L’Âme des saisons/Le printemps violet
Dans la forêt, austère et dénudée encore,
Au sol fauve criblé de brins de gazon vert,
La torsion des troncs tragiques commémore
La semaine sacrée où Jésus a souffert.
O crucifixion des branches dans l’espace !
Parfois, dans le silence ardent du taillis roux.
L’oiseau grimpeur qui darde aux troncs son bec vorace
Imite le bruit creux du marteau sur les clous...
Le printemps indécis se recueille en silence.
C’est l’heure solennelle où le soleil descend.
Un faisceau de rayons, dardé comme une lance,
Empourpre les rameaux d’une sueur de sang.
Le rouge-gorge errant dans le buisson d’épines
Mêle son cri plaintif au chant du roitelet.
La Terre se souvient des souffrances divines,
Et l’air du Jeudi Saint est comme violet...
Pourtant, dans le sous-bois inquiet, une joie,
Timide encor, circule et gonfle les bourgeons ;
Déjà le chèvrefeuille en serpentant déploie
Son rinceau de verdure à travers les buissons.
Déjà, perçant l’humus spongieux, l’anémone
Pointe sa feuille frêle et son grelot neigeux,
Et parmi les fourrés çà et là papillonne
Un essaim argenté de chatons duveteux.
Par intervalles au loin les palombes roucoulent,
Et la grive chanteuse et le merle siffleur
Et les pinsons légers, qui voltigent en foule,
Ont peine à refréner leur pétulante ardeur.
Qu’est-ce donc ?... On dirait qu’un mot d’ordre bizarre
Modère l’innocente allégresse des bois ;
On dirait qu’une fête immense se prépare
Et qu’on chuchote et qu’on se concerte à mi-voix...
On sent dans le silence et la tiédeur étranges
L’afflux impatient des sèves et des cris
Et, sous l’azur peuplé de myriades d’anges,
La Terre en dialogue avec le Paradis...
Le printemps violet tressaille entre les chênes.
La Terre en frémissant porte le deuil divin,
Mais se souvient aussi qu’un Dieu brisa ses chaînes
Et qu’elle a bu le Sang rédempteur comme un vin.
Et c’est pourquoi, malgré l’heure crucifiée,
Un bonheur contenu dilate les buissons,
Et l’herbe simple et l’humble chair — purifiées ! —
S’émeuvent de la sève obscure en longs frissons...
O Jésus, qui voyez si longuement languir
Ceux-ci qui d’un seul cœur brûlent de Vous servir,
O Prince de l’amour et Roi de la souffrance !
Par le bois de la Croix et le fer de la Lance,
Par le fiel de l’Eponge et la pointe des Clous,
Jésus, soutenez-nous et fortifiez-nous !
Afin qu’ayant souffert patiemment l’épreuve
Et revêtu le lin d’une innocence neuve,
Nourris de votre Chair, lavés de votre Sang,
Nous ayons notre part de bonheur innocent
De la Terre, encor violette, qui s’éveille
Parmi l’azur et le murmure des abeilles...