L’Âme styrienne et son interprète, Pierre Rosegger/03

L'ÂME STYRIENNE ET SON INTERPRÈTE
PIERRE ROSEGGER

LES TENDANCES RELIGIEUSES


IX

L’impression laissée par la pittoresque légende du Chercheur de Dieu nous fournit une transition naturelle pour passer à l’étude du catholicisme de Rosegger, à l’évolution religieuse de ce rejeton du moyen âge, transplanté dans le monde moderne Sujet difficile, où il importe de se montrer équitable tout en demeurant clairvoyant, mais qui, par ses nuances mêmes, attire, séduit, et appelle pour ainsi dire une critique tempérée par la sympathie.

Nous avons dit quel enfant pieux, réfléchi, mystique fut le petit Pierre, entrevoyant le ciel ouvert au-dessus de l’autel familial, s’enfermant dans les granges pour y improviser des sermons, ou faire à haute voix quelque lecture d’édification, et venu enfin à ce point d’exaltation que les sacremens de l’Eucharistie et de la Confirmation, reçus vers sa douzième année, lui apportèrent une désillusion proportionnée à ses débauches d’imagination extatique[2]. Il se laissa donc pénétrer jusqu’aux moelles par l’atmosphère chrétienne qui environna son berceau ; mais il avait l’intelligence éveillée, l’esprit ouvert, l’imagination vive, et, tôt ou tard, il devait chercher à se rendre compte de sa foi. — Tout ensemble mystique et « libertaire, » telle serait l’âme bretonne, au dire de ses familiers ; telle va nous apparaître aussi l’âme styrienne dans son représentant le plus autorisé.

C’est un malheur pour les meilleures causes et les plus divines institutions qu’elles doivent être défendues et interprétées par des hommes, créatures faibles et faillibles, en qui les passions parlent souvent plus haut que la raison et le devoir. Et, il est remarquable, quand on considère la vie morale de Rosegger dans son ensemble, que son premier doute et sa première objection soient nés d’une évidente imprudence dans la bouche d’un représentant de la religion. — « En 1855, dit-il[3] (il avait alors douze ans), nous eûmes un dimanche une instruction religieuse à Alpel. Le chapelain Gussmann de Krieglach y déclara que tous les hommes qui n’avaient pas reçu le baptême catholique perdaient l’éternité bienheureuse… J’accompagnai le prêtre à son retour au logis, afin de porter le paquet de ses vêtemens sacerdotaux. En route, le niais que j’étais alors ouvrit la bouche et dit : « Cela ne peut pourtant pas être, que Dieu damne tous ceux qui ne sont pas baptisés. Car Dieu est juste, et les Chinois ne sont pas coupables pour n’avoir jamais entendu parler de la foi catholique. » La réponse évasive et dédaigneuse de son compagnon de route imposa silence à l’enfant, sans l’éclairer davantage sur le fond de la question. — Et il semble bien que, sous la formule radicale employée par le chapelain de Krieglach, on ne saurait. Reconnaître l’enseignement officiel de l’Eglise, qui professe en réalité sur ce point une doctrine plus clémente, celle de la « bonne foi. » Une âme humaine peut être sauvée en dehors du catholicisme, pourvu qu’elle soit de bonne foi dans son erreur. La difficulté commence, il est vrai, dans la définition précise de cette bonne foi nécessaire au salut, et les avis autorisés sont divergens en ces matières. Mais, s’il est des cœurs dans lesquels on soit assuré de rencontrer tout à fait intacte la candeur de la conviction, ce sont assurément ceux des païens à qui l’Evangile ne fut jamais prêché, et qui en ignorent jusqu’à l’existence. — On ne saurait donc condamner l’étonnement d’une âme tendre devant un décret de proscription impitoyable et absolue. Nous l’avons dit, cette race a eu pitié même du mauvais larron, ainsi que les Bretons pardonnent à Judas : dans son sein, des protestations naîtront toujours contre les condamnations sans appel, et nous en retrouverons bientôt d’analogues au sujet des châtimens éternels. — Ce ne fut pas là l’unique velléité d’indépendance du jeune paysan. Il nous a dit encore à quel point le frappa la lecture de Nathan le Sage, innocemment prêté par un jeune séminariste, son compatriote d’Alpel[4] ; il a conté ses projets chimériques, tandis qu’il projetait de fonder une religion nouvelle, en collaboration avec le charbonnier Hansel[5], esprit de même nature que le sien, et que les deux camarades s’arrêtaient seulement devant la crainte de perdre la foi de leur enfance sans trouver grand’chose de bon à lui substituer. — Aussi Rosegger quitta-t-il malgré tout son village encore pénétré d’un parfum de mysticisme gracieux, et demeuré profondément chrétien de sentimens, quelles que fussent les vagues inquiétudes de sa raison juvénile[6]. Il accepta même du fond du cœur les avis paternels que son pasteur lui donna pour viatique sur le chemin de la grande ville aux attraits périlleux.

A l’en croire, ce fut encore l’intolérance qui rendit la parole au démon de la contradiction dans son cœur. Ses premiers écrits trahissaient-ils déjà quelque indiscipline dogmatique ? Devint-il suspect au parti catholique comme pupille de tuteurs libéraux, qu’il n’avait pas choisis pourtant, mais acceptés tels que le destin les lui offrait par une faveur inespérée ? Toujours est-il que ses débuts littéraires furent persiflés et raillés dans les feuilles religieuses ; qu’on l’y nomma « tailleur en rupture de banc » et « culotte de cuir ; » en un mot, que l’amour-propre du jeune homme se cabra sous des piqûres réitérées. Il n’a pas hésité à le reconnaître depuis : ces révoltes étaient puériles ; mais était-il autre chose en effet qu’un enfant irritable, dont l’inexpérience n’avait pas de bornes ? Il rendit donc raillerie pour raillerie, et ce malentendu regrettable fit pour longtemps un épouvantail, aux yeux du parti catholique, d’un écrivain religieux d’instinct, et même catholique, lui aussi, de sentiment et de désir ; malentendu que le temps atténue, qui disparaîtra peut-être entièrement quelque jour, s’il est permis de prévoir l’avenir, mais que d’autres griefs allaient tout d’abord aigrir et envenimer de part et d’autre.

En effet, après ces polémiques fâcheuses, Rosegger demeura durant de longues années ulcéré, incertain de sa voie, en lutte avec ses propres préférences, mécontent de lui-même, et par suite dépourvu d’indulgence pour les faiblesses d’autrui. Etrange attitude que celle qui fut imposée à cette âme mystique par les circonstances politiques ambiantes, et, — ajoutons-le, — par un défaut personnel de tolérance et de largeur de vues, au moins égal à celui de ses adversaires. Nous verrons plus tard qu’il ne s’est pas fait faute d’avouer lui-même ses erreurs de tactique et ses excès de parole. Il s’est conduit souvent vis-à-vis de l’Eglise de ses pères en enfant boudeur, partagé entre l’affection et le dépit, ne sachant auquel de ces deux sentimens obéir, et tantôt familier et caressant, tantôt blessant et maussade. C’est ainsi que, sans attaquer précisément le dogme en son essence, il a dirigé ses observations grondeuses sur la pratique de l’Eglise, et mérité souvent sans conteste les reproches et les anathèmes qui peut-être lui avaient été tout d’abord prématurément adressés. Signalons quelques-unes de ces objections, plutôt sentimentales que rationnelles, auxquelles il revient volontiers, et qui tiennent une si grande place en son œuvre.

Voici d’abord la question des châtimens éternels de l’enfer ; sans nier directement cet enseignement de sa foi, combien fréquemment il en a discuté l’usage et blâmé la prédication ! Comme nous avons eu l’occasion de l’indiquer déjà, nous touchons probablement ici au caractère fondamental de la race celto-germa-nique, trop tendre pour accepter facilement l’idée d’une punition terrible et sans appel. Que des puritains fanatiques comme un Carlyle, des Espagnols sombres et énergiques comme un Calderon, usent volontiers des menaces de la géhenne, cela est une conséquence de leur tempérament ; durs aux autres comme à eux-mêmes, leurs nerfs supportent sans peine l’image des tourmens d’autrui. Mais voyez sur ce point les sentimens de la douce et molle Mme de Warens, née comme Rosegger sur les pentes alpestres : « Ce qu’il y avait de bizarre, dit, à son sujet, l’auteur des Confessions, c’est que, sans croire à l’enfer, elle ne laissait pas de croire au purgatoire. Cela venait de ce qu’elle ne savait que faire des âmes des méchans, ne pouvant les damner, ni les mettre avec les bons jusqu’à ce qu’ils le fussent devenus. » — Et, rappelant le souvenir d’un poète breton du milieu du siècle, un fin critique[7] soulignait récemment cette aversion pour l’éternité des peines, née, dans le cénacle qui entourait Alfred de Vigny, d’une trop vive sympathie pour son Eloa. — Rosegger assure que des sentimens analogues se développèrent prématurément dans son cœur. Tout enfant, alors que ses talens de lecteur étaient déjà renommés dans Alpel, on venait souvent le chercher afin de consoler les agonisans par l’audition de quelque exhortation pieuse. Le petit Pierre emportait alors le seul ouvrage d’édification que possédât la maison paternelle : Description de la vie de Jésus-Christ, de sa mère Marie et de nombreux saints de Dieu. Un trésor spirituel, par le P. Cochem. — « Seulement, dit-il, le Père Cochem n’a pas écrit grand’chose qui puisse servir de consolation à de pauvres créatures souffrantes. Il pense que Dieu est infiniment juste, les gens infiniment méchans, et que les neuf dixièmes de l’humanité courent tout droit vers l’enfer.

Aussi je projetais cette fois, tout en faisant mine de lire dans le livre, de dire à Sepp quelques paroles consolantes sur la misère terrestre, la patience, l’amour de ses frères, et comment, en ces choses, consiste la véritable Imitation de Jésus, qui nous donne en retour, quand l’heure sonnera, un doux assoupissement pour le passage de l’éternité. » En somme, c’est bien cette doctrine que Rosegger a prêchée depuis lors, plus ou moins heureusement, dans son œuvre, recommandant la discrétion dans l’emploi de la menace, et la considération sérieuse des circonstances, avant de recourir au pouvoir de la peur. — D’aucuns pourront penser qu’il est trop doux là où il accuse les autres d’être trop rudes, et qu’il a trop bonne opinion de la nature humaine : affaire de tempérament, encore une fois, et que chacun décidera suivant son caractère.

Notre écrivain trouva malheureusement par la suite un grief plus personnel contre la prédication exagérée de l’enfer. Et nous touchons ici à l’un des points douloureux de sa vie sentimentale, que nous oserions à peine aborder, si lui-même ne l’autorisait par la franchise digne et par la modération vraiment chrétienne avec laquelle il raconte ces incidens délicats[8]. Le pieux Lorenz Rosegger, dont nous avons dit les sentimens religieux, unique aliment de sa vie morale, avait redouté l’action délétère de la vie citadine sur la foi de son fils ; et l’événement semblait lui donner raison. D’autant que, Pierre l’avoue lui-même, il eut au cours de sa tardive évolution intellectuelle, une intransigeance, de néophyte dans l’expression de sa pensée mal assise, et une franchise excessive et brutale dans l’affirmation de ce qu’il appelait ses convictions nouvelles. En sorte que son père ne put ignorer le travail qui se poursuivait en cette âme inquiète. — Mais, déjà suffisamment prédisposé à en mal comprendre la portée et la direction, Lorenz fut encore égaré par des interventions indiscrètes qui ont laissé une profonde blessure dans l’âme du poète : « On persuada, dit-il, à cet esprit naïf, que ses enfans défunts gémissaient dans le feu du purgatoire, et que ce châtiment serait pour eux d’autant plus durable que leurs proches encore vivans se laissaient aller au torrent du monde, ou devenaient même des impies, au lieu d’accomplir de bonnes œuvres pour hâter leur délivrance. » Il est facile de se représenter les conséquences de pareilles insinuations sur une intelligence inculte et impressionnable. L’imagination troublée de Lorenz Rosegger lui fit dès lors entendre durant la nuit les gémissemens des siens, qui se voyaient maintenus dans un lieu de souffrance par les erreurs d’un frère, dont le vieux paysan ne comprenait nettement d’ailleurs ni le sens ni la portée. — Un abîme allait-il se creuser sans retour entre ce père trop rustique et ce fils trop mondain ? Cet abîme fut comblé par l’action apaisante du temps, et aussi, grâce à Dieu, par d’autres conseils plus chrétiens sur lesquels nous aurons à revenir. — Mais l’épisode était fait, n’est-il pas vrai, pour ulcérer plutôt que pour éclairer un amour-propre ombrageux ?

Et, sans doute, nulle âme délicate n’approuvera cette tentative cruelle sur une conscience trop timorée. Pourtant ici, comme en toute question morale, ne faut-il pas distinguer l’excès condamnable de l’action mesurée, et, par conséquent, utile ? car la solidarité catholique entre morts et vivans, dont nous avons parlé à plusieurs reprises, demeure une conception élevée et précieuse au point de vue social. Il est bon de dire que l’éducateur possède une responsabilité, et qu’on doit songer à ses morts dans les décisions de sa vie. Nous avons vu la vieille Stanzel « des pauvres âmes » redresser ainsi les torts, et guider les consciences terrestres par les avertissemens de l’au-delà. Et, certain jour, mettant en scène un homme injustement condamné pour le crime d’un autre, puis délivré par l’aveu qui échappe au vrai coupable sur son lit de mort, Rosegger semble avouer lui-même que la crainte du diable est bonne à quelque chose[9].

Après la prédication de l’enfer, il est un point de discipline ecclésiastique qui a le privilège de susciter réserves et objections de sa part : c’est le célibat des prêtres ; et nous ne connaissons pas cette fois d’excuses personnelles aux incartades que nous signalerons sous sa plume. Il a pourtant présenté sur le tard une tentative d’explication assez embarrassée : irrité par les attaques de la presse religieuse, et sans doute par quelque reproche de sensualité dans son œuvre, il prétendit rappeler à ses adversaires que la chair demeure vivante sous les vêtemens sacerdotaux, et qu’aucun homme n’a le droit de dire : Pour moi, la nature n’existe pas. « Nous avons tous sujet, ajoute-t-il, de nous montrer humbles sur ce point ; à qui voudrait faire l’outrecuidant, je pince volontiers l’oreille, en disant : Souviens-toi que tu es fils d’Adam. » Motif un peu mesquin peut-être, et insuffisant, en tous cas, pour l’enhardir à souligner les défaillances de vertus dont nul ne prétend qu’elles soient faciles et sans combat.

C’est vraisemblablement le côté littéraire assez séduisant de pareils drames passionnels qui les ramène sous la plume de nos contemporains[10] : mais ce sont des sujets scabreux en tous cas, qu’on ne saurait toucher d’une main trop discrète, si l’on veut éviter de scandaliser les simples et de troubler ceux-là mêmes qui n’ont pas trop de leur force morale intacte pour accomplir un vœu tout de générosité et d’audace. Rosegger avait débuté avec une certaine réserve dans cette voie épineuse. Son Vicaire de village, œuvre dramatique avortée devant le succès du Curé de Kirchfeld d’Anzengrueber, et devant les conseils du Dr Svoboda[11], a trouvé place sous forme de nouvelle dans les Péchés villageois (Dorfsuenden), l’un de ses recueils les plus accomplis. Ce récit met en scène un jeune prêtre, l’orgueil d’une mère agenouillée devant la majesté du sacerdoce dont son enfant a reçu l’onction. Une passion irrésistible se glisse cependant dans le cœur de cet infortuné ; il aime une jeune fille, sa compagne d’enfance, qui répond à cet amour sans s’en rendre bien compte : et il trouve des accens pénétrans pour déplorer sa faiblesse : « A mon aide, mère, dit-il, reprends ce que tu m’as donné… Supprime en moi l’homme de chair, afin que je devienne en vérité l’être divin qui te fait si fière. » Et, s’il faiblit, son châtiment est du moins terrible, car il meurt dans un incendie allumé par sa propre main, après avoir causé la fin de sa mère. Rosegger n’a pas gardé toujours une pareille modération[12], et, sans insister sur des pages qu’il regrette probablement lui-même, comme certains indices nous portent à le croire, nous dirons qu’il y a souvent couru risque de faire un tort irréparable à cette bonne foi religieuse des humbles dans laquelle il assure pourtant révérer un inestimable trésor.

Nous l’avons indiqué, notre écrivain fut sans doute engagé dans la campagne de représailles que nous venons d’esquisser par quelque allusion à la sensualité de sa plume. C’est donc ici le lieu d’examiner un reproche qu’on lui a présenté parfois dans sa patrie. A nous autres Français, qui avons le palais singulièrement blasé sur ce genre d’épice, le poète de la Styrie apparait d’ordinaire comme un prodige de réserve et de chasteté. Lisons par exemple le Refuge des Pécheurs, récit de la chute et des souffrances d’une nouvelle Gretchen. La scène de la séduction s’y rencontre au début, mais elle est à ce point voilée qu’un lecteur peu perspicace reconnaîtra seulement vers la conclusion du drame que le prologue charnel en a passé discrètement sous ses yeux. Néanmoins, Rosegger a ses momens de liberté, où il montre le goût non pas du nu classique et païen, comme il le proclame pour s’excuser[13], mais bien du dévêtu, qui en est assez différent, puisqu’il se cache au lieu de s’offrir, et n’est contemplé qu’à la dérobée. Fréquentes sont dans son œuvre les scènes de bain où quelque Actéon de village surprend une Diane rustique, si chaste parfois qu’elle plongera sous les eaux pour y cacher à jamais sa pudeur : ainsi fait l’héroïne du Waldschulmeister, Waldlilie. — Mais on peut voir aussi Diane guetter à l’occasion un moderne Actéon, comme il advient à cette singulière princesse Juliana, en qui Rosegger veut incarner la souveraine selon son cœur. Placée au fond d’une forêt en présence du beau Martin, son hôte, elle contemple un certain soir par une fenêtre sans volets la toilette de nuit de l’homme qu’elle aime déjà ; et les détails de cette scène sont assez précisément développés.

Un des héros de la Lumière éternelle, Rolf, est un véritable Adamite, qui, renouvelant les fantaisies de quelques sectes religieuses du passé, aime à s’étendre sans vêtemens au soleil sur un rocher perdu dans la montagne, ce qui prête à des facéties scabreuses[14]. Tout cela rappelle trop les expériences douteuses que Gœthe rapporte dans son Voyage en Suisse, alors qu’il s’efforçait d’animer les aspects de la nature alpestre par quelques personnages dans le costume des idylles antiques. Encore Gœthe goûtait-il ses reconstitutions archéologiques de façon ouverte, et non pas à la dérobée ainsi que font les héros de Rosegger. Malgré tout, elles étonnent et choquent notre goût moderne : on sent mieux, à y songer, la vérité de ce jugement de Taine, exposant dans une page pittoresque de sa Philosophie de l’Art, qu’indépendamment de toute idée morale, le nu ne saurait être naturel, accepté, artistique sous le climat du Nord comme jadis sous le soleil de l’Attique. Là-bas, l’air sec et lumineux jetait sur la chair comme une sorte de patine de bronze : tandis que, dans les brouillards septentrionaux, la peau trop claire et facilement rougie par le froid appelle pour ainsi dire le vêtement nécessaire à la protéger contre les intempéries.

Après cette digression esthétique, il nous faut revenir aux opinions religieuses de Rosegger, et examiner encore les objections que lui inspire, parmi les institutions pratiques du catholicisme, l’une de celles qui comptent parmi les plus attaquées : la confession. Il en a fait, il faut l’avouer, un singulier usage dans certains de ses écrits. Tantôt[15] il montre un jésuite réduisant un pénitent au désespoir par la rigueur de sa doctrine, et par une interprétation trop littérale des règles canoniques : or, ce n’est certes pas là le reproche adressé d’ordinaire aux enfans de Loyola. Tantôt[16] il prétend, dans un assez maladroit roman-feuilleton, rendre le secret de la confession responsable de la mort d’un innocent : mais il s’y prend si mal que toutes les sympathies vont à la conduite chevaleresque du prêtre qu’il met en scène, et que la discipline de l’Église paraît se confondre exactement avec les lois de l’honneur en cet exemple médiocrement choisi. Plus originale[17], quoique assez malveillante encore, est l’histoire de ce mendiant dévot qui, aussitôt après sa confession mensuelle, va fièrement se placer sur les degrés mêmes de l’autel : puis, au cours du mois, à mesure que sa conscience se charge de fautes nouvelles, descend peu à peu de banc en banc jusqu’au fond du temple, par la connaissance de son indignité grandissante. Il mourut un jour près de l’autel, et, insinue l’auteur, il eût été préférable qu’il expirât au dernier rang, c’est-à-dire à l’apogée de ses sentimens d’humilité chrétienne. — Non pas, répondrons-nous, car l’Eglise n’approuve sans doute sous aucune forme l’orgueil et la vanité ; mais, s’il avait sincèrement le ferme propos qui est expressément requis pour l’efficacité du sacrement, le héros de ce récit était plus parfait, moralement et socialement parlant, après l’absolution qu’avant d’y avoir de nouveau recours.

D’ailleurs, Rosegger a fait lui-même son mea culpa sur le chapitre de la confession dans une charmante anecdote ; et nous1 ne nous refuserons pas le plaisir de la reproduire ici. — C’était lors de ses fiançailles avec la douce enfant qui, venue à Alpel pour y chercher une impression littéraire, en avait rapporté un sentiment plus durable. « Quand le jour du mariage approcha, écrit le héros de ce roman vécu[18], je vis entrer un matin dans ma chambre un prêtre que je connaissais, et que je savais bien disposé à mon égard. Il était venu, dit-il, sans vouloir prendre place sur le siège que j’avançais, comme un pasteur à la recherche de son agneau égaré. A la vérité, il désespérait presque du succès de sa mission, car il savait combien vivement la presse catholique avait attaqué mes écrits. Que cette presse ait eu tort ou raison, ce n’était pas pour l’instant la question : mais l’Eglise et ma propre conscience n’avaient pas mérité en tous cas de payer pour ces feuilles trop zélées. Je n’ignorais pas sans doute, poursuivit le prêtre, que les sacremens de la Pénitence et de l’Eucharistie étaient utiles à la préparation de celui du mariage : or, il se disait tout prêt à m’épargner la course à l’église, où je pouvais craindre les observateurs malveillans, et à écouter ma confession dans ma propre chambre, ayant apporté à cet effet son étole. De grandes formalités n’y seraient pas nécessaires ; il suffisait de nous asseoir côte à côte, tandis que je lui ferais, comme à un ami, mes confidences. Puisque le jeune homme sur le point de s’engager dans les liens du mariage, dit adieu à son existence passée, il lui convient d’effacer les taches, qui, trop souvent, demeurent sur une vie de garçon. Le fiancé peut alors approcher sa fiancée d’une conscience plus légère, et l’union ainsi commencée sous l’œil de Dieu sera bénie par lui. — Telles furent à peu près ses paroles. Touché d’une semblable cordialité, je lui dis être très volontiers disposé à me confesser : mais j’ajoutai que je ne me croirais pas véritablement délivré du poids de mes péchés avant de les avoir avoués à ma femme, et reçu d’elle son absolution. Le visage du prêtre devint grave : il me fit encore quelques questions indifférentes, et se retira sans qu’il eût été de nouveau question de confession entre nous. Cela me fit une vraie peine qu’il eût pris mes paroles pour une marque de mésestime envers le sacrement. »

Ce malentendu est profondément caractéristique des dispositions religieuses de Pierre Rosegger : d’une part, justice rendue par lui à l’élévation d’âme des pasteurs dignes de ce nom, respect conservé au fond du cœur pour la religion de son enfance, et pour ses usages séculaires. Mais, d’autre part, révolte intérieure de l’amour-propre ombrageux, tendance à substituer le sens humain des rites à leur caractère surnaturel : surtout véritable défaut de critique, qui lui fait préférer les flottantes suggestions de sa raison incertaine aux conclusions qui sont les fruits d’une aussi longue pratique morale que celle de l’Eglise. Tel est l’aveu qui sous sa propre plume va former le corollaire de cette précieuse confidence. La scène se passe à présent une année environ après le mariage accompli : « Au cours d’une de ces soirées heureuses, je fis ce que j’aurais dû faire avant notre union. Je confessai mes fautes à ma femme. Anna m’écouta très attentivement, puis passa dans la pièce voisine. Lorsque, ne la voyant pas reparaître, je me décidai à l’y suivre, je la trouvai blottie près d’un meuble, devant le portrait de sa mère, et pleurant si fort que toute sa personne en était secouée. J’ai vu là qu’il vaut encore mieux se confesser au prêtre qu’à la femme aimée. Il est vrai qu’elle me donna bientôt un long et tendre baiser : j’étais donc absous, mais, pour pénitence, j’eus la conviction qu’elle portait de ce jour en son cœur un chagrin que nous autres hommes ne sommes pas capables de mesurer. »

Et, sans doute, ce serait à la fois une insinuation odieuse au point de vue humain, et une supposition peu respectueuse pour la miséricorde divine que d’établir le moindre rapprochement entre cet incident et les épreuves dont un avenir prochain allait accabler ce jeune époux. Mais, lui-même, dans l’exaltation de sa douleur, ne songea-t-il pas quelque jour aux paroles du prêtre délicat et digne qui l’avait visité jadis ? La sincérité émue de son récit semble le laisser entendre.


X

Après avoir exposé ses objections principales à la discipline catholique, et en quelque sorte l’aspect négatif de sa pensée religieuse, il nous faut en reproduire de notre mieux le côté positif, avant d’indiquer l’évolution qui, depuis dix années, paraît le rapprocher de son point de départ et de la foi de son enfance. Bien qu’il soit assez difficile de préciser les détails de sa profession de foi, Rosegger semblait aboutir, vers le milieu de sa carrière, à une sorte de christianisme mystique et humanitaire, qui, par affinité de race peut-être, fait songer à certains traits de la pensée de Renan[19]. C’est une tendance à marier aux harmonies de la nature les cérémonies du culte, comme il l’indique dans l’aventure de ce jeune prêtre qui, perdu dans la montagne au cours d’une nuit d’orage, découvre, après une suite d’émotions puissantes, la religion de la souffrance humaine et le langage muet de la création, en sorte qu’il dit au matin sa messe sur la pierre nue des sommets, et résume par ces mots sa morale élargie : « Tu dois contempler Dieu dans ses œuvres et faire du bien à ton prochain[20]. »

Ailleurs[21]le poète nous montre une mère qui, en l’absence d’un prêtre qualifié pour bénir les restes de son fils expiré, place le corps tout près d’une claire cascade de la montagne, « espérant que le souffle béni de Dieu réside dans chaque goutte de ses eaux. » — Puis nous assistons à des demi-miracles, créés par quelque coïncidence sentimentale, mais dont l’explication est toute rationnelle[22]. Nous entendons opposer sans cesse l’Evangile au catéchisme ; nous voyons les autorités ecclésiastiques adjurées d’insister, dans l’éducation populaire, davantage sur le livre divin, et moins strictement sur le résumé doctrinal[23]. Nous constatons des velléités iconoclastes qui se trahissent fréquemment dans l’œuvre de Rosegger, les images de sainteté ayant le privilège de blesser à la fois son sens esthétique, et ses susceptibilités morales. Et, certes, il serait permis de faire des réserves sur l’ornementation des églises de la haute Allemagne, qui empruntent à l’Italie quelque chose de son goût pour les oripeaux criards. Mais, après tout, l’adoration ou la vénération des fidèles ne doivent pas, s’ils sont bien instruits, s’adresser à l’image matérielle, et l’on peut combattre la superstition et le matérialisme dans le sein de la religion chrétienne, sans édicter des prescriptions aussi radicales que celle de Mahomet[24]. — Comme d’ordinaire, Rosegger s’est d’ailleurs contredit lui-même à plusieurs reprises sur ce point. Il nous rapporte, par exemple, avec une véritable émotion les tendres effusions de son père, lors du premier pèlerinage, où, tout enfant, il accompagna le bon Lorenz sur le chemin de Maria-Zell. « Nous nous agenouillâmes devant l’image de la Vierge sur le chemin, nous récitâmes un Pater noster, pour demander aide et protection durant notre voyage. — Je me sens tout remué, dit soudain mon père en levant vers l’image un œil humide de larmes, vois donc, elle nous regarde avec tant d’amitié ! — Il embrassa le piédestal, je l’imitai, et nous poursuivîmes notre route[25]. » Or, bien loin de renier ces attendrissemens du passé, notre auteur a fréquemment affirmé son désir de conserver à des vies rudes et sans joies la source de si douces effusions. Et, sur la couverture verte de l’édition brochée de ses œuvres complètes, l’on voit, protestation muette de l’âme montagnarde contre les caprices de son interprète, ses propres initiales P. K. se dresser entre une madone isolée dans la forêt et la silhouette d’une église lointaine. — Nous reviendrons d’ailleurs sur sa dévotion personnelle aux figures de la Vierge.

Quels seraient cependant, à l’en croire, les véritables prêtres des temples sans images qu’il rêve en ses heures d’inquiétude morale ? — Il ne nous a pas donné de conclusions nettes sur ce sujet. Dans le Maître d’école forestier, trois personnages se partagent les fonctions du culte au sein de la commune nouvelle : le maître d’école lui-même qui est une sorte d’apôtre laïque : l’Einspaennig, sobriquet d’un véritable prêtre que les scrupules de sa conscience et certains démêlés avec ses supérieurs ont engagé à se réfugier dans la solitude alpestre où se déroule l’action ; enfin le Reim-Rueppel, ce poète populaire aux naïfs discours, émaillés d’assonances puériles et d’images gracieuses, qui prête sa voix aux sentimens des fidèles, durant les cérémonies d’un culte sans règles précises[26].

Ouvrons maintenant la Lumière éternelle ; malgré la présence d’un curé canonique, dans la vallée de Thorwald, nous trouverons plus nombreux encore les candidats au sacerdoce naturels interprètes de l’idée religieuse élargie. Et qui donc a véritablement en ce lieu le droit de marcher, portant entre ses mains la lampe du sanctuaire, le symbole de la foi ? Telle est la question que se pose le pasteur de Thorwald lui-même dans les hallucinations de ses derniers jours. — Serait-ce le sacristain Karl, un athée correct et froid, qui professe que les ministres du culte doivent être incrédules afin de n’être pas écrasés, en présence de Dieu, par le respect, par la terreur de leur responsabilité, par la honte de paraître trafiquer des choses saintes ? — Serait-ce plutôt le juif converti Joseph, philanthrope éclairé, qui prétend faire refleurir dans les vallées alpestres, ravagées par l’industrie moderne, l’âge d’or de l’agriculture et des vieilles mœurs ? Serait-ce encore le socialiste Lucien, qui par la force, veut ramener le peuple à un idéal voisin de celui de la primitive Eglise ? Non, c’est l’anabaptiste Rolf, dont nous avons dit les fantaisies adamites, sorte de doux fanatique qui se refuse au service militaire, parce que le but en est la destruction de la vie, et au mariage, parce qu’il perpétue le mal de la vie. Le curé de Thorwald, l’esprit égaré, il est vrai, par la décadence morale de sa paroisse, montera vers Rolf avant de rendre le dernier soupir, comme pour remettre entre ces mains, peu dignes en somme, le dépôt de la Lumière éternelle. — Celui-là sera donc le prêtre du temps présent, à la mode sans doute du comte Tolstoï, dont l’idéal semblerait faire des prosélytes sur les sommets de la Styrie, si là, comme dans la Russie lentement modernisée, l’action délétère des mêmes innovations économiques ne suffisait à expliquer les mêmes projets d’une chimérique réforme.

Tout cela ramène notre pensée à la profession de foi du Vicaire savoyard, et il est impossible de n’être pas frappé par les analogies qui unissent, à travers un siècle d’évolution historique, Rosegger, le fils des paysans styriens, à Rousseau, l’enfant, des artisans de Genève. Nous avons dit la similitude de leurs conceptions politiques[27] : leurs tendances morales et religieuses ne présentent pas moins un air de parenté évidente, comme si, en un milieu ethnique certainement analogue, l’âme populaire, que les leçons de l’histoire ne changent guère, faisait refleurir, dans un renouveau séculaire, les mêmes rêves, les mêmes illusions, les mêmes postulats. Rousseau n’est-il pas d’ailleurs le prototype de l’esprit moderne, l’homme dont on rencontre sans cesse autour de soi l’influence ou la ressemblance ? — Arrêtons-nous donc un moment à tracer un parallèle qui, peut-être, ne sera pas sans fruits pour la connaissance de Rosegger. Si ce dernier est un admirateur des Confessions, c’est qu’il y contemple comme un reflet de sa propre personnalité ; reflet terni cependant, et nous tenons à le proclamer tout d’abord, car il n’entre pas dans notre pensée d’infliger au gracieux poète l’injure d’une identification avec Jean-Jacques. Une divergence fondamentale aiguilla différemment leurs destinées morales. Rousseau ne connut pas sa mère ; son père fut peu attentif à ses devoirs ; son éducateur dans l’âge décisif se montra brutal et antipathique à sa nature. Rosegger, au contraire, a connu des parens admirables et pénétrés du sentiment de leur responsabilité familiale, puis un maître honnête et bienveillant qui continua leur œuvre et lui permit de garder intact le trésor le plus précieux, le sentiment de sa dignité morale, que l’apprenti du graveur Ducommun avait laissé de bonne heure dans les ruisseaux de sa ville natale.

Cette réserve faite, remarquons que, déjà dans leurs souvenirs d’enfance, on constate avec étonnement des confidences presque parallèles. Tandis que les aînés de son atelier poussent l’apprenti genevois à voler à leur profit des légumes, un valet déshonnête prétend utiliser de même la faiblesse présumée du caractère du jeune Pierre, et lui faire piller pour son compte le tronc d’une chapelle isolée dans les bois[28]. On a lu chez Rousseau le récit du mensonge effronté qui fit chasser honteusement de sa place une fille de service honnête et sans reproches. Le jeune vaurien osa accuser en face cette infortunée d’une polissonnerie dont il était l’auteur, le vol d’un ruban « couleur de rose et argent, » et il soutint son imposture d’un front qui l’étonna lui-même. « Action atroce, » dit-il en propres termes, dont le poids demeura sur sa conscience ulcérée, et qu’il n’avoua qu’en gros à Mme de Warens, réservant la primeur des détails aux lecteurs de ses Confessions. Or, Rosegger nous conte[29] une anecdote singulièrement analogue au moins jusque vers la conclusion. Ayant caché par simple gaminerie, assure-t-il, un objet de valeur appartenant à un serviteur de son père, le grand Toni, il vit accuser du vol supposé un jeune valet de ferme, son camarade de jeux : il le vit maltraiter et chasser sous ses yeux, sans trouver tout d’abord en son cœur le courage de l’aveu. Quoi ! lui, l’enfant sage par excellence, le petit savant en matière théologique, déjà fort considéré dans son cercle restreint, il lui faudrait, pour une étourderie, perdre cette auréole si douce à son front et déchoir profondément dans l’estime publique ! Voyez cependant ici le contraste entre les résultats de deux éducations différentes. Le second coupable, — qui l’était pourtant moins que le premier, car il n’avait été que le spectateur muet et non l’instigateur de l’injustice commise, — se sentit touché de la grâce au cours de la prière du soir, toujours faite en commun chez son père. « Tandis qu’ils répétaient sans cesse le Pater et l’Ave Maria, je me pris à les accompagner en murmurant sans interruption : « Cher Toni, pardonne-moi ma faute, c’est moi qui ai volé ton argent ! » Soit que Toni eût très sommeil, ou que, durant le rosaire, il pensât avec joie à son trésor déjà restitué par le larron, un certain temps s’écoula avant qu’il eût remarqué le texte singulier de mon oraison de ce soir-là. Enfin, il commença d’agiter la peau de son front et le lobe de ses oreilles, tourna lentement vers moi un visage terrifié, et cria soudain qu’il fallait faire silence pour laisser le petit continuer seul sa prière. Tandis que tous, stupéfaits de cette interruption insolite, se taisaient en effet, je me cachai en pleurant dans le coin sombre, et gémis tout haut : C’est moi qui ai volé l’argent ! Le rosaire fut terminé pour ce jour-là, les événemens se pressèrent rapides et énergiques vers un dénouement un peu rude, mais qui me fut en somme adouci par la pensée, que, de ce moment, l’honneur d’Hiasel était sauf. » Quel plus grand triomphe du sentiment de la responsabilité morale, et des prescriptions de l’honneur ?

Est-ce illusion cette fois, et trouvera-t-on le rapprochement forcé ? Nous avons cru rencontrer une impression du début des Confessions dans la sensibilité bizarre que révèle un des récits de Waldheimat, intitulé : Pour un mot du père. Le petit Pierre, rarement querellé par son père, éprouve de ces gronderies exceptionnelles un étrange sentiment de bien-être. Cette énigme s’explique pourtant un jour à ses yeux : il reconnaît en effet que ces réprimandes lui donnent seules une preuve sensible de l’affection et de l’intérêt que lui porte au fond du cœur un éducateur aimant, mais taciturne, et dont le caractère peu expansif ne trouve pas d’autre occasion de contact direct avec son fils que le reproche. On sait que Rousseau a éprouvé enfant, a porté jusque dans la suite de sa vie sentimentale, une sorte de volupté sous le châtiment quand il vient de qui l’on aime ; et une spirituelle essayiste lui reprochait récemment en Allemagne d’avoir inauguré, dans la littérature moderne, la « position agenouillée devant la femme[30]. » Ajoutons sans retard qu’en Rousseau, il se mêle à cette rare impression psychique un élément sensuel malsain qu’on ne remarque certes pas en Rosegger. Mais l’état d’âme a néanmoins quelque analogie, n’est-il pas vrai ? Et, en étendant un peu la portée de cette sensation obscure et raffinée, ne pourrait-on dire que le poète styrien semble parfois ne pécher contre l’Église sa mère que pour sentir plus profondément sous la tristesse de ses regards et l’amertume de ses reproches le lien de tendresse indissoluble qui l’unit malgré tout à la confession de son enfance ?

Bien d’autres rapprochemens se présentent encore entre les deux penseurs qui nous occupent. C’est la timidité de leur caractère renfermé, qui redoute par instinct la blessure de contacts brutaux : « Dans le calme, dit Rousseau, la crainte et la honte me subjuguent à tel point que je voudrais m’éclipser aux yeux de tous les mortels. S’il faut agir, je ne sais que faire ; s’il faut parler, je ne sais que dire : si l’on me regarde, je suis décontenancé. » Combien de fois Rosegger n’a-t-il pas fait des aveux analogues ? C’est encore, coïncidence plus particulière, ce pressentiment d’une mort prochaine qui pesa de part et d’autre sur leur délicate adolescence. On sait l’ « accident » de Jean-Jacques aux Charmettes, cette crise violente en toute sa personne, qui fut suivie d’une sorte d’abandon résigné aux soins de sa « maman, » et d’une attente quotidienne de la mort. Rosegger a écrit de son côté[31] : « Dès mon enfance, j’ai été dirigé, ou plutôt égaré par une idée bizarre. J’avais, en tout temps, la conviction que ma vie serait courte, et que, par suite, inutile était tout effort vers une condition meilleure. J’ai donc vécu constamment alors dans une sorte d’indifférence rêveuse, attendant avec résignation le trépas à chaque année nouvelle, ou même durant toute indisposition passagère[32]. »

Dirons-nous cette avidité de lecture, également frappante chez les deux enfans ; l’un consacrant ses quelques deniers à l’achat de calendriers populaires, l’autre portant chaque dimanche ses trois sous d’étrennes chez la loueuse de livres la Tribu ? Ils furent presque au même titre des autodidactes qui durent réparer de leur mieux, après leur vingtième année, les insuffisances de leur culture première. Et il semble que Rousseau ne se sentit pas moins gêné que son émule par la méthode « extravagante » de travail qu’il crut devoir adopter dans son inexpérience. « J’y perdis un temps infini, dit-il, et faillis me brouiller la tête au point de ne pouvoir plus ni rien voir, ni rien savoir. » Malgré tout, le jeune Genevois avait été initié plus tôt à l’instruction classique, en dépit de fréquentes interruptions dans ses études, et, l’hérédité citadine y aidant peut-être, il parvint à une culture générale plus approfondie que celle de Rosegger. Il n’en garda pas moins des préjugés semblables sur la civilisation des villes, et écrivit, lui aussi, des Lettres de la montagne qu’on pourrait rapprocher des Bergpredigten dont nous avons parlé.

Enfin, si nous passons sur le terrain religieux, on remarque facilement, par quelque familiarité avec ses personnages, que Rosegger ne place guère autre chose dans la bouche de ses prêtres indépendans que la profession de foi du Vicaire savoyard[33]. Même on se souvient alors que ce personnage imaginaire est né, de l’aveu de Rousseau, par la fusion de deux hommes qu’il avait connus, M. Gaime, et M. Gatier, ecclésiastiques alpins dont les Confessions nous apprennent, pour le second, qu’il fut infidèle à son vœu de chasteté. Toutes circonstances qui font songer aux héros que Rosegger se choisit avec prédilection en ses heures troublées.

Il est certain en outre que Rousseau, converti au catholicisme par intérêt, et retourné sur le tard à la foi protestante, avait pourtant, lui aussi dans l’esprit des dispositions catholiques. La douceur véritablement apostolique d’un saint prélat, Mgr de Bernex, le protecteur de Mme de Warens, avait agi sur son âme. Fréron put même publier malignement, beaucoup plus tard, un certificat signé par l’auteur de l’Emile, et attestant qu’il avait été témoin d’un miracle. Au cours d’un incendie, le vent menaçant avait subitement changé de direction sous ses yeux, pendant les prières de l’évêque de Genève Remarquons, pour expliquer ces dispositions ; que Mme de Warens, dont l’influence fut si grande sur la sensée de son hôte, avait été rapprochée déjà du catholicisme par ses fréquentations piétistes[34] et en avait plus tard accepté sincèrement les doctrines, bien qu’elle portât dans sa profession de foi nouvelle des dispositions particulières, fruits de son éducation protestante. « Fidèle à la religion qu’elle avait embrassée, dit Rousseau, elle en admettait sincèrement toute la profession de foi ; mais quand on en venait à la discussion de chaque article, il se trouvait qu’elle croyait tout autrement que l’Eglise, toujours en s’y soumettant… Je suis bonne catholique, disait-elle, je veux l’être toujours, j’adopte de toutes les puissances de mon âme les décisions de la Sainte Mère l’Eglise. Je ne suis pas maîtresse de ma foi ; je le suis de ma volonté. Je la soumets sans réserves, et je veux tout croire. Que demandez-vous de plus ? » Elle sut, ajoute M. Ritter, se montrer à la hauteur d’un rôle qui demandait une âme religieusement cultivée, quand elle fut appelée à consoler le jeune Rousseau, malade se croyant condamné, et quand elle dut lui servir de compagne dans la recherche inquiète de la foi sur laquelle il voulait s’appuyer. Or, quand on a pratiqué Rosegger, on sent qu’il eût accepté volontiers la direction d’un pareil Mentor.

Car il n’a pas laissé de subir, lui aussi, une influence étrangère, masculine, il est vrai, et par là moins insinuante peut-être, mais à laquelle il a cependant obéi avec fidélité. Nous voulons parler d’un homme bien différent de lui par sa tournure d’esprit, sinon par son origine, également populaire, l’écrivain célèbre en Autriche : Robert Hamerling. Ce poète, d’un cœur généreux, mais d’un talent moins spontané que celui de Rosegger, avait grandi dans les illusions humanitaires du milieu de son siècle, et garda toujours les convictions de cette génération aventureuse. Ayant protégé cordialement les débuts littéraires de son jeune compatriote, il demeura son ami, et par le prestige de sa culture supérieure inspira toute sa vie an poète styrien une sorte de respect et de culte superstitieux, qui influa certainement sur l’attitude religieuse et politique de ce disciple volontaire. Ce fut seulement après la mort d’Hamerling, survenue en 1889, que Rosegger s’épanouit sans entraves et osa enfin se montrer lui-même dans l’expression de ses doctrines morales ; car dans la voie littéraire. Nous l’avons dit, il avait rencontré beaucoup plus tôt, l’originalité. Il nous reste à étudier cette dernière évolution de sa pensée philosophique.


XI

Lorsque, en 1885, à l’occasion du vingtième anniversaire de leur belle et durable amitié, le Dr Svoboda consacrait une notice biographique[35] à son protégé de jadis, devenu son supérieur dans l’ordre de la renommée littéraire, ce publiciste, évidemment acquis au monisme contemporain des sciences de la nature, constatait déjà qu’il n’avait jamais pu amener Rosegger à partager ses convictions : « En 1876, dit-il, il m’avoua que la pénétration des secrets de la nature donne peut-être la vérité, mais que c’est là une vilaine vérité, avec qui le vrai poète ne saurait frayer. A son avis, l’esprit des sciences naturelles ne doit pas pénétrer dans le peuple ; il remplit le monde d’égoïsme, et ne laisse aucune action au prêtre, au poète, ou autres idéalistes. Oui, le poète a plus d’idées communes avec le prêtre qu’avec le matérialiste… Le matérialisme rend malheureux et mécontent… Que d’autres courtisent la raison, il entend, pour lui, rester fidèle au sentiment. »

En effet, à côté des écarts de polémique que nous avons signalés, courait sans cesse, dans les écrits de Rosegger, une veine de religion poétique et de piété délicate. Revenons, par exemple, aux silhouettes de prêtres qu’il a tracées en si grand nombre. Nous n’avons guère indiqué jusqu’à présent que les plus troubles parmi ces figures ; mais il en a peint d’admirables et de rayonnantes. On est même frappé de l’impartialité, de la complaisance évidente, qui, malgré ses griefs personnels, lui fait représenter sans cesse les ministres du culte comme les amis des lumières et de la tolérance. C’est là l’attitude de ce prêtre qui, voyant un de ses jeunes paroissiens considéré comme sorcier parce qu’un peigne d’ébonite, passé dans ses longs cheveux noirs, a donné quelques étincelles, explique doucement aux exaltés du village le phénomène physique dont ils ont été les témoins[36]. — Ailleurs[37], tandis qu’un autre groupe d’affolés de sorcellerie se dispose à brûler sans procès deux infortunés, victimes d’une méprise également ridicule, ces brutes déchaînées chuchotent entre elles : « Surtout, n’appelez pas Je curé ; il ne croit à rien d’autre que ce qu’il voit dans son catéchisme ou son évangile, et nomme tout le reste superstition. » — Ici[38], en présence d’une hallucination fréquente chez ces imaginations actives, celle d’un forgeron, qui croit entendre pleurer dans le foyer de sa forge les âmes du purgatoire, c’est encore le curé qui cherche à écarter de lui ces rêveries dangereuses. — Là[39], alors qu’une servante accuse, comme nous l’avons dit, le jeune Rosegger de relations avec Satan pour ses premiers essais littéraires, il place dans la bouche du curé de Saint-Kathrein une plaisanterie un peu libre peut-être, mais née à tout le moins d’un sentiment généreux. En effet, la vieille allant jusqu’à faire allusion à un bûcher prochainement nécessaire : « Depuis la construction des chemins de fer, le bois est devenu trop cher, dit le brave homme. — Tiens ! reprend aigrement la harpie, et pourtant, en enfer, on chauffe pendant toute l’éternité. — Possible qu’ils y brûlent de la houille, » conclut le curé en haussant les épaules.

Citons encore ce bon pasteur[40] qui va placer de sa main une petite croix sur la tombe d’un suicidé enseveli hors du champ consacré, et murmure une prière pour le pauvre pécheur, tandis que, par contraste, ses paroissiens bornés se livrent aux plus grandes absurdités afin de retirer à l’infortuné le bénéfice des honneurs funèbres qui lui ont d’abord été rendus par erreur et dans l’ignorance de son crime. Excellent thème à plaisanteries villageoises : ils imagineront, par exemple, de sonner la cloche avec le battant accroché à l’envers, pour révoquer le glas pieux, et de recommencer le festin des funérailles, le des tourné à la table, afin d’effacer la trace du précédent repas d’honneur.

C’est un prélat, qui tient à Philippe le Haïsseur, cette incarnation de la violence confessionnelle, le discours suivant : « Mon cher ami, votre zèle pour l’honneur de l’Eglise chrétienne est fort louable ; mais, avant toutes choses, il serait nécessaire que vous devinssiez vous-même un chrétien. Pas de protestation, mon enfant ! Vous êtes possédé de l’infernal démon de la haine, et le Christ Notre-Seigneur a dit : Aimez-vous les uns les autres, aimez aussi vos ennemis. C’est même par-là que notre religion se distingue de celle des païens et des Juifs, par ce fait qu’elle est amour, et pur amour. Par là, la religion chrétienne est divine ; par-là, elle change en nos mains la pierre en pain, le pain dans le corps du Seigneur. Parce qu’elle est pur amour et réclame de chacun l’amour, elle fait de l’homme bestial un enfant de Dieu, aux pensées hautes, au cœur dégagé d’égoïsme et préparé pour le sacrifice. La race humaine a vécu des milliers d’années avant le Christ ; des religions sans nombre ont surgi et passé. La loi de l’égoïsme, de la haine, de la vengeance, d’un inutile ascétisme régnait sans partage. Alors vint notre Christ céleste, apportant l’amour ; et c’est pourquoi nulle religion n’a élevé l’homme aussi haut que la chrétienne. La douceur, la bienveillance, la paix, la joie, et le bonheur terrestre dans sa forme pure, toute la perfection humaine qui trouve son expression dans les meilleurs du temps présent, tout cela est l’œuvre du christianisme. Le Christ hait le vice et la bassesse ; mais l’homme, en lui-même, quel qu’il soit, il ne le hait jamais. »

Et voyons encore avec quel tact admirable Rosegger fait parler, au début de la Lumière éternelle, un autre prélat, dont le devoir est d’avertir, d’éclairer un prêtre façonné précisément sur le modèle de ceux que notre poète peint avec complaisance, c’est-à-dire doué d’un cœur chaud, de sentimens humanitaires, et d’aspirations réformatrices. Ce dernier ecclésiastique est un vicaire de la ville épiscopale, qui écrit dans les gazettes, y traitant de la réforme du célibat ecclésiastique, ou de la prédominance dans l’instruction religieuse de l’Evangile sur le catéchisme ; et ce sont là des idées dont nous connaissons déjà un partisan.

L’abbé Wieser se voit alors nommer soudain curé d’une paroisse montagnarde et, mandé par l’évêque, il est reçu avec une bonté toute paternelle : « Ne prenez pas votre transfert pour une disgrâce, lui dit le prélat, car ce n’est pas cela. Vous voilà maintenant curé, homme libre. Par cette nomination, j’ai voulu vous donner l’occasion d’appliquer pratiquement dans un village isolé quelques-unes au moins des idées que vous avez énoncées théoriquement, à titre de publiciste. Je ne vous défends pas d’écrire davantage sur vos plans de réforme, mais je crois que vous y renoncerez de vous-même. Sept cents âmes sont maintenant confiées à votre responsabilités Que le Dieu fidèle vous fortifie et vous protège ! Adieu, Wieser. » Est-il possible de mieux dire, de faire parler plus dignement le langage de la discipline nécessaire dans un corps tel que l’Église, uni à celui de la mansuétude chrétienne, et, ajouterons-nous, de se réfuter plus nettement soi-même, si le fait que Rosegger n’est pas dans les ordres ne modifie guère la portée et le retentissement de ses objections ?

Mais peut-être, c’est là du moins notre sentiment personnel, ses plus belles figures de prêtres ont-elles été tracées par lui dans cette nouvelle dont nous avons dit le début, tragique, la Mère des fleurs. La pauvre folle, qui a tué ses enfans par scrupule religieux, en a laissé un vivant contre sa volonté. Le curé du village, silhouette exquise de naïve bonté, recueille et fait instruire le petit abandonné, qui devient un prêtre à son tour, et, retrouvant sa mère coupable au moment où elle est sur le point d’aller rendre ses comptes à Dieu, lui ouvre enfin les yeux sur sa folie. Car, montrant en sa personne le saint qu’est devenu l’un de ces polissons jadis condamnés par elle dans son aberration, il établit clairement aux regards de la mourante cette belle théorie optimiste que les desseins de la Providence sont impénétrables, et que nul ne doit se faire l’instrument de la justice de Dieu. Telle est la morale de ce tragique, hasardeux, et pourtant si noble récit.

Outre la haute estime toujours conservée par lui au prêtre digne de ce nom, il est un lien sentimental qui a maintenu une union secrète entre l’écrivain tourmenté de scrupules rationalistes et le culte catholique de ses pères. Nous voulons dire un amour filial pour la Vierge mère, dont le clair rayonnement n’a jamais subi d’éclipsé en son cœur ; et dont la chaleur fut renforcée peut-être par cette tendance éminemment celtique, la vénération de la femme. Que de fois Rosegger l’a célébré, « ce doux culte de Marie, parfumé d’un souffle de mai ; âme véritable, salutaire et divine du catholicisme, qui lui assure des millions de fidèles. » Culte bien fait pour ces âmes timides qui n’osent affronter le sévère visage du Christ couronné d’épines, futur juge des vivans et des morts, mais préfèrent trouver asile et paix auprès d’un cœur maternel[41].

Ne croirait-on pas rencontrer un écho de la dévotion tendre et émue que nous avons signalée chez son père dans ces réflexions : « Incommensurable en surface comme en profondeur est la mer de béatitude que la foi en Marie a versée dans le sein de l’humanité catholique… Au moyen de cette foi, l’Église a réparé le mal causé à l’enseignement populaire par un trop faible souci de l’Evangile… Je puis le dire : Elle a été pour moi une seconde mère. Quand je gardais les troupeaux sur le haut pâturage, et que de lourds orages s’élevaient au ciel, je voyais dans les nuages dorés la frange de son manteau. Quand, aux dernières lueurs du soir, je regardais la lune en son éclat, Elle s’y appuyait pour me sourire en disant : « Va, mon enfant, dormir au nom de Dieu[42]… » Et ces litanies passionnées se poursuivent pendant des pages, sous la plume de l’écrivain déjà vieillissant, car ces lignes sont parmi les dernières qu’il ait publiées. — On pourrait lui appliquer ce trait de l’un de ses personnages[43] : « Avec la grâce, la ferveur, et la dévotion d’un Mimnesaenger inspiré de Dieu, il disait aux fidèles la beauté, la virginité, la dignité céleste, la pitié, l’amour de Marie. » Et, dans la plus rationaliste de ses œuvres de jeunesse, le Repos du Dimanche, on rencontre soudain sous la plume de cet iconoclaste un morceau comme celui-ci : « La foi de l’enfant passe comme la rosée. Qu’elle s’éloigne donc ! Mais il est une croyance qui ne me quittera jamais, la foi dans la glorieuse image de la Vierge céleste… Que ton intercession bénie nous puisse sauver du désespoir sur la sombre voie !… Laisse vivre à jamais dans le cœur des hommes ta douce image. »

Enfin, il nous a confié, certain jour[44], l’un de ces cauchemars qui sont le tourment de son organisation nerveuse, un rêve bizarre dans lequel il lui semblait que la lumière eût pour jamais quitté ce monde de tristesses : « Effrayé, je cherchais les consolations de l’art, j’écoutais les accens pénétrans de la musique ; mais toujours, je pensais malgré moi : il fait sombre. Je contemplais les sculptures des Grecs et, malgré tout, je médisais : le soleil nous a abandonnés et je demeure triste jusqu’à la mort. J’errais donc sans répit par les rues désertes des villes et par les solitudes également mornes. Mais voici qu’entre de redoutables entassemens de rochers, j’aperçois une petite chapelle sous le scintillement muet des étoiles. J’entre, et j’y vois, doucement éclairée par deux cierges, une admirable image. C’est la Mère avec l’Enfant, Marie avec le Sauveur dans ses langes. Je contemple ce pur, chaste, céleste visage, et il me semble enfin que doucement, doucement l’aurore commence à poindre. Je me prosterne alors devant l’image, tandis que l’espoir et la confiance s’éveillent en mon cœur. Une femme siège au conseil céleste ; pouvons-nous donc être condamnés sans appel ? Des sanglots violens me secouent : je sens sur mon front une main fraîche ; j’ouvre les yeux. Le jour est clair et ami ; au chevet de mon lit, se tient la chère et fidèle compagne de ma vie, m’interrogeant avec tendresse sur le rêve qui m’a tant agité. — Anna, dis-je, aussi longtemps que je vivrai, l’image qui pend là sur la muraille sera couronnée de verdures et de roses… Elle m’a délivré de la terreur et de l’angoisse… Je veux lui vouer mes chants. »

Véritable chemin de Damas, n’est-il pas vrai, pour l’iconoclaste qui se révèle en d’autres parties de son œuvre ; et l’hérédité joue probablement son rôle, par l’accumulation des émotions séculaires, en de tels transports. Mais c’est une croyance touchante de certains fidèles, que la Mère de Dieu n’abandonne jamais les chrétiens qui lui ont gardé quelque respect au milieu des plus coupables égaremens : ceux-là ne douteront pas sans doute du salut final de l’écrivain qui a sacrifié à un sentiment sincère son amour-propre de raisonneur, et jusqu’à la logique de son attitude.


XII

Il est une circonstance extérieure qui contribua à ramener peu à peu le penseur paysan vers une conception morale et sociale plus large que celle de ses débuts littéraires. C’est la transformation économique si rapide dont il fut, depuis un demi-siècle, le spectateur étonné d’abord et bientôt désolé. Au sein de ses montagnes comme partout ailleurs, le temps semble avoir doublé le pas dans ce siècle de la vapeur que nous venons de clore. Des mœurs, des institutions d’une antiquité immémoriale ont été ébranlées, sapées en quelques années. De longs serpens de fer se sont glissés par les vallées les plus âpres, au grand effroi des vieilles gens dont les pressentimens superstitieux n’étaient que trop fondés, car ces pionniers du progrès ont détruit une société patriarcale qu’il faut réédifier à présent sur d’autres bases : au prix de quels efforts, de quelles méprises, l’avenir l’enseignera seul. Nous avons dit déjà la décadence d’Alpel, le hameau natal du poète ; elle n’est qu’un symbole du rapide effritement de toutes choses aux alentours. « Où est, écrit Rosegger[45], le peuple d’autrefois, au cœur fort et joyeux, et cette existence qui, des siècles durant, maintint si heureusement l’équilibre entre la nature primordiale et l’humaine civilisation ? Il n’est que temps de sauver pour la postérité le souvenir de ce joyau qui va disparaître, et de fixer en faveur de nos descendans l’aspect de la vie la plus heureuse qui fut jamais. Pourtant, que les générations futures ne s’illusionnent pas devant ce tableau, et ne discernent pas au loin dans le passé un bouton de rose sauvage, là où en réalité une goutte sanglante de souffrance humaine est demeurée suspendue au buisson d’épines. Car ces idylles de montagne et de forêt se lisent plus doucement qu’elles ne se vécurent, et la vieille vie populaire fut riche en tragédies de toutes sortes, mais plus riche encore en beauté, en héroïsme, en réconciliation. Il a été donné à l’auteur de ces pages de la vivre un demi-âge d’homme, et le mal du pays ne la jamais quitté depuis qu’il respire dans un autre entourage. » Non, le mal du pays ne l’a jamais quitté, et nous allons nous en apercevoir par ses efforts pour reconstruire à tout prix dans la réalité le château aérien de ses souvenirs d’enfance.

Outre les progrès de la presse et des voies ferrées, trois facteurs principaux semblent avoir concouru, à son avis, pour amener cette soudaine démoralisation, et cet appauvrissement foudroyant de la culture paysanne. Tout d’abord l’extension de la grande propriété, stimulée par les goûts de chasse chez les millionnaires de la finance ou de l’aristocratie. C’est là le sujet de mainte nouvelle en son œuvre[46] : c’est le thème des premiers chapitres de Haidepeter’s Gabriel, où il montre un paysan ruiné par les ravages du gibier, et, de plus, persécuté pour délit de chasse, parce que, s’estimant en état de légitime défense, il tue les cerfs qui mangent ses légumes. Enfin, nous l’avons dit, tout le roman de Jacob le Dernier fut construit sur cette donnée : un vieux paysan, demeuré fidèle à la terre est ruiné d’abord et tué enfin par l’extension du domaine forestier d’un châtelain.

Un second assaut pour les vieilles coutumes, ce fut l’invasion des touristes et des hôtes d’été dans les montagnes, jadis vierges de tout contact avec la civilisation. Ces citadins apportent avec eux leurs vices effrontés, leurs exigences de confortable ; ils font naître autour d’eux les tentations de vol et de tromperie, et ils embourgeoisent en un clin d’œil les descendans des rudes colons de jadis. Enfin, troisième ennemi du passé, l’industrie moderne vient dresser ses hauts fourneaux et ses cheminées d’usines dans les vallées silencieuses, jetant au prolétariat, par la tentation du salaire fixe, les anciens cultivateurs propriétaires. Et ces deux dernières plaies sont exposées à vif dans la Lumière éternelle.

Tout se transforme sous ces influences délétères, les sentimens religieux, les relations de famille, les rapports entre maîtres et serviteurs, jadis si chrétiennement égalitaires qu’ils formaient le fondement solide de cette hiérarchie patriarcale. Aujourd’hui, le fils de riches paysans ruinés, contraint de se faire valet de ferme, exhale sa plainte en ces termes : « Qui n’a jamais été son maître ne saura jamais combien cela est dur de ne plus l’être. Je ne crains pas le rude travail, car on s’y habitue vite. Mais être ballotté çà et là, selon le caprice de brutaux et stupides individus, à cette vie on ne se fait jamais. Pas un moment libre : nourriture et logement dignes d’un chien… Mon patron, ayant appris que j’avais étudié l’agriculture, s’est moqué de moi et, par dépit de ce que je susse quelque chose mieux que lui, m’a traité de façon si grossière et si dégradante que j’ai commencé de me mépriser moi-même[47]… » Combien nous voilà loin de la tranquille et même joyeuse égalité d’humeur des valets de Lorenz Rosegger !

À cette décadence de tout ce qu’il a chéri, le cœur de Pierre Rosegger ne s’est pas résigné ; il a conçu, lui aussi, après un Richard Wagner ou un Frédéric Nietzsche, son plan de régénération, et son rêve d’une humanité meilleure. C’est par le retour à la nature, par la saine influence de la vie des champs que les générations futures devront retrouver le calme et le bonheur : « Les citadins retournent encore à la ville quand les feuilles jaunissent, mais un temps viendra où ils achèteront des biens paysans pour les cultiver en paysans, tandis que les agriculteurs plus expérimentés s’en iront conquérir de nouvelles terres arables sur la lande inculte. Ces hommes de l’avenir renonceront à l’érudition stérile, trouveront plaisir et santé dans le travail corporel, et se créeront enfin des lois sous l’égide desquelles une honnête et stable population campagnarde pourra subsister[48]. » Tel est l’idéal tolstoïsant de renaissance agraire qui reparaît souvent dans les prédications de Rosegger, pour s’épanouir enfin dans le dernier roman livré par lui à la publicité : Erdsegen, la Bénédiction de la Terre.

A n’en considérer que la surface, ce livre n’est guère qu’une réédition, sous une autre forme, d’un des premiers écrits de l’auteur, la Vie populaire en Styrie. Un jeune journaliste, qui traite dans une feuille provinciale les questions économiques et agricoles, sans en connaître le premier mot, se laisse entraîner par le vin à un pari hasardeux : celui de servir un an, comme valet de ferme, dans la montagne, afin de démontrer à ses collègues sa compétence trop souvent par eux mise en doute. Il tient en effet son engagement, et, chaque dimanche, adresse à un ami citadin le résultat de ses observations, de ses réflexions de la semaine. Par là se déroule une fois de plus sous les yeux du lecteur l’année paysanne, avec ses coutumes, ses superstitions, ses fêtes religieuses, la succession de ses incessans travaux et de ses rares plaisirs. On salue au passage de vieilles connaissances : le braconnier blessé, le déserteur repris par les gendarmes, l’honnête fille séduite, tous thèmes jadis traités presque dans la même ordonnance par l’auteur. Mais ce qui est nouveau dans ce volume, c’est l’esprit dont il est animé ; au lieu du détachement un peu narquois, du scepticisme mêlé de tendresse qui inspirait les jugemens de l’écrivain débutant, fraîchement émancipé par ses études récentes, et qui s’exprimait sur ce ton gouailleur dont frémissaient les bons curés de campagne, voici que nous percevons un hymne de sympathie, de regrets, d’admiration sans réserve pour ce monde du passé qui s’efface, et qu’il faut à tout prix conserver. Il importe que les plus malsains profits de la culture artificielle du temps présent viennent, à l’exemple de Hans Trautendorffer, le héros de cette aventure, se régénérer au contact de la source vive, dont les derniers bouillons achèvent de murmurer près des sommets neigeux. Ou plutôt, suivant l’expression brutale du journaliste, séduit par la vie des champs, qu’ils viennent donc « se désinfecter avec du fumier de vache, » les contaminés de la civilisation, qu’ils viennent prendre des leçons de politique à l’étable ! « On élit un socialiste dans la ville voisine. — Mouh ! en dit mon voisin de lit le bœuf, et je suis en somme de cet avis. » Qu’ils reconnaissent, avec leur guide en cet Eden menacé, que le paysan est l’homme le plus civilisé du temps présent, der groesste Kidturmensch ; que sa vie n’est pas une banale idylle de Gessner, mais une odyssée aux aventures héroïques et diverses ; qu’une ferme bien tenue est le berceau de toute production comme de toute industrie ; enfin qu’un véritable paysan est « l’homme complet. »

Sans doute il est permis de ne pas prendre tout à fait au sérieux la rusticité de Rosegger. Il ne pousse pas aussi loin que le comte Tolstoï la conséquence avec ses principes ; on ne le voit point travailler de ses mains : et il reconnaît lui-même qu’après quelques mois de campagne la ville le rappelle par une invincible attraction, cependant que son fils aîné fait ses études de médecine. Mais il n’est pas moins évident qu’un sentiment sincère l’anime dans ses conseils et dans sa prédication.

Or, en annonçant la bonne nouvelle de l’humanité agricole, il s’est senti pénétré de nouveau par l’idéal religieux de son enfance. Sans doute le journaliste d’Erdsegen ne se fait pas faute d’interpréter encore dans un sens humain les cérémonies et les usages de l’Église : mais il est peu à peu séduit par les spectacles de foi humble et sincère qui passent devant ses yeux étonnés. « La religiosité, dit-il, n’est pas un point de vue dépassé ; elle est dans la nature de l’homme, aussi bien que l’amour et la haine… Je crois que, si le paysan était athée, rien ne » pourrait croître sur sa terre. » Ou encore : « Si, dans mon enfance, je n’avais sucé moi-même ce lait maternel de la foi, je ne pourrais comprendre, admirer, honorer ces cérémonies de la Semaine sainte au moins comme le dernier sourire d’un monde qui disparaît. Ne va pas rire de moi, philosophe : mais, parfois, vu d’ici, cela m’apparait plutôt comme une résurrection d’entre les morts. »

Ainsi l’on voit grandir chaque jour dans l’âme de Rosegger la préoccupation du rôle moral et social de la religion : préoccupation qui ne l’a jamais abandonné tout à fait, il faut le dire. Déjà, dans Haidepeter’s Gabriel, tandis qu’il montrait la douce Régina priant pour son frère envolé vers les cités perverses, l’auteur ajoutait : « Rien sur la terre n’est capable de calmer et de consoler un cœur anxieux à l’égale d’une prière confiante. Oh ! ne jetez pas la torche incendiaire du doute dans ce sanctuaire de l’humanité souffrante. Ou, si vous l’osez, ressuscitez donc en vous, au profit des malheureux, cette toute-puissance et cet amour fécond, qu’ils attendent avec tant de confiance de Dieu et de ses saints. Vous en sentez-vous bien capables ? »

Le maître d’école dans la forêt écrivait sur les feuillets de son journal : « Quiconque a, une seule fois, prié de tout son cœur devant la croix, ne perdra plus de vue ce type de l’amour et du sacrifice de soi-même. Qui s’est une fois enthousiasmé pour le doux culte de la mère de Dieu, qui a frissonné d’espoir à l’idée de la résurrection des morts et de la gloire éternelle des cieux, celui-là sera, je crois, armé pour toujours contre le démon de la négation : il conservera une confiance inébranlable dans la victoire finale du beau et du bon. » Mais les professions de foi de Rosegger se font plus nettes avec les années : « Mon étoile fut le christianisme, dit-il à la fin de sa confession biographique, Mein Weltleben : en lui j’ai grandi, par lui s’est façonnée mon âme ; de lui j’ai tiré force et courage, en son sein j’ai trouvé le repos. » Ou encore[49] : « J’aime les fêtes de l’Eglise catholique. Peut-être le temps béni de l’enfance et de la jeunesse y ressuscitent-ils pour moi dans un souvenir ? Peut-être ce culte grandiose m’enchante-t-il pour savoir unir le bon au beau, et les placer tous deux à la portée du peuple ? Les défauts et les abus qui en résultent, on apprend avec le temps à les excuser, parce qu’on en vient à reconnaître que rien ne saurait être parfait sur cette terre… On oublie plus d’une laideur morale, plus d’un trait de pharisaïsme, au rayonnement des cierges, aux accens des orgues, au chant des fidèles. Entouré de cœurs qui prient, qui pleurent et se recueillent, on célèbre en silence et en liberté pour soi-même son office divin. »

Dans le Village anéanti[50], ce récit animé d’une émotion non feinte et que nous avons cité déjà, Rosegger a fait une véritable amende honorable par la bouche d’un émigré, revenu d’Amérique après trente ans pour contempler les ruines de son village natal. Jadis, jeune étudiant révolutionnaire, il fut le chef du parti destructeur et antireligieux. Même, au cours d’une mission de pénitence prêchée dans ce village, il osa braver en face l’orateur sacré venu pour retenir les fidèles dans le droit chemin. Ce fut une scène tragique que son défi jeté à la toute-puissance divine : seul, debout dans le cimetière, au milieu de la multitude angoissée et indécise encore, il a nié Dieu, le sommant de lancer sa foudre pour établir sa présence, et n’a que trop bien réussi dans sa démonstration. Mais la mauvaise semence jetée par lui a grandi en anarchie, en ravages, en dévastations. Maintenant, au seuil de la vieillesse, il revient sur les lieux témoins de ses excès juvéniles pour faire une solennelle abjuration de ses erreurs. Si, dit-il, Dieu l’eût foudroyé en effet lors de son défi hautain, c’est que ce Dieu eût été mobile, emporté, vindicatif, semblable en un mot aux hommes infirmes et passagers. Son facile triomphe n’a donc rien prouvé contre un adversaire à ce point disproportionné. Et l’ancien révolutionnaire fonde une chapelle avec une école pour relever de ses cendres la communauté humaine cimentée par les siècles et anéantie en un moment par sa faute : « Quand je retournerai à Dreiwalden, dit-il, je veux entendre les cloches de l’Ave qui, chaque jour, viennent rétracter la parole funeste prononcée jadis par un enfant insolent, et annoncer à tous les points de l’horizon : Dieu existe, Dieu est ! »

Enfin, en 1892[51], Rosegger a publié un entretien sur la religion, qui est fort significatif de ses convictions flottantes comme de ses bonnes intentions. Il met en scène un docteur, avocat du matérialisme moderne (peut-être le digne M. Svoboda), et son propre personnage, assez transparent sous son nom de Pierre. Ces deux interlocuteurs échangent à peu près les propos suivans :

LE DOCTEUR. — Vous retardez vraiment sur votre époque, avec votre attachement au christianisme !

PIERRE. — Beaucoup ont éprouvé le mal du pays loin du christianisme, et d’autant plus douloureusement qu’ils s’en étaient éloignés davantage.

LE DOCTEUR. — La religion rend-elle donc meilleur ?

PIERRE. — Il ne siérait pas à l’humilité chrétienne de le proclamer trop haut : mais elle rend tout au moins plus heureux[52]. Or, la vérité, c’est ce qui nous fait heureux. Et j’honore à ce titre le culte catholique, car il réunit en lui tous les moyens de louer dignement le Seigneur. Combien pauvre en sensations élevées, en sentimens délicats serait le peuple des campagnes et des forêts, si l’Eglise ne lui apportait art plastique et art dramatique, chant et mélodies tout à la fois ! Je l’avoue même : j’aime le mysticisme, et j’ignore pourquoi certains s’effrayent devant ce mot. Ne sommes-nous pas environnés de mystère ? Le monde entier demeure pour nous un gigantesque secret, ainsi que le passé, l’avenir, les causes de nos tendances et de nos actes, non moins que leurs effets lointains. Si nous transformons alors le mystère en symbole, si nous le rapprochons de nos cœurs par des images sensibles, si nous l’éclairons et l’humanisons tout à la fois dans notre imagination, n’est-ce pas là le mieux que nous puissions faire ? Et nous n’adorons pas dans l’Eucharistie le pain et le vin, mais le divin mystère dans le sein duquel nos destinées reposent.

LE DOCTEUR. — Je vous envie véritablement. Pourquoi donc avez-vous, à l’exclusion de tant d’autres, le privilège de sentir et d’éprouver de la sorte ? Ce n’est pas seulement le bonheur en perspective dans l’autre monde : c’est déjà la félicité ici-bas.

PIERRE. — Oh ! mon ami. Que je voudrais à présent me jeter dans vos bras et vous confesser combien souvent et avec quelles angoisses il me faut prier afin de conserver cette foi. On ne peut ni l’acquérir, ni l’apprendre : il faut la recevoir de la grâce céleste. Maintes fois, tandis qu’on voudrait en faire parade avec vanité, soudain, la voilà disparue : le cœur est désert ; ou bien, au lieu des chères figures sacrées, ce sont les démons du doute et du désespoir qui l’habitent.

LE DOCTEUR. — Expliquez-moi donc alors vos satires parfois si amères contre certaines pratiques religieuses que vous condamnez sans ménagement.

PIERRE. — C’est bien simple : la religion ne m’a jamais laissé indifférent. Longtemps, j’ai défendu tout dans notre Église et dans les conséquences visibles de son enseignement. Puis, en regardant de plus près, bien des choses m’y ont déplu, parce que je voyais en elles un dommage pour le sentiment chrétien. J’ai cru constater que les formes du culte, qui, bien adaptées au fond, sont salutaires, prenaient le pas sur leur contenu spirituel, menaçant d’étouffer l’esprit sous la lettre ; qu’on abusait maintes fois des choses saintes ; qu’on inclinait la foi vers la superstition. Alors, j’ai stigmatisé ces abus avec colère, et, cela, je le ferai tant que je vivrai, et que la religion chrétienne m’apparaîtra comme ce qu’il y a de plus saint au monde.

LE DOCTEUR. — Cela est maladroit de votre part, car on vous proclamera dangereux avec quelque raison, et l’on défendra aux fidèles la lecture de ces œuvres auxquelles vous donnez précisément pour but la propagation de l’esprit chrétien.

Ici, Pierre hausse les épaules et se tait.

Il y a bien des choses sous-entendues dans ce haussement d’épaules et dans ce silence : un aveu, un regret, une promesse d’avenir ? Rosegger a été, nous l’avons dit, fort attaqué dans le camp catholique, et nous n’hésitons pas à le proclamer avec son ami le docteur, il a souvent mérité de l’être. Mais il y a gardé pourtant des sympathies précieuses et de tenaces amitiés. C’en était un témoignage que l’intervention discrète, à la veille de son mariage, d’un prêtre bienveillant. Il a raconté aussi ses relations en somme affectueuses et cordiales, malgré quelques nuages, avec son compatriote d’Alpel, devenu curé dans le voisinage, et, par là, la première des gloires de ce hameau favorisé du ciel. N’est-il pas allé jusqu’à dire à cet ami d’enfance, en une heure d’épanchement sincère, qu’il serait heureux de voir son propre fils entrer dans les ordres, s’il en montrait la vocation, car lui-même avait toujours regretté les obstacles matériels qui l’en écartèrent jadis[53]. Est-ce là le langage d’un irréconciliable ? A l’en croire d’ailleurs, depuis quelques années, la polémique religieuse se fait plus calme sur son compte, et les voix malveillantes s’élèvent plus rares contre ses écrits[54]. Sans doute les plus évangéliques et les plus pondérés parmi les catholiques autrichiens en sont venus à partager sur Pierre Rosegger le sentiment des deux minisites de la religion qui semblent l’avoir le mieux pénétré dans son fonds : de ce curé d’Hauenstein, d’abord, qu’il alla voir lors de ses premières vacances universitaires, et devant qui, tout en dégustant son excellent vin, le jeune étudiant prétendit faire briller une science toute fraîche par quelques discussions religieuses : « Que Dieu te protège encore de longues années, dit le brave homme pour réponse, et la clarté se fera d’elle-même en tout cela[55]. » Puis, de cet autre ecclésiastique, qui, réparant les excès de zèle par lesquels le père de Rosegger avait perdu le repos de ses nuits, rassura le vieillard sur le compte de son enfant émancipé, et rendit la paix aux derniers jours de ce grand chrétien. « Votre fils, dit ce véritable disciple de l’Évangile, n’est pas méchant, il est seulement différent de vous, il cherche le bien à sa manière. Ne lui dites donc plus jamais rien sur ses opinions, et priez incessamment pour lui le bon Dieu, qui se chargera bien d’arranger tout[56]. » Et ces deux cœurs généreux ne sont pas des exceptions dans leur ordre, puisque Rosegger a pu écrire encore : « Conscient de la droiture de mes intentions, je suis assuré que la portion du clergé qui pense noblement approuve mon attitude, et j’en possède les preuves[57]. »

Un obstacle qui pourrait retarder sinon entraver le retour complet de cette brebis aventureuse, ce sont ces terribles questions de race qui, dans la monarchie des Habsbourg, mêlent aujourd’hui plus que jamais la religion aux agitations du siècle. Les succès récens de la Prusse protestante ont fait naître dans le cœur des Allemands autrichiens, avec le désir plus ou moins avoué de se voir incorporer au puissant empire du Nord, une certaine sympathie pour les doctrines de la Réforme considérées comme spécialement germaniques. Quelques exagérés tentèrent même, sans grand succès, à vrai dire, de passer aux actes en préconisant la conversion générale de leurs concitoyens au protestantisme. C’est le mouvement qu’on a baptisé : Los von Rom « Séparons-nous de Rome. » D’autre part, les représentans parlementaires des religieuses populations alpestres ont été poussés à l’alliance des Slaves autrichiens, et par les aspirations catholiques, c’est-à-dire universelles, de l’Eglise romaine qui tend à effacer les distinctions de race dans la communauté d’une même foi, et par la crainte de l’esprit protestant qui anime le pangermanisme. Or, si les Tyroliens et les Styriens ne sont pas purement Germains d’origine, ils le sont tout au moins de langue, de culture, et d’aspirations, car le succès matériel est un irrésistible prestige. C’est pourquoi l’attitude slavophile de leurs mandataires vient d’être condamnée par eux aux élections législatives de 1901, qui, de la sorte, ont semblé marquer un recul de l’influence catholique dans ces montagnes. On voit combien la situation morale de ces pays apparaît trouble et complexe à l’heure présente.

On ne saurait accuser Rosegger de sympathies prussiennes. Tout le fond celtique de son être se révolte contre la conception militariste des Hohenzollern. N’a-t-il pas écrit dans le premier de ses romans, Der Waldschulmeister : « Au lieu d’enthousiasmer les enfans pour les héros guerriers, il est préférable de leur inspirer l’horreur la plus indignée pour le métier des armes ; il faut leur enseigner le patriotisme, qui apprend à vivre pour la patrie plutôt qu’à mourir pour elle. » N’est-il pas devenu l’un des fervens de la baronne de Suttner et de sa pacifique prédication[58] ? Ses convictions sont presque aussi cosmopolites parfois que celle de l’Aufklaerung. Dans le Paysan aux Français, il a montré l’un de nos compatriotes, blessé durant les guerres napoléoniennes, se fixant en Styrie pour y faire souche de bons Autrichiens. Et il a résolu de façon simpliste le problème qui agite le Tyrol contemporain, où luttent les influences allemandes et italiennes. Mariant un Autrichien antiwelche à une charmante jeune fille latine[59], il ajoute qu’ils engendreront non pas des Allemands ou des Italiens, mais des hommes ! Aussi avons-nous reçu récemment[60] confidence de ses rapports un peu embarrassés avec l’apôtre intransigeant du germanisme tyrolien, le poète Adolphe Pichler, qui, à plus d’un point de vue, apparaît comme l’antipode de son confrère styrien.

Toutefois, par certaines de ses objections à la discipline catholique et par sa tolérance affichée sur le terrain religieux, Rosegger a pu paraître animé de sympathies protestantes, et les adeptes du Los von Rom ont les yeux tournés vers lui. Dans la revue berlinoise Zukunft, il vient de publier sur le mouvement évangélique pangermaniste deux courts dialogues, qui trahissent son altitude expectante et embarrassée dans cette question brûlante[61]. Il nous présente un pasteur de l’Église réformée, accueiltant successivement dans son cabinet de travail deux recrues, désireuses d’accomplir leur évolution patriotique vers le protestantisme. Le premier solliciteur est un jeune sot qui n’agit que par concession à la mode du jour, par désir peut-être d’alléger ses obligations rituelles, et le pasteur se montre vis-à-vis de lui fort sévère : « Retournez chez vous, mon garçon, dit-il, et devenez d’abord un bon catholique. Nous avons bien assez de protestans indifférens parmi nous et nous accueillerions plus volontiers des gens qui auraient rempli consciencieusement leurs devoirs envers une autre Église… Vous pouvez emporter ce petit livre (il lui tend un Évangile)[62]. » Le ministre se montre, il est vrai, plus accueillant pour un vieillard qui assure avoir longuement réfléchi sur sa décision ; mais ce serait un trait peu conforme à la vraisemblance que de le faire agir d’une autre manière, et, cette fois encore, il termine du moins par une prédication de tolérance et de paix. « Quand vous passerez près du cimetière catholique où reposent vos ancêtres en compagnie de tant de braves gens, levez les yeux vers la Croix qui les abrite de son ombre, et songez que le Crucifié étend ses bras de l’un comme de l’autre côté. »

On suit de près dans les sphères intellectuelles du protestantisme l’évolution religieuse de Rosegger. Il vient de publier un dernier recueil d’études religieuses, — Mein Himmelreich, Mon Royaume céleste, — qui a été le signal d’une polémique de presse assez animée. Il faut l’avouer, ce livre ne marque pas un progrès dans la voie que ses amis catholiques se flattent de lui voir reprendre un jour. C’est qu’un nouvel acte d’hostilité ouverte s’est produit contre lui de la part de l’autorité civile, gardienne de la religion officielle. La censure a fait saisir à Gratz, en mai 1899, un article consacré par lui dans son journal le Heimgarten à la personnalité de Jésus, telle qu’elle lui est apparue par l’étude directe et approfondie des quatre Évangiles, qu’il avait repris en main au cours d’une longue maladie. Rigueur nécessaire peut-être et dont nous n’avons pas à apprécier le bien fondé sur le terrain où elle s’est produite, mais sévérité peu faite pour aplanir à un hésitant le chemin du bercail. On retrouve d’ailleurs dans ce « Royaume céleste » toutes les tendances que nous avons mises en évidence d’après l’ensemble de son œuvre. Effort pour comprendre de façon symbolique, pour interpréter par le sentiment moral, pour humaniser en quelque manière les dogmes et les cérémonies sacrées. Enthousiasme exclusif pour l’Évangile, aversion pour les alliances politico-religieuses, tolérance extrême vis-à-vis du protestantisme. Et, néanmoins, incapacité de renoncer à la communion catholique, où le culte de Marie, les attraits esthétiques des rites, les souvenirs de ses ancêtres et de sa jeunesse le retiennent invinciblement.

En fait, le protestantisme satisferait bien moins que le catholicisme les vagues aspirations sentimentales de ce cœur inquiet : car cette confession enseigne aussi strictement que la sienne l’éternité des peines, la présence réelle, maint dogme que notre homme aime interpréter et transfigurer à sa guise, et elle manque en revanche des élémens mystiques qui lui sont chers. Rosegger est, sur toutes choses, un indépendant, un poète fantaisiste qu’une orthodoxie, quelle qu’elle soit, risque d’effaroucher aussitôt qu’il en sentira les lisières. Telle paraît être l’impression d’un publiciste protestant, qui terminait par ces considérations élevées une récente étude sur Mon Royaume céleste :

« J’irai plus loin : au lieu de reprocher à Rosegger sa persistance à demeurer dans l’Église catholique, tant qu’il considère cette attitude comme conciliable avec les impulsions de sa conscience et avec ses convictions, nous avons plutôt sujet de nous réjouir qu’il se rencontre dans les rangs du catholicisme des hommes ou des femmes d’une piété aussi noble, aussi véritablement digne de l’Evangile que celle qui transparaît à chaque ligne de Mein Himmelreich. Car nous pouvons espérer que, tout en demeurant dans leur confession, ils y travailleront plus efficacement à un accord entre les confessions dissidentes que s’ils rompaient entièrement, définitivement, et publiquement avec le catholicisme ; et que, ainsi, mieux que par une retentissante sortie de leur Église, ils contribueront à réaliser le grand et beau rêve que résume cette parole : « Un seul pasteur et un seul troupeau. »

C’est là précisément la devise du chef de l’Église romaine, et, si l’apostolat un peu incohérent de Rosegger pouvait porter en fin de compte de pareils fruits de tolérance réciproque[63], il aurait bien mérité, n’est-il pas vrai, auprès de ceux qui cherchent, dans la concorde et l’union des efforts, l’impulsion nécessaire au progrès moral de l’humanité.

Et c’est bien sur une impression de tolérance que nous désirons conclure l’étude de cette personnalité captivante, si suggestive des doutes et des angoisses religieuses de la pensée moderne, en répétant après Nietzsche[64] « qu’on peut être tolérant non par faiblesse, mais par force, quand on sait encore tirer avantage de ce qui serait la perte des natures moyennes. » — Protons une dernière fois l’oreille au charmant conteur qui nous a si souvent séduit. Dans une inspiration d’un symbolisme pénétrant, il a peint certain jour[65] un pèlerinage singulier de ses montagnes. La coutume veut que les fidèles s’y rendent en portant sur leurs épaules une croix, plus ou moins lourde suivant leurs forces et leur ferveur, mais destinée à rappeler du moins par son aspect le fardeau du Sauveur sur la voie du Calvaire. Ils espèrent obtenir par cette mortification le pardon de leurs péchés, et, de plus, délivrer une âme du purgatoire, toujours fidèles à cette belle préoccupation de solidarité chrétienne, qui se prolonge au-delà du tombeau. — Ils marchent donc en grand nombre sur la route poudreuse, quelques-uns pliant épuisés sous le faix, tous récitant à haute voix des prières. On voit des croix fortes et massives, tout à fait propres à servir d’instrumens de supplice ; d’autres, il est vrai, sont façonnées symboliquement de deux bâtons assemblés, ou de lattes grossièrement clouées ; aux unes pendent trois longs clous de fer ; d’autres sont ornées de couronnes vertes, de fleurs et de voiles noirs et blancs semblables à ceux qu’on jette sur les cercueils. Un grand pèlerin pâle a même placé sur sa tête une couronne d’épines en guise de coiffure, et jette des regards de dédain à ceux qui sont dépourvus de cet ornement. — Parvenus sur la place de l’église, tous déposent en faisceaux leurs pieux fardeaux, et se rendent à l’office divin. — Mais, une fois la cérémonie terminée, et les fidèles revenus en plein air, il se trouve un orateur populaire pour improviser sur ce texte évangélique : « Que celui qui veut être mon disciple prenne sa croix sur ses épaules et me suive, » une excitation à la haine politique et aux luttes fratricides. « Le diable, dit ce fanatique, est déchaîné à Vienne ; ils y ont insulté le Seigneur et même le Saint-Père. C’est de la folie. Il faut donc le chasser avec la croix, l’Antéchrist, avec le rude bois de la croix. Piff ! paff ! il faut le moudre avec la croix, le démon infernal qui rampe dans le pays, le monstre géant dont la tête est encore à Vienne, mais dont la queue embrasse déjà le Tyrol, etc. » C’est, on le voit, le ton apocalyptique en usage au temps des guerres de religion, et Rosegger excelle dans la transcription de ces improvisations populaires. — Ici, l’intervention en sens inverse d’un assistant de sang-froid ne fait qu’exciter encore les passions de la multitude, s’agitant confusément dans l’ombre du soir : « A la lueur pâle des cierges, ce fut un spectacle terrifiant que de voir les croix saisies, soulevées, brandies au-dessus des têtes, et s’entre-choquant dans la foule. » — Une fois de plus, l’auteur réserve au ministre de la religion la mission évangélique du pacificateur : « Enfin arriva le curé de Geeding, un grand vieillard plein de majesté ; sa voix avait des accens bien connus. On l’écouta : il se plongea dans la mêlée, mit lui-même la main à séparer les combattans, et, sans user de phrases sonores, trouva des mots d’apaisement et de conciliation. Il réussit à calmer la foule, qui se dispersa. »

Voilà un rôle digne du prêtre, et ce spectacle offre une image puissante des inconvéniens de certains procédés de polémique, dont Rosegger a souffert lui-même, auxquels il a répondu parfois sans mansuétude (bien qu’on ne puisse l’accuser pour sa part d’excitations à la violence), mais qui lui ont, en tous cas, fait plus séduisans les sentiers de l’indépendance et plus ardues les voies du retour. De tels enseignemens ne sont pas superflus à introduire dans nos méditations de l’heure présente. Et, plutôt que de terminer ici par un anathème pharisaïque sur les erreurs d’un homme de bonne volonté, nous pensons mieux faire en exprimant notre sympathie pour son ardente recherche du vrai et du bien, pour les luttes douloureuses qu’il a évidemment soutenues contre lui-même ; en un mot, pour la droiture d’intentions qui doit lui mériter quelque jour la sérénité du cœur et la paix de la conscience.


ERNEST SEILLIERE.

  1. Voyez la Revue des 15 novembre et 1er décembre.
  2. Neue Waldgeschichten, p. 59.
  3. Mein Weltleben, p. 404.
  4. Mein Weltleben, « Urbain Offenluger. »
  5. Allerhand Leute, « le Charbonnier Hansel. »
  6. Il semble qu’on doive considérer comme imaginaires et comme fruits de sa période ultérieure de doutes et de luttes morales les convictions qu’il prête à son Sosie, Haidepeter’s Gabriel. Ce jeune rationaliste de quinze ans, cet iconoclaste en herbe, qui fait scandale au cours d’un enseignement religieux donné en plein air par le curé de la paroisse voisine, ce n’est pas le véritable Rosegger. Celui-là, tout au contraire, nous a dit ailleurs ses succès orthodoxes dans une semblable circonstance. Son Gabriel est la création d’une conscience déjà troublée, d’un esprit déjà partagé contre lui-même par le contact plus prochain de la pensée moderne. (Als ich jung noch war, p. 120.)
  7. L. Séché sur Emile Péhant. Revue des Deux Mondes, 1er octobre 1900 : « Son christianisme, comme celui de son maître, était par-dessus tout une religion de pitié, de tendresse et de miséricorde. Depuis qu’il avait lu Eloa, les peines éternelles révoltaient sa sensibilité… La question hantait l’esprit songeur du jeune poète, qui la résolut par la clémence ou la suppression de l’Enfer, longtemps avant que Vigny eût pensé à donner la même fin à son poème.
  8. Mein Weltleben. « Le premier et le dernier de la forêt natale. »
  9. Hoch vom Dachstein, Matthias Scholler. — Une institution campagnarde qui semble réveiller souvent sa vieille rancune contre les prédicateurs de l’enfer, c’est celle des missions qui viennent évangéliser temporairement les paroisses rurales et y prêcher des retraites pieuses. Il les voit sous un jour assez défavorable. Der Waldschulmeister, Hoehenfeuer. « Je n’oublierai pas cette Pentecôte. » Buch der Novelten, II. La mission à Falkenbach. Das Ewige Licht, etc.
  10. Voir Ferdinand Fabre, Ma Vocation. — Pouvillor, le Vœu d’être chaste, etc.
  11. Meine Ferien.
  12. Voir Hoehenfeuer, Das Hacherl, Allerhand Leute, « Mon ami Franz ; » Buch der Novellen, II, « Mathieu Hellbert, et III, Jean le Favori, ou Marie dans la Misère. » Hoch vom Dachstein, « l’Amour ne se laisse pas duper. » Allerlei Menschliches, » le Cheval boiteux, etc. » L’Allemagne s’est toujours montrée particulièrement inquiète en cette difficile question, et les papes, depuis saint Grégoire le Grand jusqu’à Grégoire XVI (1832), ont dû plus d’une fois rappeler à l’ordre un clergé peu soumis.
  13. Mein Weltleben p. 410.
  14. Voyez aussi les Confidences personnelles du curé de Thorvald, p 354.
  15. Der Waldschulmeister.
  16. Das Ewige Licht.
  17. Geschichtenbuch des Wanderers, « les Sept péchés capitaux. »
  18. Mein Weltleben, p. 51 à 56.
  19. Comparez les idées de Rosegger aux vues exprimées dans la préface des Études d’histoire religieuse, p. 16, sur la nécessité de la religion au village, sur son rôle esthétique dans la vie paysanne.
  20. Geschichtenbuch des Wanderers, « En montant vers Dieu. »
  21. > Waldheimat, II, p. 245.
  22. Volksleben, « l’Autel, » ou Allerhand Leute, « le Charbonnier Hansel. »
  23. Das Ewige Licht ou Allerlei Menschliches.
  24. Waldschulmeister ou Sonderlinge, « Pierre le mal né. »
  25. Waldheimat, I, p. 170.
  26. C’est dans le recueil intitulé Sonntagsruhe, qu’il faut aller chercher l’expression la plus nette de ces rêves d’une religion améliorée. Ces pages sont d’ailleurs assez banales et un peu prudhommesques par endroits.
  27. Comparer la « Parabole des Forts » dans Martin der Mann au chapitre XI du Gouvernement de Pologne, de Rousseau.
  28. Als ich jung noch war, « Quand j’allai vers Emmaüs. »
  29. Neue Waldgeschichten, p. 32.
  30. Voyez notre étude sur Mme Laura Marholm Revue des Deux Mondes du 15 août 1899.
  31. An. Wanderstabe, p. 393.
  32. Renan a passé par les mêmes sentimens (Voyez Feuilles détachées, p. 129).
  33. Voyez par exemple : Geschichtenbuch des Wandererz « En montant vers Dieu, » ou Buch der Novellen, « III, Marie dans la Misère.
  34. Voyez sur ce sujet les études de M. Ritter.
  35. Svoboda, F.-K. Rosegger, Breslau, Schottlaender.
  36. Allerhand Leute, Der Funken-Kerl.
  37. Der Schelm aus den Alpen, « Deux jeunes magiciens. »
  38. Die Aelpler, « le Diseur de Patenôtres. »
  39. Als ich jung noch war, « Quand je devins libre-censeur. »
  40. Idyllen aus einer untergehenden Welt.
  41. Dorfsuenden, « le Refuge des pécheurs. »
  42. Mein Himmelreich, « Notre chère Dame. » Leipzig, 1901.
  43. Buch der Novellen, « III, Marie dans la Misère. »
  44. Allerlei Menschliches, « l’Image sainte. »
  45. Idylles d’un monde qui s’en va. Préface.
  46. Par exemple, Sonderlinge, « la Tête de pierre. »
  47. Der Schelm ans den Alpen, « Edi » et Nessel.
  48. Jacob der Letzte. Préface.
  49. Allerhand Leute, Der Funken-Kerl.
  50. Hochenfeuer. Rosegger vient de rééditer cette significative nouvelle à part dans une collection de classiques populaires.
  51. Allerlei Menschliches.
  52. C’est la conclusion d’un sociologue bien éloigné des idées religieuses : « Ce que la religion a seule donné à l’homme, c’est un état d’esprit comportant le bonheur. Aucune philosophie n’y a réussi jusqu’à présent. » Le Bon, Lois psychologiques de l’évolution des peuples, p. 145.
  53. Mein Weltleben, « Urbain Offentuger. »
  54. Ibid., « Mes chers ennemis. »
  55. Meine Ferien.
  56. Mein Weltleben.
  57. Ibid., p. 175.
  58. Allerlei Menschliches.
  59. Der Schelm aus den Alpen.
  60. Ibid.
  61. Der Tuermer. Stuttgart, 1901.
  62. Deutsch-evangelische Blaetter, mars 1901
  63. Elle est plus nécessaire qu’ailleurs dans un pays divisé sur ce point comme l’Allemagne, et le prince Max de Suxe, qui a reçu l’ordination et qui est un prédicateur apprécié, se défendait récemment par la voix de la presse « d’avoir jamais laissé tomber de ses lèvres un seul mot qui pût attrister ses frères dissidens, une seule parole d’intolérance confessionnelle. » Allgemeine Zeitung, 10 novembre 1900.
  64. Nietzsche, Crépuscule des idoles, trad. Henry, p. 224.
  65. Der Waldvogel, « les Porteurs de Croix. »