G. Charpentier et Cie, éditeurs (p. 160-162).
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L’AUBE





LE VENT


à madame a. l.


PRINTEMPS


Entendez-vous le Vent qui jase
Et qui s’arréte à chaque phrase
Pour voir, aux fenêtres qu’il rase,
Des secrets qu’un voile de gaze
Voudrait cacher au Vent qui jase ?


Si j’étais le Vent, j’irais tous les soirs,
Frôleur indiscret, frôler les boudoirs :
J’irais, secouant les frais rideaux roses,
Voir ce qu’on ne voit qu’en les soulevant ;
J’aimerais à voir de joyeuses choses,
Si j’étais le Vent…

ÉTÉ


Entendez-vous le Vent qui chante ?
Son haleine tiède et léchante
Me parle d’un ciel qui m’enchante,
D’un monde où, superbe et méchante,
Flore se berce au Vent qui chante.


Si j’étais le Vent, je voyagerais
Au pays que Dieu bénit de plus près,
Aux villes d’Asie, aux îles de Grèce.
J’irais m’embaumer aux fleurs du Levant :
Mon souffle serait comme une caresse,
Si j’étais le Vent…

AUTOMNE

 
Entendez-vous le Vent qui gronde ?
Roulant sa voix rauque et profonde,
On dirait qu’il apporte au monde
La plainte de ceux qui sur l’onde
Ont crié dans le Vent qui gronde.

Si j’étais le Vent, j’irais sur les flots
Écouter d’où vient le bruit des sanglots :
J’irais vous aider, voiles solitaires
Des marins perdus au désert mouvant !
Tous les naufragés reverraient leurs terres,
Si j’étais le Vent…


HIVER


Entendez-vous le Vent qui pleure ?
Il nous dit que rien ne demeure,
Que toute espérance nous leurre,
Et qu’il faut qu’on passe et qu’on meure
Comme passe le Vent qui pleure.


Si j’étais le Vent, j’irais chaque nuit
Rêver et pleurer dans la nuit sans bruit :
J’irais m’égarer dans les cimetières,
Et dernier écho du monde vivant,
Chanter pour les morts des chants de prières,
Si j’étais le Vent…