium, et néanmoins dans le pays limitrophe, en Belgique, on en obtient des récoltes magnifiques sur des terres exactement pareilles; seulement on y met du purin et des cendres, des cendres de tourbe notamment, qu’on achète en Hollande. Quand les cultivateurs hollandais auront appris à faire usage de cet excellent amendement au lieu de le laisser sortir du pays, ils auront des trèfles tout aussi bien que leurs voisins.

Il est temps aussi que la Néerlande se mette sérieusement à l’œuvre pour rendre productifs les 700,000 hectares de terrains vagues qu’elle possède encore. Le quart du territoire, livré à la vaine pâture et ne donnant que quelques mottes de bruyère tous les dix ou douze ans, c’est une lacune qui ne peut continuer à subsister dans un pays qui a de si admirables ressources et où le sol tend à acquérir une si grande valeur. Seulement, qu’on y fasse attention, il ne faut point prétendre brusquer la marche naturelle des choses. Deux économistes allemands, von Thunen et M. Roscher, et un agronome français, M. Royer, ont montré les premiers qu’à mesure qu’un pays se peuplait, la culture devenait plus intensive c’est-à-dire employait plus de capital sur une même étendue, passant ainsi par une série de périodes très nettement caractérisées. La première époque est celle des forêts, la seconde celle des pâturages; à la troisième apparaît la culture des céréales avec jachère, à la quatrième la culture des céréales avec engrais remplaçant la jachère, à la cinquième les plantes industrielles; enfin arrive la culture maraîchère. Ces économistes ont très bien démontré que, lorsqu’il s’agit de mettre des terres en valeur dans une contrée isolée et peu peuplée, on ne peut intervertir cet ordre et commencer par la culture de la quatrième ou de la cinquième époque sans s’exposer à de cruels mécomptes, ou en tout cas à des sacrifices très longtemps prolongés. Or c’est ce qu’on a fait assez fréquemment dans les Pays-Bas, où l’on a trop négligé la plantation des bois dans les landes. A cet effet, le pin sylvestre offre cependant d’incontestables avantages; il permet d’établir des massifs forestiers à peu de frais. La création, l’entretien, l’exploitation de ces massifs appellent quelques familles d’ouvriers qui forment peu à peu la colonie dont les bras mettront plus tard le sol déboisé en culture. Le chiffre énorme auquel monte l’importation des bois étrangers montre suffisamment qu’il y a là un besoin que la production forestière du pays devrait s’efforcer de satisfaire, car les forêts de la Suède et de la Norvège commencent à s’épuiser; le prix des poutres du Nord s’élève d’année en année, et d’autre part les progrès de l’industrie et de la richesse publique augmentent la consommation du bois dans toute l’Europe. Il est donc temps de songer à l’avenir. Les propriétaires prévoyans qui auront établi des plantations sur leurs domaines seront assurés de laisser à leurs enfans des biens dont la valeur s’accroîtra rapidement, et ils pourront en outre se rendre ce témoignage, qu’ils auront contribué à la prospérité de leur patrie. Quand il s’agit de hautes futaies, le choix de l’essence à propager offre, il est vrai, d’assez grandes difficultés. En Hollande comme ailleurs, on avait cru tout concilier en prenant le mélèze, qui semblait réunir tous les avantages, puisque le bois en est aussi durable que celui du chêne et qu’il pousse quatre fois aussi vite; mais cet arbre, originaire des hauteurs de la Suisse, où on ne le trouve que sur les rochers de formation cristalline et au-dessus de 5,000 pieds d’altitude, semble, comme les montagnards, regretter partout le souffle froid des glaciers et le repos des longs hivers; il ne peut s’habituer au printemps précoce et à l’air épais des plaines. Atteint d’une sorte de nostalgie, après quelques années de croissance rapide, il languit et cesse de grossir[5]. Heureusement la sylviculture a fait de nouvelles conquêtes, et l’une des plus précieuses est le pin d’Autriche (pinus nigra austriaca), qui se développe aussi très vite et qui se contente des plus maigres terres. Avec ces deux résineux, le pin sylvestre pour les bois légers et le pin d’Autriche pour les hautes futaies, la Hollande doit faire la conquête de ses landes et les transformer peu à peu en forêts assez étendues pour répondre en grande partie aux besoins de la consommation intérieure.

En résumé, un meilleur assolement dans la région des sables, plus de soin à recueillir les engrais dans la région de l’argile et plus de plantations dans les landes encore trop étendues, voilà les améliorations principales que réclame l’économie rurale de la Néerlande. Déjà de divers côtés on travaille dans ce sens, et tout indique que les efforts seront couronnés de succès. Par suite de la configuration du pays et plus encore des circonstances, les classes aisées s’étaient vouées presque exclusivement au commerce, et cependant le Hollandais, non moins que l’Anglais ou l’Allemand, aime la campagne; il est, comme on dit de l’autre côté du Rhin, naturfreund, c’est-à-dire ami de la nature. Sa littérature même le prouve, car on y rencontre tout un groupe spécial de poésies destinées à célébrer les délices de la vie champêtre et les caractères propres de chaque province, de chaque district. Ces bucoliques s’appelaient des arcadias, et quoique la plupart soient d’un goût suranné et un peu trop surchargées de souvenirs mythologiques, il s’en trouve dans le nombre quelques-unes qui sont naïves et vraies. Le nombre immense des maisons de campagne et le soin minutieux qui y préside à l’entretien des fleurs et des bosquets révèlent aussi le goût de la vie rurale. Sans doute on ne trouve guère ici de ces châteaux accouplés à une vaste ferme dont ils dominent la cour, comme on en voit tant encore en France et dans le sud-est de la Belgique ; mais il ne faut pas oublier que la noblesse féodale a disparu de bonne heure, et que les riches commerçans qui lui ont succédé tiraient leurs profits du trafic avec l’étranger et non du sol de leur pays. La terre était restée ainsi entre les mains des paysans, qui s’enrichissaient sans aspirer à changer d’état et sans songer à vendre leurs biens. Toutes les grandes villes étaient d’ailleurs situées dans la zone des herbages, qui ne comportait qu’une exploitation pastorale extrêmement simple et peu de nature à tenter l’activité des capitalistes qui auraient pu s’occuper d’améliorations agricoles. On se contentait d’avoir près des villes, à l’abri des dunes ou sur quelque relèvement sablonneux au-dessus du niveau des hautes eaux d’hiver, une maison des champs, ou même un petit pavillon, koepeltje, refuge verdoyant et tout orné de fleurs, où l’homme d’affaires venait se reposer du mouvement trop aride des transactions commerciales et financières. Comme on ne pouvait aller chercher les arbres dans la forêt, on les amenait jusque dans l’intérieur des villes, on en plantait les rues, les bords des canaux, et on aménageait aux portes de la cité des bois tels que ceux de Harlem et de La Haye, où des foules silencieuses et paisibles viennent respirer la fraîcheur sous les vastes rameaux des hêtres et des chênes. Depuis qu’elles ont pu abattre leurs murailles, élevées autrefois pour repousser les Espagnols, les villes hollandaises ont pris un caractère tout à fait agreste. Les remparts sont convertis en promenades, en pelouses vertes qui se marient par échappées aux prairies des environs; les bastions démolis se sont changés en petites collines plantées d’arbres exotiques aux feuillages des teintes les plus variées; les fossés, de divers côtés réunis aux canaux qui traversent le pays, reflètent ces gracieux paysages dans le miroir de leurs eaux immobiles, qu’animent de temps à autre un bateau aux vives couleurs ou quelques cygnes que les jeunes filles apprivoisent et nourrissent comme dans les légendes du Nord. Partout des corbeilles de plantes rares, que les écoles publiques apprennent aux enfans à respecter, embaument l’air ou charment les yeux et donnent à l’ensemble un cachet de soin et d’élégance qui ravit. La campagne embrasse et envahit la ville, qui, tout enfouie sous ses verts ombrages, ressemble avec ses vieux clochers à quelque antique manoir féodal de l’Angleterre posé au milieu d’un parc immense. Ce n’est qu’en donnant un caractère champêtre aux lieux de leur résidence habituelle qu’a pu se manifester ici l’amour de la nature, si prononcé même chez les populations urbaines de la Néerlande; mais quand le chemin de fer aura relié les différentes parties du pays, il faudra que le capital accumulé dans la zone de l’argile aille féconder la maigre région des sables. Trop longtemps ce capital est allé chercher dans les emprunts des états étrangers un placement hasardeux, souvent suivi de pertes effectives et toujours atteint d’une dépréciation inévitable et continue; appliqué à la mise en valeur du sol national, il donnera des profits bien plus sûrs et non moins élevés.

Tel est, dans ses traits généraux, le spectacle qu’offre le domaine agricole de la Hollande. On le voit, dans le grand mouvement progrès matériel qui caractérise notre époque, la Néerlande marche au premier rang. Pour s’y maintenir, elle a tout ce qu’il faut : la liberté, la prévoyance, l’esprit d’association, l’instruction, le capital, des bras, et des espaces à conquérir, non l’épée à la main sur des peuples voisins, mais avec la bêche et la charrue sur la stérilité des sables et des landes.


EMILE DE LAVELEYE.

  1. Voyez la Revue du 15 septembre et 1er novembre 1863, et du 15 janvier 1864.
  2. Je sais parfaitement qu’il n’est pas rare de trouver en Hollande des vaches nouvellement vélées qui donnent la quantité énorme de 24, même de 30 litres par jour, et qui arrivent au bout de l’année à 4,000 ou 5,000 litres; mais ce sont là des exceptions. J’ai sous les yeux des tableaux faits avec soin qui indiquent le produit annuel de chaque vache dans différentes étables des deux provinces de Hollande, et les chiffres varient entre 5,000 et 2,000 litres. On pourrait donc me reprocher de m’être arrêté au chiffre le plus bas et de ne pas avoir pris la moyenne; mais les deux Hollandes sont les provinces où se rencontrent évidemment les vaches les plus lactifères, et ce n’est pas d’après celles-ci qu’il faut juger celles de la Drenthe, de l’Over-Yssel, de la Gueldre et du Brabant. Les animaux de dernière qualité de la Hollande ou de la Frise peuvent être pris, me semble-t-il, comme moyenne pour tout le pays.
  3. Il est bien remarquable que malgré le déclin si rapide de son énorme commerce de transports maritimes, la ville d’Amsterdam n’ait point vu sa population diminuer pendant le XVIIIe siècle, tandis qu’en des circonstances analogues Anvers, Gand, Bruges, perdaient les deux tiers de leurs habitans; c’et qu’elles avaient cessé d’être libres, tandis qu’Amsterdam l’était restée malgré ses revers. Avant l’époque de la réforme, ce n’était qu’une insignifiante bourgade perdue dans les marais de l’Y; en 1657, elle avait 145,000 habitans, en 1685 185,000, et en 1748 241,000, chiffre qui s’est maintenu jusqu’à la fin du siècle. Cela fait supposer que l’accroissement de la production intérieure compensait la décadence du commerce extérieur.
  4. Ce fait, en apparence accessoire, est pourtant d’une grande importance, car le défaut d’une bonne boisson pour le peuple est une regrettable lacune dans l’alimentation publique : il a pour effet de favoriser la consommation des liqueurs alcooliques, si nuisibles en même temps à la santé et à la moralité.
  5. La section de l’Over-Veluwe de la Société d’agriculture de la Gueldre s’est occupée, dans sa réunion du 26 janvier 1864, de la culture du mélèze, qui a tant d’importance pour cette partie du pays, et il résulte des intéressantes discussions auxquelles cette question a donné lieu que cet arbre n’a réussi que dans quelques endroits qu’on cite à titre d’exception. Le mélèze ne semble prospérer que dans le nord de l’Ecosse, où il trouve un sol et un climat plus analogues à ceux des Alpes. On ne saurait trop s’occuper du choix des essences forestières, car il s’agit pour l’avenir d’un produit du sol dont la valeur se comptera par centaines de millions, si on établit les plantations avec soin.