Amyot (p. 415-427).
◄  XXXVII
XXXIX  ►

XXXVIII

Une Reconnaissance de nuit.

Le soleil se couchait au moment où les gambucinos atteignaient la lisière de la forêt et la limite du couvert.

Devant eux, à environ une lieue et demie, s’élevait la ville au milieu de l’océan de verdure de la plaine qui l’enveloppait et lui formait une ceinture d’herbes et de fleurs.

La nuit tombait rapidement, les ténèbres s’épaississaient de minute en minute, confondant en une masse sombre tous les accidents du paysage ; l’heure était enfin des plus propices pour tenter le hardi coup de main auquel ils étaient résolus.

Ils firent un dernier adieu à leurs compagnons, et s’enfoncèrent résolument dans les hautes herbes au milieu desquelles ils ne tardèrent pas à disparaître.

Heureusement pour les aventuriers, auxquels il aurait été impossible de se diriger au milieu des ténèbres, les pas des piétons et ceux des cavalière qui se rendaient incessamment à la ville, ou de ceux qui en sortaient, avaient tracé à la longue de larges sentiers qui tous aboutissaient directement à une des portes.

Les deux hommes marchèrent assez longtemps silencieux à côté l’un de l’autre.

Chacun d’eux réfléchissait profondément àl’issue probable de cette tentative désespérée.

Dans le premier moment d’enthousiasme, ils n’avaient que légèrement songé aux difficultés sans nombre qu’ils devaient rencontrer sur leur route et aux obstacles qui, à chaque pas, surgiraient sans doute devant eux.

Ils n’avaient vu que le but à atteindre.

Mais maintenant qu’ils étaient de sang-froid, bien des choses auxquelles ils n’avaient pas pris garde ou auxquelles ils n’avaient pus voulu s’arrêter se présentaient à leur pensée, et, ainsi que cela arrive souvent, leur faisaient voir leur expédition sous un aspect tout différent.

Maintenant, le but leur paraissait presque impossible à atteindre, au lieu que les dangers et les obstacles grossissaient pour ainsi dire à vue d’œil.

Malheureusement, ces judicieuses réflexions arrivaient trop tard ; il n’était plus temps de reculer, il fallait marcher en avant quand même.

Du reste, tout était calme et tranquille ; il n’y avait pas un soupir de la brise dans l’air, pas un bruit dans la prairie, et au fur et à mesure que les étoiles apparaissaient au ciel, une lueur pâle et tremblotante venait légèrement modifier les ténèbres et les rendre moins intenses.

Maintenant ils commençaient à y voir assez pour se diriger sans hésitation et reconnaître les environs à une certaine distance.

Balle-Franche ne s’arrangeait que médiocrement du silence opiniâtre de son compagnon ; le digne chasseur aimait assez à parler, surtout dans des circonstances semblables à celles dans lesquelles il se trouvait en ce moment ; aussi résolut-il de faire causer son compagnon, d’abord afin d’entendre la voix humaine, raison que ne comprendront probablement pas les gens dont la vie, heureusement pour eux, s’est passée sédentaire et exempte de ces grands orages du cœur qui donnent cependant tant de charme à l’existence ; la seconde raison du chasseur était non moins péremptoire que la première : maintenant qu’il était embarqué dans cette entreprise désespérée, il n’était pas fâché de demander certains renseignements à don Miguel, afin de savoir comment celui-ci prétendait agir et quel plan de conduite il comptait adopter.

Aussi, près de la ville, dans une campagne entièrement découverte, il n’y avait pour les aventuriers que très-peu de risque de rencontrer des Indiens ; les seuls qu’ils étaient exposés à voir étaient des batteurs d’estrade chargés d’aller à la découverte, au cas peu probable où les Indiens, contrairement à leurs usages habituels de ne pas faire un mouvement quelconque pendant la nuit, eussent jugé nécessaire d’envoyer quelques hommes pour surveiller les alentours.

Les deux hommes pouvaient donc, pour ainsi dire sans danger, à moins d’un hasard extraordinaire, causer entre eux en ayant, bien entendu, le soin de ne parler qu’à voix basse et de tenir constamment les yeux et les oreilles en vedette pour signaler le danger aussitôt qu’il se manifesterait.

Balle-Franche après avoir toussé légèrement afin d’attirer l’attention de son compagnon, lui dit tout à coup en jetant autour de lui un regard de mauvaise humeur :

— Eh ! eh ! le ciel s’éclaircit énormément depuis quelques minutes, la nuit est moins profonde ; pourvu que la lune ne se lève pas avant que nous soyons arrivés où nous voulons aller.

— Nous avons encore plus de deux heures devant nous avant que la lune ne se lève, répondit don Miguel, c’est plus qu’il ne nous en faut.

— Vous croyez que deux heures nous suffiront ?

— J’en suis sûr.

— Allons, tant mieux, car je n’aime que médiocrement les marches de nuit.

— Ce n’est guère la coutume d’en faire.

— En effet, depuis quarante ans que je parcours le désert dans tous les sens, c’est ce soir la seconde fois qu’il m’arrive de faire une expédition de nuit.

— Bah !

— Mon Dieu ! oui ; la première fois, le fait mérite d’être constaté.

— Comment cela ? demanda don Miguel d’un air distrait.

— C’est que les circonstances étaient à peu près les mêmes : il s’agissait aussi de sauver une jeune fille qui avait été enlevée par les Indiens. C’était en 1835 ; j’étais alors au service de la Société des Pelleteries. Les Indiens Pieds-Noirs, pour se venger d’un tour que leur avait joué un mauvais drôle d’engagé, n’avaient rien trouvé de mieux que d’enlever la fille du commandant du fort Mackensie[1] ; alors…

— Écoutez, dit don Miguel en lui saisissant le bras, n’entendez-vous rien ?

Le Canadien, si subitement interrompu dans sa narration qu’il croyait bien cette fois conduire jusqu’au bout, ne manifesta cependant aucune mauvaise humeur, tant il était habitué à de pareilles mésaventures ; il s’arrêta, se coucha sur le sol, appuya l’oreille à terre et écouta pendant deux ou trois minutes avec l’attention la plus soutenue, puis il se releva en secouant dédaigneusement la tête.

— Ce sont des coyotes en chasse d’un daim, dit-il.

— Vous en êtes certain ?

— Vous ne tarderez pas à les entendre donner de la voix.

Effectivement, à peine le chasseur finissait-il de parler que les aboiements répétés des coyotes se firent entendre à une légère distance.

— Vous voyez, dit simplement le Canadien.

— En effet, répondit don Miguel.

Ils reprirent leur marche interrompue un instant.

— Ah çà, dit Balle-Franche, vous savez ce qui est convenu, don Miguel ; je me fie entièrement à vous pour entrer dans la ville : je ne sais pas comment nous ferons, par exemple.

— Je ne le sais pas trop moi-même, répondit le jeune homme ; j’ai passé aujourd’hui plusieurs heures à examiner attentivement les murailles, et j’ai cru reconnaître un en droit par lequel il nous sera, je le suppose, assez facile de passer.

— Hum ! dit Balle-Franche, votre plan ne me semble pas très-bon, compagnon ; il aboutira probablement à des os cassés.

— C’est une chance à courir.

— Parfaitement ; mais, sans vous offenser, j’aimerais mieux autre chose, si cela est possible.

— Cette perspective ne vous fait pas peur, cependant ?

— Moi, pas le moins du monde. Il est évident que les Indiens ne peuvent pas me tuer ; sans cela depuis que je cours le désert, il y a longtemps que ce serait fait.

Le jeune homme ne put s’empêcher de rire du sang-froid avec lequel son compagnon émettait cette singulière opinion.

— Eh bien, alors, lui dit-il, dans ces conditions-là pourquoi trouvez-vous à reprendre à mon plan ?

— Parce qu’il est mauvais : si les Indiens ne peuvent pas me tuer, rien ne prouve qu’ils ne me blesseront pas. Croyez-moi, don Miguel, soyons prudents ; si l’un de nous est mis de prime-abord hors de combat, que deviendra l’autre ?

— C’est juste ; mais avez-vous un autre plan à me proposer, vous ?

— Je le crois.

— Eh bien, faites-le-moi connaître : s’il est bon, je l’adopterai ; je n’y mets pas le moindre amour-propre.

— Bon ; savez-vous nager.

— Pourquoi cette question ?

— Répondez d’abord, vous le saurez ensuite.

— Je nage comme un esturgeon.

— Moi comme une loutre ; nous sommes dans d’excellentes conditions. Maintenant faites bien attention à ce que je vais vous dire.

— Allez toujours.

— Vous voyez cette rivière, n’est-ce pas, un peu sur notre droite ?

— Pardieu !

— Fort bien. Cette rivière traverse la ville qu’elle coupe en deux, n’est-ce pas ?

— Oui.

— En supposant que les Peaux-Rouges aient connaissance de notre présence dans ces parages, de quel côté doivent-ils craindre une attaque ?

— Du côté de la plaine évidemment ; cela est logique.

— De mieux en mieux, de façon que les murailles sont garnies de sentinelles qui surveillent la plaine dans toutes les directions, au lieu que la rivière du côté de laquelle on ne soupçonne aucun danger est parfaitement solitaire.

— C’est vrai ! s’écria don Miguel en se frappant le front, je n’y avait pas songé.

— On ne pense pas à tout, observa philosophiquement Balle-Franche.

— Mon digne ami, que je vous remercie d’avoir eu cette bonne idée ; maintenant nous sommes certains d’entrer dans la ville.

— Ne vendons pas la peau de l’ours avant de… ; vous connaissez le proverbe. Malgré cela, rien ne nous empêche d’essayer.

Ils obliquèrent immédiatement à gauche pour se rapprocher de la rivière qu’ils atteignirent après un quart d’heure de marche. Le rivage était désert ; la rivière, calme comme un miroir, semblait un large ruban d’argent.

— Maintenant, reprit Balle-Franche, ne nous pressons pas ; bien que nous sachions nager, gardons cet expédient au cas où nous n’en aurions pas d’autres. Fouillez tous les buissons d’un côté pendant que je les explorerai de l’autre ; je me trompe fort, ou nous finirons par trouver une pirogue quelconque.

Les prévisions du chasseur ne l’avaient pas trompé ; près quelques minutes de recherches, ils trouvèrent en effet une pirogue cachée sous un amas de feuilles, au milieu d’un épais buisson de lentisques et de floripondios ; les pagaies étaient cachées à quelques pas plus loin.

Nous avons déjà dit au lecteur quel est le mode de construction adopté par les Indiens pour ces embarcations, qui entre autres avantages ont celui d’être extrêmement légères. Balle-Franche prit les pagaies ; don Miguel chargea la pirogue sur son dos, et en quelques minutes elle fut à flot.

— Maintenant embarquez-vous, dit Balle-Franche.

— Un instant, observa don Miguel, garnissons les pagaies pour éviter le bruit.

Balle-Franche haussa les épaules.

— Ne soyons pas trop fins, dit-il, cela nous nuirait. S’il y a des Indiens près d’ici, ils verront la pirogue ; si en même temps ils n’entendent pas le bruit des pagaies, ils soupçonneront un piège et voudront s’assurer de la vérité. Non, non, laissez-moi faire ; couchez-vous au fond de la pirogue ; elle est petite, heureusement pour nous ; les Peaux-Rouges ne supposeront jamais qu’une si chétive embarcation, montée par un homme seul, ait la prétention de les surprendre ; car ce qui fait, relativement, la sécurité de notre expédition, ne l’oubliez pas, c’est sa témérité et sa folie même : il faut être des visages pâles pour avoir des idées aussi biscornues. Je me rappelle qu’en l’année 1835, dont je vous parlais tout à l’heure…

— Partons, partons, interrompit dont Miguel en sautant dans la pirogue, au fond de laquelle il s’installa, d’après la recommandation de son compagnon.

Celui-ci le suivit en hochant la tête et prit les pagaies, dont il ne se servit cependant qu’avec une nonchalance affectée qui ne communiquait à l’embarcation qu’un mouvement lent et mesuré.

— Voyez-vous, continua le chasseur, de la façon dont nous marchons, s’il y a aux aguets quelques-uns de ces diables rouges, ils me prendront évidemment pour un de leurs compatriotes attardé à la pêche et qui regagne son calli.

Cependant peu à peu et d’une manière imperceptible le chasseur augmenta la marche de la pirogue, si bien qu’au bout d’une demi-heure elle avait atteint une certaine rapidité relative, qui n’était pas pourtant assez grande pour inspirer des soupçons. Ils voguèrent ainsi sans encombre pendant plus d’une heure et finirent par entrer dans la ville. Mais, s’ils avaient cru opérer leur débarquement sans être aperçus, ils s’étaient trompés : aux environs du pont, endroit où un grand nombre de pirogues tirées à terre montrait que c’était là que s’arrêtaient les Indiens, Balle-Franche aperçut une sentinelle indienne qui, appuyée sur sa longue lance, le suivait du regard. Le Canadien explora rapidement les environs et s’assura que la sentinelle était seule.

— Bon ! murmura-t-il à part lui, s’il n’y a que toi, ce ne sera pas long.

Alors il rendit compte à don Miguel de ce qui se passait ; celui-ci lui répondit quelques mots.

— C’est vrai, dit le chasseur en se redressant, il n’y a que ce moyen.

Et il dirigea la pirogue directement sur la sentinelle. Dès que le Canadien fut à portée de voix :

— Ooah ! lui dit l’Indien, mon frère rentre bien tard à Quiepaa-Tani ; tout le monde dort à cette heure.

— C’est vrai, répondit Balle-Franche dans la langue dont s’était servie la sentinelle ; mais j’apporte de bien beau poisson.

— Eh ! fit curieusement le guerrier, puis-je le voir ?

— Non seulement mon frère peut le voir, répondit gracieusement le Canadien, mais encore je l’autorise à choisir celui qui lui plaira.

— Och ! mon frère a la main ouverte, le Wacondah ne la lui laissera jamais vide ; j’accepte l’offre de mon frère.

— Hum ! murmura Balle-Franche : pauvre diable, c’est étonnant comme il mord à l’hameçon : il ne se doute guère que c’est lui qui est le poisson en ce moment ; et, après cette réflexion philosophique faite in petto, il continua à avancer.

Bientôt l’avant de la pirogue grinça sur le sable du rivage. L’Indien, alléché par l’offre fallacieuse du Canadien, ne voulut pas demeurer en reste de gracieuseté avec lui, il saisit le bord de l’embarcation et commencer à la tirer au plein.

— Ooah ! fit-il, effectivement, ainsi que l’a dit mon frère, il a fait une bonne pêche car la pirogue est lourde.

En disant cela, il se baissa afin de se donner plus de force et se mit en devoir de la tirer de nouveau à lui. Mais il n’en eut pas le temps, don Miguel bondit hors de la pirogue, et, levant son rifle par le canon, il asséna un coup de crosse terrible sur le crâne du malheureux Indien. La pauvre sentinelle fut tuée roide et roula sur le sable sans pousser un cri.

— Là ! fit Balle-Franche en descendant à son tour, au moins ce n’est pas celui-là qui nous dénoncera.

— Maintenant il faut nous en débarrasser, répondit don Miguel.

— Ce ne sera pas long.

L’implacable chasseur choisit alors une grosse pierre, la plaça dans la fressada du Peau-Rouge, fit un paquet du tout et le fit doucement couler dans l’eau. Aussitôt que cela fut fait, que toute trace du meurtre eut disparu, ils tirèrent la pirogue à terre auprès de celles qui s’y trouvaient déjà et se disposèrent à s’éloigner.

Mais alors commencèrent pour eux les véritables difficultés de l’entreprise : comment s’orienter dans cette ville inconnue, au milieu des ténèbres ? où et comment retrouver Bon-Affût. Ces deux questions semblaient aussi impossibles à résoudre l’une que l’autre.

— Bah ! fit Balle-Franche, une piste ne doit pas être plus difficile à trouver dans une ville que dans le désert, essayons.

— Le principal est de nous éloigner le plus tôt possible d’ici.

— Oui, le lieu n’est pas sain pour nous ; mais, j’y songe, tâchons d’atteindre la grand’place : c’est là, ordinairement, que l’on peut espérer obtenir des renseignements.

— À cette heure-ci, cela me semble assez difficile.

— Au contraire. Nous nous embusquerons en attendant le jour ; le premier Peau-Rouge qui passera à notre portée, nous l’obligerons de nous donner des nouvelles de notre ami ; un grand médecin comme lui doit être connu, que diable ! ajouta-t-il en riant.

Gaieté que don Miguel partagea de tout son cœur. C’était une chose étrange que l’insouciance et le laisser-aller de ces deux hommes qui, au milieu de cette ville où ils s’étaient introduits en tuant un de ses habitants, dans laquelle ils savaient ne rencontrer que des ennemis et où des dangers terribles étaient de toutes parts suspendus sur leurs têtes, se trouvaient cependant aussi à leur aise que s’ils eussent été au milieu de leurs amis, et riaient et plaisantaient entre eux comme si leur position eût été la plus agréable du monde.

— Eh ! reprit Balle-Franche, nous sommes dans un assez joli labyrinthe ; ne trouvez-vous pas comme moi que cela sent furieusement les os cassés ici ?

— Qui sait ! peut-être nous en tirerons-nous mieux que nous ne le croyons.

— Ce qu’il y de certain, c’est que nous ne pouvons tarder à le savoir.

— Prenons cette rue qui s’ouvre là devant nous, elle est large et bien tracée ; j’ai comme un pressentiment qui m’annonce qu’elle nous mettra dans la bonne voie.

— À la grâce de Dieu ! autant celle-là qu’une autre.

Les chasseurs s’engagèrent donc dans la rue qui se trouvait devant eux et aboutissait au pont.

Le hasard les avait bien servis ; après dix minutes de marche, ils se trouvèrent à l’entrée de la grand’place.

— Là, fit Balle-Franche d’un ton ravi ; le bonheur est avec nous, nous ne pouvons nous plaindre ; du reste, cela devait être ainsi ; le hasard favorise toujours les fous, à ce titre nous avons droit à toute sa sympathie.

— Silence ! dit vivement don Miguel, voici quelqu’un.

— Où cela ?

Le jeune homme étendit le bras dans la direction du temple du Soleil.

— Voyez, répondit-il.

— En effet, murmura Balle-Franche après un instant ; mais il me semble que cet homme fait comme nous. Il a l’air d’être aux aguets. Quelle raison peut le faire veiller aussi tard ?

Après s’être, en quelques mots, concertés entre eux, les deux aventuriers se séparèrent, et, de deux côtés différents, s’approchèrent à pas de loup du côté du nocturne promeneur, en se dissimulant le mieux qu’il leur était possible dans l’ombre, ce qui n’était pas une tâche facile. La lune était levée depuis quelque temps et répandait une lueur assez faible, il est vrai, mais cependant suffisante pour laisser, à une assez grande distance, distinguer les objets. L’homme vers lequel s’avançaient les aventuriers était toujours immobile à l’endroit où ils l’avaient aperçu ; le corps penché en avant, l’oreille appuyée contre la porte du temple, il semblait écouter avec attention. Don Miguel et Balle-Franche n’étaient plus qu’à cinq ou six pas, ils se préparaient à fondre sur lui, lorsque tout à coup il se redressa. Ils étouffèrent avec peine un cri de surprise.

— L’Aigle-Volant ! murmurèrent-ils. Mais, si bas qu’ils eussent parlé, celui-ci les avait entendus ; il avait immédiatement sondé les ténèbres d’un regard perçant.

— Ooah ! fit-il en apercevant les deux hommes, et il s’avança résolûment de leur côté.

Les aventuriers quittèrent l’ombre qui les protégeait et attendirent. Lorsque l’Aigle-Volant fût arrivé presque sur eux :

— C’est moi ! lui dit don Miguel.

— Et moi ! ajouta Balle-Franche.

Le chef comanche recula avec un mouvement de stupéfaction impossible à rendre.

— La tête grise ici ! s’écria-t-il.


  1. Voir Balle-Franche, un vol. in-12, chez Amyot, éditeur.