L’École des amis
Œuvres de monsieur Nivelle de La ChausséePraultTome I (p. 233-254).
Acte II  ►

L’ÉCOLE DES AMIS.
COMÉDIE.

ACTE PREMIER


Scène premiere

CLORINE, MONROSE, qui s’apprête à sortir..
Clorine.

Quoi, vous voulez sortir ?

Monrose.

Quoi, vous voulez sortir ?Laisse-moi, je te prie.
Je ne puis différer ma première sortie,
Ni demeurer ici davantage en suspens :
Ma blessure m’a fait assez perdre de tems.

Clorine.

Oui : mais, Monsieur, à peine est-elle refermée.

Monrose.

Eh ! depuis que je suis revenu de l’armée,
Blessé dans ce combat où mon oncle a péri,
Deux mois se sont passez : je dois être guéri.

Clorine.

Quelle raison !

Monrose.

Quelle raison !Après la perte que j’ai faite,
Je veux sçavoir comment la fortune me traite.
D’ailleurs, un intérêt plus pressant & plus fort
Que celui qui me touche, exige cet effort.
Mon oncle étoit chargé des biens de ta Maîtresse ;
Et je lui dois un compte… il le faut… le tems presse…
D’autant plus qu’elle va retourner au Couvent.

Clorine, avec plus de circonspection.

Monsieur, vous vous verrez, sans doute, auparavant ?

Monrose.

Qui, moi, Clorine ? Hélas ! je ne l’ai que trop vûe.

Clorine.

Ah ! cette répugnance est assez imprévue.
Vous craignez de revoir l’objet de votre ardeur ?

Monrose.

La révolution…

Clorine.

La révolution…A changé votre cœur.

Monrose.

Plût au Ciel !… quand j’étois un peu plus digne d’elle,
Je l’ai vûe insensible à l’ardeur la plus belle.

Que seroit-ce à présent que je puis n’être rien ?

Clorine.

Est-on si prévoyant lorsque l’on aime bien ?
Monsieur, est-ce donc-là cette âme si charmée
Est-ce vous, qui depuis le départ pour l’armée
Avez écrit vingt fois pour avoir son portrait,
Qu’on vous eût envoyé, s’il avoit été fait ?
Hortence eût obéi.

Monrose.

Hortence eût obéi.Cesse de m’entreprendre.
Si j’avois son portrait, il faudroit le lui rendre ;
Il faudroit la revoir encore, & me plonger…

Clorine.

Du moins la bienséance…

Monrose.

Du moins, la bienséance…Il n’y faut plus songer.



Scène II.

CLORINE, seule.

Fort bien, il va se perdre, en fuyant ma Maîtresse.
Je veux les rapprocher tous deux avec adresse.
(Elle rêve.)
Eh ! le portrait d’Hortence est propre à cet effet.
Il faut lui procurer en secret ce bienfait ;
Et lui faire trouver, par quelque stratagême
Cette heureuse ressource, en dépit de lui-même.

Je veux que ce portrait serve à vous réunir.
Oui, Monsieur, je sçaurai vous forcer à venir
Le remettre vous-même entre les mains d’Hortence.
Alors ils se verront. L’amour d’intelligence
Les mènera plus loin qu’ils ne veulent tous deux.
Au reste, puisse-t-il avoir un sort heureux !
Espérons que la Cour lui sera moins contraire.
Il va lui-même agir. C’est le point nécessaire ;
Car… ses amis ont beau le servir de leur mieux ;
L’un d’eux n’est qu’un bon-homme, ardent, officieux,
Qui tracasse, & qui veut toujours être de fête :
L’autre n’a que du faste & du vent dans la tête.



Scène III.

ARAMONT, CLORINE.
Aramont, derrière le théâtre, à voix haute.

Eh bien ! où sont-ils donc fourrés ? Hola, quelqu’un ?

Clorine.

Bon ! voici justement notre vieil importun !
Qu’il va bien signaler son zele impitoyable !

Aramont.

Quand le maître est dehors, les valets sont au diable.
C’est Clorine ! Eh ! parbleu, je la trouve à propos.
J’avois à vous parler. J’aurai fait en deux mots.
Hortence s’en va donc ?

Clorine.

Hortence s’en va donc ?Oui, Monsieur, sans remise,
Elle rentre au Couvent où le défunt l’a prise.
Il l’avoit fait venir pour la former un peu,
Avant que de lui faire épouser son neveu.
Elle y seroit déjà retournée au plus vîte,
Si l’éternelle tant attachée à sa suite,
N’avoit été malade. Elle se porte mieux…

Aramont.

Tant pis.

Clorine.

Tant pis.Et nous faisons aujourd’hui nos adieux.

Aramont.

Cette vieille radote ; & ta maîtresse rêve.

Clorine.

En quoi ?

Aramont.

En quoi ?C’est aujourd’hui que le scellé se leve.
Hortence a tous ses biens.

Clorine.

Hortence a tous ses biens.Quelqu’un en prendra soin.
À quoi serviroit-elle ? On n’en a pas besoin.

Aramont.

Elle est riche, & très-riche.

Clorine.

Elle est riche, & très-riche.Oui, Monsieur, je l’espere.

Aramont.

Ah ! je vous en réponds. D’autant plus que son pere
N’avoit point d’Intendant. C’étoit un vieux Marin,
Qui, pour être par-tout Maître de son destin,

Ne posséda jamais, pour toutes Seigneuries,
Qu’un riche porte-feuille, & force pierreries.

Clorine.

Chacun, suivant son goût, prend ses arrangemens.

Aramont.

Ainsi donc ta Maîtresse, outre ses diamans,
Est un des grands partis qui soient peut-être en France :
à moins que le défunt, contre toute apparence,
N’ait altéré des biens confiés à ses soins ;
Mais c’est ce que l’on doit appréhender le moins.
Or cela supposé, comme aussi que Clorine
Soit une fille aimable, intelligente, & fine…

Clorine.
(Elle se retourne, comme si on l’appelloit.)

Ah ! point du tout, Monsieur… Oui… j’entends… excusez ;
On vient de m’appeler.

Aramont, la retenant.

On vient de m’appeler.Non ; vous vous abusez :
Et quand cela seroit, qu’importe ? On peut attendre.
En faveur de Monrose, il faudroit nous entendre.
Tu vois comme au moment de faire son bonheur,
Son oncle, un peu trop tôt, est mort au lit d’honneur :
Tu sçais, pour son neveu, quelle étoit sa tendresse ;
Et qu’en le mariant à ta belle Maîtresse,
Il lui cédoit sa Charge & son Gouvernement :
Il croyoit être sûr d’en avoir l’agrément ;
Un coup de foudre a mis l’édifice par terre.
Thésauriser n’est pas le fait des gens de guerre ;

Et l’on doit peu compter sur leurs successions.
Le défunt ne rouloit que sur des pensions,
De forts appointemens, qu’il mangeoit à mesure.
Ainsi de ce côté la fortune est peu sûre.
À l’égard de la Cour, je doute, & je ne sçais
Si l’on achèvera des projets commencés :
Et franchement j’ai peur qu’en cet état funeste
Ta Maîtresse ne soit le seul bien qui nous reste.
Voilà ce qu’il faudroit tous deux négocier.

Clorine.

À quoi serviroit-il de nous associer ?
Hortence va passer sous une autre puissance ;
On exigera d’elle une autre obéissance.

Aramont, ironiquement.

On exigera d’elle une infidélité :
Vous n’y voyez aucune impossibilité.
Si Monrose a son cœur…

Clorine.

Si Monrose a son cœur…Mais il fuit ma Maîtresse !

Aramont.

Elle n’en est pas moins l’objet de sa tendresse ;
Mais il compte si peu sur un heureux destin,
Ou du moins l’avenir est si fort incertain,
Qu’il n’ose plus tenter d’achever sa conquête.
Il est intimidé : voilà ce qui l’arrête.
Tant de discrétion lui feroit trop de tort.
Il faut les rapprocher, & les mettre d’accord.

Clorine.

J’entends.

Aramont.

J’entends.Il faudroit donc autoriser mon zele.
Il n’est qu’un mot qui serve. Hortence l’aime-t-elle ?

Clorine.

Vous me le demandez, à moi ?

Aramont.

Vous me le demandez, à moi ?Sans contredit.

Clorine.

Mais vous n’y pensez pas. Eh ! qui me l’auroit dit ?

Aramont.

Elle-même, parbleu ! Du moins je le suppose.
Suivante & confidente est bien la même chose.

Clorine.

Non pas auprès d’Hortence.

Aramont.

Non pas auprès d’Hortence.Ah ! ah ! Mais, en tout cas,
On peut bien deviner.

Clorine.

On peut bien deviner.Je ne m’en mêle pas.

Aramont.

On surprend un secret qu’on ne veut pas nous dire ;
On le lit dans les yeux, dans…

Clorine.

On le lit dans les yeux, dans…Je n’y sçais pas lire.

Aramont, avec dépit.

Les filles d’à-présent ne sçavent jamais rien
De tout ce que l’on sçait qu’elles sçavent très bien.

Clorine, riant.

On ne sçauroit penser plus à notre avantage.
Monsieur, vous souvient-il d’un certain mariage
Que vous avez fait faire ?

Aramont.

Que vous avez fait faire ?Oui, j’aime à m’en mêler.

Clorine.

C’est le dernier sur-tout que je veux rappeler.
Oh !… la suite en est belle, & le chef-d’œuvre est rare !
Ces gens sont en procès, afin qu’on les sépare ;
Et vous sollicitez leur séparation !

Aramont.

Je ne dispose pas de l’inclination.

Clorine.

Bon ! Et ces deux rivaux, Monsieur, que vous en semble ?
Vous les aviez si bien raccommodés ensemble :
D’où vient sont-ils partis aussi-tôt de la main
Pour s’aller battre ?

Aramont.

Pour s’aller battre ?Ils ont pris querelle en chemin.

Clorine.

Vous souvient-il encore ?…

Aramont, vivement.

Vous souvient-il encore ?…Ah ! treve de mémoire.
Il n’est pas question de faire mon histoire.
C’est-à-dire qu’Hortence aura jusqu’à ce jour
Fait perdre à notre ami son tems & son amour !

Clorine.

Et ne voulez-vous pas que je l’en dédommage ?

Aramont.

Eh ! ventrebleu, pourquoi se laisser rendre hommage,
Lorsque l’on ne veut pas se laisser enflammer ?

Clorine.

Hortence obéissoit en se laissant aimer.

Aramont.

La complaisance est grande.

Clorine.

La complaisance est grande.Assez.

Aramont.

La complaisance est grande.Assez.Se peut-il faire !…
Eh ! mais, combien de tems faut-il donc pour lui plaire,
Si depuis une année & plus qu’elle est ici,
L’amour de son Amant n’a pas mieux réussi ?
Hortence s’amusoit du plaisir d’être aimée.
L’hymen se devoit faire au retour de l’armée.

Clorine.

Il est vrai.

Aramont.

Il est vrai.Cette époque est bonne à remarquer.
À quoi pensoit Hortence ? Elle alloit s’embarquer ;
Et toutefois l’Amour n’était pas du voyage.

Clorine.

C’est bien assez qu’il vienne après le mariage.
L’amour qui le prévient n’est pas le plus certain.
Il vaut mieux ne donner son cœur qu’après sa main.
Quand on est sa maîtresse, alors c’est autre chose.
Hortence était soumise à l’oncle de Monrose ;
Il lui servoit de pere ; il en avoit les droits,
Que le sien, en mourant, lui remit autrefois.
Ils avoient toujours eu cette alliance en vûe.
Hortence eût obéi : mais l’affaire est rompue.

Auroit-elle bien fait d’aimer auparavant ?

Aramont.

Allez, morbleu, partez ; retournez au Couvent.
Ainsi Monrose est libre ; & s’il est raisonnable,
On pourra lui trouver un parti convenable.
Quelqu’autre aura des yeux, du bien, de la beauté ;
Oui, l’on pourra tourner de tel autre côté,
Que…

Clorine.

Que…Qui menacez-vous ? Je suis votre servante.



Scène IV

ARAMONT, seul.

Du moins, cette menace a fâché la suivante.
Qu’elle aille à sa Maîtresse apprendre ce discours.
Tant mieux. La jalousie est d’un puissant secours ;
Et jamais la fierté ne doit être épargnée.
Une femme piquée est à moitié gagnée.



Scène V.

ARAMONT, DORNANE.
Dornane.

Serviteur au Baron. J’aime à te rencontrer.
Qu’as-tu fait de Monrose ?

Aramont.

Qu’as-tu fait de Monrose ?Il va bientôt rentrer.

Dornane.

Tu ne le quittes plus ! Je te trouve adorable.
Ah ! si l’événement lui devient favorable,
Que d’amis fugitifs se verront confondus !

Aramont.

Ils ne sont qu’égarés ; ils ne sont pas perdus.
Cette espece d’amis n’est pas la moins commune.
Habiles à prévoir de loin une infortune,
Ils ne paroissent plus dans le tems orageux.
Le calme revient-il ? On peut compter sur eux.
Il ramene avec lui leur troupe mercenaire.
Dans le monde, en un mot, c’est l’usage ordinaire,
Qui fut, & qui sera toujours comme aujourd’hui ;
On n’aime à partager que le bonheur d’autrui.

Dornane.

Monrose n’aura point ce reproche à me faire :
Et que la Cour lui soit favorable, ou contraire,
Il n’en sera ni plus ni moins cher à mes yeux.

Aramont.

Sans doute. Le malheur est-il contagieux ?

Dornane.

On cesse d’être ami si-tôt que l’on varie.
D’abord que l’amitié balance, elle est trahie.
La moindre alternative y porte un coup mortel ;
Et ce n’est plus qu’un nom qui n’a rien de réel.

Aramont.

Sçais-tu que tu dis vrai ?

Dornane, avec fatuité.

Sais-tu que tu dis vrai ?Voilà comme je pense.
Mais ce n’est point assez ; j’agis en conséquence.
Depuis qu’il est malade, on n’imagine pas
Ce que j’ai vû de gens, combien j’ai fait de pas.
J’ai mis en action toutes nos connoissances.
N’ai-je pas fait ma cour à toutes les Puissances ?

Aramont, à part.

Car il faut bien les voir, quand on en a besoin.
Quelle fatuité !

Dornane.

Quelle fatuité !J’aurois été plus loin
Si je l’avois trouvé possible & nécessaire :
Mais Dieu sçait de quel air j’ai mené cette affaire !

Aramont.

De quel air, s’il vous plaît ?

Dornane.

De quel air, s’il vous plaît ?Je crois qu’il est permis
De parler un peu haut quand c’est pour ses amis.

Aramont, à part.

Tout est perdu.

Dornane.

Tout est perdu.J’agis avec cette assurance
Qui subjugue, ou détruit toute autre concurrence.
Quoi qu’il en soit, j’ai mis l’épouvante & l’effroi
Parmi les prétendans ; ils sont en désarroi.
Je leur ai fait un tour qui nous sert à merveille…
J’ai publié par-tout… en secret… à l’oreille…

Que Monrose avait tout obtenu de la Cour :
Et c’est, grace à mes soins, la nouvelle du jour.
Par-là j’ai dérouté la brigue & la cabale.

Aramont.

Je crains que cela n’ait une suite fatale.

Dornane.

Tu t’y connois !

Aramont.

Tu t’y connois !Pour moi, je me borne à des soins
Qui sont à ma portée ; & je risque un peu moins.
Sans moi, des créanciers bloqueroient cette porte :
J’ai du moins, pour un tems, écarté leur cohorte.

Dornane.

Comment donc ?

Aramont.

Comment donc ?En disant par-tout, avec éclat
Que la succession est en très bon état.
Ainsi j’ai suspendu leurs cris & leurs poursuites.

Dornane.

C’est une minutie.

Aramont.

C’est une minutie.On verra dans les suites.
Mais au surplus, Marquis, n’es-tu pas étonné
Que Monrose aujourd’hui se trouve abandonné
Par l’homme, sur lequel il comptait d’avantage,
Ariste ?

Dornane.

Ariste ?L’amitié n’est point un héritage.



Scène VI.

ARISTE, sans être vû ; DORNANE, ARAMONT.
Aramont.

Quoi ! l’ami le plus cher que le défunt ait eu,
Laisse ainsi son neveu, tandis qu’il auroit pû
Agir, & lui prêter son heureuse assistance !
Son appui nous seroit d’une grande importance ;
Car enfin son crédit est plus grand qu’on ne croit

Dornane.

Il le garde pour lui. Ce n’est qu’un homme adroit,
Un courtisan masqué par la misanthropie,
Recouvert du manteau de la philosophie ;
Un politique sombre, équivoque & caché,
Qui se donne à la Cour pour être détaché
Des postes, des emplois, des grandeurs, & des graces ;
Mais qui secrettement vise aux premières places,
Et dont l’ambition, quand il en sera tems,
Se manifestera peut-être à nos dépens.

Aramont.

Cet Ariste pourtant… il avoit paru prendre
Au destin de Monrose un intérêt si tendre !
Je l’ai cru son ami.

Dornane.

Je l’ai cru son ami.Lui ? Sur quel fondement ?

Quand on est tel, crois-moi, l’on s’annonce autrement.
En effet, l’amitié donne un air moins austere.
Un véritable ami n’a d’autre caractere
Que celui qui nous plaît. Il se regle sur nous,
Il adopte nos mœurs ; il se fait à nos goûts ;
Il se métamorphose au gré de nos caprices ;
Il prend nos passions, nos vertus, & nos vices :
C’est un caméléon qui reçoit tour-à-tour…

Ariste, s’avançant.

Ce portrait-là, Monsieur, est celui de l’amour.

Dornane, à part.

C’est Ariste ! Ah, morbleu !

Ariste.

C’est Ariste ! Ah, morbleu !Mon abord vous étonne !

Dornane.

Ah ! Monsieur, qui pouvoit vous croire-là ?

Ariste.

Ah ! Monsieur, qui pouvoit vous croire-là ?Personne.
Si j’ai bien entendu votre entretien…

Dornane, à part.

Si j’ai bien entendu votre entretien…Tant pis.

Ariste.

Les amis de Monrose étoient sur le tapis.
Vous paroissez avoir épuisé la matiere ;
Et Monrose vous doit sa confiance entiere.
Oui, par provision vous nous excluez tous.
Il ne doit plus compter sur d’autres que sur vous.
Vous suffirez à tout ; du moins, je le souhaite.
L’amitié qui se vante est souvent indiscrette.

Cependant trouvez bon qu’au rang de ses amis,
Quelqu’autre puisse encore avec vous êtes mis.
L’amitié n’admet point de basses jalousies :
C’est à l’amour qu’il faut laisser ces frénésies.



Scène VII.

MONROSE, transporté de joie ; ARISTE, ARAMONT, DORNANE.
Monrose, à Aramont & Dornane.

Mes amis, prenez part à la joie où je suis.
Mon bonheur est prochain, si j’en crois tous les bruits.
On dit qu’en ma faveur la Cour est réunie.
(Appercevant Ariste.)
Ah ! Monsieur. C’est me faire une grace infinie.
Ces Messieurs sont témoins si depuis mon retour
Ma santé m’a permis de vous faire ma cour.

Ariste.

Votre santé va bien ? Je vous en félicite.

Dornane.

Et moi, de la nouvelle…

Aramont, à part.

Et moi, de la nouvelle…En cas de réussite.

Monrose.

Tout Paris là-dessus n’a qu’une seule voix.

Dornane.

C’est qu’il te rend justice. On l’obtient quelquefois,

Quand on a le secret de se la faire rendre.
Une affaire dépend du tour qu’on lui fait prendre.
La Fortune & l’Amour se ressemblent tous deux :
C’est la même façon pour traiter avec eux.

Monrose.

Je commence à le croire.

Dornane.

Je commence à le croire.Osois-tu te promettre
Un aussi bon effet ?…

Monrose.

Un aussi bon effet ?…De quoi ?

Dornane.

Un aussi bon effet ?…De quoi ?De cette lettre
Qu’il a fallu te faire écrire & t’arracher ;
Car avec toi, mon cher, à moins de se fâcher…

Monrose.

Je trouvois que le style en était un peu ferme.

Dornane.

Eh ! tant mieux. Tu voulois mesurer chaque terme !

Monrose.

Ou du moins adoucir…

Dornane.

Ou du moins adoucir…Va, va, le style est bien.
La souplesse est pour nous un indigne moyen,
Presque toujours nuisible, & jamais légitime :
Qui s’abbaisse soi-même est sa propre victime.
On ne cherche que trop à nous humilier.
Nous devons exiger, & non pas supplier.
(à Ariste.)
N’est-il pas vrai, Monsieur ?

Ariste.

N’est-il pas vrai, Monsieur ?Chacun a ses usages.

Monrose.

J’ai vû tous nos amis…

Ariste, à part.

J’ai vû tous nos amis…Qui ne sont pas plus sages.

Monrose.

Je ne pouvais suffire à leurs embrassemens.

Ariste.

Quoi ! vous avez reçu tous ces vains complimens ?

Monrose.

Oui, je les ai reçus. Devois-je m’en défendre ?

Ariste.

Vous n’empêcherez pas ces bruits de se répandre ?

Dornane.

Les empêcher ? Je dis que c’est un coup d’État :
On n’y sçauroit donner trop de cours & d’éclat.
Sur la foi de ce bruit heureux & profitable,
Chacun trouve que rien n’était plus équitable.
Tout le monde applaudit. Je vous laisse à penser
Si la Cour, qui le voit, pourra se dispenser
D’un acte d’équité que l’on trouve à sa place.
Il ne dépend plus d’elle. Il faut qu’elle le fasse,
Et qu’enfin elle cède à la nécessité…

Ariste.

Vous en parlez, Monsieur, avec capacité.

Dornane.

En seriez-vous surpris ?

Ariste.

En seriez-vous surpris ?Vous êtes politique.

Dornane.

Et bien meilleur ami. C’est de quoi je me pique.

Ariste, à part.

Contre cet étourdi je ne saurois tenir.
(à Monrose.)
Dans un instant, Monsieur, pourrois-je revenir ?

Monrose.

Commandez.

Ariste.

Commandez.J’aurois eu quelque chose à vous dire.
Je veux prendre mon tems.

Dornane.

Je veux prendre mon tems.Enfin il se retire.



Scène VIII.

MONROSE, ARAMONT, DORNANE.
Monrose, toujours joyeux.

Je puis donc m’applaudir avec vous sans témoins,
Et vous féliciter du succès de vos soins.
(Il les embrasse.)
Permettez ce transport à ma reconnoissance ;
D’autres effets seront peut-être en ma puissance.
Ma chûte était horrible ; il faut en convenir.
Si je vous faisois voir quel affreux avenir
Étoit devant mes yeux !…

Dornane.

Étoit devant mes yeux !…Éloignons cette idée ;
Puisqu’aussi-bien l’affaire est presque décidée.
D’ailleurs, ton désespoir m’étoit injurieux.
Suis-je donc un ami si frivole à tes yeux ?
Que le sort te trahisse, ou soit qu’il te seconde,
Mets-toi bien dans l’esprit que je n’ai rien au monde
Qui ne te soit acquis : je crois que là-dessus
Tu veux bien m’épargner des sermens superflus.
Bien souvent ce ne sont que des mots d’habitude
Qui joignent le parjure avec l’ingratitude.

Monrose.

Va, j’en suis convaincu ; ce n’est pas d’aujourd’hui :
Mais je ne veux pas être à la charge d’autrui.
Vous dirai-je pourtant que la froideur d’Ariste
Jette dans mon esprit un doute qui m’attriste ?

Dornane.

C’est un homme fâché, qui voit avec dépit
Que nous n’ayons point eu recours à son crédit.
Eh ! combien n’est-il pas de ces gens tyranniques,
De ces jaloux amis qui veulent être uniques ;
Assez durs, pour trouver mauvais qu’un malheureux
Leur fasse voir enfin qu’on peut se passer d’eux ?
Heureux, qui peut ainsi mortifier leur gloire,
Et venger l’amitié !… Mais, si tu veux m’en croire,
Le tems est cher, il faut, & même dès ce jour,
Aller tête levée, & paroître à la Cour.

Monrose.

Oui, c’est bien mon dessein, dès que je serai quitte
Du rendez-vous d’Ariste.

Dornane.

Du rendez-vous d’Ariste.Expédie au plus vîte.
Sans adieu. Tout ira comme je le prévois.
Je vais nous faire écrire à dix ou douze endroits.



Scène IX.

MONROSE, ARAMONT.
Aramont.

Moi, je vais faire un tour chez tous nos gens d’affaires,
Pour rassembler ici ceux qui sont nécessaires.



Scène X.

MONROSE, seul.

Hortence, est-il possible ?… Ah, qu’il me seroit doux
D’avoir à vous offrir un rang digne de vous !