L’Âme nue/L’île Vierge
L’ÎLE VIERGE
L’île, en son nonchaloir de courtisane hellène,
Dort sur son lit d’azur où la mer a mêlé
Des éclats de satin et des blancheurs de laine.
Son lit chante et l’endort dans un baiser salé ;
L’arome chaud des thyms tremble et rôde autour d’elle,
Comme le filet bleu qui sort d’un narguilé.
Le myrte, le jasmin, la rose et l’asphodèle,
Balançant sous l’éther leurs frêles encensoirs,
Font monter des parfums vers le soleil fidèle.
Et librement, dans l’air des matins ou des soirs,
Partout, dans tous les coins, hasard, où tu les jettes,
Les fleurs avec les fleurs dressent des reposoirs.
Les genêts, sur les rocs, agitent leurs vergettes ;
Les aloès, autour des pins aux lourds cimiers,
Hérissent leurs poignards et dardent leurs sagettes.
Et les bois d’orangers près des bois de palmiers,
Pointillés des fruits d’or dont l’hiver les parsème,
Cachent des nids où vont roucouler les ramiers.
Chaque mois est le mois des lis. La ruche essaime,
Et le miel blond déborde à chaque lunaison ;
Tout rit, tout est joyeux, tout est pur et tout s’aime…
— L’homme étant venu là bâtit une prison.