L’Âme qui vibre/Le Grand Malade imaginaire

E. Sansot et Cie (p. 61).

LE GRAND MALADE IMAGINAIRE

Tant que je n’aurai pas tes bras pour m’endormir
Ni tes yeux pour y voir les miens s’évanouir ;
Tant que je n’aurai pas, ô femme que j’ignore,
(Et que pour cette cause uniquement j’adore,)
Tant que je n’aurai pas tes mains pour abat-jour,
Tes cheveux pour tenture et tes dents pour vautour ;
Tant que je n’aurai pas ton sein pour tabernacle,
Et ta chair émouvante et chaude pour pinacle ;
Tant qu’au long de mes reins, de même que la fleur
Pendant la nuit s’enroule autour de son tuteur,
Je ne sentirai pas grimper ton corps de chatte ;
Tant que je n’aurai pas ta chanson pour cantate,
Ta langue pour hostie et ton cœur pour Saint-Lieu ;
Tant que je n’aurai pas tes genoux pour prî-Dieu
Et ton corps tout entier pour chaise-longue humaine,
Oh ! tant que j’aimerai sans connaître qui j’aime
Et que mes bras tendus embrasseront du vent,
Tant que je sentirai du vide sous ma dent,
Je serai le damné qui criait à son frère :
Verse-moi sur la langue une goutte d’eau claire.