L’Âme qui vibre/Poèmes à ma mère

E. Sansot et Cie (p. 163-178).
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Poèmes à ma mère

POÈMES À MA MÈRE

I

LA CONFESSION DE L’ÂME

Ce que je vais conter est doux comme un enfant.

Par un beau soir du mois, recueilli sur un banc,
— Que je signale à ceux qui cherchent le grand calme —
Je m’étais sacré prêtre et confessais mon âme.

Le feu sacré du bien, en elle, était éteint.
La pécheresse blanche avait souillé son teint
Par une promenade au pays des jouissances.
Elle avait, sans compter, fait de larges dépenses
De l’amour, qu’en naissant on lui avait donné.
C’est de cela que je venais la pardonner.

Dans l’impatience,
Elle attendait la grâce aux pieds de ma conscience.
Et le confessionnal indulgent de mon cœur
N’avait jamais vu pénitente
Plus repentante.
Elle était l’encensoir d’où montait la ferveur.
Le regret des fautes commises
Était tombé sur elle ainsi qu’un voile épais.
Mon âme était allée au devant de la paix
En savourant déjà l’indulgence promise.

Quand elle eut médité pendant une heure ainsi,
Grave, elle commença les aveux que voici :

« Au nom du Père,
« Au nom du Fils et de l’Esprit.
« J’ai péché par jeunesse et par goût, mais j’espère
« En la bonté de Jésus-Christ,
« Comme au pardon de son vicaire.
« J’ai péché par défi, par besoin, mais je sais
« Que par le drame du calvaire
« Mes péchés seront effacés.
« Christ oubliera que j’ai dû lui jeter l’insulte
« Quand il saura que j’ai gardé,
« Malgré ceux qui voulaient me le jouer aux dés,
« Le culte inlassable d’un culte. »

Mon âme à ce moment laissa tomber la main
Qui, jusqu’ici, faisait un masque à son visage ;
Et, s’appuyant du front aux barreaux du grillage,
Me fit ce bel aveu de son culte d’airain :

« J’ai conservé brûlant comme au temps du jeune âge,
« Au temps ou je portais des robes de lainage,
« Où mes cheveux dorés retombaient sur mon cou,
« Comme en ce temps, j’ai conservé par dessus tout
« La foi dans la famille et l’amour de ma mère.
« Cet amour que j’ai tu ne se peut toujours taire,
« Aussi je vous le donne en rachat des erreurs
« Dont j’ai marqué ma vie et mon front de pêcheur.
« Cet amour de ma mère était un lac immense
« Où, les jours de douleur, je baignais ma souffrance.
« C’était la bonne plage, où je venais, l’été,
« Fidèle pèlerin, prendre un peu de santé.
« Cet amour était grand comme un nom de victoire,
« Il m’était aussi doux qu’un prélude de gloire,
« Et quand je descendais vers lui, sur son appel,
« J’étais beau comme un prêtre au pied de son autel.
« Au milieu des cahots nombreux de l’existence,
« Malgré les Forts, malgré le vent de l’inconstance,
« Je l’ai toujours porté comme un Saint-Sacrement,
« Voilà ce que j’oppose à mon égarement. »

Et mon âme attendit en se voilant la face.
Pendant que j’absolvais la pénitente en grâce,
Et que l’air frais du soir incitait au repos,
Sainte, elle se plongea dans son ferme propos
En me disant tout bas d’une voix calme et claire :
« Je te demanderais de porter à ma mère
« Ces aveux que, depuis longtemps, je lui devais. »

Je choisis, pour cela, le jour que vous savez.

Août 1905.

II

À L’INTÉRIEUR D’UNE ANNÉE

C’est aujourd’hui que je dois vous écrire à part.
Ma lettre me fera sans doute coucher tard,
Car, lorsqu’on écrivant mon âme s’interroge,
Je ne regarde pas la marche de l’horloge.
Si je vous avertis, mère, c’est que je crains
Que mon cœur, une fois parti, n’ait plus de freins.
Donc, depuis que mon âme à vous s’est confessée,
La cendre du passé d’un an s’est entassée.
C’est ce mont que, ce soir, nous tenant par la main,
Nous allons parcourir sans guide et sans chemin.

Qu’avons-nous bien laissé sur ce mont là nous autres ?
De mon côté, je crois, comme d’ailleurs du vôtre,

Nous ne trouverons pas la trace d’un bonheur.
Alors, qu’avons-nous bien laissé sur la hauteur ?

Nous y avons laissé, dans un vent de détresse,
D’abord, vous, votre mère, et puis moi, ma maîtresse,
Si bien que, de nous deux, on peut voir maintenant
Votre doux fils sans femme et sa « mé » sans maman.
Ne nous étonnons plus, alors, si, dans la vie
Nous allons au hasard de la pente suivie.
Nous sommes de ceux-là dont tout est mort en eux ;
La croyance à la terre et la croyance aux cieux ;
De ceux-là qui s’en vont, les boulets aux chevilles,
Sur la route ou la mort leur ouvrira ses grilles.

Qu’avons-nous bien laissé sur la hauteur encor ?
(Si je fais avec vous le tour de notre sort,
C’est qu’à deux le chemin paraîtra moins pénible).
Qu’avons-nous donc laissé sur ce sommet terrible ?

Nous y avons laissé, dans notre désarroi,
Nos cœurs hurlant ainsi que des chiens aux abois.
Nos cœurs martyrisés et nos âmes errantes,
Veuves cherchant en vain leurs deux pauvres parentes
Et, pour bien leur marquer notre fidélité,
Moi, ma jeunesse entière, et vous, votre santé.

Nous avons tant laissé que nous voilà semblables,
À Jean le Bien Aimé, retiré dans les sables,
Que nous voilà plus nus que Jean du Paradis
Qui possédait au moins sa toison de brebis !
Nous avons tout laissé, nous, sur le mont funeste.
Le regret de nos morts, c’est tout ce qui nous reste.

Pourtant, montons plus haut sur la montagne encor.
Mère, n’y voyez-vous pas briller un point d’or ?
Quelle est cette lueur qui s’élève et se cambre ?
C’est ma fille Florise et ses beaux cheveux d’ambre,
Et ses deux yeux qui font, au travers des dangers,
Les suprêmes signaux à nos cœurs naufragés.
C’est ma fille Florise et ses deux mains levées
Vers l’espoir qui descend à larges envolées
Poser ses rayons bleus sur son front innocent.
Montons donc, maintenant, puisque l’espoir descend.

Montons chercher l’espoir qui s’abat sur la cime,
Arrachons nos regards des herbes de l’abîme,
Arrachons nos pensers des gouffres de la mort
Et nos cœurs déchirés de la dent qui les mord.
Arrachons et montons vers l’étoile qui brille,
Vers l’espoir nouveau-né, vers Florise, ma fille.

Nous formerons à quatre un foyer de douceur :
Père sera l’ami, vous, vous serez la sœur.
Dans notre maison franche aux amitiés robustes,
Nous jouirons du silence et de la paix des justes.
Vous aurez, père et vous, deux délices d’enfants,
Bien sages, bien soumis et bien obéissants.
J’écrirai quelques vers, le soir, à la chandelle,
Pendant que vous ferez vos carrés de dentelle.
Père, de son côté, près d’un bon feu de bois,
Relira son journal pour la deuxième fois,
Ou bien fera jouer l’enfant à pigeon-vole.
Quelquefois, à mon tour, je lui ferai l’école.
Mais, comme vous serez plus sérieuse que nous,
Vous viendrez la chercher sur l’un de nos genoux
Quand l’heure sonnera du sommeil et du rêve,
Vous nous direz alors : « Allons ! je vous l’enlève,
Vous êtes plus enfant que ma fille, vous deux. »
Puis, avant qu’en vos bras elle ait fermé les yeux,
Droite, vous lui ferez dire un bout de prière
Pour le repos certain de l’âme de sa mère.
(Ainsi vous apprendrez à devenir grand’mère).

Redescendons de la montagne, maintenant.
Et, pèlerins guéris, prenons le chemin blanc.
Fuyons par les sentiers bénis de l’espérance
En semant, tout le long, notre ancienne souffrance.

Laissons choir à nos pieds l’urne de nos regrets ;
Que joyeux soit pour nous le fracas de son grès ;
Et que le chemin blanc nous conduise à la ville
Où nous reformerons notre foyer tranquille.
Notre enfant marchera quelques pas devant nous,
Le chemin sera long, mais il sera plus doux.
Nous ferons, par moments, halte près des fontaines
Tour noyer, s’il le faut, le restant de nos peines.
Et nous repartirons de nouveau vers l’espoir.

En attendant, arrêtons-nous ici ce soir ;
Et prenez nos deux mains dans les vôtres, ma mère,
Goûtez à votre tour tous les fruits de la terre,
L’heure en est arrivée et les fruits sont bien mûrs,
Oubliez que les ans vous ont été si durs
Et que le poids du ciel pèse sur votre tête.
Reposez-vous entre l’enfant et le poète,
Et regardez en eux le bonheur s’incarner.
Vous passerez ainsi la nuit sans leur causer.
Et vous aurez souvent de ces heures bénies,
Car nous sommes encor si jeunes dans la vie,
Que nous n’atteignons pas, même en nous unissant,
L’âge auquel on a droit d’avoir un cheveu blanc.
Je ne parlerai pas moi-même davantage,
Et Florise, malgré ses deux ans, sera sage.

Nous penserons peut-être, ensemble, seulement,
Que vous n’avez pas l’air d’être une grand’-maman.
Alors nous poserons, comme en une prière,
Non deux bouches d’enfant sur votre front de mère.

Nous signerons ainsi la paix avec la terre.

Août 1906.

III

EN ROUTE POUR LA VIE

Nous l’avons donc doublé ce cap de nos tristesses,
Mère ! nous l’avons donc enterré sous des messes !
Nous l’avons donc quitté le noir pays du deuil !
Nous voilà donc enfin arrivés sur le seuil
De notre maison blanche où la douleur se noie !
Nous voilà donc, ô mère ! à deux pas de la joie !

Ce n’est pas que nos cœurs soient devenus ingrats,
Mais le temps a rongé nos regrets comme un rat ;
Ce n’est pas que nos morts n’entendent plus nos bêches,
Mais les fleurs, sur leur tombe, y demeurent plus sèches.
Ce n’est pas que nos yeux aient oublié les leurs,
Mais le temps nous les voile ainsi qu’à des voleurs.

C’est la faute à la vie, autant qu’à nous, ma mère,
Nos cœurs, à notre insu, sont des étuis de verre
Qui finissent toujours par éclater en nous,
Qu’ils soient pleins de chagrin, d’amour ou de courroux.
Souvent on cherche bien pourquoi son âme est gaie :
C’est qu’une grêle a fait quelques trous dans sa baie,
Et que notre chagrin par eux s’en est allé
Vers d’autres cœurs, s’offrir ainsi qu’un fiancé.
Car, dans notre existence où tout est servitude,
Notre chagrin, lui-même, est plein d’ingratitude.

Enfin, nous voilà donc en route pour l’oubli.
Vous, mieux portante, et moi, tout à fait rétabli.
Nous allons étouffer nos remords sous le sable.
C’est mal, oh ! c’est très mal, mais c’est indispensable.
Nous quittons l’ombre triste et cherchons le soleil,
C’est l’abandon des habits noirs, c’est le réveil
Au bruit d’une fanfare éclatante de cuivre.
Nous marchons vers la vie en espérant la vivre ;
Nous allons démembrer la croix que nous portons ;
Nous nous en servirons en guise de bâtons
Pour abattre les fruits qui pendent à la branche :
Notre soif de bonheur a besoin qu’on l’étanche.

Quand nous aurons brisé souvenirs et remords,
Nous les embaumerons comme autrefois nos morts.
Et nous irons, après, attendre dans l’ivresse,
L’enfant qui reviendra du parc à dos d’ânesse.
Lui montrant le cercueil, nous lui dirons : Voilà,
L’héritage était lourd, nous l’avons couché là.
Maintenant tu peux rire et chanter à ton aise,
Nous avons épuré ton air de son malaise.

Ma douce fille alors nous dira : « N’ayez peur,
« Je saurai conserver ma cicatrice au cœur.
« Je saurai mélanger, dans le vase que j’aime,
« L’éblouissante rose au triste chrysanthème.
« Même au fort du bonheur, je penserai, les soirs,
« Qu’il existe une croix qui me tend ses bras noirs.
« Je n’oublierai jamais, si bonne m’est la terre,
« Que, pour le passé mort, je dois être une serre.
« Je saurai m’arrêter au milieu d’un beau chant
« Pour songer que je fus bercé par du plain-chant.
« J’aurai soin de porter, piqué dans ma toilette,
« Un papillon de crêpe ainsi qu’une amulette.
« L’ombre de mon regret aura l’air en gaîté,
« Mon cœur sera d’automne et ma chanson d’été. »

L’enfant, mère, a raison. Quoique cela nous coûte,
Ayons l’air d’oublier les morts sur notre route.
Si nous les retrouvons dans le pays promis,
Nous les embrasserons comme de vieux amis.
Mais il faut, aujourd’hui, les laisser en arrière.
Dressons, entre eux et nous, un poteau de frontière,
Nous n’avons pas le droit d’arrêter notre effort ;
Maudit soit le marin qui déserte son port.

« Que mon fils a changé ! » mère, vous allez dire.
Mais non ! Je n’ai pas plus changé que mon sourire.
Pour moi, mon âme est douce au point que l’on dirait
Qu’en elle, nuit et jour, coule un ruisseau de lait.
Mais il faut se défendre et s’armer pour la vie,
Il faut abattre le jaloux qui vous envie.
Ce n’est pas moi qui suis méchant, qui suis ingrat,
— Je vous dis que je suis plus doux qu’un angora —
Mais c’est la terre et c’est le monde, et puis c’est l’homme
Qui me vaincra, si le premier je ne l’assomme.
Souvent, soyez-en sûre, ô mère de bonté !
Ma douceur voudrait bien primer ma volonté ;
Mais voulant, à côté de la flamme sublime,
M’élever au-dessus du brasier anonyme,
Je dois incessamment me cravacher le cœur
Et fouler le vaincu pour être le vainqueur.

Août 1907.